L’invasion du peuple des eaux
Le peuple d’Alkmar enivré par sa richesse, ses réussites, la beauté de ses monuments et la finesse de ses réalisations
Emerveillé par le succès de ses entreprises qui avait conduit une pléthore de petits groupes individuels vivant enterrés à se transformer en peuple bâtisseur narguant les cieux de ses hautes tours et embrassant tout le monde connu sous ses ailes scintillantes
Alangui par la sophistication de ses œuvres et l’intelligence de ses actions
N’était pas préparé aux assauts intérieurs et extérieurs auxquels il allait devoir faire face
De ses rois endormis, apeurés et enterrés il n’écoutait plus les chants
De son passé il ignorait les relents amers
Des plaintes des plus naïfs de ses sujets il ignorait les nuances dangereuses
Des clameurs extérieures il feignait d’ignorer l’existence
Pour concentrer son action et sa réflexion sur l’apothéose qu’il vivait
Améliorant ce qui pouvait l’être
Profitant des richesses du jour
Et rêvant de celles du lendemain
Celles et ceux qui se réunissaient chaque jour autour du puits où se mourrait lentement le roi enfoui
Ne rencontraient qu’indifférence et sourire de complaisance
Et ne recevaient jamais de réponse à leur plainte
Si ce n’est haussements d’épaules quant au sort d’un être enterré dont l’existence n’était pas considérée suffisamment digne ou intéressante pour être rappelée aux écoliers se délectant des succès et richesses du peuple d’Alkmar
Ils perçurent que leur sort ne serait d’importance qu’au jour de leur reconnaissance par les groupes qui autour d’eux se complaisaient dans le vertige et l’insouciance
Et décidèrent de les réveiller de leur détachement
De leur faire comprendre dans quelles terribles conditions vivait leur roi
Les pleureurs d’Alkmar s’approchèrent des riches et puissants et les attaquèrent, leur arrachant les yeux de leurs griffes acérées, pour qu’ils comprennent la tristesse, la mélancolie et l’effroi dans lesquels vivaient les successeurs d’Alkmar
Ils attaquèrent les uns et les autres
Les puissants, surtout, mais pas seulement eux
Egalement les anonymes et les moins biens lotis
Pour que toutes et tous comprennent
Qu’ils perçoivent dans leur malheur quel devait être celui des monarques au fond du puits sacré
Incapables de voir autre chose qu’un raie de lumière au sommet d’un cylindre au fond duquel ils étaient enfouis et au centre duquel par rare moment un astre rouge s’inscrivait
Les pleureurs attaquèrent leurs frères et sœurs
Les surprirent dans leur sommeil ou leur insouciance
Et répandirent le malheur et l’obscurité sur leur monde
Et attirèrent la violence en retour
Qui s’abattit sur eux de manière indiscriminée
Les aveuglant à leur tour
Et provoquant l’assassinat du dernier roi d’Alkmar accusé d’avoir fomenté une violence dont il n’était même pas au courant, incapable qu’il était de percevoir, ressentir ou comprendre ce qui se passait ou se tramait dix mètres au dessus de lui
Alkmar traversa une période d’intense confusion marquée par une violence d’autant plus intense qu’elle prit tout le monde par surprise, le peuple d’Alkmar ayant toujours été paisible et humble
Elle brisa aisément la résistance des esprits et se répandit au plus profond de chacun et chacune
Et le peuple d’Alkmar qui avait été uni et paisible se déchira de la plus atroce des manières
Les parents assassinant les enfants dont ils se méfiaient
Les enfants mutilant les parents qu’ils apprirent à haïrent
Les frères aveuglant les sœurs
Les sœurs estropiant les frères
Nu n’échappant à la fureur généralisée
Lorsque la longue cohorte du peuple des eaux finit par atteindre les cités dorées d’Alkmar elle ne trouva aucune opposition mais maints alliés
Prêts à vendre leur âme pour tuer leurs frères, sœurs, parents ou enfants
Et se liguant à ceux qu’ils auraient du considérer leurs ennemis avec d’autant plus de facilité qu’ils pensaient se pourvoir d’un bouclier de peu de prix
Et s’offrant avec désinvolture et innocence comme exécuteurs de basses œuvres
Se mêlant à leurs envahisseurs avec joie et malice
Chantant et dansant
Ivres de sang et éblouis par la vision d’un pays détruit avec d’autant plus de rapidité qu’il avait mis une éternité pour émerger des ténèbres dans lesquels il plongeait avec ravissement et frayeur
Les clameurs de ceux qui tuaient s’amalgamèrent à celles des mourants
Et les cris des vaincus, borgnes, aveugles et moribonds
Se joignirent à ceux des bourreaux et assassins
Pour former une litanie suprême et horrible
Qui fit frémir dans les profondeurs du sol dans lequel ils avaient disparu les figures oubliées d’Eus et Nostra
Et ravagea le cœur de la Reine Niarche dont le corps avait cessé de vivre depuis longtemps et que son peuple finit par rechercher pour la précipiter, piteuse dépouille, dans le puit sacré pour marquer ainsi la fusion des peuples d’Alkmar et de ceux des eaux
Trois Cent Dix Sept peuples réunis en un seul
Ayant forgé dans le sang et l’appel des Eléments et de leurs alliés
Une alliance qui allait propager sur le monde son ombre malheureuse