Chronique – 43


De Maroni, de Piero della Francesca, d’une situation bien compromise, de la violence contre les enfants et du délire d’un extincteur

Certains disent parfois qu’ayant rencontré les pires difficultés ils ne peuvent guère tomber plus bas. Jolie expression à mon sens mais qui malheureusement ne saurait s’appliquer à notre cas.

Qu’on en juge: nous avons fui la douceur de mon appartement voici quelques semaines à peine, trouvé un abri précaire à Copenhague puis Vienne, deux villes charmantes camouflées sous des palmiers, rizières, temples et fruits tropicaux, recherché Bangkok dont nous savons qu’elle pourra accueillir les réfugiés que nous sommes, avons largué les amarres des sept baignoires récupérées dans des villages lacustres autrichiens, sommes partis vers Arezzo pour y déclarer l’indépendance de la chapelle de Piero Della Francesca, avons successivement perdu toutes nos embarcations quelque part au-dessus des Alpes, au beau milieu de la mer d’Autriche, avons été rejeté par les navires officiels, avons trouvé un refuge que nous pensions ultime dans la bouche béante et froide de notre ami réfrigérateur et sommes maintenant tous les sept dans l’eau de mer sans la moindre parcelle d’espoir encore discernable dans nos esprits moites et froids.

Pas un brin de bois ou morceau de table pour jouer le Titanic de Cameron, même plus possible de jouer les Géricault sur notre frigo de la Méduse, non, plus rien. Maria m’a regardé avec son doux regard confiant et optimiste et me caressant les cheveux m’a dit que la situation ne pouvait guère dégénérer davantage.

Le grille-pain existentialiste installé tant bien que mal sur la tête du Yéti anarchiste s’est contenté de remarquer : c’est le propre des vivants de terminer la boucle de leur vie ridicule et sans but aussi niaisement qu’il l’avait commencée. Le seul et unique souci de nos confrères et soeurs qui se noient dans le tourment de leur vie médiocre pour ne surtout pas se confronter à ce vide affreux est de savoir est quand viendra cette heure fatale. Pour nous, pas de contrariété à cet égard, nous le savons, c’est ici et maintenant. Au moins, ce souci nous est épargné. A chacun de se mettre en règle avec lui ou elle-même.

Il aurait continué encore un certain temps si l’extincteur ne lui avait demandé posément mais fermement d’éviter ce genre de propos à ce moment si dramatique.

Le réfrigérateur dont la partie congélateur seule flottait encore a opiné ce qui lui restait de chef et s’est exprimé plus directement en tentant de lui claquer une porte sur la tête ce qui n’a pas amélioré sa situation.

Le Yéti anarchiste a souri en tapotant son copain grille-pain en faisant remarquer : qu’au moins nous ne sommes plus soumis à la moindre tyrannie, directe ou non, explicite ou non, de quelque conglomérat que ce soit, plus de ploutocratie, nous sommes libres et devrions profiter de ces moments-là. Après tout la mer d’Autriche est bien plus chaude que je ne m’y attendais et nous flottons remarquablement bien. Alors, parlons encore un peu de ces fêtes d’antan. Je vous ai dit ce que j’en pensais et ce que je ferais lorsque je serai devenu Pape et lui là-bas (NDLA : c’est-à-dire moi) Roi d’Islande. Ecoutons ceux qui ne se sont pas encore exprimés. L’extincteur, tu veux nous en dire un mot ?

(NDLR : en temps normal nous répéterions notre commentaire habituel sur l’interdiction de la publicité clandestine mais ne le ferons pas, après tout les royalties des cadavres perdus en mer doivent probablement revenir à la société, autant qu’ils en profitent encore un peu. Nous sommes bons ! N’est-ce pas ?)

L’extincteur qui éprouvait des difficultés considérables à se maintenir à flot en remuant la buse que d’habitude il utilisait pour projeter du liquide sur les objets brûlants mais en l’occurrence lui servait à éviter que le liquide ne parvienne à son front fort chaud obtempéra mais télégraphiquement.

Je vous sers ses propos un brin retouchés pour que vous puissiez mieux les appréhender : Pas grand-chose à dire, je suis fort ancien, né voici des lustres de l’union, légitime celle-ci, désolé cher grille-pain, entre un télégraphe sans fil dont le grand père avait servi sous Marconi à Salvan et une ampoule à filament de carbone. Portés sur l’assistance à autrui humain, ayant à cœur de servir les désespérés, ils ont très tôt choisi mon avenir, car c’est ainsi qu’on faisait dans les temps jadis, et m’ont porté sur les fonts baptismaux comme extincteur à pression permanente.

 

Je vous l’ai dit antérieurement, mes meilleurs souvenirs sont ceux des fêtes d’antan, Noël, Pâques, Ascension et autres jours fastes s’il en est où les humains s’empressent de brûler leur cheminée, incendier leurs sapins, calciner leurs dindes ou lièvres et j’en passe et des meilleurs. Il y a cinq ans, j’ai sauvé un individu à la réputation douteuse qui pour faire passer ses tendances alcooliques et violentes se déguisait chaque année en Père Noël pour sa fille qu’autrement il battait copieusement. Il s’était mis en tête grisé comme il était de s’introduire chez lui par la cheminée, est resté coincé dedans et s’est mis à brûler tel un gigot que l’on cuit mais à la différence qu’il criait comme un pauvre porcin que l’on égorge.

Pour une fois j’ai songé ne pas intervenir mais voyant sa fille pleurer et songeant qu’il était injuste qu’un tel être ne finisse victime et martyr dans l’imaginaire de sa fille, je l’ai sauvé. J’ai attendu que ses parties charnues soient définitivement hors d’usage – je craignais fort pour l’avenir de cette petite fille – et ai finalement éteint le feu, l’ai repoussé sur le toit grâce à ma buse non volante et à cet endroit précis, loin de tout autre humain, je l’ai définitivement sorti d’affaire.

 

Lorsqu’il a fini de reprendre ses esprits il a recommencé à hurler pour se plaindre de la perte d’êtres chers ce à quoi j’ai mis une fin immédiate en lui disant que s’il levait encore une fois la main sur sa fille c’est le haut de son corps qui serait détruit.

Il m’a regardé avec une frayeur d’un degré fort impressionnant puis s’est tu. Il n’a plus jamais parlé, plus jamais levé la main sur sa fille, sur qui que ce soit, et est demeuré un brave et bon légume dans son lit douillet ou sa chaise en paille regardant par la fenêtre le temps qui passe et corrigeant les devoirs de sa fille en souriant. Un bon souvenir…

Les trois pingouins ont esquissé une larme puis ont dit en chœur qu’il s’agissait effectivement d’une belle histoire mais qu’il aurait dû achever l’imbécile sur le toit puisque d’évidence il ignorait tout de Piero della Francesca qui était un être très doux.

Je n’ai rien dit et tout en regardant l’univers dans les yeux de Maria me suis contenté de continuer à nager.

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Chronique – 42


De Planck, de l’union libre, de réfugiés à la mer, d’une situation dramatique et du chant nostalgique d’une autruche volante et flottante

Je crois que le principe d’incertitude tel que développé par Planck et se successeurs s’appliquent parfaitement à notre situation. Nous pourrions lui adjoindre un autre principe, celui d’évidence dramatique, tant nous nous trouvons actuellement dans un état qui peut difficilement être décrit sans emprunter des thèmes hérités de la tragédie grecque ou du théâtre shakespearien.

Jugez-en plutôt, nous sommes sept naufragés dérivant sur la mer d’Autriche, nous dirigeant vers celle d’Arezzo pour y poser notre drapeau d’indépendance sur le clocher de la chapelle de Piero della Francesca, nous occupions sept embarcations légères et blanches, des baignoires, mais il n’en reste plus aucune, toutes ayant sombré à intervalles plus ou moins réguliers d’à peu près sept heures et septante sept minutes ou en français douze heures cinq.

Nous nous sommes réfugiés pour partie dans le coffre béant d’un réfrigérateur bien accueillant qui pour l’heure tient encore légèrement au-dessus de sa ligne de flottaison mais pour combien de temps ? Les uns, je veux dire les pingouins à lunettes rose et l’autruche volante dite marmotte gracieuse – dont nous venons de découvrir soit dit en passant sa capacité à flotter majestueusement en posant ses ailes à plat ce qui la fait ressembler à une grosse méduse ou poulpe noire et blanche – sont posés sur l’eau à la façon d’un pudding géant qui n’aurait pas encore fondu. Les autres se tiennent les uns contre les autres dans ce qui fut au temps jadis des compartiments à légumes, fruits, glaçons ou jambons, bref, un réfrigérateur.

Les autres cela veut dire le Yéti anarchiste, le fichu grille-pain existentialiste et constamment déprimé, le sage extincteur, Maria aux yeux d’anges et au corps indescriptible, et moi-même, le co-narrateur de cette chronique.

Je dois admettre ne pas avoir trop regretté la perte de notre baignoire, du moins à l’origine, puisque ceci a entraîné cette proximité pleine de chaleur et tendresse, une occasion inespérée pour pouvoir tenir dans mes bras la Maria de mes rêves, celles dont le visage ferait fondre le plus emprunté et lourdingue des astres lumineux, mais ceci n’a que trop peu duré puisque s’y est progressivement mêlé un sentiment d’issue fatale et inexorable surtout après que le Yéti ait jeté nos provisions à l’eau en criant ‘qu’avons-nous à faire de tout ceci, c’est un luxe inutile et un poids mort’.

Ne restent que quelques poissons pêchés par les pingouins mais ceux-ci se sont mis en grève après m’avoir entendu dire à Maria que sa beauté irradiait au-delà du descriptible et que les plus grands peintres ne sauraient parvenir à approcher la qualité de son sourire ou la finesse de ses traits ce à quoi ils ont rétorqué de manière perçante ‘Et Piero dans tout cela qu’en fais-tu ?’ avant de se complaire dans une bouderie paraissant sans fin.

En bref, nous sommes dans une situation dramatique, stressante au plus haut point ce qui m’empêche de profiter des cheveux longs de Maria reposant sur ma poitrine ou de son cou faisant face à mes lèvres sèches.

Il y a trois heures un chalutier de l’Union fédérale, confédérale et nationale des démocraties véritables, pas les fausses, emportées par le seul souci d’assouvir les besoins des populations aimées et chéries, leur bien-être, leur bonheur et leurs libertés fondamentales, leurs droits et leurs devoirs marginalement utiles, je veux dire l’UFCNDVPLFEPLSSALBDPACLBELBLLFLDLDMU ou plus simplement dans notre jargon l’Union libre s’est approché de notre frigo, de la méduse et leur capitaine et nous a demandé si nous souhaitions monter à bord ce à quoi nous avons naturellement répondu de manière positive. Par suite, il nous a passé une série de douze documents en sept exemplaires et trois cent deux pages comprenant douze mille sept cent huit questions et trois commentaires accompagnés d’un crayon papier et de sept gommes nous demandant de bien vouloir lui donner le tout dans sept minutes.

Nous n’avons guère pu déchiffrer plus que trois ou quatre questions dont par exemple : Pour autant que vous soyez désireux de vous rendre en territoire libre unionien merci de bien vouloir indiquer votre contribution éventuelle au bien-être commun et votre acceptation des valeurs unioniennes compte tenu (i) de la constante de Planck, (ii) de celle de Richter et (iii) de la couleur de la confiture de violettes amères de niveau 3 (g) selon les critères de Rochebois. Dans l’hypothèse où votre réponse serait ‘quatorze’ nous vous rappelons que les dispositions de la loi Martius-Dynes-Piko interdisent aux victimes éventuelles de sévices graves de fournir des données ou réponses sans le bénéfice d’un avocat requis au titre de la loi du sept seyant.

Bien entendu, sept minutes se sont écoulées sans que nous puissions répondre à quelque question que ce soit d’autant que le grille-pain s’est fendu d’un long monologue duquel il ressortait que la vie avait une fin, que cette fin pouvait survenir à n’importe quel moment, que nous devions être préparé à cela, qu’après tout ici et maintenant ou ailleurs et plus tard cela changeait peu, que quitter ce monde sur les genoux de Maria était plus agréable que disparaître dans une gigantesque électrocution, que le passé, le présent ou le futur n’avaient de sens que si on les prenait tous ensembles sans lien défini, et que le sourire de Maria était plus important que quoi que ce soit d’autre.

Je lui ai demandé de se taire après avoir entendu pour la deuxième fois le prénom chéri et lui ai fait remarquer que le silence des agneaux s’appliquait à lui aussi et en ai profité pour demander asile politique pour nous sept.

La réponse ne nous est pas parvenue car le capitaine ayant repris ses feuillets vierges a simplement dit : encore des surnombres inutiles et incultes qui viennent nous parasiter avant de repartir à tire de gouvernail.

Notre groupe s’est dressé comme un seul homme, grille-pain, extincteur, Yéti, pingouins, autruche volante et réfrigérateur, mais cela n’a pas changé grand-chose si ce n’est que le réfrigérateur en a profité pour faire eau de toute part et de commencer à couler lui aussi en conséquence de quoi ceux qui l’occupaient jusqu’alors se sont eux aussi jeter à l’eau.

Nous sommes sept naufragés à l’eau et en bien mauvaise situation. Alors, le conte du jour vous parviendra un peu plus tard par pli recommandé mais c’est un peu plus long les jours de fêtes ne nous en veuillez pas, pensez à nous si vous le pouvez, surtout au petit déjeuner ou sous votre douche.

Je vous laisse néanmoins en prime cette complainte de l’autruche volante et flottante, dite marmotte gracieuse Aujourd’hui est un beau jour surtout la nuit lorsque la lune tombe dans la mare, éclabousse tout, salisse le reste, et que les étoiles jaillissent comme un tourbillon déjanté d’un corbillard triste et braillard tout en chantonnant les airs saints de ce jour sacré tout en demandant où les chocolats sont et les cadeaux et les sourires, surtout celui de Maria.

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Chronique – 41


De Hubble et Friedmann, des Noëls d’une autruche volante et du rétrécissement de l’espace-temps et du nombre de baignoires   

Je dois admettre que la théorie d’Hubble corroborée par Friedmann et autres selon laquelle l’univers est en expansion continuelle et les tentatives d’Hawkins de réconcilier les différentes théories physiques, applicables à l’infiniment grand et l’infiniment petit, se heurtent à un obstacle de taille qui doit rendre leur travail complexe et ardu, à savoir que notre vie quotidienne elle, passée les années d’enfance durant lesquelles soyons francs ces théories-là on s’en fiche, nous confronte à une réalité exactement inverse, notre monde ne cesse, l’âge et l’expérience aidant, de se réduire et ce d’autant que l’on s’éloigne du point bêta marquant le début de notre démarche introspective.

Prenez un exemple au hasard, notre fuite de Vienne en baignoires pour nous rendre à une utopique cité d’Arezzo et déclarer l’indépendance des fresques de Pierro della Francesca, et bien nous avons quitté le port de Vienne à l’embouchure du Danube, au milieu des rizières, des palmiers et des orchidées, à bord de très exactement 7 baignoires, une pour chaque membre de notre groupe et nous sommes ce matin réduit à deux embarcations, une baignoire et un réfrigérateur qui, réalisant son imperméabilité – un coming-out fort intéressant et utile au milieu de l’océan – s’est gentiment proposé d’accueillir certains d’entre nous en son sein, la porte ouverte ce qui naturellement confère un brin plus d’espace et ne pose de problèmes ni aux écologistes – car il n’est pas branché – ni aux hygiénistes – car il n’y a pas de nourriture dedans à moins de considérer comme tel un Yéti anarchiste endormi la plus grande partie de la journée.

Pour ma part, je me trouve sur la dernière baignoire en compagnie de l’extincteur et de Maria, ce qui ne me déplait guère et me permet, le confinement aidant, de frôler parfois son bras, ses cheveux ou ses jambes ce qui me transporte au bout de la galaxie à une vitesse qui je pense est largement supérieure à la vitesse de la lumière, une autre problématique à laquelle les physiciens auront la gentillesse de bien vouloir réfléchir en temps opportun.

Les pingouins aux lunettes roses alternent entre notre embarcation, l’épiderme de la mer et le réfrigérateur tout en s’interrogeant toutes les dix-sept minutes sur la proximité d’Arezzo et vantant inlassablement les fresques de Piero.

Quant au grille-pain existentialiste vous ne serez pas étonné de le trouver sur les genoux de Maria et d’en profiter à satiété avec son regard naïf de celui à qui on donnerait le bon dieu en confession.

Reste l’autruche volante qui repose sur l’eau et sur le dos, parce que cela rime, avec la tête sur mon épaule et les jambes sur le réfrigérateur.

C’était à elle aujourd’hui de nous parler de ses fêtes d’enfance et voici ce qu’elle a bien voulu nous dire : « A vrai dire nous n’avions pas de célébration les jours de Toussaint ou Noël ou à n’importe quel autre moment car à vrai dire on me cachait tout le temps. Mes parents, des autruches dites normales, c’est-à-dire qui ne volaient pas, m’avaient conçu un jour de Pâques et peut-être est-ce la raison pour laquelle je me suis trouvé ainsi affublé de ces appendices plus grands que d’habitude et en état de voler jusqu’à Rome si le besoin s’en faisat sentir ce que mes frères et sœurs commentaient en riant en disant qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’une cloche née à Pâques soit pourvue de ce moyen de locomotion.

 

Mes frères et sœurs ont pénétré le domaine de la normalité avec une grande jouissance, je suis resté près de mes parents. On me cachait, on me faisait revêtir un pull à longues manches avec un numéro et un nom d’un joueur de football talentueux sur le dos pour expliquer je présume ma petite tête et on me demandait de me tenir coi.

 

Lorsqu’une tante venait pour le thé, j’étais supposé jouer au piano et réciter une poésie apprise par cœur. Cependant, comme nos livres étaient en nombre limité et que je n’avais pas le droit de sortir en acheter d’autres, je me suis très tôt laissé prendre par le génie de la poésie, la muse des arts, et me suis mis à conter mes propres histoires, mes textes, mes mots à moi.

 

Mes parents désireux de conférer un sens à ma vie d’autruche volante confinée dans un espace réduit ont vanté mes prodiges et qualités, ce qui je crois était excessif et de ce fait les tantes, oncles, cousins et cousines de tout bord, y compris des buses, émeus, vautours et colibris, se sont aventurés près de chez nous pour écouter mes mots et supposer l’existence d’autres maux plus puissants, puisque par définition j’étais seul auprès de mes parents.

 

La situation de ceux-ci a dégénéré les rumeurs se propageant très vite. On a supposé mille choses, y compris des vexations, brimades ou violence de la part de mes pauvres parents pourtant si gentils. Je ne l’ai pas supporté, j’ai trouvé cela si injuste, dépourvu du moindre début de raison et ai décidé ainsi un matin d’ascension de quitter mes parents pour ne plus être un poids si lourd à porter.

 

Nous nous sommes longuement embrassés puis je suis parti d’abord sur un fil téléphonique qui soit dit en passant s’est effondré sous mon poids, puis sur un toit qui en a fait de même et enfin sur un baobab qui lui n’a rien fait car il dormait.

 

Je reviens chaque année voir mes parents et ils sont forts heureux de me voir mener une vie à peu près normale même s’ils ne supposent pas que je vis avec deux humains et des drôles de personnages tels que vous. Voilà mon histoire, rien de plus banal. »

Le Yéti qui s’était réveillé en entendant l’histoire de l’autruche volante, dite marmotte gracieuse, s’est emportée contre toutes les hypocrisies du monde, la stupidité de la normalité, le poids des convenances et la tristesse de nos vies. Le grille-pain a simplement opiné du chef tandis que moi, je me suis hasardé à commenter que ceci démontrait que finalement l’humain n’était pas le seul vivant à se comporter de manière ridicule, stéréotypé et suiviste.

Pour adoucir l’atmosphère et permettre à l’autruche à se recomposer et se reconstruire après l’évocation de ce triste passé nous lui avons demandé de clamer un de ses poèmes incompréhensibles, nous vous le laissons en prime de Pentecôte :

Que les esprits retombent et les soufflés avec, le vent n’est rien de mauvais si ce n’est dans nos têtes, le Mirabeau des ponts coule sous la Seine, et le couvercle sur l’horizon pèse, tandis que je blanchis la campagne à l’aube qui elle ne demeure pas sans moi très longtemps, la cormoran aussi et la frégate non plus, les larmes coulent car le fard aussi de loin étend ses lumières intermittentes, nous pleurons, car le monde est bon, avec un c, et moi qui ai un long cou, je suis douce, aussi.   

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Chronique – 41


Des fêtes d’antan d’un grille-pain dépressif et kirkegaardien et du chant d’une autruche volante dite marmotte gracieuse  

Nous continuons de dériver dans nos quatre baignoires sur la mer non pas d’Iroise mais d’Autriche. Depuis hier, nous avons perdu une autre baignoire et je me permets à cet égard de suggérer à mes lecteurs potentiels et enthousiastes de colmater toutes les brèches que ce genre d’embarcation est à même de receler avant de se mettre à l’eau. Non point que notre situation soit dramatique car comme je vous l’ai indiqué nous disposons de victuailles en quantité suffisante et la présence de trois pingouins très bons pêcheurs est un accessit dans ce type de situation.

Nous sommes donc simplement un peu plus à l’étroit mais ceci nous permet de nous rapprocher spirituellement en cette période qui, du moins me semble-t-il, coïncide avec des fêtes et fériés dans de nombreux pays de ce bas monde tant il est vrai que maintenir un calendrier en mer est chose compliquée. Peut-être aurions-nous dû rester quelques jours de plus à Vienne pour profiter des traditions autrichiennes ? Il aurait été sympathique de manger des tartes Sacher et des friandises Viennoises sur fond de rizières, marchés aux fleurs, bouddhas, temples dorés et fruits tropicaux. Je n’aurais pas imaginé la chose ainsi mais les voyages apportent toujours leur lot de surprise et rectifient l’image biaisée que l’on en donne dans les médias traditionnels.

Nous voguons plus ou moins dans la direction d’Arezzo en Toscane, sous la mer ou non, je n’en sais rien, mais où, je l’espère, nous pourrons établir la République libre de Piero della Francesca dans la fameuse chapelle qui lui doit sa célébrité et que les français ont manqué de brûler au temps où un certain Empereur diffusait des idées républicaines à des peuples qui s’en fichaient comme d’une guigne. En attendant, chacun partage ses souvenirs de fêtes d’antan.

Hier c’était le Yéti anarchiste qui nous a parlé de ses sentiments pieux fort particuliers. Aujourd’hui c’est au tour du grille-pain existentialiste et passablement dépressif.

Voici ce qu’il nous a raconté : Je suis né d’une union illégitime entre une friteuse de bonne famille et une perceuse de mauvais sang, un escroc de petite nature qui avait séduit ma mère alors qu’elle évoluait dans son cocon bourgeois d’ustensiles design pour bobo bien argentés. Il venait du mauvais côté de l’immeuble, de la cave et boite à outils. Je n’ai aucun souvenir de lui puisque rapidement il a été embarqué dans une sombre histoire de meurtre ou suicide à la perceuse, une affaire bizarre qui l’a envoyé au trou pour très longtemps. J’ai été élevé dans une cuisine bien précieuse, toute en serviettes de soie, salières, poivriers, moutardiers, assiettes, couverts de marque, Alessi, Koziol, Pam Norman, etcetera.

Ma grand-mère maternelle m’adorait, une gentille petite cafetière d’avant les Nespresso, qui pouvait durer des siècles mais dont on s’est séparé en la laissant rouiller sur le trottoir lorsque les capsules jetables et stéréotypées sont arrivées.

 

Mon grand-père, une bouilloire argentée d’origine russe, profondément religieux et conservateur n’a plus parlé à ma mère jusqu’à son remplacement et son renvoi dans le studio du petit jeune de la famille d’adoption humaine lorsqu’il s’est installé à Berlin.

 

Par suite, et dans ma douleur d’orphelin, il s’est rapproché de moi et m’a pris sous sa coulpe, m’a enseigné les rudiments du métier de grille-pain, m’a expliqué les règles inculquées depuis des générations aux serviteurs d’humains, l’obéissance, le respect, le bon fonctionnement, le lustre discret, le fonctionnement sans réparation jusqu’à expiration et un jour de la garantie et ainsi de suite.

 

Les journées de fête, tandis que les humains enfants se ruaient sous le sapin rituel ou dans les jardins, nous étions de sortie, bien endimanchés, à la table de la salle à manger sur une nappe brodée de Damas avec initiales je vous prie. Nous servions au mieux les humains bien nerveux ces matins-là.

 

Mon meilleur souvenir ?

 

Le dernier Noël avant le renvoi de ma grand-mère, j’opérais près du fils aîné et préféré, étudiant en littérature et philosophie, qui par espièglerie ou pitrerie s’est amusé à introduire près de ma résistance chauffée à rouge un livre de poche intitulé ‘Traité du désespoir’ de Kierkegaard. J’ai refusé de le brûler, j’avais mes scrupules. J’ai fait sauter les fusibles plutôt que de perdre un tel ouvrage. Un grille-pain grille du pain, des brioches, des toasts, mais rien d’autre. Je n’avais pas à être soumis à de tels traitements. Je n’avais pas non plus à contribuer à détruire une famille bien née et respectueuse. Le père de l’humain concerné a hurlé et constatant la blague du jeune fat s’en est plaint de manière formelle et brusque. Tout le monde a quitté la table du salon et a fait prière et pénitence ridicule à genoux devant une crèche en santons de Provence.

 

Pour ma part, je suis resté des heures durant à proximité de cet ouvrage fascinant qui m’a parlé chaleureusement, mais pas trop, et s’est exprimé par mots cachés et couverts et s’est instillé profondément en moi.

 

On ne m’a plus vraiment utilisé depuis ce fameux matin et j’ai pu garder en mon sein le souvenir kirkegaardien qui m’est si cher. J’ai tout appris et je le dois à cette matinée de Noël humainement gâchée mais majestueusement et oniriquement proche de mon âme de grille-pain.

 

Les choses ont changé, certes, j’ai perdu mes proches, ils ont sombré dans l’oubli des humains et ont été désossés ou rejetés, éparpillés ou détruits, je les ai beaucoup pleuré, même si je savais dans mes gènes de grille-pain que la souffrance est chez nous spontanée et que l’issue qui nous est réservée est dramatique mais naturelle, mais j’ai continué à rechercher aux tréfonds de mon âme les raisons qui nous poussent à exister, pourquoi nous sommes ainsi faits, le pourquoi, le où, le comment et les autres mystères de nos vies.

 

Vous me connaissez ainsi et parfois vous vous agacez de mes larmoiements mais sachez qu’à l’origine de tout cela il y a ce matin de Noël là, ces pleurs, ces cris, ces prières, et cette rencontre livresque étonnante.

Un long silence a suivi cette étonnante suivie de reniflements et sourires ambigus. Maria a embrassé le grille-pain sur le front et les pingouins, se sont redressés dans leurs baignoires et l’ont salué militairement en tenant leurs lunettes roses à l’aile, tout en disant ‘t’es un sacré pote mon cousin. T’es notre Che, notre leader’. Je crois que pour une fois nous partageons tous leur sentiment.

En conclusion de cette histoire et en prime de Noël, Pâques ou ce que vous voudrez, pour toutes et tous, un autre chant de l’autruche volante dite marmotte gracieuse :

‘Malheur aux affamés car ils auront faims, que les poules aient des dents ou pas elles restent poules et stupides à la fois, que les orties soient japonaises ou pas elles restent piquantes, qu’Homère ait été ou pas reste l’Iliade, que la savane brûle ou pas, reste les animaux et que les animaux disparaissent ou pas, restent l’humain, et ça c’est pas du coton, mon cousin.’      

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Chronique – 40


De l’errement de sept naufragés et d’un conte d’été par un Yéti anarchiste et des pingouins à lunettes roses        

Nous dérivons mais cela n’est pas bien grave. Sept baignoires. Sept passagers, un grille-pain, un yéti, un réfrigérateur, un extincteur, trois pingouins à lunettes roses, une autruche volante, dite marmotte gracieuse, Maria que l’on ne décrit pas puisque les mots ne sont pas prévus pour cela, et votre dévoué chroniqueur. Sept âmes perdues, éperdues, éprises de fuite car rien ne vaut l’action, que la réflexion suit celle-ci n’en déplaise à Aristote, en tout cas chez l’humain contemporain, et chez les êtres qui m’accompagnent dont je ne prétendrais certainement pas décrire la qualité car qui suis-je pour le faire, pourquoi prétendrais-je être en mesure de décrire quoi que ce soit, il est illusoire de prétendre comprendre quoi que ce soit à ce qui est, surtout lorsque l’on est dans une baignoire au milieu de l’océan, que l’on prétend avoir quitté Vienne la balnéaire et ses champs de riz pour rejoindre Arezzo la capitale de la future principauté indépendante de Piero della Francesca, en naviguant au-dessus des Alpes, le tout avant de rejoindre Bankgok pour fuir des autorités suspectes et étranges prêtes à nous arrêter par l’intermédiaire d’agents déguisés en smoking et palmes de nageurs.

Franchement si quelqu’un qui vit ce type de vie s’écoulant étrangement sur un torrent continu ressemblant à la vie comme trois cent sept gouttelettes d’eau, il est un peu délicat de lui demander de saisir la portée des choses, des évènements, des délicats filets de vie qui s’accumulent pour en définitive former des vies toutes en nuances, ce serait outrancier. Dont acte.

En tout cas, nous disposons de provisions en grand nombre et les pingouins étant également ceux qu’ils prétendent être, à savoir des pingouins pingouinesques avec ailes, pattes et becs, surtout becs, sont des parfaits pêcheurs et nous ramènent quotidiennement des poissons que nous mangeons crus sur injonction de l’extincteur qui répète à longueur de journée que c’est à Noël qu’il avait le plus à faire en raison des feux de sapins et même si nous lui répétons qu’en été, pleine mer et sans sapin à l’horizon nous risquons peu il n’en démord pas, façon de parler, et nous l’écoutons car c’est le plus sage d’entre nous, sauf peut-être Maria, mais Maria cela va au-delà, Maria c’est Maria, et mes yeux ne voient qu’elles, c’est ainsi, pas d’explication, pourquoi y en aurait-il une ? L’amour n’est-il pas aveugle et tant mieux.

N’ayant rien à faire, si ce n’est dériver ce qui est mieux que divaguer nous avons songé aux fêtes d’antan et j’ai proposé que dorénavant chacun d’entre nous parle de ces moments-là même ceux qui comme moi sont athées.

Le premier à se prêter au jeu a été le Yéti anarchiste ce qui pourrait paraître pour le moins surprenant au premier abord mais pas au second.

Noël, Pâques, et tutti quanti, j’en ai ma claque. Chaque fois que je sortais de mes montagnes à n’importe laquelle de ces époques tout le monde se ruait vers moi en voulant m’offrir à une volée d’enfants pour solde de tout compte sentimental. Les gosses me confondaient avec une peluche Disney ou Pixar et moi je m’en fuyais en hurlant car rien de plus effrayant que des enfants qui se blottissent contre vous de nos jours, ils pourraient avoir une kalachnikov cachée dans leurs couches.

Nous l’avons rassuré en disant qu’ici en pleine mer autrichienne il y aurait peu de risque de tomber sur une cohorte d’enfants et que de toutes les manières un anarchiste saurait toujours quoi faire d’une arme de ce type. Il n’a pas ri, mais alors pas du tout. Heureusement que nous naviguons dans des baignoires séparées et que nous devons écoper en permanence.

Il a continué sur sa foulée, longue : D’ailleurs, quand je serai Pape j’abolirai les fêtes, en tout cas le Père Noël, le remplacerai par une Mère Noël les années pères et un Père Noël tendance miniature, 1 mètre au garrot, pas plus, les années maires. Je fusionnerai Noël, Pâques, Saint-Valentin pour éviter toutes ces formes de consumérisme, instaurerai un congé férié le jour anniversaire du grand yéti bleu, imposerai les femmes dans l’église et enverrai les évêques sur une île déserte pendant deux ans pour punition, et après leur permettrait de revenir sur le continent un jour sur dix-sept, le restant du temps en mer. Il a dit tout cela d’une manière jouissive.

Je me suis permis de lui dire que peut-être ses chances de devenir Pape étaient malgré tout fort limitées, que j’aurais plus de chances de devenir Premier ministre islandais que lui Pape.

Il a jubilé en disant c’est dans la poche ! Révolution ! Tu as toutes les chances de devenir roi d’Islande, tu es plus fumeux que tous les volcans islandais réunis. Génial ! Je lui ai rappelé que l’Islande était une république très ancienne d’ailleurs ce à quoi il a répondu que la révolution allait dans les deux sens et le seul moyen de m’instaurer en tête de ce pays était de créer une monarchie héréditaire, de me placer fumeusement là et d’abolir le peuple.

Je n’ai plus rien dit sur ce sujet tant il était heureux mais ai signalé que les enfants aimaient bien les contes et que cela les rendrait triste de remplacer le vieil homme à barbe blanche et ses rennes.

Sur ce, les trois pingouins roses se sont écriés en même temps que cette vieille ordure on l’a déjà bouffé alors trop tard, quant aux rennes on les supporte pas, mais alors pas du tout. Par contre, s’il faut réellement jouer ce jeu on n’a qu’à prendre notre leader et le faire traîner dans un panier à linge tiré par l’extincteur. D’ailleurs lui aimerait passer par les cheminées et éteindre les feux naissants et même mourants.

A ma question interloquée sur le nom du leader de notre groupe, ils ont répondu sans l’ombre d’une hésitation : Le grille pain, naturellement. Un être doux, mélancolique, radieux, courageux, prêt à s’affranchir de son passé et mener une révolte. C’est lui qu’il nous faut.

Le Yéti anarchiste a conclu simplement : Moi je m’en fous du moment que je suis Pape.

Le reste a sombré dans la confusion et nous avons perdu deux baignoires… Dorénavant le grille-pain et l’extincteur sont ensemble tandis que le Yéti s’est installé à côté d’un pingouin.

J’attends patiemment mon tour… Maria, elle regarde vers l’horizon et ses cheveux s’évanouissent dans la brume de mes rêves…

Bonne fête à vous depuis ma baignoire. Demain sera un autre jour et une autre fête ou anniversaire jusqu’à épuisement non pas des feux mais des baignoires et des histoires.

Un poème de l’autruche volante, dite marmotte gracieuse pour la route et en prime, nous sommes généreux : Que la lumière s’éteigne et le saumon grille, que la joie s’efface et les chevaux mordent, que le sourire s’épanouisse sur les joues des enfants et que les enfants rient, que les bougies s’allument, que la contradiction soit, que les anges passent et qu’on les bouffe, que les mouches passent aussi mais sans qu’on les bouffe, car qui ne dit mouche s’essouffle

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Chronique – 39


Des derviches tourneurs, d’Ibn Battuta, de la croisière des sept baignoires, et d’une berceuse interprétée par une autruche volante dite marmotte gracieuse   

Je dois admettre que récupérer sept baignoires pour entreprendre la traversée des Alpes a été chose relativement aisée.

Naturellement, les autrichiens que nous avons abordés pour leur proposer de nous louer de tels objets pour une croisière de cette nature n’ont guère compris notre empressement. Il s’agissait d’humbles paysans au bord de leur rizière et nos explications en langage alémanique approximatif n’ont pas plaidé en notre faveur.

Maria aurait probablement pu de par ses origines nous aider dans cette entreprise mais elle était partie dans une autre direction avec le réfrigérateur et l’autruche volante, dite marmotte gracieuse, pour faire réserve de victuailles tant il est vrai que voguer de Vienne depuis l’embouchure du Danube à Arezzo au nord de Florence ne sera pas forcément chose aisée. Allez savoir quels vents ou courants nous rencontrerons.

Ibn Battuta a raconté avec force détails son retour catastrophique vers l’Andalousie depuis l’Egypte marquée par une longue dérive et un échouage sur les terres siciliennes limitrophes du monde barbare. C’était au douzième siècle si ma mémoire ne me fait pas défaut mais les circonstances n’ont pas forcément changées. Donc nous avons eu peur, donc l’extincteur a plaidé pour une forme de prévoyance raisonnable, donc les uns et autres avons réfléchi, pas que l’image de nous-mêmes d’ailleurs, et donc nous avons pensé que des vivres nous seraient utiles, donc nous nous sommes divisés en deux groupes.

Bref, pas de Maria avec nous et en conséquence pas de possibilité de converser librement avec elle et les humbles paysans du bord des rizières à l’embouchure du Danube.

Nous nous sommes concentrés sur le but ultime de notre virée campagnarde et, tout en admirant les palmiers et autres plantes tropicales et échangeant quelques étranges billets de Bohème, Moravie et Nietzche pour solde de l’achat d’orchidées blanches et roses, nous avons fini par faire comprendre notre souhait et avons pu procéder à l’acquisition desdites baignoires, sept pour être précis.

Tout cela en contrepartie de quelques danses étranges, similaires en quelque sorte aux transes des derviches tourneurs qui tournent par définition scandant une longue litanie dont le rythme rapide s’adapte à une série de Fibonacci, enfin d’après les pingouins aux lunettes roses qui ont tourné sans arrêt pendant une demi-heure en criant sans s’arrêter non pas le nom de Dieu, excusez-moi, mais celui de Piero della Francesca, ce qui a bien fait rire les enfants et se tordre de douleur les adultes car allez critiquer ou vous moquer des pingouins colériques et vous comprendrez votre douleur assez rapidement, ou plus exactement la ressentirez durablement dans votre partie masculine, si vous êtes de ce sexe, car des pingouins en colère cognent sec avec leurs becs pointus.

Cela a fait beaucoup rire les enfants, certainement moins les adultes, en tout cas les humains mâles.

Les baignoires nous ont été données après avoir signé une signification officielle en vertu des dispositions de la règle de trois titrée ‘je vous salue’ dans l’ordre cinq de la constitution Andine et Belge de 1965 relative au bien-être des gens, de leurs casseroles et des biens et personnes qui s’y rattachent, y compris les derviches tourneurs, loi 8765/hu/oztg du 7 février 2005 amendée dix années auparavant.

Bref, ils nous ont donné les baignoires pour que nous dégagions les lieux rapidement, ce que nous avons fait mais avec un peu plus de difficultés que prévues les pingouins étant rancuniers et s’adaptant avec joie aux délices de la récidives au grand plaisir des enfants mais pas à celui des adultes mâles…

Les sept baignoires ont ainsi été acquises rapidement et ramenées en partie sur le dos de votre chroniqueur préféré, amarrées à un ponton près de notre abri de fortune au pied d’un village de pêcheurs autrichiens, emplies des victuailles ramenées par Maria et son petit groupe, poncées et polies par le soin de l’extincteur qui adore montrer ainsi son utilité et déployer sans fard son indicible besoin de faire le bien et de bien le faire et ensuite, vogue la galère !

Nous avons attaché les baignoires entre elles par des rubans roses et bleus servant de liens pour les cadeaux durables, véritables, sincères et utiles et vogue la galère.

Nous avons dérivé au gré de la marée, avons manqué être renversé à plusieurs reprises par des barges immenses ramenant d’immenses cargaisons emplies de fruits, légumes et boules de cristal locaux, mais n’avons cessé de démontrer au regard des curieux assez nombreux je dois l’admettre notre enthousiasme à peine gêné par la nécessité qui est la nôtre de laisser un doigt, un pied ou quelque autre objet de ce style dans l’orifice prévu pour l’embranchement d’un siphon et qui a la fâcheuse tendance de laisser pénétrer l’eau de mer ou de source ou de rivière ou de quoi que ce soit que vous voudrez si vous ne le bouchez pas, Archimède vous le dirait bien, il a essayé la chose à Syracuse tout en chantant Euréka et tout le reste.

Nous avons pénétré dans le bassin marin assez rapidement finalement et nous sommes depuis lors en lente dérivation vers le sud, donc vers l’Italie, donc vers Arezzo, la cité de Piero qui nous attend pour sa déclaration d’indépendance.

Nous ne voyons plus les côtes de Vienne mais nous laissons porter par le bon air marin. Il est tellement étonnant de songer que nous sommes ainsi parvenus à contrer les vents mauvais, les complots nombreux, les oracles maudits, tout cela en nous appuyant sur notre sérénité, perspicacité, ténacité et sagacité. Nous parviendrons à Arezzo, puis partirons pour Bangkok en traînant derrière nous la chapelle de Piero après avoir obtenu son indépendance. De cela je suis sûr.

Pour l’heure, nous sommes à quelques heures de Noël et tout en grignotant des grains de riz bien dur – nous n’avons pas le droit selon l’extincteur de faire bouillir l’eau qui pourtant existe en quantité assez importante dans la mer sur laquelle nous voguons – une mer qui soit dit en passant et de manière narquoise à l’intention des résidents de la Vallée de Chamonix pas si lointaine que cela n’est pas de glace elle ! Cette mer qui recouvre les montagnes est faite d’eau et pas n’importe laquelle, de l’eau parfaitement humide et chaude, pas un semblant grisâtre et pollué, une vraie et bonne quantité d’eau transparente et douce avec des poissons en prime. Vienne et les massifs alpins qui l’entourent sont décidément très étonnants!

Nous croquons le riz craquant et laissons le vent nous pousser et tandis que nous songeons à ce que l’avenir nous apportera, l’autruche volante, dite marmotte gracieuse, nous chantonne un joli berceuse que je vous offre pour votre veillée:

Haute la joie, belle la vie, suintant le sapin, que le Père Noël et Léon d’ici et pas d’ailleurs, s’amusent à faire tomber la neige, les fleurs, et les enclumes, car Noël est bon, et Berlin est allemande, vive Mozart l’autrichien et José le brésilien, et Nestor l’autruche d’un soir, sur l’or d’Harfleur, et les ponts d’Honfleur, je vous dédie ce chant, pour l’amour de la paix, et le pain des cigales, la joie des enfants et le sourire des vieux, Point, pas virgule, car virgule y a plus ! 

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pain des cigales, la joie des enfants et le sourire des vieux, Point, pas virgule, car virgule y a plus ! 

Chronique – 38


D’une certaine forme de lassitude, de la fin de la révolte des grille-pains, de l’exaltation des pingouins, et d’un voyage à Arezzo en baignoires

Dire qu’il y a quelque temps encore je vivais tranquillement dans mon appartement Genevois et me contentais de temps en temps de regarder par la fenêtre mélancoliquement à la recherche d’une raison d’être à ma vie ploutocrate et mal aboutie.

Plusieurs semaines se sont écoulées et entourés d’amis pour le moins particuliers, si l’on doit se baser sur l’éternelle notion de normalité ou d’anormalité, je suis à la recherche de la voie la plus discrète pour relier Vienne où nous pensons être et sommes vaguement camouflés et Bangkok, ce afin de ne pas éveiller les soupçons de représentants de puissances obscures et sournoises.

En parallèle, je ne cesse de me laisser dépasser par des évènements dont la plupart du temps je n’ai pas le moins du monde pressenti le déclanchement et parvient avec la plus grande des peine à contribuer à leur maîtrise. Mes compagnons sont dénués de tout point d’ancrage dans le temps et se situant exclusivement dans le présent évoluent librement et sans attache. Je les envie. Ils évoquent en permanence et au premier degré leurs désenchantement, tristesse, joie, colère, bouleversement ou passion. Je les suis avec peine mais contentement car tout plutôt que revenir derrière ma fenêtre mais d’une certaine manière je les envie.

Tenez par exemple cette révolte des grille-pains, bien entendu vous avez compris qu’elle terminerait en eau de boudin dans une rizière mal épanchée et qu’il nous faudrait de longues heures pour extraire de la vase les acteurs de cette révolution surréaliste, les grille-pains, gaufriers, cafetières et autres dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas équipés pour des routes aussi chaotiques surtout après avoir accompli un striptease d’anthologie.

Vous l’aviez vu venir, je le sais bien, mais moi pas du tout. Je me suis laissé totalement surprendre.

Bien entendu, mon état d’esprit est plutôt délétère ces temps-ci perdu dans une sombre folie amoureuse, sombre parce que je ne suis pas sûr qu’elle puisse terminer autrement que dans la vase, folie car comment pourrais-je prétendre pouvoir attirer autre chose qu’une sympathie de façade de la part d’une aussi parfaite femme que Maria et amour parce que c’est ainsi, cela s’appelle comme cela, je n’ai pas d’autre mot pour décrire ce que je ressens et tant pis si vous pensez que cela habille très mal cette chronique et encore plus tant pis si vous croyez que cela va finir avec un beau mot fin sur un couple niaisement enlacé au bord d’une cheminée kitsch.

Si vous avez lu mes livres (NDLR : On dit plus rien sur la publicité clandestine, ça sert à rien, y comprend pas, et ça nous lasse, mais ça nous lasse, vous pouvez pas imaginez, alors vous avez qu’à vous farcir le reste, on vous aura prévenu, nous, c’est bof !) vous devriez savoir qu’ils se terminent rarement bien, nada, niet, jamais, c’est comme cela.

Donc, je sais que tout cela terminera mal mais j’espère quand même que peut-être le présent me réservera un jour un fugace instant de bonheur…

Revenons à nos moutons, ou plutôt n’y revenons pas car notre quête a été interrompue avant la révolte des grille-pains et je doute qu’elle reprenne rapidement. Cela m’a surpris, je vous l’ai dit, tout me surprend.

Le coup des pingouins, pas des lapins, pingouins, suivez un peu ce que je vous dis, je ne l’ai pas vu venir non plus.

Ils étaient comme nous en train d’essuyer les centaines de grille pains exsangues et totalement déprimés, surtout le nôtre, sortis de leur coque de boue lorsque soudain ils se sont dressés et se sont exprimés l’un après l’autre de façon parfaitement solennelle:

Qu’importe la défaite / le désespoir / il faut oser / vous avez osé / c’est géant / félicitations à vous les grille-pains / à notre Che à nous / et nous allons tous faire de même / pour aller à Bangkok nous passerons par Arezzo / et comme Vienne est dorénavant au bord de la mer / il n’y a pas de raison pour que Arezzo n’y soit pas non plus / et puisque nous n’avons pas trouvé de téléphérique souterrain / ou de moutons humains / nous irons de Vienne à Arezzo / traverserons les Alpes par la mer / et célébreront en grandes pompes les 519 années de sa mort / et prendrons de force la chapelle / et déclarerons son indépendance / et sous la céleste bonté de sa célèbre résurrection / nous placerons le grille-pain et il renaîtra lui aussi sous la forme de la Madonne de Senigalli.

Je me suis détourné de cet amoncellement de bêtises sans nom mais lorsqu’ils ont évoqué une réincarnation d’un grille-pain en Madonne je n’en ai pas cru mes oreilles et leur ai demandé de se taire. Comme si nous n’avions pas déjà assez de problèmes avec toutes les ligues et autorités que l’on peut imaginer!

L’extincteur leur a suggéré de demeurer coi et le réfrigérateur leur a proposé de passer quelques heures dans son sein pour refroidir leur esprit particulièrement échaudé par l’eau froide. Seule l’autruche volante, dite marmotte gracieuse, s’est sentie à même de répondre à leurs propos en posant une question qui je dois l’admettre n’était pas forcément ridicule, à savoir comment ferions-nous pour traverser les alpes par la mer ?

C’est à ce moment-là que les pingouins m’ont étonné, dressés sur leurs courtes pattes, les branches de leurs lunettes roses, dans leur bec jaune, ils ont dit pas compliqué les gringos il nous faut 7 baignoires que nous attacherons par des cordes, on jette le tout à l’eau et on laisse dériver comme les banques et tôt ou tard on arrivera en Italie, on dit bien qu’après la Grèce, l’Irlande et le Portugal c’est là que cela finira non ? Donc en bateau et que ça saute, et on sauvera la chapelle, et on évitera qu’elle soit détruite comme à Pompéi et on déclarera notre indépendance et on réincarnera le grille-pain. Logique, non ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait une véritable logique dans tout cela mais soyons honnête, il faut suivre l’actualité, c’est le propre d’une chronique réaliste, donc nous irons de Vienne la cité balnéaire à Arezzo, autre cité balnéaire et tropicale, par la mer et nous y irons par baignoires interposées.

Maria a demandé pourquoi 7 baignoires ?

Ils ont répondu pour deux raisons ma chère Maria, Uno parce que nous sommes 7 et deuxio parce qu’il y a bien 7 nains non dans l’histoire non? Tercio parce que nous approchons de l’été et qu’en été il vaut mieux disposer de baignoires ! Cuatro pourquoi pas !

Je n’ai pas compris l’à propos de ces deux remarques mais comme je vous l’ai dit je ne comprends pas grand-chose ces temps-ci, alors allons-y, cherchons des baignoires et voyons ce que nous pourrons en faire, plutôt cela qu’autre chose… d’ailleurs, auriez-vous mieux à proposer que traverser les alpes dans des baignoires ?

Pas l’avion, certainement pas, de toutes les manières ces temps-ci cela marche pas fort. Pas le reste non plus parce que ça glisse… Alors, pas vraiment mieux à proposer, les baignoires c’est exotique et économe, écologique et ne coûte rien en taxe carbone, pas de fumée, pas de fuite et surtout pas de risque de marée noire, non, rien que du bonheur, du plaisir, je vous le dis, je ne comprends rien à tout cela mais au moins nous avançons, et en plus l’idée de voir Maria dans une baignoire, cela serait tellement grisant s’il n’y avait la contrepartie, l’idée qu’elle m’y voit aussi… je vous l’ai souvent dit, tout est relatif.

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Chronique – 37


De la longue marche, du striptease du grille-pain, de Brecht, des autres aussi et de moi qui m’y perd  

Les choses ne se passent jamais très exactement comme on le souhaiterait.

En ce moment, par exemple, nous devrions être en train d’identifier des volontaires pour nous permettre de relier Vienne à Bangkok en saute-mouton et nous devrions nous attacher à cette quête avec ferveur et dévotion tant le nombre d’assistants pour cette longue marche paraît important. Pourtant ce n’est pas notre priorité. Pas le moins du monde.

Nous sommes au contraire astreint à une autre quête, parallèle à la première, la révolte des grille-pains, leur émancipation, la révolution non pas de velours, des tulipes ou que sais-je d’autre, mais bel et bien celle des toasteurs. La révolution des toasteurs ! Voici ce que nous sommes en train d’annoncer en monstrueuses vocalises au monde entier, à tout le moins aux autrichiens qui nous regardent passer le long de leurs rizières.

J’ai compté pas moins de 212 grille-pains, 13 gaufriers, 53 cafetières, 25 sorbetières, 12 casseroles, 753 woks, et d’autres instruments, certains électriques, d’autres non, indéterminés ou inclassables.

Allez savoir pourquoi, je fais partie du petit troupeau des poursuivants ou suivistes ou dieu sait qui ou quoi qui les encourage en scandant je ne sais trop quelle ritournelle imbécile inventée par une autruche volante, dite marmotte gracieuse, que les grille-pains soient et le vert-de-gris disparaisse, que les toasts se muent et les sapins jaunissent, que les grilles s’affaissent et les fraises aussi.

Je n’y comprends rien et si je n’étais en train de profiter de ces moments très particuliers et intenses pour serrer dans ma main gauche la droite de Maria, ressentant jusqu’au plus profond de mon être la chaleur et la douceur de cet être chéri des dieux et de moi-même je crois que je fuirais immédiatement cette procession ridicule pour faire quelque chose de censé et d’utile, remplir un formulaire dans une poste du douzième arrondissement de Vienne ouest, poinçonner des lilas, chanter dans le métro de Copenhague, lisser les cheveux des filles aux cheveux frisés et friser ceux des garçons aux pantalons longs, réunir des administrateurs pour les faire chanter en chœur des refrains et cantiques de bonne gestion du personnel, des fonds, des programmes et des moyens sans fin particulière si ce n’est d’avoir le plaisir de nourrir les estomacs galactiquement affamés de pauvres consultants sans le sou et sans le moindre début de commencement d’affinité avec la cause qu’ils sont amenés à défendre, superficiellement s’entend, bref je ferais quelque chose d’utile.

Mais là, j’ignore pourquoi je me promène derrière une longue cohorte de grille-pains et autres instruments ridicules portant pancartes et panneaux exigeant l’attention de leurs oppresseurs, demandant la satisfaction de leurs besoins les plus rudimentaires, souhaitant la reconnaissance de leur existence, leur émancipation, leur libération le tout sous les encouragements de drôles de personnages dont on pourrait croire, faussement naturellement, qu’ils sont tout entier sortis de l’imagination de je ne sais quel esprit ridicule et dé-cartésianisé pour autant que ceci se dise ainsi, à savoir un yéti anarchiste, une autruche volante, trois pingouins aux lunettes roses, un réfrigérateur et un extincteur.

Toutes et tous avancent car cela est absolument et totalement nécessaire, il n’y a pas le choix, c’est ainsi, c’est écrit et marqué au fer rouge sur le front des humains et de leurs congénères sacrés, c’est résumé dans marcher, encore, toujours, un recueil de nouvelles dont on ne saurait vanter le caractère intéressant et pas cher pour trois sous.

(NDLR là on en a marre, déjà que ce chroniqueur se perd dans ses propres histoires de grille pains de cinq sous, Brecht n’en voudrait pas le moins du monde, mais en plus il en profite pour vanter ses propres histoires à la noix qui n’intéressent de toutes les manières personnes, non mais franchement faut vraiment oser, tout cela en infraction des dispositions réglementaires, tartinées, rudimentaires et légales telles que visées et nian nian nian dans la loi pluridisciplinaire 654/hgt/u du trois neuvième d’avant l’après le tout pour satisfaire libertés, bagatelles, ritournelles et béchamel, et surtout le bien-être, les libertés fondamentales et le thé dansant des humains fatigués, non mais, stop !)

Bref, je suis tout ce petit monde mais nul ne sait où nous nous dirigeons.

J’ai bien tenté de leur faire comprendre que manifester contre un oppresseur demandait, exigeait devrais-je dire, au minimum de connaître le nom, l’adresse et la fonction de celui-ci mais là, basta, le Yéti a dit que l’oppresseur était philanthrope et l’opprimé partout et qu’il suffisait donc de marcher dans une direction pour finir par heurter les autres et au bout du chemin de la suffisance l’un. Dont acte, tout le monde est parti, Maria aussi et donc moi avec.

Finalement, des dizaines d’instruments se sont joints à nous, je l’ai dit et maintenant nous avançons sans vraiment savoir où, ni pour combien de temps.

Naturellement, nous allons au-devant de grands ennuis, surtout depuis que le grille-pain existentialiste, notre ami, a débuté un lent et mélodieux striptease commençant par jeter la languette qui généralement sert à retenir les morceaux de pain en criant que les miettes cessent puis le fil électrique en scandant que la laisse nous laisse puis en dernier lieu les résistances métalliques en hurlant que les grilles s’abaissent et notre souffrance cesse, que le souvenir des tortures infligées disparaissent, halte à l’oppression. Les gaufreurs ont suivi puis tous les autres et c’est maintenant une file ininterrompue d’engins et mécanismes nudistes qui avance vers je ne sais quel palais doré, tout cela alors que nous pourrions bien plus utilement chercher des humains comme moutons dans une démarche véritablement avantageuse et sérieuse nous conduisant vers Bangkok.

Basta… il me reste la douce main de Maria et après tout c’est certainement l’essentiel. Le reste d’ailleurs a-t-il le moindre début d’importance, la vie et tout cela, si le but n’est pas le sourire de Maria, qu’est-il donc ?

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Chronique – 36


D’une nouvelle crise existentielle et de la révolte des grille-pains

Je me demande parfois pour quelles raisons je me trouve ainsi au bout de nulle part à rechercher quelque chose dont je ne saisis pas vraiment le sens pour des raisons qui m’échappent et d’une manière qui ne me semble pas totalement fondée ou raisonnable.

C’est ainsi que s’est exprimé l’extincteur.

Nous étions en train de préparer notre journée à la périphérie de Vienne à la recherche de potentiels volontaires pour un saute-mouton effréné et efficace qui nous aurait permis de relier Vienne à Bangkok en un tout de main ou plutôt quelques coups de rein.

Malheureusement ces quelques mots prononcés doctement et sagement par l’extincteur allongé sur le canapé du studio dont l’usage nous a été proposé par le collectif autrichien pour la sureté des moules et le bien-être des papillons ont plongé l’ensemble de notre petite troupe dans un océan de béatitude et de réflexions plus ou moins cartésiennes.

Paradoxalement, les trois pingouins qui jusqu’alors avaient fait preuve d’une parfaite bonhommie et d’un sens de l’à-propos, toujours cohérents dans leur démarche et sûrs de la finalité de leur quête, à savoir l’approfondissement de leur connaissance de la vie et de l’œuvre de Piero della Francesca, se sont laissés gagnés par un zeste de dépression, très léger, à peine un soupçon de menthe sous la langue, pas plus, rien qu’un petit goût amer, un soupçon de regret exprimé en ces quelques mots:

Pendant très longtemps notre but était assez simple, nous rendre à Arezzo, et nous emparer de la chapelle par la force ou la séduction et déclarer l’endroit indépendant puis demander notre admission aux Nations Unies et hisser haut le fanal de notre nouvel état avec le rêve de Constantin en prime. Nous nous sommes cependant rendus compte de la vacuité de notre tâche songeant que l’humain n’avait que faire de l’art et de la justesse de Piero et qu’il nous fallait trouver autre chose. Nous avons alors monté un système de spéculation sur l’art pour acquérir une toile de Piero. Notre aspect extérieur nous a bien aidé mais notre hedge fund et le système à la ponzi qui nous permettait de prétendre vendre quelque chose que nous n’avions pas pour acheter quelque autre chose que nous souhaitions a fini par trouver ses limites, nous n’étions pas énarque. Le Louvre peut faire acheter un Cranach, c’est sûr, mais des pingouins n’arriveront jamais à acquérir un Piero, c’est sûr également. Alors nous marchons et notre quête est véritablement sans but. Depuis que nous vous avons trouvé nous nous sentons rassurés car après tout la communauté des médiocres cela fait du bien à l’égo mais depuis peu plus rien ne nous fait sortir du sentiment d’inutilité si ce n’est une course sans fin sans autre but que d’atteindre une ville mythique que nous ne connaissons pas, où nous ne souhaitions même pas aller et dont nous ignorons les raisons nous poussant aujourd’hui à nous y rendre.

Un long silence s’est emparé du groupe et j’ai immédiatement ressenti que nous étions prêt du gouffre, que nous risquions d’y sombrer ensemble si l’on ne trouvait pas une échappatoire immédiate. L’autruche a bien tenté de nous aider mais son poème indigeste au possible n’a fait que renforcer l’amertume de nos sentiments et la pénibilité de nos efforts vains et sans finalité véritable: la fin est le moyen de s’oublier dans les tréfonds d’âmes tristes, l’air en altitude est vif et frais mais en plaine il n’est pas, l’eau est grise et la terre marron, le ciel lui est bleu car là est la finalité de toute chose et de toute figue ou marron dignes de ce nom, l’esprit trouve en ces altitudes le reflet de ses pensées et la pensée de ses faits…

Le réfrigérateur l’a interrompu en lui signifiant la platitude et l’ineptie de ses propos et sa préférence pour une mort immédiate instantanée ou sous la torture la plus vile plutôt que de continuer à écouter ces nauséeuses phrases sans sens ni direction ni début ni fin ni rien du tout que du vent .

Le grille-pain a sentencieusement répété ses leitmotivs habituels se satisfaisant du fait qu’enfin notre groupe se plaçait dans une situation de réflexion sage, fructueuse, utile, constructive sur son devenir. Jamais nous ne saurons ce que l’avenir nous réserve, ce que le passé a été, ce que la vie est, ce qu’elle comprend, si vie il y a, si illusion n’est pas la règle, s’il y a début ou fin de quoi que ce soit, si il y a un dessein, si moi grille-pain ait la moindre importance dans l’ordre de chose, si j’ai une signification, une présence, un rôle, un sens…

Le Yéti est intervenu et nous a sauvé, que grâce lui en soit rendu. J’avais essayé de trouver une diversion mais n’y étais pas arrivé tout entier perdu dans mes pensées et le regard de Maria.

Le Yéti a ainsi dit avec son aplomb habituel: Le grille-pain a un sens, toaster les toasts, et ce depuis des lustres. Les règles sont précises et suivies à la lettre, à la virgule, à la phrase et au paragraphe, tous les grille-pains du monde se sont donnés la main pour appliquer tout cela sagement et sans jamais se poser des questions et le corpus grille-pain dans son ensemble a accepter sans mot dire, sans toussotement pour signifier un brin de contrariété. Il est temps que sous ton leadership, derrière ton fanal tous les grille-pains du monde se lèvent, marchent l’un derrière l’autre en signifiant à celles ou ceux qui ont imposé ce jeu qu’ils aillent se faire voire auprès du dieu ou de la déesse des grille-pains et qu’entre temps les grille-pains existent, vivent leur vie, se promènent, discourent et fassent ce que bon leur semble. Avec tes larmoiements incessants finalement tu es le plus courageux d’entre nous et c’est toi qui dirigeras le flot incessant des grille-pains désabusés et émancipés. Tu es le leader de la révolution inévitable des grille-pains face à l’oppression imposée par une force occulte tellement puissante que personne ne cherche à la remettre en cause. Grille-pain tu es notre Che !

Sur ce, il s’est redressé, a remis son nœud papillon en place et a pris le grille-pain dans ses bras suivi solennellement par chacun d’entre nous.

Nous sommes prêts pour la révolution des grille-pains et notre quête prend un nouveau sens. Nous quitterons Vienne et irons à Bangkok cela est sur mais auparavant nous rallierons les grille-pains du monde entier derrière notre fanal.

La révolte des grille-pains a sonné. L’heure est grave.
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Chronique – 35


Des rizières Viennoises, de l’embouchure du Danube, des moutons et des humains

Aujourd’hui nous sommes allés dans la périphérie de Vienne pour rechercher les moutons nous permettant d’atteindre Bangkok par les sommets des montagnes avoisinantes le mode de transport étant le saute-mouton intégré.

Notre pérégrination a été quelque peu insolite, surprenante et à vrai dire déroutante. Je pensais que Vienne au printemps serait proche des paysages à la Hodler mais pas le moins du monde, pas de sommets encore enneigés, de cascades enflées, de chalets coquets, rien que des rizières, des temples, des buffles, des petites maisonnettes aux toits de tôles colorés et comble d’étonnement l’embouchure du Danube et la mer à quelques kilomètres à peine de Vienne.

Il peut s’agir à mon sens (i) d’un changement quantique de grande ampleur, (ii) d’un saut dans l’une des dimensions parallèles ou (iii) de la réalisation virtuelle d’un réseau militaro-industriel très puissant apte à changer les décors au gré des envies de ses promoteurs masqués.

Nous ne nous sommes pas laissés prendre par cette altération du temps ou de l’espace et sommes restés sur une acceptation Newtonienne teintée d’Einstein et Poincaré des choses et avons progressé en nous focalisant sur un seul et même but, trouver des moutons nous permettant de mettre en place notre nouveau système de déplacement.

Cependant, force a été de constater que les autrichiens que nous avons rencontrés n’ont pas été très coopératifs et ne nous ont pas indiqué surement et directement la direction des élevages d’ovins. On nous a mis en relation avec des buffles, voire des éléphants ou des tigres, allez savoir ce qui se cachait derrière cette intention fallacieuse, mais pas de mouton. Rien, même pas un petit agneau et encore moins un bélier, rien de tout cela, nenni.

Notre quête est restée totalement infructueuse.

Après plusieurs heures de marches, nous nous sommes arrêtés dans un village de pêcheurs sur pilotis et tout en contemplant les paysages maritimes autrichiens avons devisé sur la meilleure manière de trouver des moutons en terrain hostile.

L’extincteur, esprit pratique par excellence, a suggéré de chercher des laiteries ou petits restaurants d’altitude, trouver du fromage de brebis artisanal et remonter la filière à partir de ce point précis.

Le Yéti était prêt à escalader les montagnes pour l’aider mais comme il n’y avait pas de montagnes environnantes et encore moins de laiteries nous sommes restés chou-blanc, les pingouins s’étant déclarés disposés à cet égard à vendre ce légume au marché fluvial mais nous les en avons dissuadés pour pouvoir demeurer compact et cohérent dans notre approche.

Le grille-pain moins dépressif que d’habitude a suggéré d’appliquer le principe Kierkegaardien d’ironie à cette situation et a proposé de réunir des humains en lieu et place des moutons puisque selon lui le mammifère le plus proche de du mouton de par son comportement était assurément le bipède soi-disant humain.

Le Yéti a surenchéri en soulignant que l’humain avalait tout et n’importe quoi, les armes de destruction massive, les crises financières, les spéculations et les enrichissements sans foi ni loi, ce qui drainait son système lymphatique et hépatique sans pour autant ralentir la courbe de son vieillissement selon les dernières données disponibles ce qui le rapprochait alors du cochon tout autant que du mouton. Il s’est cependant rallié à la cause du grille-pain et a proposé de réunir des humains quelconques en leur faisant miroiter quelque chose, la présence de Madonna à Vienne, la réunification de l’Autriche et de la Hongrie, le couronnement d’un Bourbon, la décapitation du Père-Noël, la victoire du Rapid de Vienne et d’Ailleurs en coupe d’Europe des clubs pas champions pour un sou, ou quoi que ce soit de similaire et de fondamentalement important dont le dévoilement aux foules moutonnesques permettrait de rallier à notre cause des centaines d’humains pantelants, chancelants et totalement niaiseux.

J’ai profité de ce comportement un brin disgracieux à l’égard de Maria et moi-même pour reprendre l’avantage sur le grille-pain, l’enlever des mains de Maria et le poser dans celles du Yéti en suggérant qu’ainsi il ne serait plus dans des pattes ovines ce qui l’a visiblement chagriné au plus haut point entrainant un déluge de larmes conséquent. J’ai néanmoins ajouté que si l’humain contemporain était tel c’était aussi parce que l’histoire, la philosophie, la géographie, ou les langues mortes n’étaient plus vraiment enseignées à l’école ce qui expliquait le manque de recul et de concentration de la gente humaine mais ceci a laissé toute le monde froid, surtout le réfrigérateur qui a indiqué qu’il avait déjà accueilli un humain en son sein – moi – et qu’il pouvait se charger d’un ou plusieurs autres à notre convenance.

L’autruche volante s’est dressée et a scandé un poème de sa composition l’humain d’un saut de puce est devenu géant puis grenouille avant de finir mouton et bientôt mariné en ris de veau, de dérision en ironie et de grandeur en décadence, celui par qui le ciel s’est terni s’est vu à son tour arraché les couleurs et remplacé les gilets de sauvetage par des tricots en laine de mouton…

Je n’ai pas écouté la suite.

Les pingouins ont proposé de sélectionner les candidats humains en imposant un questionnaire sur Piero della Francesca mais nous avons écarté cette hypothèse depuis que nous avons compris ce qu’il advenait des candidats malheureux à cette épreuve – voire chronique précédente (NDLR ceci est encore une nouvelle preuve de l’incapacité de l’auteur de comprendre qu’en vertu de la loi 345/tz/cht du neuviose 3 la publicité clandestine est interdite dans cette chronique. Bon sang ! Quand donc comprendra-t-il ?).

Maria a simplement proposé de quérir quelques humains aux alentours et de leur proposer un jeu de saute-moutons. Nous nous sommes tous perdus dans son regard et avons opiné du chef sans réaliser ce qu’elle nous disait. Cependant, par prudence, j’ai suggéré au dernier moment que ce soit moi qui le fasse plutôt qu’elle, on ne sait jamais. Tout le monde a agréé.

Nous sommes ainsi repartis à la recherche des moutons perdus et réincarnés en humains de la dernière génération.
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