De la nécessite d’une fuite et des conséquences qui s’en suivent forcement
La situation est de plus en plus chaotique comme vous avez malheureusement pu vous en rendre compte par vous-même.
Les autorités ont agi avec une grande célérité, je dois en convenir et en application de dispositions légales dont j’ignore l’exacte délinéation ont exigé que nous cessions d’inonder la toile de nos chroniques habituelles et contribuer ainsi à disséminer des informations dites infiables selon la lettre c) de la circulaire sur la nécessaire infaillibilité des nouvelles fraîches ou rances à plus de 432.089 personnes au titre du sous paragraphe 8 de ladite lettre.
Les individus masqués ayant il y a peu tenté de s’introduire dans mon humble logis avant d’être roués de coups par mes amis ont cédé la place à d’autres moins naïfs et bien plus retors. Ceux-ci se sont introduits dans la salle à manger par le conduit de la cheminée que les pingouins roses avaient patiemment nettoyé. Ils se sont rendus maître des lieux en deux temps, trois mouvements et quatre casseroles, puisque c’est le nombre de tels outils qu’ils ont utilisé pour frapper nos intellects de révélations étoilées.
Ceci explique cela. Nous avons dû obtempérer, nous n’avions pas le choix et comme nous sortions d’une crise interne relativement sérieuse nous n’avons pas immédiatement pris la mesure de la menace que cette intrusion représentait. Certains ont décidé de coopérer avant de se rétracter tandis que d’autres se sont tenus à l’écart de toute collaboration illusoire. Mais, bientôt, nous nous sommes retrouvés sur une même longueur d’onde et largeur d’esprit et avons pris la disposition qui s’imposait : nous nous sommes enfuis.
Nous avons quitté mon logement à trois heures trois minutes et trente-trois secondes, question de principe car ils étaient trois et nous étions 9, tout cela convenait fort bien. Ils dormaient dans les chambres qu’ils avaient réquisitionnées. Nous sommes partis sur la pointe de mes pieds car hormis ma charmante et nouvelle campagne alémanique dont j’ignore le nom mais soupçonne que le prénom est Maria ou Anna les autres n’ont pas de tels appendices, surtout pas le grille-pain qui en dépit de son mutisme absolue ne semble pas en mesure de certifier le contraire, CQFD.
Nous sommes partis en ville, l’un derrière l’autre, en longue file indienne par ma mère et papou par le Yéti anarchiste, et nous sommes dirigés vers le lieu d’où nous écrivons ces lignes, c’est-à-dire le local technique du parking souterrain de Surplus-les-Gonettes, sis en plein air, mais dont la partie fonctionnelle et électrique se trouve dans une maisonnette de huit mètres sur quatre sur deux qui correspond au rapport précis qu’utilisait les architectes de la civilisation de l’Indus lorsqu’ils cuisaient leurs briques, un parfaitement bon présage selon les pingouins aux lunettes roses qui connaissent pourtant peu de choses au-delà de la chapelle d’Arezzo.
L’endroit est chaud, de par la présence de centaines de circuits électriques en parallèle, série ou pattes d’éléphants et nous bénéficions naturellement de la protection des fusibles et bornes électriques.
Nous avons envisagé l’avenir mais nul n’a réussi à déterminer ce qu’il sera. Par contre, l’extincteur et le Yéti anarchiste se sont un brin affrontés, verbalement s’entend, par fatigue plus que par illusion ou violence renfermée, au sujet de la couleur de l’extincteur, rouge a dit le Yéti, rouge ? pourquoi rouge ? pourquoi cette couleur d’inspiration bourgeoise socialiste, pourquoi se référer au passé, des périodes qui ont visiblement été se faire voir par les papous du haut comme du bas, pourquoi ne pas opter pour la couleur du moment, le gris-vert ?
Ce à quoi l’extincteur, paisible et courtois, comme à son habitude a fait remarquer que s’il n’éprouvait aucun problème envers le gris si ce n’est le souvenir de la suie, le vert était problématique à bien des égards, c’était en effet la couleur des feuillage, des petites herbes dans le vent, des champs et des prés, petite musique de Bruckner en prime, voire Schubert, ou les deux, mais pas celle du feu. Or, lui, était là pour éteindre ces derniers et l’un imposait donc l’autre. C’était ainsi et pas autrement. Pas de choix autre que celui-ci, d’ailleurs lui l’extincteur n’en avait jamais eu aucun. Sur ce, il s’est mis à verser une larme, à crier à la fuite et s’est senti très mal.
Nous l’avons consolé. Le Yéti anarchiste s’est repris et lui a dit de ne pas trop s’en faire que demain il le peindrait en noir s’il le souhaitait et qu’entre-temps tout irait mieux. Et nous avons fait de même.
La nuit est ronde et la lune noire ou l’inverse et je dors auprès de mes amis, y compris une certaine Maria, Anna ou Léona, je ne sais pas, et je vois dans le plafond des étincelles qui me rappelle le bruit des étoiles lorsqu’elles se couchent.