De Maroni, de Piero della Francesca, d’une situation bien compromise, de la violence contre les enfants et du délire d’un extincteur
Certains disent parfois qu’ayant rencontré les pires difficultés ils ne peuvent guère tomber plus bas. Jolie expression à mon sens mais qui malheureusement ne saurait s’appliquer à notre cas.
Qu’on en juge: nous avons fui la douceur de mon appartement voici quelques semaines à peine, trouvé un abri précaire à Copenhague puis Vienne, deux villes charmantes camouflées sous des palmiers, rizières, temples et fruits tropicaux, recherché Bangkok dont nous savons qu’elle pourra accueillir les réfugiés que nous sommes, avons largué les amarres des sept baignoires récupérées dans des villages lacustres autrichiens, sommes partis vers Arezzo pour y déclarer l’indépendance de la chapelle de Piero Della Francesca, avons successivement perdu toutes nos embarcations quelque part au-dessus des Alpes, au beau milieu de la mer d’Autriche, avons été rejeté par les navires officiels, avons trouvé un refuge que nous pensions ultime dans la bouche béante et froide de notre ami réfrigérateur et sommes maintenant tous les sept dans l’eau de mer sans la moindre parcelle d’espoir encore discernable dans nos esprits moites et froids.
Pas un brin de bois ou morceau de table pour jouer le Titanic de Cameron, même plus possible de jouer les Géricault sur notre frigo de la Méduse, non, plus rien. Maria m’a regardé avec son doux regard confiant et optimiste et me caressant les cheveux m’a dit que la situation ne pouvait guère dégénérer davantage.
Le grille-pain existentialiste installé tant bien que mal sur la tête du Yéti anarchiste s’est contenté de remarquer : c’est le propre des vivants de terminer la boucle de leur vie ridicule et sans but aussi niaisement qu’il l’avait commencée. Le seul et unique souci de nos confrères et soeurs qui se noient dans le tourment de leur vie médiocre pour ne surtout pas se confronter à ce vide affreux est de savoir est quand viendra cette heure fatale. Pour nous, pas de contrariété à cet égard, nous le savons, c’est ici et maintenant. Au moins, ce souci nous est épargné. A chacun de se mettre en règle avec lui ou elle-même.
Il aurait continué encore un certain temps si l’extincteur ne lui avait demandé posément mais fermement d’éviter ce genre de propos à ce moment si dramatique.
Le réfrigérateur dont la partie congélateur seule flottait encore a opiné ce qui lui restait de chef et s’est exprimé plus directement en tentant de lui claquer une porte sur la tête ce qui n’a pas amélioré sa situation.
Le Yéti anarchiste a souri en tapotant son copain grille-pain en faisant remarquer : qu’au moins nous ne sommes plus soumis à la moindre tyrannie, directe ou non, explicite ou non, de quelque conglomérat que ce soit, plus de ploutocratie, nous sommes libres et devrions profiter de ces moments-là. Après tout la mer d’Autriche est bien plus chaude que je ne m’y attendais et nous flottons remarquablement bien. Alors, parlons encore un peu de ces fêtes d’antan. Je vous ai dit ce que j’en pensais et ce que je ferais lorsque je serai devenu Pape et lui là-bas (NDLA : c’est-à-dire moi) Roi d’Islande. Ecoutons ceux qui ne se sont pas encore exprimés. L’extincteur, tu veux nous en dire un mot ?
(NDLR : en temps normal nous répéterions notre commentaire habituel sur l’interdiction de la publicité clandestine mais ne le ferons pas, après tout les royalties des cadavres perdus en mer doivent probablement revenir à la société, autant qu’ils en profitent encore un peu. Nous sommes bons ! N’est-ce pas ?)
L’extincteur qui éprouvait des difficultés considérables à se maintenir à flot en remuant la buse que d’habitude il utilisait pour projeter du liquide sur les objets brûlants mais en l’occurrence lui servait à éviter que le liquide ne parvienne à son front fort chaud obtempéra mais télégraphiquement.
Je vous sers ses propos un brin retouchés pour que vous puissiez mieux les appréhender : Pas grand-chose à dire, je suis fort ancien, né voici des lustres de l’union, légitime celle-ci, désolé cher grille-pain, entre un télégraphe sans fil dont le grand père avait servi sous Marconi à Salvan et une ampoule à filament de carbone. Portés sur l’assistance à autrui humain, ayant à cœur de servir les désespérés, ils ont très tôt choisi mon avenir, car c’est ainsi qu’on faisait dans les temps jadis, et m’ont porté sur les fonts baptismaux comme extincteur à pression permanente.
Je vous l’ai dit antérieurement, mes meilleurs souvenirs sont ceux des fêtes d’antan, Noël, Pâques, Ascension et autres jours fastes s’il en est où les humains s’empressent de brûler leur cheminée, incendier leurs sapins, calciner leurs dindes ou lièvres et j’en passe et des meilleurs. Il y a cinq ans, j’ai sauvé un individu à la réputation douteuse qui pour faire passer ses tendances alcooliques et violentes se déguisait chaque année en Père Noël pour sa fille qu’autrement il battait copieusement. Il s’était mis en tête grisé comme il était de s’introduire chez lui par la cheminée, est resté coincé dedans et s’est mis à brûler tel un gigot que l’on cuit mais à la différence qu’il criait comme un pauvre porcin que l’on égorge.
Pour une fois j’ai songé ne pas intervenir mais voyant sa fille pleurer et songeant qu’il était injuste qu’un tel être ne finisse victime et martyr dans l’imaginaire de sa fille, je l’ai sauvé. J’ai attendu que ses parties charnues soient définitivement hors d’usage – je craignais fort pour l’avenir de cette petite fille – et ai finalement éteint le feu, l’ai repoussé sur le toit grâce à ma buse non volante et à cet endroit précis, loin de tout autre humain, je l’ai définitivement sorti d’affaire.
Lorsqu’il a fini de reprendre ses esprits il a recommencé à hurler pour se plaindre de la perte d’êtres chers ce à quoi j’ai mis une fin immédiate en lui disant que s’il levait encore une fois la main sur sa fille c’est le haut de son corps qui serait détruit.
Il m’a regardé avec une frayeur d’un degré fort impressionnant puis s’est tu. Il n’a plus jamais parlé, plus jamais levé la main sur sa fille, sur qui que ce soit, et est demeuré un brave et bon légume dans son lit douillet ou sa chaise en paille regardant par la fenêtre le temps qui passe et corrigeant les devoirs de sa fille en souriant. Un bon souvenir…
Les trois pingouins ont esquissé une larme puis ont dit en chœur qu’il s’agissait effectivement d’une belle histoire mais qu’il aurait dû achever l’imbécile sur le toit puisque d’évidence il ignorait tout de Piero della Francesca qui était un être très doux.
Je n’ai rien dit et tout en regardant l’univers dans les yeux de Maria me suis contenté de continuer à nager.