Sale temps pour les hypocondriaques.


 

Les nouvelles regorgent d’informations sur des catégories ou sous-catégories nombreuses de la population mondiale à risque, ce qui est fort justifié par ailleurs. Cependant, il est une espèce humaine qui est souvent délaissée voire complètement omise des discours officiels ou officieux, les hypocondriaques. Une population dont le pourcentage oscille entre 0 et 100% de la société au gré des définitions et des estimations.

L’hypocondriaque est une espèce qui ne représente aucun danger pour qui que ce soit, notamment en période pandémique. Son empreinte sociale se réduit au plus strict minimum et la gesticulation à laquelle il s’astreint pour ouvrir les portes, courir dans un parc ou entrer dans un magasin n’a pour seul risque qu’une crise de fou rire général ou plus généralement un regard circonspect et apeuré, mais rien de particulièrement nocif pour le restant des humains.

L’hypocondriaque représente néanmoins un grand danger pour lui-même, de cela les anthropologues sont absolument d’accord – ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu des différences existant dans ce milieu scientifique. La lecture des nouvelles, des écrits polluants le réseau virtuel ou des statistiques dont il raffole à son grand désarroi, le plonge dans un océan de perplexité et d’angoisse. Chaque symptôme mentionné comme précurseur de la maladie, soyez-en certain, il l’a, c’est invariable et inexorable. Il n’a pas d’énergie, ou trop, il perd son odorat, il éprouve une oppression sur la poitrine, il tousse, il ressent des douleurs injustifiées et indiscernables au plus grand nombre – mais pas à lui – au cœur, poumon, gorge, sinus, orteils ou oreilles, peu importe, l’écoute de son corps provoque au plus profond de son âme et de son corps des sentiments particulièrement anxiogènes, le rendant encore plus vulnérable au développement d’une maladie ou à la survenue d’un accident.

Ce qui le rend particulièrement anxieux est naturellement la lecture des écrits qualifiés de scientifiques décrivant l’impact d’un environnement de stress sur l’immunité corporelle. Etant par définition stressé et angoissé en permanence, surtout durant les périodes nocturnes propices aux insomnies, les tests dont il raffole dévoilant la nécessité d’un sommeil réparateur et d’un niveau d’immunité élevé, l’hypocondriaque se complait à gesticuler – intellectuellement parlant – entre la nécessité de reprendre le contrôle de lui-même alors même que toute sa construction mentale le porte à disperser ses efforts à l’infini, chaque parcelle de son corps devenant une pépite d’individualité convergent vers le cerveau des informations invariablement négatives et pessimistes et la peur de sombrer dans l’inexorable.

Ne reste plus alors à l’hypocondriaque qu’une solution à son état d’anxiété, se ruer vers l’extérieur tout en maintenant une distance sociale de cinq à dix mètres avec un frisson d’angoisse lorsque se profile à l’horizon l’ombre d’un humain. Ses détours d’un trottoir à l’autre n’amuse personne surtout pas les rares conducteurs encore présents dans des rues désertes. Risquant sa vie en fuyant l’autre et évitant la collision avec un véhicule qui pourrait s’avérer être conduit par un humain il finit par s’approcher de la pharmacie qui représente son secours en période de crise. Bien sûr, l’hypocondriaque ne peut envisager en période pandémique que d’alterner les traitements les plus novateurs, des huiles essentielles aux médicaments rares – dont il dévore les descriptifs et s’effraie des contre-indications puisque, là également par définition, il s’avère remplir l’entièreté des critères l’empêchant de prendre le dit médicament et l’obligeant ainsi à se diriger vers une autre officine et recommencer en boucle le même schéma de fonctionnement.

L’hypocondriaque privilégie le sport, puisqu’on lui a dit, et il écoute toutes les délibérations pseudo-scientifiques, que le sport est un atout non négligeable de construction d’une immunité palpable et fort utile. Son problème réside alors dans la pratique d’un sport, forcément individuel, et le plus fréquemment la course à pied, l’entraînant dans un parc où malheureusement d’autres humains se trouvent également le plongeant dans une grande perplexité et l’obligeant à courir dans l’herbe à plusieurs mètres de ses congénères au risque non négligeable de chuter sur une racine, de foncer dans un tronc ou prendre une branche dans l’œil.

Se reprenant et oubliant un moment les risques qu’il encourt, l’hypocondriaque doit parfois entrer dans un des endroits qu’il déteste le plus par temps épidémique, le magasin d’alimentation. Avec ses rayonnages étroits, ses rayons et étagères métalliques, ses produits ayant forcément été touchés, palpés, frôlés par d’autres humains, il ne sait plus comment se comporter et souvent se munis de gants dont il perd rapidement le contrôle obligé qu’il est de s’éponger le front transpirant. Apeuré, il plonge ses mains dans un liquide réparateur dont il possède plusieurs exemplaires dans la poche de sa veste, jugée par lui imperméable, et poursuit sa route jusqu’à l’inexorable, à savoir le croisement dans une rangée étroite avec un humain, en chair et en os, porteur selon lui de toutes les maladies imaginables. Souvent, car l’hypocondriaque n’a guère de chance, lorsqu’il se retourne pour s’enfuir, son regard affolé croise celui d’un autre humain. N’ayant de solution dans la fuite, ne pouvant s’envoler au-dessus des rayons, il se met en boule, retient sa respiration et progresse lentement vers la sortie muni non pas du pain qu’il cherchait mais d’une salade dont il n’avait pas besoin, règle ce qu’il avait à régler, oublie son portefeuille ce qu’on lui signale le plus fréquemment – car par temps d’épidémie l’humain se rappelle certaines règles de base de comportement social amical – et s’enfuit vers sa maison où il retrouvera avec délice la lecture des statistiques et des nouvelles s’enquérant ainsi de l’évolution de la situation de la planète dont il fait partie intégrante, mais sur sa bordure extérieure avec distance sociale de rigueur.

Il ne reste à l’hypocondriaque qu’une dernière chose à faire, s’asseoir devant son téléviseur et visionner un film d’angoisse, lire un livre triste ou écrire des lignes sans intérêt, autant d’activités qui représentent un dérivatif à son anxiété naturelle.

Une pandémie est d’évidence un temps particulièrement déroutant pour un hypocondriaque…

Eric Tistounet