Les isolés
Les vivants surgis du néant perçurent que ceux d’avant avaient connu plus de souffrance qu’il n’était possible d’endurer
Qu’ils s’étaient détruits eux-mêmes plus que par le poids d’entités idéales réfugiées ailleurs et les ayant oubliés puisqu’il n’y avait plus rien à compter ou nommer
Que la mort avait été l’enfant de leur rencontre et de leur union
Qu’à chaque fois qu’ils avaient vécu ensemble, ils s’étaient entretués
Et que lorsqu’ils avaient rencontré autrui ils l’avaient assassiné
De manière innée, ils déduisirent que le contact et la vie en groupe générait le malheur
Que les échanges entre les uns et les autres finissaient en amoncellement de squelettes, de ruines, de formes macabres et immondes
D’instinct, ils préférèrent vivre parfaitement isolés les uns des autres
Se nommèrent chacun pour ne surtout pas ressembler aux autres
Ne pas risquer d’être confondus
D’être parfaitement contraires et viscéralement différents les uns des autres
Et de ne pas passer plus de temps ensemble qu’il était absolument nécessaire pour continuer leur vie d’isolés
Il n’y eut plus de peuple mais des assemblages d’individus, des isolés, errant de par les mondes et se terrant plus que de nécessaire
Ne s’acceptant que pour autant que cela soit nécessaire pour que leur descendance soit nécessaire
Laissant les rejetons errer seuls dès l’âge de deux ans
Et abandonnant au destin et à l’instinct ce qui autrement aurait pu devenir le terreau fertile sur lequel des sociétés auraient pu naître
Les isolés vivaient naturellement en parfaite isolation
Ne savaient ou ne voulaient parler
Refusant d’entendre les douleurs d’autres qu’eux-mêmes
Et se complaisant en réflexion sur les cendres des mondes qui avaient été
Se rendant en longs, lents et solitaires pèlerinages sur les pierres brûlées des pogs antiques
Passant d’une cité détruite à une autre
Et n’insérant dans leur vie de subsistance, de chasse et cueillette, que les seuls moments de silence essentiels pour saisir ce que le malheur avait été et dont ils pensaient qu’ils ne seraient plus
Ils vécurent des centaines de générations
S’évitant soigneusement et méticuleusement
Refusant de se soutenir et s’accompagner
Pleurant sans réellement comprendre pourquoi la folie de ceux qui avaient été
Mais le faisant avec suffisamment de discrétion
Chacun de son côté
Pour que les Eléments et leurs alliés, qui s’appelaient dieux, déesses, prophètes, saints, idoles, justes, héros, bienheureux, élus, augures ou croyants, ne ressentent leur présence et donc ne cherchent à les compter et les nommer, tuer les autres et chérir les leurs dans un lait fait de haine et rejet
Les mondes étaient recouverts par la végétation
Les airs étaient purs
Les mers et océans vierges
Les vivants ne bouleversaient rien
Ne faisaient rien
Ne dérangeaient rien
Laissaient au temps le temps qu’il lui fallait pour s’éclipser
Et laisser au vivant le seul goût de la vie
Et s’inquiéter simplement de ce qui avait été pour ne pas reproduire le passé
S’éviter et fuir
Sillonner les plaines et les montagnes, les forêts et les déserts, à la recherche de la solitude qui seule permet de surmonter la tristesse de tant de ruines et traces de la haine qui avait été et de la mort qui s’était érigée en maîtresse d’univers sans importance