Chronique – 41


De Hubble et Friedmann, des Noëls d’une autruche volante et du rétrécissement de l’espace-temps et du nombre de baignoires   

Je dois admettre que la théorie d’Hubble corroborée par Friedmann et autres selon laquelle l’univers est en expansion continuelle et les tentatives d’Hawkins de réconcilier les différentes théories physiques, applicables à l’infiniment grand et l’infiniment petit, se heurtent à un obstacle de taille qui doit rendre leur travail complexe et ardu, à savoir que notre vie quotidienne elle, passée les années d’enfance durant lesquelles soyons francs ces théories-là on s’en fiche, nous confronte à une réalité exactement inverse, notre monde ne cesse, l’âge et l’expérience aidant, de se réduire et ce d’autant que l’on s’éloigne du point bêta marquant le début de notre démarche introspective.

Prenez un exemple au hasard, notre fuite de Vienne en baignoires pour nous rendre à une utopique cité d’Arezzo et déclarer l’indépendance des fresques de Pierro della Francesca, et bien nous avons quitté le port de Vienne à l’embouchure du Danube, au milieu des rizières, des palmiers et des orchidées, à bord de très exactement 7 baignoires, une pour chaque membre de notre groupe et nous sommes ce matin réduit à deux embarcations, une baignoire et un réfrigérateur qui, réalisant son imperméabilité – un coming-out fort intéressant et utile au milieu de l’océan – s’est gentiment proposé d’accueillir certains d’entre nous en son sein, la porte ouverte ce qui naturellement confère un brin plus d’espace et ne pose de problèmes ni aux écologistes – car il n’est pas branché – ni aux hygiénistes – car il n’y a pas de nourriture dedans à moins de considérer comme tel un Yéti anarchiste endormi la plus grande partie de la journée.

Pour ma part, je me trouve sur la dernière baignoire en compagnie de l’extincteur et de Maria, ce qui ne me déplait guère et me permet, le confinement aidant, de frôler parfois son bras, ses cheveux ou ses jambes ce qui me transporte au bout de la galaxie à une vitesse qui je pense est largement supérieure à la vitesse de la lumière, une autre problématique à laquelle les physiciens auront la gentillesse de bien vouloir réfléchir en temps opportun.

Les pingouins aux lunettes roses alternent entre notre embarcation, l’épiderme de la mer et le réfrigérateur tout en s’interrogeant toutes les dix-sept minutes sur la proximité d’Arezzo et vantant inlassablement les fresques de Piero.

Quant au grille-pain existentialiste vous ne serez pas étonné de le trouver sur les genoux de Maria et d’en profiter à satiété avec son regard naïf de celui à qui on donnerait le bon dieu en confession.

Reste l’autruche volante qui repose sur l’eau et sur le dos, parce que cela rime, avec la tête sur mon épaule et les jambes sur le réfrigérateur.

C’était à elle aujourd’hui de nous parler de ses fêtes d’enfance et voici ce qu’elle a bien voulu nous dire : « A vrai dire nous n’avions pas de célébration les jours de Toussaint ou Noël ou à n’importe quel autre moment car à vrai dire on me cachait tout le temps. Mes parents, des autruches dites normales, c’est-à-dire qui ne volaient pas, m’avaient conçu un jour de Pâques et peut-être est-ce la raison pour laquelle je me suis trouvé ainsi affublé de ces appendices plus grands que d’habitude et en état de voler jusqu’à Rome si le besoin s’en faisat sentir ce que mes frères et sœurs commentaient en riant en disant qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’une cloche née à Pâques soit pourvue de ce moyen de locomotion.

 

Mes frères et sœurs ont pénétré le domaine de la normalité avec une grande jouissance, je suis resté près de mes parents. On me cachait, on me faisait revêtir un pull à longues manches avec un numéro et un nom d’un joueur de football talentueux sur le dos pour expliquer je présume ma petite tête et on me demandait de me tenir coi.

 

Lorsqu’une tante venait pour le thé, j’étais supposé jouer au piano et réciter une poésie apprise par cœur. Cependant, comme nos livres étaient en nombre limité et que je n’avais pas le droit de sortir en acheter d’autres, je me suis très tôt laissé prendre par le génie de la poésie, la muse des arts, et me suis mis à conter mes propres histoires, mes textes, mes mots à moi.

 

Mes parents désireux de conférer un sens à ma vie d’autruche volante confinée dans un espace réduit ont vanté mes prodiges et qualités, ce qui je crois était excessif et de ce fait les tantes, oncles, cousins et cousines de tout bord, y compris des buses, émeus, vautours et colibris, se sont aventurés près de chez nous pour écouter mes mots et supposer l’existence d’autres maux plus puissants, puisque par définition j’étais seul auprès de mes parents.

 

La situation de ceux-ci a dégénéré les rumeurs se propageant très vite. On a supposé mille choses, y compris des vexations, brimades ou violence de la part de mes pauvres parents pourtant si gentils. Je ne l’ai pas supporté, j’ai trouvé cela si injuste, dépourvu du moindre début de raison et ai décidé ainsi un matin d’ascension de quitter mes parents pour ne plus être un poids si lourd à porter.

 

Nous nous sommes longuement embrassés puis je suis parti d’abord sur un fil téléphonique qui soit dit en passant s’est effondré sous mon poids, puis sur un toit qui en a fait de même et enfin sur un baobab qui lui n’a rien fait car il dormait.

 

Je reviens chaque année voir mes parents et ils sont forts heureux de me voir mener une vie à peu près normale même s’ils ne supposent pas que je vis avec deux humains et des drôles de personnages tels que vous. Voilà mon histoire, rien de plus banal. »

Le Yéti qui s’était réveillé en entendant l’histoire de l’autruche volante, dite marmotte gracieuse, s’est emportée contre toutes les hypocrisies du monde, la stupidité de la normalité, le poids des convenances et la tristesse de nos vies. Le grille-pain a simplement opiné du chef tandis que moi, je me suis hasardé à commenter que ceci démontrait que finalement l’humain n’était pas le seul vivant à se comporter de manière ridicule, stéréotypé et suiviste.

Pour adoucir l’atmosphère et permettre à l’autruche à se recomposer et se reconstruire après l’évocation de ce triste passé nous lui avons demandé de clamer un de ses poèmes incompréhensibles, nous vous le laissons en prime de Pentecôte :

Que les esprits retombent et les soufflés avec, le vent n’est rien de mauvais si ce n’est dans nos têtes, le Mirabeau des ponts coule sous la Seine, et le couvercle sur l’horizon pèse, tandis que je blanchis la campagne à l’aube qui elle ne demeure pas sans moi très longtemps, la cormoran aussi et la frégate non plus, les larmes coulent car le fard aussi de loin étend ses lumières intermittentes, nous pleurons, car le monde est bon, avec un c, et moi qui ai un long cou, je suis douce, aussi.   

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