Fragments d’épopée – Nouvelle série – Introduction


Pour terminer tranquillement cette année-ci et commencer en douceur cette année-là, voici une nouvelle série quotidienne, ou presque, qui vous rappellera, peut-être quelque chose. N’hésitez pas à me faire parvenir vos commentaires.

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LIVRE I

LE PRINCIPE, LES ELEMENTS ET LEURS ALLIESLe Principe

LE PRINCIPE

Au début était le Principe

Le Principe n’avait pas de nom car il était seul dans l’immense obscurité

Il n’y avait rien ni personne d’autre que le Principe

Mais le principe se suffisait à lui-même

Le Principe était unique mais divers, formé d’un nombre infini d’éléments

Les Eléments formant le Principe étaient en nombre infini

Mais il demeurait un seul et unique Principe

Et ce Principe était unique dans un point sans volume

Tout autour n’était que vide sans limite, à l’infini

La diversité du Principe générait la multiplicité

Chaque élément du Principe considérait qu’il était partie du Principe

La richesse du Principe venait de cette diversité

Car le Principe était tout et chacun des éléments à la fois

L’unicité et l’infini réunis en une seule entité

Il n’y avait ni temps, ni lieu, car tout était en l’Un, en l’unique Principe qui gouvernait tout et rien

Il était unique et représentait tout ce qui avait déjà été ou un jour serait

Le Principe était seul, infiniment seul mais ne se languissait pas de cet état étant multiple dans sa composition

Chaque Elément apportait richesse et diversité au Principe qui était multiple et divers dans une parfaite unicité

Et le Principe se réjouissait de son homogénéité qui naissait d’une complexe hétérogénéité

A chaque instant de l’infini le Principe se répandait en conjectures sur tout

Chaque Elément apportait une réponse qui lui était propre et l’ensemble formait une nuée pointant dans une direction

Le présent de chaque parcelle de temps était ainsi sujet à multiples considérations provenant de tous les Eléments

Et le Principe se réjouissait de ce débat permanent

Et se louait de cette sagesse infinie

Et s’amusait de la diversité de ses composants qui se nommaient Eléments

Et saluait la richesse de la diversité et la sagesse de l’unicité qui en découlait

L’infini du temps passait avec sérénité pour le Principe qui saluait le plaisir qui découlait du dialogue entre chaque Elément qui le composait

Les infinis du temps et des lieux faisaient écho à l’infini des Eléments et l’unicité du Principe

Il y avait tout en une parcelle infiniment petite et inexistante qui s’appelait Principe

Il n’y avait rien en dehors de ce Principe

La vie est mouvement perpétuel… Meilleurs voeux à toutes et tous…


La vie c’est regarder autour de soi… Meilleurs voeux à toutes et tous…


Interview


Interview de Eric TISTOUNET

Written by Nathy (http://belisamart.fr/blog/index.php?option=com_k2&view=item&id=216:interview-de-eric-tistounet&Itemid=51)

 

Présentation :

 

Biographie :

 

Eric Tistounet, né en 1961, marié, deux enfants, vit à Genève, travaille à l’ONU dans le domaine des droits de l’homme et, lorsqu’il a le temps, écrit, généralement entre 23 heures et 1 heure du matin.

Extraits (Grandeurs et décadence d’un enfant du siècle – 2010) :

 

J’aurais aimé être quelqu’un d’autre que celui que je suis devenu. Je ne pense pas être le seul dans cette situation, on peut l’imaginer.

 

Je crois que la raison principale pour laquelle j’ai accepté pendant une longue partie de ma vie d’être sous le joug d’un abrutissement quasi permanent et une obéissance plate et rigide aux prescriptions de mon supposé destin est l’immense lassitude qui souvent m’oppresse.

 

Je suis né ainsi et rien ne semble pouvoir changer cet état de fait. J’ai depuis ma plus tendre enfance préférer une douce et saine passivité à cette hyper-activité inutile et épuisante qui semble être la marque de fabrique de mes contemporains. La lecture d’un roman me repaît tout autant qu’un bon repas, la contemplation d’un ciel cotonneux absorbe mon attention bien plus sûrement qu’une émission de télévision, l’audition d’un opéra ou la vision d’un film contemporain me plonge dans un enchaînement de pensées dense et sans limites. Je ne suis pas fait pour une époque où le temps est maître de toute chose. Je suis bien mieux armé pour affronter les lentes évolutions de la vie et sa sinuosité implacable allongé sur une dune de sable ou assis face à un coucher de soleil dans le lointain Botswana.

 

Je mens… Je m’en rends bien compte. Je suis hors sujet. Les choses sont bien plus complexes et mon personnage comme tous les autres est nuancé, contrasté et contradictoire. Surtout contradictoire. Disons que j’aurais aimé être passif, neutre, profondément zen, un Marc-Aurèle en miniature mais ne l’ai pas été, ou plutôt ne l’ai été qu’en certaines occasions. Mes périodes de lassitude et benoîte obéissance aux forces qui m’entouraient ont été circonscrites entre d’autres périodes de profonde agitation, trépidation et fulmination.

 

Il serait plus juste de dire que j’ai toujours démontré une capacité à anticiper les évènements et saisir les occasions lorsqu’elles se présentaient, on pourrait parler d’opportunisme singulièrement affûté. Ce n’est que lorsque les circonstances étaient figées, implacablement dessinées et articulées, que j’aie sombré dans profond abrutissement et la lassitude extrême que j’aie décrites auparavant et desquels j’ai éprouvé les pires difficultés pour m’extraire. J’avais alors il est vrai l’impression de ne plus pouvoir me défaire de ces fils, d’être paralysé, apathique, amorphe. Peut-être était-ce là une réaction parfaitement appropriée puisque je n’étais plus en mesure de réagir et changer le cours du destin, de me débarrasser de mon joug.

Œuvres :

En attendant que la nuit s’achève (2011)

La longue et lente errance d’un groupe d’amis improbables (2011)

Marcher, encore, toujours (2010) (à paraître aux Éditions Petits Tirages)

Grandeur et décadence d’un enfant du siècle (2010) (à paraître chez mon petit éditeur)

Dialogue avec des ombres (2009) (à paraitre aux Éditions Kirographaires)

Un lent glissement (2008) (Éditions Petits Tirages 2011)

Celui qui reste (2007)

Dans un instant ça ne va pas commencer (Pièce de théâtre – 2007)

Points de non-retour (Nouvelles – 2006)

Le vieil homme, le bourdon et le chat qui se suicide (2006)

Toutes les vies que j’ai vécues (2005)

Danser avec dieu (2005)

Les absents (2004)

Le temps des rapaces et celui des hérons (2003)

Carnets d’un médiocre (2003)

Après-demain (Chroniques européennes) (2002)

Etc.

 

 

Liens :

 

www.erictistounet.org

unelongueerrance.blogspot.com

www.erictistounet.com

 

Interview :

B’À : Tu utilises un pseudo ? Si oui, d’où vient-il ? Pourquoi ne pas garder ton vrai nom ?
Invité :

 

Je publie mes ouvrages sous mon propre nom. Par contre, sur Facebook j’utilise un avatar, Erik Tysserman, pour distinguer les échanges portant sur l’art, la photographie et la littérature des autres plus personnels. En tout cas c’était l’idée initiale.

B’A : D’où te vient ta passion ? Et depuis quand écris-tu ?
Invité :

J’écris depuis 80, j’avais presque vingt ans. Je ne sais plus vraiment pourquoi j’ai commencé à rédiger des lignes, les unes après les autres, un défi ? Peut-être. Une passion ? Sûrement. Un plaisir ? Évidemment. Depuis lors, je n’ai jamais cessé d’écrire, et ne me demande même plus pourquoi. Il y a probablement une conjonction de multiples raisons allant du besoin de mieux me connaître à celui d’essayer d’appréhender ce qui se cache derrière la réalité qui m’entoure et dans laquelle j’évolue sans vraiment toujours la comprendre. Ce n’est d’ailleurs pas une grande surprise si mes romans sont la plupart du temps rédigés avec un narrateur omniprésent qui tente tant bien que mal de survivre à des situations qui le dépasse totalement.
B’A : Qu’est-ce qui t’a motivé à la partager avec un public ?
Invité :

 

Je suis un grand lecteur. J’ai toujours lu plusieurs titres en même temps, appartenant chacun à des genres différents. Je n’exclus absolument rien. Pour moi, l’essentiel est le texte que je lis ce qui m’amène à considérer l’auteur de celui-ci de manière moins prioritaire. La création est ainsi plus importante que le créateur. C’est presque une affirmation religieuse ou philosophique, n’est-ce pas ? En tant qu’écrivain, je conserve cette vision des choses. Mon statut d’auteur n’a que peu d’importance, ce qui compte ce sont les livres que j’écris. Il est donc essentiel que ces textes, qui vivent leur vie propre depuis que je les ai achevés, trouvent leur lectorat.

B’A : Qu’est-ce qui a été le plus dur pour te faire éditer ? Raconte-nous un peu ton parcours.
Invité :

Le temps. Je suis écartelé entre une profession extrêmement riche et passionnante, mais très exigeante et une vie privée elle également très prenante. Je me consacre à mon rituel d’écrivain de manière quotidienne, généralement la nuit. Il ne me reste pas une seconde pour le reste. Or, être publié requiert un temps considérable. Je ne vis pas à Paris, je ne connais personne dans le monde de l’édition, je suis étranger, totalement, au milieu dit ‘intellectuel’. Ceci joue contre moi. Je ne crois pas du tout qu’un roman puisse être édité par une grande maison d’édition s’il lui est envoyé tel quel dans une enveloppe presque anonyme. Au début, je veux dire dans les années 80, j’ai essayé, d’envoyer mes textes de cette manière mais après avoir constaté que mes pauvres livres n’avaient même pas été ouverts j’ai abandonné. J’ai repris ces efforts l’année dernière après avoir créé mon site et rejoint les réseaux sociaux et je suis heureux de voir quelques-uns de mes titres publiés par des maisons d’édition très sérieuses et désireuses de s’ouvrir à de nouveaux auteurs.
B’A : Comment s’est déroulé le contact avec l’éditeur quand ton manuscrit à été accepté ? As-tu dû faire des concessions au niveau de ton manuscrit (modifier certaines choses dans l’histoire) ?
Invité :

Pour le moment, tout c’est très bien passé. J’ai parlé avec des personnes respectueuses de mon travail dont le désir évident était de m’épauler dans mes efforts. Mes textes sont assez particuliers, je pense, et leurs commentaires ont toujours été appropriés.
B’A : D’où te vient ton inspiration ? As-tu une technique pour éviter la panne sèche ou te remotiver ?
Invité :

Comme tout auteur, je suis une éponge. J’absorbe énormément du monde qui m’entoure et aliment ainsi mon imaginaire propre. J’utilise souvent, je l’ai dit, l’intermédiaire d’un narrateur. Celui me permet de me distancier du texte en tant que tel et projette le lecteur dans le cœur de l’action, au milieu des personnages. C’est mutuellement bénéfique. Je fournis au narrateur les éléments essentiels du roman en devenir et le laisse se débrouiller. Parfois, le narrateur se trouve un peu déboussolé, ce qui évident dans ‘un lent glissement’ paru récemment, mais cela amène souvent encore plus d’authenticité et de volume à l’histoire dont il s’agit. La plupart du temps, je suis surpris positivement par l’évolution de mes narrateurs et, en conséquence, celle de mes ou ses autres personnages, ce qui suscite mon attention permanente. Le tout m’évite naturellement les pannes sèches surtout si l’écriture devient un rituel, ce qui pour moi est évidemment le cas. Si je n’écris pas une journée, je suis en manque…
B’À : En tant qu’auteur, qu’est-ce qui te pose le plus de difficultés ? Y a-t-il quelque chose que tu t’interdis d’écrire ?
Invité :

 

Je n’aime pas le voyeurisme, la vulgarité ou la facilité. Je déteste les phénomènes de mode. Je ne veux écrire pour personne, pas même pour moi. Mes textes doivent se suffire à eux-mêmes. Par ailleurs, j’essaie de ne pas m’enfermer dans le même genre et passe de l’anticipation (après-demain) au réalisme (grandeur et décadence d’un enfant du siècle) en passant par le surréalisme (lent glissement), les romans psychologiques (dialogue avec des ombres) et ainsi de suite. J’ai, bien entendu, rencontré des obstacles et ai dû parfois m’arrêter après cent pages voir plus. Par exemple, je n’arrive pas à écrire un roman ‘noir’ ou ‘policier’, c’est au-delà de mes capacités pourtant j’aimerais bien en terminer un… peine perdue.

B’A : As-tu des modèles qui t’ont inspiré ?
Invité :

 

Je lis énormément et en conséquence ai beaucoup apprécié certains textes : Never let me go, d’Ishigure, les ouvrages de Kafka, Vian, Irving, Auster, Coupland, Virgile, Racine, et autres. Chacun est en moi et forme un liant pour mon imaginaire, un peu à la façon de Montaigne. Mais je ne peux pas dire que je me sois un jour inspiré d’un auteur exclusivement.

B’À : Tu as adopté un style, penses-tu te risquer à effleurer d’autres genres à l’avenir ou te sens-tu suffisamment à l’aise avec le tien pour lui être fidèle ?
Invité :

 

Je change de style très fréquemment. Pour moi l’important est d’identifier une situation, l’histoire ou les histoires qui vont la parcourir, les personnages qui vont avec, le style vient ensuite. Le texte que j’écris actuellement sur mon blog est très difficile car je m’impose un style très sec et distancié qui doit coller avec une société qui s’écroule sur elle-même. C’est difficile et je dois m’accorder des plages de repos mais c’est nécessaire.

B’À : Tu as écrit plusieurs choses, as-tu une préférence pour l’un de tes romans ? Si oui, lequel et pourquoi ?
Invité :

 

Le premier, Babel, un texte très naïf et lourd, très noir également. Une société qui marche sur la terre. La Tour a été construite, Dieu et ses Saints sont atteignables en haut des escaliers. Mais si le paradis est en haut, l’enfer doit être en bas, ce qui est logique. Le clergé maintient le monde dans une obscurité et une cruauté totales. Pour que le bonheur existe en haut, le malheur doit prévaloir en bas. Des descriptions très lourdes et dures. Mais dans tout cela il y a un couple qui s’aime et ceci contrarie la structure même de la société. J’ai aimé travailler cet appétit de liberté sur fond d’angoisse et de destruction. Mais, je dois admettre que c’était un texte un peu difficile et ambitieux, trop probablement.

 

Tous les autres… chacun contient un personnage ou une situation qui me séduit encore. La vieille femme du roman ‘Le temps des rapaces et celui des hérons’ qui a un destin invraisemblable ou celle du lent glissement qui s’exprime en haikus tout en détruisant les radiateurs…

B’À : À quel personnage/créature tu t’identifies ou aurais-tu aimé être ?
– Et parmi les personnages/créatures de tes œuvres ? Qui te ressemble le plus ? Lequel aurais-tu voulu être ?
Invité :

Difficile à dire. Je pense que l’auteur ou artiste compose, écrit, créé sur la base de son propre vécu. Les personnages qui s’infiltrent dans mes romans sont forcément extraits de mon imaginaire. Je dois donc leur ressembler quelque part. Mais cela s’arrête là : mes narrateurs m’amusent mais parfois ils m’exaspèrent. Surtout lorsqu’ils ne comprennent rien au monde qui les entoure. Les livres qu’ils rédigent leurs appartiennent. Je ne me sens pas plus proche de l’un ou de l’autre.

B’A : Quelles œuvres aurais-tu aimé écrire/dessiner/composer ?

Invité :

J’aimerais écrire un opéra. Je suis quasiment ignare en musique mais l’idée de créer un Opéra, qui soit un composé de narration romanesque et musicale, avec un fond pictural, une mise en scène surréaliste, des sons insaisissables, des acteurs/chanteurs invraisemblables dans des situations indescriptibles m’attire énormément. Ce devrait être une grande fresque à la Wagner. Mais, bien entendu, ceci me dépasse totalement et je ne serais jamais en mesure de le faire. Alors, j’ai essayé quelque chose de plus simple, une pièce de théâtre ou un scénario de film. Mais je suis loin de ce rêve.

 

B’A : As-tu d’autres activités en parallèle qu’elles soient artistiques ou non ?
Invité :

Beaucoup. Mon activité professionnelle (je travaille à l’Onu dans le domaine des droits de l’homme) est passionnante. J’aime beaucoup la photographie (j’aliment mes comptes FB et autres quotidiennement). J’aimerai pouvoir reprendre la peinture que j’ai abandonnée au début des années 80 dans une sorte de gestuelle expressionniste abstraite peu originale.
B’A : Comment t’organises-tu  pour tout concilier ?
Invité :

Un casse-tête permanent. Je suis horriblement distrait. Je dois donc m’organiser aussi bien que possible et soumettre mon pauvre cerveau à des gymnastiques quotidiennes. Comme indiqué, il est plus simple pour moi d’écrire régulièrement que par à-coups. Je procède de la même manière en toute chose. Je ne me demande pas mon avis…
B’A : Si tu ne faisais pas cela, quel aurait pu être ton autre métier ?
Invité :

Journaliste ?
B’A : Peux-tu nous parler de tes futurs projets ?
Invité :

Terminer mon roman actuel et reprendre une grande fresque, façon ‘carnets d’un médiocre’ ou ‘grandeur et décadence’.
B’A : Quels conseils donnerais-tu pour quelqu’un qui veut se lancer à son tour ?
Invité :

 

De la constance, de la modestie, de la persévérance. Ce qui est semé aujourd’hui finira bien par pousser, un jour ou l’autre. L’important n’est pas la récolte mais le geste, l’effort, la musique qui entoure les semences. S’inscrire dans un tel registre change la vie pour de bon… et le reste suit, forcément.

Demain 51 – FIN


51.

L’air est frais ce matin. Chaque jour un peu plus léger et cristallin. Le vent agace les cheveux et s’engouffre dans nos vêtements, ce qu’il en reste. Nous avons plus ou moins épuisé ce qu’il nous restait de provisions. Cela n’est pas un grand problème, nous avons fini par nous habituer au manque de nourriture. Heureusement, nous avons de quoi boire. Pas grand-chose, certes, mais en quantité suffisante pour nous soulager. Le ciel est dégagé comme il l’est quasiment en permanence depuis que nous longeons le fleuve et tentons de rejoindre la mer. Mélanie est à mes côtés ainsi que le garçon muet. Une certaine tendresse s’est frayée son chemin et installée tant bien que mal entre nous. Il ne nous reste que des souvenirs vagues et distants de celles et ceux qui nous ont accompagné pendant un certain temps.

Nous parlons peu. Presque rien. Des mots que l’on susurre parfois et qui la plupart du temps ne signifient presque rien, des onomatopées ou des exclamations, de vagues signes sonores sans prétention que l’on jette hors de la bouche et en conséquence du crâne ou du cœur et qui n’ont d’autre destination que l’extérieur et d’autre fin que celle de s’évanouir, ailleurs. Le garçon ne dit rien du tout et se contente de tenir un pan de mon imperméable, ce qui semble l’apaiser et le satisfaire. Je ne sais même pas son nom mais ceci n’est peut-être pas ou plus nécessaire. Nous sommes trois et les mots ne sont plus vraiment nécessaires, même pas utiles.

Mélanie est à mes côtés. Nous sommes assis sur un morceau de mur pris entre un concassement de dôme et un éboulis de cube ou peut-être d’éolienne. Il n’y a plus, devant nous, qu’un immense mur blanc et brillant fait d’une juxtaposition de ces trois ingrédients. On dirait qu’un phénomène de grande ampleur a compressé tout ce qui se trouvait entre ici et la mer et l’a transformé en une immensité inégale de couleur blanche. Nous sommes au début de cette frontière sans limite. Derrière nous, il n’y a que brisures et hachures, au loin des formes plus reconnaissables, et au-delà le paysage que nous avons traversé fait de cubes, éoliennes et dômes. A notre niveau et à perte de vue une étendue blanche chaotique et désordonnée, englobant les collines et avalant le fleuve. Nous aurions pu passer par la droite ou la gauche nous serions invariablement tombés sur cet obstacle de taille. Devant nous, un désert blanc mélange de pierre, métal et verre. Au-delà ? Une ligne bleue, légèrement inclinée, vaguement arrondie, qui ressemble à la mer. Est-ce la mer ou notre imagination ?  Le bleu que nous discernons, ou croyons discerner, ou espérons viscéralement discerner, est presque de même qualité et nuance que celui du ciel. Les deux se mêlent, s’unissent en un accouplement imaginaire et portent vers le ciel une sorte de brume sur laquelle le soleil se plait à dessiner des volutes écarlates. Ce qui n’est au mieux que la possibilité d’une mer nous rassure. Il demeure une fraction d’espoir sur cette terre qui fut généreuse et que l’on a oublié.

Nous sommes assis, tous les trois, le garçon à ma gauche et Mélanie à ma droite, une sorte de rituel j’imagine, lui tient mon imperméable tandis que nos mains à elle et à moi se rassurent mutuellement. Dans le présent qui s’étend et étouffe tant le passé que le futur il y a cette étrange pérennité, une femme, un homme, et un enfant. Je ne sais pas ce que cela signifie, à vrai dire la compréhension que j’ai des choses et des évènements de ces derniers mois est fort limitée, j’ai égaré la faculté qui est humaine de m’étonner. D’ailleurs, je vous ai adressé ces messages mais j’ignore parfaitement pourquoi et surtout ce que terme ‘vous’ recoupe. Mais, pour l’heure, ces questions ne me hantent pas, ou plus, il me suffit d’être assis sur cet infini blanc, de regarder au loin ce qui pourrait être la mer, de ressentir la chaleur de deux êtres à mes côtés et poser ma tête sur  l’épaule de Mélanie.

La vie est écho


Demain 50


 

50.

Nous n’avançons plus qu’avec infiniment de difficultés. L’horizon se referme sur nous. Les cubes blancs sont si nombreux que nous sommes forcés de les contourner les uns après les autres pour déboucher sur une éolienne ou un autre cube voire un dôme, perdu au milieu de cette jungle improbable, irréelle, des murs ou parois qui d’ailleurs n’ont plus grand-chose de sphériques ou de perpendiculaires, nous avons atteint un point de l’univers où la géométrie n’a plus grand-chose à faire, un endroit et un moment particuliers, spécifiques, présents, un présent qui dure, s’étend et ne relâche pas sa poigne sur le cou du passé ou la cheville du futur, nous avançons vers un sud qui ne veut pas pointer le bout de son nez, comment le pourrait-il à la vitesse où nous avançons ? tout au plus une poignée de kilomètres chaque jour, probablement bien moins car il faut compter les rebrousse-chemins et les pauses, nombreuses et nécessaires pour permettre à nos corps de se reposer et nos âmes de s’enfoncer, nous pleurons parfois, mais rarement, crions ou simplement restons silencieux, le cœur n’y est plus, certains nous font faux bond, cessent d’avancer ou s’éloignent au contraire sans que nous puissions les rattraper, les ombres nous englobent et nous avalent, les cubes grandissent en taille et volume, s’imbriquent les uns les autres, certains semblent carrément déterrés et renversés sur un autre, mais jamais nous ne voyons une entrée ou quelque chose de similaire qui nous permettrait de saisir l’espace d’un instant une image même dérobée de ce qui peut ou pouvait bien se cacher à l’intérieur, nous sommes nus, des Godos qui vont quelque part mais pas où ils sont attendus, des erres qui se cherchent et naturellement ne se trouvent pas.

Que vous dire de plus, Léa n’est plus là, vous l’aurez bien compris, happée par le destin voici quelques jours déjà. Betty non plus mais ceci de son propre fait. Elle est partie avec McLeod vers les collines, celles-là mêmes que je me proposais hier encore de rejoindre pour pouvoir mieux nous évader vers la mer, tandis que l’initiateur de cette proposition, je veux dire moi-même, ne les a pas suivi, pourquoi ? je n’en sais rien, par fidélité à Mélanie, j’imagine, je ne m’explique pas les choses autrement, je dois éprouver une sorte d’attirance pour cette jeune femme, quelque chose d’indéfinissable, pas une attraction physique, les interdits du passé demeurent en sus de l’épuisement du moment qui ne permet pas à ce type de sensations d’émerger du marasme dans lequel le corps et l’âme se débattent, rien de véritablement physique, en tout cas pas de manière visible ou saisissante, ni psychique, ni autre, rien de ce que j’ai pu connaître par le passé lorsque je fréquentais encore ces listes virtuelles et ces fantômes bien physiques que l’on m’octroyait ou inversement, peut-être quelque émergence sentimentale, pourquoi pas ? ce serait amusant, avouez-le, me retrouver ici au pied de cubes blancs qui s’effondrent tels des dominos géants de plusieurs dizaines de mètres de côté et tomber niaisement amoureux d’une jeune femme qui, je dois vous l’avouer, n’éprouve absolument rien pour moi si ce n’est une cruelle déception face à un individu dépourvu de toute agilité mentale, de souplesse intellectuelle, de ressources physiques, et qui ne s’est pas gênée pour se complaire dans des débauches sexuelles avec les uns ou les autres, sans considération de genre, ni d’âge, mais pas avec moi, peut-être une question d’âge, ou une répulsion naturelle, en bref, je ne suis pas allé avec ceux qui se sont dirigés vers les collines, je ne me suis pas laissé dépasser par les autres, je n’ai pas posé mon sac à terre, je suis resté avec Mélanie et ce jeune garçon qui ne parle pas et me tient un pan de mon vêtement.

Nous avançons avec grande difficulté, et lenteur, et hésitation, mais sans surprise ni défaitisme, ni rien d’autre, le monde se referme lentement sur nous, nous avons réussi à marcher sur le verre poli d’un dôme plus enfoncé que les autres et donc moins pentu, troué sur le côté, et avons vu ce qu’il y avait en dessous, une sorte de ville en miniature et des manèges pour enfants, un carrousel avec des chevaux et voitures, et autour des chaises vides, une fontaine, des arbres morts, une maison détruite, un magasin et des trottoirs bien proprets, des cadavres eux aussi bien proprets, comme momifiés, un chien et des chats, trois hommes, deux femmes, quatre enfants et une vieille femme, des poucettes renversées, des marques de combats, des traces de sang, presque esthétiques mais nous nous fichons de l’esthétisme et n’éprouvons plus rien, ni dégoût, ni désespoir, la peur a tellement tatoué nos esprits qu’elle s’est mise à muer en indifférence générale et totale, nous laissant plus imperméable à la mort que les murs de bétons les plus élevés, nous avons noté, à peine, que l’ensemble était détruit depuis longtemps sans pouvoir ou vouloir déterminer si cela datait de la panne de 4 heures 33, lui était antérieure ou postérieure, très honnêtement quelle importance cela pourrait-il avoir ? tout est mort en dessous et tout naturellement nous l’avions compris et nous savons que cet état est prodigieusement contagieux, cela l’a toujours été mais l’humain a été réfractaire à cette constatation, ce n’est pas grave, ce n’est plus grave, si je n’étais essoufflé par cette marche sans finalité cela me ferait rire, les derniers représentants d’une humanité en friche, totalement hermétiques à la compassion ou la rédemption qui marchent sur l’épiderme d’une réalité qui s’est enfouie pour mieux survivre et s’est étouffée, dérisoirement, ridiculement, succombant à une panne, une simple et misérable panne, des êtres sans forme qui avancent, maintenant encore, au moment où vous lisez ceci, j’avance, derrière Mélanie et devant le garçon muet, et du haut de ce dôme sans nom je vois les souvenirs d’un vernis inutile et contemple l’horizon macabre d’un paysage de cubes et d’éoliennes, à perte de vue, démentiellement, écroulés les uns sur les autres, les uns dans les autres, les restes d’une implosion majeure, il y a peu de temps, il y a longtemps, il y a jamais, plus jamais cela, je ne sais que vous dire, il n’y a plus rien qu’un emboitement de murs, de tiges, d’hélices, de moteurs, de verre, de terre, mais pas d’arbre, c’est drôle, je souhaiterais voir un arbre, un vestige d’arbre m’irait bien, de l’écorce, des feuilles, même une me suffirait, sentir une dernière fois les délices d’une caresse de la nature et je pourrais m’enfuir, partir, tirer ma révérence, vous saluer, et vous, vous me diriez peut-être qui vous êtes et pourquoi je vous écris…

Demain 49


49.

Les cubes blancs, des taches épaisses et carrées à la base, sur les côtés et probablement sur les sommets que l’on ne discerne pas, se multiplient.

Je pensais que nous en avions fini avec eux, qu’ils cesseraient de se reproduire, pour autant que l’on puisse parler ainsi d’éléments du décor, parfaitement artificiels, qu’ils finiraient par se faire oublier, eux et les éoliennes, et les dômes, que tout s’estomperait dans un passé honni et honteux, celui de nos échecs et de notre impuissance, mais tel n’est pas le cas : plus nous progressons vers le Sud et la mer, l’espoir d’une rédemption, d’un sauvetage – l’inverse de ce que l’on a l’habitude de considérer puisque les naufragés sont habituellement de pauvres ères dérivant sur de frêles esquifs à la Géricault sur un océan démonté espérant apercevoir dans le lointain de la houle une forme quelconque se révélant être un phare, des rochers, une île ou un navire, quel qu’il puisse être, et nous nous sommes des vivants terrestres déroulant leurs pas peu assurés et divagant sur une plaine interminable longeant un fleuve sans nom et des collines asséchées à la recherche quotidienne d’un signal net, celui de l’apparition d’une ligne bleue, brillante, profonde, lourde et belle, l’image d’un infini et d’une possibilité d’un rêve, d’un espoir même ténu de mettre entre nous et ce cauchemar duquel nous tentons de nous échapper la longueur d’un océan et la profondeur d’un désert, et que l’on oublie tout, et que l’on se sauve dans l’ivresse d’une navigation aussi lointaine que possible – et plus ils se manifestent à notre attention, je veux dire ces fichus cubes, des dizaines par paysages, dans toutes les directions, qui nous imposent des détours de plus en plus fréquents, entre des murs lisses et auréolés de blanc, sans vie, sans le moindre bruissement de vie intérieur ou extérieur, rien, absolument rien, si ce n’est une présence funeste, onirique, indescriptible, des murs qui se rapprochent de nous et des murs qui s’échappent vers le ciel en étendant sur nous des ombres de plus en plus sombres, froides et morbides, des murs qui ne cessent de nous interpeller que rarement, très et trop rarement, lorsque des éoliennes fugaces sifflent leurs complaintes navrantes et détestables, ou lorsqu’un dôme, un autre, tout aussi éteint que celui que nous avons essayé de percer, se laisse approcher et se moque de nous en nous empêchant de voir à travers ses verres opaques.

Un nombre croissant de cubes et d’éoliennes, et également, c’est intéressant de le noter, pourquoi ne pas en faire état ? des oiseaux qui se manifestent, pas des formes virtuelles et bien dessinées sur fond d’écran sphérique englobant le spectateur, non, pas le moins du monde, je parle de ces êtres réels, un corps et des ailes, blanches, un visage aux yeux exorbités mais intelligents, des plumes, des becs, une queue, des cris, perçants, qui ont fait irruption dans notre monde irréel il y a quelques jours à peine, peut-être plus mais ce n’est pas sûr dans la mesure où certainement l’un ou l’autre d’entre nous s’en serait rendu compte, aurait attiré l’attention du groupe en tendant un doigt vers le ciel, ou levant la tête vers le ciel, donc il y a peu, des intrus sans velléités agressives, en tout cas pour le moment, qui passent et repassent au-dessus de nous, en longues lignes zigzagantes, sans géométrie particulière si ce n’est celle d’un chaos apparent, et en nombre croissant, de quelques dizaines à plusieurs centaines d’individus, passant et repassant, lentement ou avec vigueur, à proximité, sans sembler le moins du monde se soucier de nous, au point que l’on oublie leur présence après s’être étonné de leur présence, les premiers animaux réels, non virtuels, que  nous voyons depuis le début de notre errance, ce qui au demeurant est une surprise… Aussi bien, nous aurions dû en rencontrer d’autres, depuis longtemps, c’est Mélanie qui l’a fait remarquer, des chiens ou des zébrules, des millefaces ou des acachis, des midrus ou des chats, n’importe quoi , des animaux de contrefaçon, importés des terres lointaines pour la distraction d’un ou une privilégiée ayant obtenu une licence sanitaire d’importation de feu le Ministère de l’ordre public, de la salubrité, de l’hygiène et du bien public, ou des êtres de contrebande mis à disposition d’enfants ou vieillards trop gâtés, mais nous n’en avons rencontré aucun, pas la moindre boule de poils ou bec brillant, rien, une absence inexplicable, mais un fait, inéluctable, le monde virtuel d’antan, refermé sur lui-même telle une huitre despotique n’aura laissé s’échapper de ses griffes qu’un nombre ridiculement faible de vivants, humains ou animaux.

Les oiseaux volent et divaguent au-dessus de nous tandis que nous nous faufilons entre les cubes et les éoliennes, et parfois les dômes, avançons de plus en plus lentement sur une plaine qui lentement referme ses griffes sur nous, ne nous laissant que peu de chance, fermant sur nous la seule porte qui semblait représenter un espoir même fragile. McLeod s’est emporté contre les cubes et a jeté des cailloux polis contre les parois similaires des cubes mais sans aucun effet tangible si ce n’est une blessure, pour lui, par rebond. J’ai proposé de marcher pour quelques temps vers les collines que je crois discerner vierge de cubes mais mes amis ne m’ont pas écouté. Ne souhaitant pas voyager seul je demeure pour l’heure avec eux tout en sachant que tôt ou tard nous n’aurons plus le choix et serons forcés d’obliquer vers l’Est, les murs des cubes nous imposant de rebrousser chemin, tant pis pour la soif et la faim, tant pis pour les articulations usées, tant pis, mais nous ne sommes plus à cela près, la volonté qui anime notre groupe est d’avancer vers le Sud et atteindre la mer, aussi rapidement que possible. Il faut se relever et avancer, coûte que coûte. Nul ne saurait prédire quoi que ce soit, pas plus moi qu’un autre. L’action naît d’elle-même, et  non plus de la réflexion, il n’y a plus de réflexion dans nos vies, cela fait bien longtemps, le constat est triste mais réel, nous sommes des cerfs-volants sans fils, nous dérivons sur une houle de terre sans gouvernail.

La vie est fleurs et feuilles


Demain 48


48.

Nous sommes quelques rescapés et marchons sur une longue plaine serpentant entre les collines et le fleuve. Un grand axe de communication, noir comme la plume du corbeau, troue le paysage au-delà de l’eau suivi de multiples zébrures traces inertes et oubliées, déjà, d’un temps où les trains magnétiques, les transports de masse et les déplacements de marchandise et produits de base se superposaient sur plusieurs niveaux et formaient un brouillard permanent. L’air est doux. Le ciel est pigmenté de blanc entre des couches de bleus et des scintillements argentés. Le soleil est plutôt bas sur l’horizon. Les clameurs du vent se sont étouffées sous l’usure de l’oubli, de la routine et de l’habitude. Nous marchons, groggys, perdus, enterrés dans nos crânes qui ne dispensent plus de couleurs depuis un temps assez long. Nous sommes enfermés dans nos souvenirs récents, la mort de nos amis, enterrés à la va-vite, à côté de cadavres de répugnants de fanatiques religieux que nous avons laissé pourrir à même le sol, qu’ils crèvent deux fois, pour autant que cela soit possible, maintenant et dans l’inexistence d’un au-delà qu’ils recherchaient, que leur chair décomposée prévienne d’autres naïfs que le monde n’est plus composé que d’erres sans morale ou compassion, réduits au statut d’animal affamé.

Nous sommes alignés par deux ou trois et avançons lentement. Nous sommes un peu plus d’une dizaine. Le blessés de la veille sont morts cette nuit ou se sont remis, plus ou moins, et marchent à nos côtés en claudicant, sans se plaindre, soulagés de s’être remis, épargnés par les éléments, pour l’heure.

Autour de nous, les éoliennes sont plus nombreuses que les arbres et alternent avec les cubes blancs immaculés et les dômes dont la fréquence est faible mais cohérente avec le reste du paysage. Plusieurs milliers d’éoliennes pour des centaines de cubes et quelques unités de dômes. Il doit y avoir entre les uns et les autres un rapport tripe de 1 pour dix, un pour cent et un pour mille, les distances entre eux semblent obéir à des relations proportionnelles algébriques simples. Mais, quelles qu’aient pu être les motifs ayant conduit à la construction de ces engins ou objets, ils sont maintenant à la fois oubliés et inutiles, illusoires. Tout est mort en dessous ou en passe de l’être. Nous n’avons pu apercevoir ce qui se cachait sous les hublots de ces mondes endormis mais aucune lueur ne laisse deviner une ou des vies camouflées, rien de tel. Nous avons parcouru des dizaines de kilomètres, peut-être une centaine, toujours le même paysage artificiel, toujours ces éoliennes, cubes et dômes, mais aucun signe ne décelant la moindre parcelle de vie. La conclusion la plus simple est que ce monde enterré pour survivre n’a pas permis de satisfaire ce but premier, les enfermés se sont simplement trouvés enserrés dans une coque de verre, acier et plastiques et sont morts asphyxiés… tristes fins pour des humains qui se croyaient au-dessus des autres et se trouvent maintenant, au mieux agonisants et oubliés, au pire morts et putréfiés, en-dessous d’eux.

Nous avons été rejoints sur quelques kilomètres par des non-droits qui nous ont inspectés de leur habituel sourire narquois et regard tranchant, mais concluant probablement qu’il n’y avait rien à tirer ils sont partis peu après. Ils n’ont dit que des choses parfaitement banales, sans apporter quoi que ce soit à la compréhension de la situation actuelle, ni sur les silhouettes blanches, ni sur l’état des systèmes électroniques, électriques, magnétiques ou autres, ni sur les damnés jaunes, ni sur la disponibilité de vivres, médicaments ou habits à proximité. De notre côté, nous avons été bien plus loquaces, évoquant l’attaque des fanatiques, nos tentatives infructueuses de contacts avec celles ou ceux d’en-dessous, nos errances sur des restes de serres, la faim qui tenaille nos entrailles, nos blessés et nos morts, notre désespérance.  Une jeune femme qui faisait partie de leur groupe s’est contentée d’hausser les épaules et de commenter sèchement sur la difficulté qui devait être la nôtre de passer du statut d’hyper-protégé à celui d’hyper-dépourvu, puis elle a ri d’un gloussement très aigu, a embrassé une autre femme puis un vieillard et s’est éloignée en courant telle une gamine de douze ans tout en dévorant une sorte de pain sans éprouver la moindre gêne face au regard désemparé de Ted, le jeune garçon qui tient constamment dans sa main gauche un morceau de mon vieil imperméable gris qui me sert de manteau, tente, nappe, couverture, serviette et armoire à linge.

Nous marchons au milieu de ce paysage que je trouve désolé mais qui en définitive n’est pas dépourvu d’une étrange esthétique, fascinante en temps normal, angoissante actuellement. Nous avançons avec une certaine détermination puisque l’arrêt est comme nous l’avons expérimenté à nos dépens synonyme d’agression éventuelle et vulnérabilité maximale. D’après les cours de sciences naturelles de mon enfance, dispensés sur réseaux internes assez binaires et lents les troupeaux ou meutes d’herbivores, fragiles par définition, se comportaient de la même manière, errant sur les grandes steppes ou savanes, toujours en mouvement, suivant des lignes de mouvement assez erratiques et sinueuses mais conduisant toutes au but recherché, l’immobilisme représentant la mort, le mouvement la vie. Nous procédons de même. Nous marchons et parlons parfois, la plupart du temps pour évoquer des contraintes de base, la nourriture qui est réduite à sa plus simple expression, l’eau qui manque, les vêtements qui s’usent à grande vitesse, la maladie, le froid, les blessures qui se résorbent trop lentement et d’autres sujets similaires. Nous n’évoquons pas la destination finale de notre épopée, nous ne mentionnons pas les dangers potentiels à venir, nous ne disons rien sur celles et ceux qui nous ont quitté de gré ou de force, nous rions parfois aux moments les plus inattendus, lorsque, par exemple, McLeod a trébuché sur une branche ou mon chapeau s’est trouvé pris dans les branches d’un arbre auquel j’ai emprunté quelques fruits peu ragouteux ou savoureux mais comestibles, nous nous plaignons quelques fois, mais la plupart du temps nous restons silencieux. Un grand silence qui s’accorde à merveille avec la rugosité du sol, l’aridité des paysages et l’absurdité de notre situation.