Fragments d’épopée – 17


 

L’invasion du peuple des eaux

 

 

Le peuple d’Alkmar enivré par sa richesse, ses réussites, la beauté de ses monuments et la finesse de ses réalisations

Emerveillé par le succès de ses entreprises qui avait conduit une pléthore de petits groupes individuels vivant enterrés à se transformer en peuple bâtisseur narguant les cieux de ses hautes tours et embrassant tout le monde connu sous ses ailes scintillantes

Alangui par la sophistication de ses œuvres et l’intelligence de ses actions

N’était pas préparé aux assauts intérieurs et extérieurs auxquels il allait devoir faire face

De ses rois endormis, apeurés et enterrés il n’écoutait plus les chants

De son passé il ignorait les relents amers

Des plaintes des plus naïfs de ses sujets il ignorait les nuances dangereuses

Des clameurs extérieures il feignait d’ignorer l’existence

Pour concentrer son action et sa réflexion sur l’apothéose qu’il vivait

Améliorant ce qui pouvait l’être

Profitant des richesses du jour

Et rêvant de celles du lendemain

Celles et ceux qui se réunissaient chaque jour autour du puits où se mourrait lentement le roi enfoui

Ne rencontraient qu’indifférence et sourire de complaisance

Et ne recevaient jamais de réponse à leur plainte

Si ce n’est haussements d’épaules quant au sort d’un être enterré dont l’existence n’était pas considérée suffisamment digne ou intéressante pour être rappelée aux écoliers se délectant des succès et richesses du peuple d’Alkmar

Ils perçurent que leur sort ne serait d’importance qu’au jour de leur reconnaissance par les groupes qui autour d’eux se complaisaient dans le vertige et l’insouciance

Et décidèrent de les réveiller de leur détachement

De leur faire comprendre dans quelles terribles conditions vivait leur roi

Les pleureurs d’Alkmar s’approchèrent des riches et puissants et les attaquèrent, leur arrachant les yeux de leurs griffes acérées, pour qu’ils comprennent la tristesse, la mélancolie et l’effroi dans lesquels vivaient les successeurs d’Alkmar

Ils attaquèrent les uns et les autres

Les puissants, surtout, mais pas seulement eux

Egalement les anonymes et les moins biens lotis

Pour que toutes et tous comprennent

Qu’ils perçoivent dans leur malheur quel devait être celui des monarques au fond du puits sacré

Incapables de voir autre chose qu’un raie de lumière au sommet d’un cylindre au fond duquel ils étaient enfouis et au centre duquel par rare moment un astre rouge s’inscrivait

Les pleureurs attaquèrent leurs frères et sœurs

Les surprirent dans leur sommeil ou leur insouciance

Et répandirent le malheur et l’obscurité sur leur monde

Et attirèrent la violence en retour

Qui s’abattit sur eux de manière indiscriminée

Les aveuglant à leur tour

Et provoquant l’assassinat du dernier roi d’Alkmar accusé d’avoir fomenté une violence dont il n’était même pas au courant, incapable qu’il était de percevoir, ressentir ou comprendre ce qui se passait ou se tramait dix mètres au dessus de lui

Alkmar traversa une période d’intense confusion marquée par une violence d’autant plus intense qu’elle prit tout le monde par surprise, le peuple d’Alkmar ayant toujours été paisible et humble

Elle brisa aisément la résistance des esprits et se répandit au plus profond de chacun et chacune

Et le peuple d’Alkmar qui avait été uni et paisible se déchira de la plus atroce des manières

Les parents assassinant les enfants dont ils se méfiaient

Les enfants mutilant les parents qu’ils apprirent à haïrent

Les frères aveuglant les sœurs

Les sœurs estropiant les frères

Nu n’échappant à la fureur généralisée

Lorsque la longue cohorte du peuple des eaux finit par atteindre les cités dorées d’Alkmar elle ne trouva aucune opposition mais maints alliés

Prêts à vendre leur âme pour tuer leurs frères, sœurs, parents ou enfants

Et se liguant à ceux qu’ils auraient du considérer leurs ennemis avec d’autant plus de facilité qu’ils pensaient se pourvoir d’un bouclier de peu de prix

Et s’offrant avec désinvolture et innocence comme exécuteurs de basses œuvres

Se mêlant à leurs envahisseurs avec joie et malice

Chantant et dansant

Ivres de sang et éblouis par la vision d’un pays détruit avec d’autant plus de rapidité qu’il avait mis une éternité pour émerger des ténèbres dans lesquels il plongeait avec ravissement et frayeur

Les clameurs de ceux qui tuaient s’amalgamèrent à celles des mourants

Et les cris des vaincus, borgnes, aveugles et moribonds

Se joignirent à ceux des bourreaux et assassins

Pour former une litanie suprême et horrible

Qui fit frémir dans les profondeurs du sol dans lequel ils avaient disparu les figures oubliées d’Eus et Nostra

Et ravagea le cœur de la Reine Niarche dont le corps avait cessé de vivre depuis longtemps et que son peuple finit par rechercher pour la précipiter, piteuse dépouille, dans le puit sacré pour marquer ainsi la fusion des peuples d’Alkmar et de ceux des eaux

Trois Cent Dix Sept peuples réunis en un seul

Ayant forgé dans le sang et l’appel des Eléments et de leurs alliés

Une alliance qui allait propager sur le monde son ombre malheureuse

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