Chronique – 45


De la nécessité de creuser encore et toujours car sous le sable il peut y avoir un trésor, une chapelle ou du sable

Les choses ne sont jamais immuables, elles évoluent lentement, délicatement, tranquillement, à la vitesse de sédimentation des âmes et sentiments, tel un groupe d’amis perdus en Mer d’Autriche marchant sur un banc de sable durant des heures, levant une jambe la reposant puis levant l’autre et ainsi de suite, avec la gorge sèche et l’esprit perdu dans de lointaines rêveries, soupesant chaque pesant d’énergie perdu dans cet exercice sans fin, pour finir par atteindre un promontoire rocheux perclus dans une gangue sablonneuse émergeant avec peine d’environ trente centimètres au-dessus des flots turquoise, une surface de quelques centaine de mètres carrés, des récifs qui d’évidence restent émergés comme en témoignent des lichens et algues coincés à leur naissance et quelques branches séchées.

Nous sommes restés allongés tant bien que mal sur ce sol irrégulier et peu confortable mais avons enfin ressenti avec une forme de plénitude la fin d’un long périple engagé il y a quelques jours, semaines ou siècles dans la périphérie de Vienne, à l’embouchure du Danube, au milieu des rizières et des temples d’or, à la recherche de la lointaine Arezzo et sa chapelle de Piero della Francesca pour y décréter son indépendance et nous enfuir à son bord vers Bangkok.

Tout ceci est du passé, enfoui dans la poussière qui sous nos pieds a fait pousser un océan chaud et doux recouvrant entièrement monts et vallées Alpines.

Nous sommes sereins et enfin soulagés. Certes, de grands problèmes, d’innombrables difficultés devront être surmontés mais nous n’aurons plus à lutter contre une possible noyade. De surcroît, tout à l’heure, à l’heure où la campagne ailleurs blanchissait, le Yéti anarchiste nous a indiqué qu’il n’avait plus faim, qu’il se convertissait en végétalien irrépressible et convaincu et que nul d’entre nous, surtout l’humain masculin, son cousin, c’est-à-dire moi, ne devait se sentir menacé, il ne mangerait dorénavant plus que des bouts de bois et des feuilles ou algues, tel le Grand Yéti Bleu dans une longue quête légendaire dont le récit nous a été heureusement épargné, n’en déplaise au grille-pain existentialiste et dépressif qui aurait souhaité connaître les tenants et aboutissants de cette quête assimilée par lui à une démarche Kierkegaardienne traditionnelle.

Soulagés sur ces deux points, c’est-à-dire la possible noyade en Mer d’Autriche et la fin inévitable sous les crocs acerbes et fins d’un Yéti gourmand mais point gourmet, je me suis installé auprès de Maria la belle, au regard si profond que des océans s’y sont perdu et lui ai demandé si je pouvais poser ma tête sur ses genoux pour me reposer enfin. Elle a acquiescé. Je me suis assoupi et ai somnolé ainsi tout près des nuages, des astres et de lumière infinie et finale, s’il en est une. Je n’ai entendu que de loin les propos ci-dessous que je rapporte à fin de résumé exhaustif et cohérent d’une marche, pèlerinage ou fuite particulière qui peut-être pourrait vous interpeller et dont vous souhaiteriez pouvoir disposer des détails les plus anodins mais révélateurs. Voici un dialogue dont la profondeur m’échappe et la nécessité de le rapporter également mais je vous dois, chers lecteurs et chères lectrices une parfaite honnêteté dans ma démarche.

Autruche volante : Où nous trouvons nous ? En Autriche, Italie ou ailleurs ? Je n’ai pas souvenir d’avoir vu ces lieux en les survolant dans mes migrations biannuelles.

Pingouins amateurs de Piero della Francesca : Si on exclue l’absence d’iceberg, de banquise, de neige, de glace, de vent glacial, d’aurores boréales, d’eau noire et de fonds rocailleux, de collines et glaciers, de ruisseaux d’eau turquoise se déversant dans des cavités glacées, nous pourrions nous trouver au Groenland. Nous aimons bien le Groenland.

Extincteur sage et réfléchi : Soyons logique, nous avons quitté Vienne et nous dirigions vers l’Italie. Nous avons sombré au milieu de notre trajet. Nous devrions nous trouver au nord de l’Italie. Il est cependant étrange que ce rocher qui pourrait être le sommet émergé d’une aiguiller rocheuse ne soit pas recouvert de neige. Il est également étrange de nous trouver dans un environnement aussi chaud. Ceci ne peut s’expliquer que dans deux cas particuliers : Soit le changement climatique a été assez brusque et les eaux très chaudes ont envahi les vallées Alpines sans que nul ne s’en rende compte, soit il n’y a pas eu de tel bouleversement et nous nous trouvons ailleurs. Nous pourrions alors considérer que nous ne trouvions pas à Vienne lors de notre départ ce qui expliquerait cette curieuse tradition d’avoir des églises en forme de temples bouddhiques.

Réfrigérateur colérique : N’importe quoi… Vous dites n’importe quoi. Soyons honnêtes et précis, réfléchis et analytiques. Nous nous trouvons sur des hauts fonds ou basses eaux. Probablement l’humain aura-t-il déposé tant et plus de déchets dans ses eaux que le fond s’en sera trouvé totalement empli et pour cacher l’ampleur de ses turpitudes aura-t-il recouvert le tout avec des tonnes de sable importées à grand prix du Sahara. Un nouveau marché doit avoir été créé artificiellement par de richissimes philanthropes ayant trouvé ainsi de nouvelles débouchées pour surmonter une crise économique par ailleurs assez dévastatrice. Nous sommes donc, à mon avis, au large de Trieste. Pas le moindre doute. C’est ainsi.

Pingouins : Mais on se fiche comme d’une guigne et d’un crapaud maudit de Trieste. Ce qu’on veut c’est Arezzo. Le reste, ce n’est pas notre problème. Et si la chapelle se trouvait sous ces rochers, hein ? Ces imbéciles d’humains pourraient l’avoir camouflée ainsi pour que nous ne la trouvions pas et ne puissions déclarer son indépendance et fuir avec elle vers Bangkok.

Grille-pain existentialiste et anorexique : Après tout, qu’avons-nous à faire de tout ceci ? Que nous importe où nous nous trouvons. L’important est l’amitié qui nous lie. Le reste n’a que peu d’importance. L’heure de notre mort approche inexorablement alors que nous finissions ici et maintenant ou ailleurs et plus tard, tout cela n’a aucune importance. Ce qui compte c’est la force de notre groupe.

Autruche volante et flottante : Moi ce qui m’importe c’est de continuer la route. Je suis content que pour une fois quelqu’un m’écoute et me considère. D’habitude, nul ne me voit ou ne me reconnaît. Avec vous au moins j’ai le sentiment d’exister. Donc, je suis contente.

Pingouins : C’est dit, la chapelle est sous ces rochers. Nous allons creuser. Yéti, tu nous aides ?

Yéti : Pourquoi ?

Pingouins : Ca ou autre chose, cela n’a guère d’importance, non ? Alors creuse et tais-toi. Ton Grand Yéti Bleu est peut-être en dessous en train d’écrire l’histoire des Yéti en profitant de la vision du plus grand chef d’œuvre imaginable. Alors creuse.

Yéti : Dans ce cas, creusons ! Vous aussi, les fainéants, creusez !

Et tous se sont mis à creuser sauf Maria et moi car comme je leur ai dit tout à l’heure ne faites jamais confiance à un humain dieu sait quelle bêtise il pourrait commettre ou quel complot il pourrait organiser. Allez savoir, il pourrait décréter cette zone partie de sa zone économique exclusive, la bourrer d’armes nucléaires ou la faire pourrir avec des tonnes de fioul. Autant le faire entre vous. Si vous avez besoin d’un coup de main ou de pied, nous serons là mais pour l’heure, soyez autonomes. Si vous voyez Piero, appelez-nous !

Pour l’heure, ils creusent et moi je profite des yeux de Maria qui me regardent avec une douceur infinie. Je m’y perds et vous avec….

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