Le règne des innommables
Or donc
A l’extérieur de Babel
Sur les terres qu’on appelait de Naos
Des peuples vivaient qui rejetaient eux aussi la folie des Eléments et de leurs alliés
Mais refusaient également la folie de Babel
S’employant à professer la paix universelle
L’amour infini
La joie et le bonheur
Et rejetaient toute tentative de chaos et de mort
Toute trace d’animosité
Qu’ils combattaient par la violence
Car une violence unique était tolérable
Disaient-ils
Si elle anéantissait une société décadente et pécheresse
Le peuple de Naos était constitué d’erres de taille modeste mais fort intelligents et solides
Pouvant vivre près de trois cent ans
Quatre fois plus que les géants de Babel
Ils étaient dirigés par un roi désigné par ses pairs
Et régnant jusqu’à sa mort
Et la société n’avait pas de structure autre que celle-ci
Et tous vivaient heureux et pacifiquement
Ceux qui ne le pouvaient ou ne le voulaient pas étaient condamnés à se suicider
Car le bonheur ne pouvait être affecté de dépression ou contrition
Le peuple de Naos était composé d’erres n’ayant pas de noms
Car ils refusaient de se nommer
Et même leur roi n’avait d’autre nom que celui de sa fonction
Sachant que les Eléments et leurs alliés souffraient de l’obsession de se nommer
Pour pouvoir se compter et se comparer et ainsi affirmer leur prédominance
Pour assurer ainsi leur domination sur les autres Eléments et s’affirmer ainsi à termes comme égal au Principe
Et le soumettre puis le démettre
Avant que le glissement à rebours n’ait absorbé et dilué toutes et tous
Dans la disparition finale
Et que l’un soit redevenu l’un pour la fin des temps
C’est ainsi que le peuple de Naos refusait de se nommer
Et que nul n’avait de nom
Et n’en n’avait pas besoin, se reconnaissant soit comme membre du peuple de Naos soit comme innommé
Les autres peuples les désignaient sous le vocable d’innommables
Ce qui les réjouissait
Ils ne savaient combattre
Mais ils recrutaient leurs mercenaires chez les chevelus
Des peuples arriérés et brutaux
Vivant au-delà des océans ou des mers
Venant des terres lointaines
Amères et sans nom
Vivant encore sous le joug des Eléments et de leurs alliés
Le peuple de Naos les recrutait
Pour écraser ceux qui ne voulaient s’aimer
Puisque la violence n’était admissible
Que si elle permettait d’éradiquer les infections de violence et de mort
Et lorsque leur travail de mort était achevé
Ils les renvoyaient dans leur pays dont le soleil ne caressait jamais la surface
Les chevelus portaient des noms, des prénoms et des vocables
Mais ne les utilisaient pas lorsqu’ils vivaient aux marges du pays des Naos
Profitant de leur largesse pour autant qu’ils demeurent silencieux et respectueux
Envers leurs maîtres du peuple des Naos
Ils les respectaient comme un chien mauvais obéit à son maître
Ou le faucon à son dompteur
Ou le cheval à un cavalier brutal
Sans résistance mais sans conviction ni respect
Par devoir ou crainte
Non point par amour ou compassion
Le peuple de Naos étendait son règne sur un territoire immense
Allant des frontières maritimes naturelles aux sommets enneigés ou aux fleuves infranchissables
Ne connaissant nul voisin immédiat
Si ce n’était le pays des géants de Babel
Qui s’était isolé à tout jamais des vicissitudes des Eléments et de leurs alliés
Mais dont les préceptes n’étaient en rien ceux professés par le peuple de Naos
Et qui donc projetait depuis des siècles d’abattre en une attaque unique
Mais définitive
Toute trace du peuple convaincu mais vicieux de Babel
Et pour se faire amassait autour des sept enceintes des régiments immenses de chevelus
Prêts à fondre sans merci
En une vague immense et cruelle
En un cri unique et glacial
Sur le peuple des géants de Babel
Et les éliminer à tout jamais
Et détruire les traces de leur présence
Pour que le monde ne connaisse plus qu’amour et bonheur
Sans être contrarié par des reliques
D’un temps infécond et sombre
Triste et morbide
Alors qu’Eus et Nostra se réfugiaient dans une cache discrète
Le peuple de Naos attendait la chute des murailles
Abandonnées depuis fort longtemps
Et qui s’effritaient et se corrompaient
Sous les assauts de la pluie, du gel, de la sècheresse et des tremblements de terre
Sans se douter qu’il s’agissait alors
D’efforts des Eléments et de leurs alliés
Pour que l’inéluctable soit
Et que parmi les vivants se dressent les uns contre les autres
Leurs ennemis les plus virulents
Lorsque la septième muraille s’effondra sur la sixième
Sur le tas de pierre et rocs, troncs et gravas
Les chevelus par millions s’élancèrent
Et gravirent la muraille
S’élancèrent sur les traverses jusqu’à la première muraille
Descendirent les escaliers en hurlant
Et fondirent sur le peuple des géants de Babel
Qui ne comprirent ce qui leur advenait que lorsqu’il fut trop tard
Et ne purent résister à un contre cent
Par milliers ils furent mutilés, écartelés, torturés puis tués
Aucun des adultes ne fut laissé en vie
Les enfants furent pour la plupart noyés
Babel fut brulée
Les flammes s’élevèrent jusqu’au ciel
En une journée les traces de siècles de présence s’effacèrent
Pour ne plus laisser que celles de la mort au milieu de ruines fumantes
Les Eléments et leurs alliés se réjouirent
Le peuple de Naos ferma les yeux
Paya ce qui était du aux chevelus
Se tourna des ruines encore fumantes de Babel
Et se félicita de sa destinée
De l’amour et de la paix universelle
Et fêta la tranquillité retrouvée
Tandis que les chevelus repartaient
Et qu’Eus et Nostra suivaient avec attention, effroi et tristesse la folie des vivants
Depuis la cache qu’ils avaient trouvée
Et songeaient avec mépris
A l’indignité des vivants