Chronique – 37


De la longue marche, du striptease du grille-pain, de Brecht, des autres aussi et de moi qui m’y perd  

Les choses ne se passent jamais très exactement comme on le souhaiterait.

En ce moment, par exemple, nous devrions être en train d’identifier des volontaires pour nous permettre de relier Vienne à Bangkok en saute-mouton et nous devrions nous attacher à cette quête avec ferveur et dévotion tant le nombre d’assistants pour cette longue marche paraît important. Pourtant ce n’est pas notre priorité. Pas le moins du monde.

Nous sommes au contraire astreint à une autre quête, parallèle à la première, la révolte des grille-pains, leur émancipation, la révolution non pas de velours, des tulipes ou que sais-je d’autre, mais bel et bien celle des toasteurs. La révolution des toasteurs ! Voici ce que nous sommes en train d’annoncer en monstrueuses vocalises au monde entier, à tout le moins aux autrichiens qui nous regardent passer le long de leurs rizières.

J’ai compté pas moins de 212 grille-pains, 13 gaufriers, 53 cafetières, 25 sorbetières, 12 casseroles, 753 woks, et d’autres instruments, certains électriques, d’autres non, indéterminés ou inclassables.

Allez savoir pourquoi, je fais partie du petit troupeau des poursuivants ou suivistes ou dieu sait qui ou quoi qui les encourage en scandant je ne sais trop quelle ritournelle imbécile inventée par une autruche volante, dite marmotte gracieuse, que les grille-pains soient et le vert-de-gris disparaisse, que les toasts se muent et les sapins jaunissent, que les grilles s’affaissent et les fraises aussi.

Je n’y comprends rien et si je n’étais en train de profiter de ces moments très particuliers et intenses pour serrer dans ma main gauche la droite de Maria, ressentant jusqu’au plus profond de mon être la chaleur et la douceur de cet être chéri des dieux et de moi-même je crois que je fuirais immédiatement cette procession ridicule pour faire quelque chose de censé et d’utile, remplir un formulaire dans une poste du douzième arrondissement de Vienne ouest, poinçonner des lilas, chanter dans le métro de Copenhague, lisser les cheveux des filles aux cheveux frisés et friser ceux des garçons aux pantalons longs, réunir des administrateurs pour les faire chanter en chœur des refrains et cantiques de bonne gestion du personnel, des fonds, des programmes et des moyens sans fin particulière si ce n’est d’avoir le plaisir de nourrir les estomacs galactiquement affamés de pauvres consultants sans le sou et sans le moindre début de commencement d’affinité avec la cause qu’ils sont amenés à défendre, superficiellement s’entend, bref je ferais quelque chose d’utile.

Mais là, j’ignore pourquoi je me promène derrière une longue cohorte de grille-pains et autres instruments ridicules portant pancartes et panneaux exigeant l’attention de leurs oppresseurs, demandant la satisfaction de leurs besoins les plus rudimentaires, souhaitant la reconnaissance de leur existence, leur émancipation, leur libération le tout sous les encouragements de drôles de personnages dont on pourrait croire, faussement naturellement, qu’ils sont tout entier sortis de l’imagination de je ne sais quel esprit ridicule et dé-cartésianisé pour autant que ceci se dise ainsi, à savoir un yéti anarchiste, une autruche volante, trois pingouins aux lunettes roses, un réfrigérateur et un extincteur.

Toutes et tous avancent car cela est absolument et totalement nécessaire, il n’y a pas le choix, c’est ainsi, c’est écrit et marqué au fer rouge sur le front des humains et de leurs congénères sacrés, c’est résumé dans marcher, encore, toujours, un recueil de nouvelles dont on ne saurait vanter le caractère intéressant et pas cher pour trois sous.

(NDLR là on en a marre, déjà que ce chroniqueur se perd dans ses propres histoires de grille pains de cinq sous, Brecht n’en voudrait pas le moins du monde, mais en plus il en profite pour vanter ses propres histoires à la noix qui n’intéressent de toutes les manières personnes, non mais franchement faut vraiment oser, tout cela en infraction des dispositions réglementaires, tartinées, rudimentaires et légales telles que visées et nian nian nian dans la loi pluridisciplinaire 654/hgt/u du trois neuvième d’avant l’après le tout pour satisfaire libertés, bagatelles, ritournelles et béchamel, et surtout le bien-être, les libertés fondamentales et le thé dansant des humains fatigués, non mais, stop !)

Bref, je suis tout ce petit monde mais nul ne sait où nous nous dirigeons.

J’ai bien tenté de leur faire comprendre que manifester contre un oppresseur demandait, exigeait devrais-je dire, au minimum de connaître le nom, l’adresse et la fonction de celui-ci mais là, basta, le Yéti a dit que l’oppresseur était philanthrope et l’opprimé partout et qu’il suffisait donc de marcher dans une direction pour finir par heurter les autres et au bout du chemin de la suffisance l’un. Dont acte, tout le monde est parti, Maria aussi et donc moi avec.

Finalement, des dizaines d’instruments se sont joints à nous, je l’ai dit et maintenant nous avançons sans vraiment savoir où, ni pour combien de temps.

Naturellement, nous allons au-devant de grands ennuis, surtout depuis que le grille-pain existentialiste, notre ami, a débuté un lent et mélodieux striptease commençant par jeter la languette qui généralement sert à retenir les morceaux de pain en criant que les miettes cessent puis le fil électrique en scandant que la laisse nous laisse puis en dernier lieu les résistances métalliques en hurlant que les grilles s’abaissent et notre souffrance cesse, que le souvenir des tortures infligées disparaissent, halte à l’oppression. Les gaufreurs ont suivi puis tous les autres et c’est maintenant une file ininterrompue d’engins et mécanismes nudistes qui avance vers je ne sais quel palais doré, tout cela alors que nous pourrions bien plus utilement chercher des humains comme moutons dans une démarche véritablement avantageuse et sérieuse nous conduisant vers Bangkok.

Basta… il me reste la douce main de Maria et après tout c’est certainement l’essentiel. Le reste d’ailleurs a-t-il le moindre début d’importance, la vie et tout cela, si le but n’est pas le sourire de Maria, qu’est-il donc ?

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4 commentaires sur « Chronique – 37 »

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