D’une étrange rencontre et de ses conséquences
Je dois admettre qu’il m’est arrivé une bien étrange chose aujourd’hui, une chose si bizarre que si cette chronique elle-même ne l’était pas déjà à maints égards on pourrait la considérer comme un brin surréaliste.
De fait, cela a commencé la semaine dernière lorsque j’ai fait la connaissance d’une serveuse du restaurant d’en face, le fameux Prince des Galères un deux étoiles par le cousin de la patronne, lui-même astronome à la cour du prince régent. Nous avons eu l’occasion d’échanger deux ou trois mots en nous croisant dans la rue, guère plus, deux ou trois car d’une part le temps nous manquait et d’autre part elle est suisse alémanique et parle une langue que je ne comprends pas même lorsqu’elle s’exprime en anglais, la réciproque semblant visiblement similaire. Elle est très sympathique et je dois l’admettre fort jolie. Elle est manifestement fort croyante et pratiquante, une croix en or pendant constamment sur son fort agréable pull-over en cachemire que je regarde souvent pour la beauté des dessins géométriques qui y sont représentés.
Aujourd’hui, je me suis décidé à l’inviter à prendre un café chez moi pour profiter de la vue sur la montagne, la mer et les étoiles, au choix, selon sa convenance. Elle m’y a rejoint avec son accent fort intéressant et un sourire à faire pendre le plus saint des saints. Nous avons conversé longuement, elle en allemand et moi en français, elle beaucoup moi peu, et avons souri bêtement plus de temps qu’il n’en fallait pour que la lune tourne trois fois autour de la cathédrale qui a bêtement trouvé intéressant de jongler avec ce satellite, aujourd’hui, maintenant, en ce moment, un comportement fort peu élégant je dois dire.
Bref, elle a parlé de choses et autres liées entre elles par des mots que je ne comprenais et par moments j’ai cru entendre le mot ‘saint’ quelque chose et j’ai souri niaisement en lui disant ‘athée’, car telle est ma religion. A chaque fois elle a souri en montrant sa tasse qui était encore pleine et je lui ai dit ‘santé’ et là elle n’a pas compris grand-chose mais a continué de sourire et moi aussi. Puis elle est partie et moi je suis resté… ou peut-être l’inverse, allez savoir car je n’ai plus rien vu, entendu ou dit dans les heures qui ont suivi.
Le problème est que mes co-locataires ont peu apprécié cette visite, pas du tout, absolument pas, vraiment pas, et respectivement. Le Yéti anarchiste a dit en substance que la révolution ne pourrait être accomplie avec un bourgeois qui s’entichait d’une jeune femme aux tendances politiques et philosophiques extrêmes. Le grille-pain, le réfrigérateur et l’extincteur se sont considérés particulièrement floués en me faisant remarquer que ma visiteuse était humaine, un comble ou alors une farce de bien mauvais goût m’ont-ils dit avec haussement d’épaules et claquement de portes à l’appui. Quant aux pingouins à lunettes roses ils m’ont fait remarqué que durant ma conversation fort sympathique avec un humain de sexe féminin aux jambes longues et la chevelure sans plume je n’avais pas fourni de l’effort visant à parler de Piero della Francesca, une ignominie si l’on songeait à la qualité picturale du songe de Constantin ou de l’Annonciation, des symboles qu’aurait sans doute appréciée la jeune nymphe au regard vitreux et au sourire sans bec.
Je n’ai rien dit songeant qu’il y avait probablement un peu de jalousie de leur part. Mais ceci a pris un tour surprenant lorsqu’ils se sont présentés solennellement avec leur chapeau à la main en me disant d’une seule voix : ce sera elle ou nous. Tu as une journée pour choisir. Et ils sont partis se promener dans la pluie et la boue.
Je ne sais pas vraiment que faire à ce stade mais je dois admettre une chose un peu particulière, ne m’en veuillez pas s’il vous plait, mais je suis si content dans mon appartement désert et sans bruit que je vais d’abord profiter de cette solitude avant de réfléchir plus avant. Du silence naîtra probablement la réflexion puis l’action puis la réaction puis je ne sais trop quoi. On verra.