DE LA RÉVOLUTION INÉVITABLE, DU PATRIMOINE COMMUN DE L’HUMANITÉ ET DE MON RÉFRIGÉRATEUR
La révolution a éclaté à 7 heures 77 ce matin.
Je dormais encore à ce moment-là je l’avoue car aujourd’hui est férié à l’endroit où je vis. Des bruits extrêmement violents se sont fait entendre et je me suis précipité à la cuisine pensant que la machine à laver la vaisselle venait d’exploser ce qui lui arrive lorsqu’elle est fâchée d’avoir trop œuvré ou d’avoir été abandonnée par trop longtemps – mes machines sont capricieuses, admettons-le.
Les problèmes étaient effectivement localisés dans la cuisine mais en face, c’est-à-dire dans le réfrigérateur.
Les slogans, batailles rangées, hurlements, violences diverses émanant de l’intérieur même de l’engin habituellement ronronnant m’ont tétanisé.
Certains, dont les confitures et les bouteilles de lait s’étaient mis à l’abri dans un logement inférieur mais la plupart des autres occupants participaient à des règlements de compte ou invectives voire saccages en bonne et due forme. En particulier, les salades faisaient entendre leur voix stridente tandis que les tomates se ruaient sur les jambons pour une raison que je ne pouvais d’évidence appréhender. Le reste de tagliatelles de la veille normalement coincé dans une boite en plastique avait perdu sa voix à force de crier et les yaourts se déchiraient le couvercle avant de commettre une sorte de suicide public dont leur origine suisse ne les avait pourtant pas préparé.
A proximité, des bruits étranges provenaient du placard gauche où fruits, sodas et jus se brocardaient les uns les autres.
Ce qui m’est apparu cependant évident et malheureux était que tout séparait les révoltés si ce n’étaient une commune haine à mon encontre, moi qui pourtant les ai toujours tellement choyés. Lorsque les uns ou les autres ont constaté mon intrusion au milieu de leurs batailles, ils se sont mis à m’insulter et me brocarder. N’en pouvant plus, sous les huées des salades et radis, je me suis précipité sur les sacs de réfrigération, ai pris tout ce beau monde dans mes bras une dernière fois, sans le moindre remord je dois l’admettre, et ai débarrassé ma cuisine de ce ramassis d’ingrats. Je les ai flanqués dans des sachets, plastique en l’occurrence, tant pis pour le recyclage, et ai fourré le tout dans une des valises qui traînaient à proximité. Pourquoi était-elle là, je n’en sais rien, vous l’imaginez bien.
Qu’auriez-vous fait à ma place ?
J’étais un peu perplexe et ne savais que faire. Je me désolais de l’ampleur des dégâts mais une radio dont le fil des paroles est parvenu à mes oreilles ce matin m’a sauvé du désastre. On y parlait en effet de l’inscription de la gastronomie française au patrimoine immatériel de l’humanité. La journée étant fériée, je le rappelle, j’ai pris le premier train pour Paris avec armes et bagages et, sous les huées et quolibets des laitues, radis, endives et tomates, me suis isolé dans un wagon laissé à ma libre disposition par des passagers et personnels interloqués.
A Paris, j’ai pris un camion poubelle pour taxi et me suis rendu au siège de la noble institution où après avoir obtenu rendez-vous immédiat avec un représentant du secrétariat de l’Organisation universelle dont il s’agissait j’ai été reçu en grandes pompes par un stagiaire de 23 ans je crois qui était sous-chef subalterne de l’unité subsidiaire des prix et accessits au sein de la section première de la division du patrimoine moyen, suprême et minutieux de la troisième direction générale. Je souhaitais lui transmettre ma valise pour contribution matérielle au patrimoine immatériel de l’humanité. Le garçonnet m’a chaleureusement reçu du haut de son échelle et m’a indiqué que malheureusement je ne pouvais laisser mes biens alimentaires en gage parce que (i) je résidais en Suisse et ne pouvais décemment représenter la gastronomie française, (ii) je n’étais pas reconnu comme gastronome mais en raison de l’état des denrées que je transportais semblait plutôt relever de la section des gastrophobes et (iii) mon état général et l’odeur que je dégageais – j’ai omis d’indiquer que les épices et herbes diverses se trouvaient dans les poches de ma veste à défaut de place dans les bagages – rendait ma démarche irrecevable au premier chef.
J’ai obtempéré et ai quitté les lieux d’humeur bien sombre. Je ne savais que faire de mes révolutionnaires.
J’ai longuement marché et soudain en passant sur le Pont Mirabeau avec mes soucis je me suis souvenu qu’en dessous coulait la Seine et sans autre forme de procès ai jeté ma valise révolutionnaire dans les eaux putrides du fleuve gris.
Les cris et hurlements ont failli m’extirper des regrets tardifs mais je suis demeuré ferme dans ma résolution en dépit des regards entendus de passants déconfits. C’est ainsi que mes confitures, salades et yaourts ont disparu dans les eaux noirâtres du fleuve capital.
Voilà… Je suis à nouveau chez moi, ai retrouvé ma cuisine et les restes noircis d’une révolution de palais dont les tenants et aboutissants m’échappent encore et dans la solitude la plus sourde je me suis réfugié dans le seul endroit qui me paraissait adéquat après un tel périple, mon réfrigérateur, et c’est de cet endroit que j’écris ces mots.
Je pourrais toujours me consoler en me disant que si Diogène avait son tonneau moi j’ai mon frigo…
Je compatis, peut être fuir la planète, si le frigo est plein , on peut encore patienter, mais jusqu’à quand , mon tonneau, de vin est plein, une fois vidé, ma barbe et moi , peut être un jour devront y loger, en attendant gratte le bois …!!!
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