D’une déambulation viennoise, des fantômes du passé, de Malher, Zweig, Freud et quelques autres
Le destin est souvent cruel.
Partis de Copenhague puis de Vienne pour Bangkok via Arezzo à bord d’embarcations de fortune, nous avons dérivé des jours durant pour finalement échapper de peu à la noyade et nous échouer sur un banc de sable perdu au fin fond de la Mer d’Autriche.
Il ne nous aura fallu que quelques heures de zodiac pour revenir à notre point de départ, à savoir Vienne la douce à l’embouchure du Danube, au milieu de ses rizières, temples d’or, et marchés aux fleurs exotiques.
Nous avons retrouvé cette belle ville dont l’histoire se perd aux racines de l’Europe médiévale, mais avec un bémol : sillonnant les rues de cette capitale d’antan, nous n’y avons que très peu retrouvé l’atmosphère qui devait prévaloir sous Zweig, Mahler, Freud ou Schnitzler. Ceux-ci auraient bien du mal à s’y retrouver avec les tours immenses et majestueuses, le fleuve déambulant entre des habitations tumultueuses, des temples d’or, une population bigarrée à forte connotation asiatique, des contrastes époustouflants entre une vieille Europe confinée dans des musées, des bus à impériale, des maisons coloniales se confrontant à une cité multipolaire, exotique, parfumée et bouillonnante de vie et d’initiatives. Des temples hindous ou bouddhiques au pied de tours finement dessinées selon des principes que l’on pourrait croire hérités du Feng Shu si nous ne trouvions au centre de la civilisation européenne.
Nous avons recherché le château de Schönbrunn que nous n’avions pas trouvé lors de récente visite mais sommes restés bredouilles. Idem s’agissant de la cathédrale, du Hofburg, des maisons peintes par Hundertwasser ou de l’Opéra.
Qui plus est, ce sentiment de croissance exponentielle et exubérante s’est renforcé en constatant qu’en quelques jours à peine, le paysage s’est quelque peu déformé et éloigné de celui que nous avions entraperçu lorsque nous nous cachions dans une petite maison éloignée du centre.
La ville est cette fois-ci carrément calée sur la mer d’Autriche et le port est extrêmement actif. Une partie de la mégapole est maintenant fermement installée sur une île que nous n’avions pas notée alors et celle-ci s’est éloignée de l’autre rive. Le monde est mouvant, la réalité est fluctuante, les repères difformes et voilés.
Mozart se sentirait totalement perdu dans ce monde étrange. Pour ma part, je déambule dans ces rues que je ne reconnais pas, qui ont changé pour la plupart dans un environnement méconnaissable. Un peu comme si revenant dans mon appartement je le trouvais éclaté, les pièces ayant bougé et changé de perspectives, les meubles s’étant transformés et implosés en nouveaux objets semblables sur certains points mais différents sur d’autres, le couloir allongé, les chambres multipliées ou divisées, mais une certitude seule demeurant, voici mon chez moi, qui n’est plus le même.
Semblable au vivant qui évolue rapidement, cette belle ville de Vienne a explosé en quelques jours à peine. Tout aussi surprenant est le climat qui de continental et froid est passé à tropical.
Je ne cherche pas à comprendre plus que de mesure et marche dans ces rues délicieuses et parfumées, tonitruantes, universelles, la main dans celle de Maria qui depuis notre épopée marine s’est rapprochée de moi et souvent pose sa tête ravissante contre mon épaule ce qui me plonge dans un rêve mélodieux. Je porte dans un sac en paille de riz le grille-pain existentialiste et déprimé qui regarde du coin de sa grille les hauts des rues et n’est pas sans exprimer une certaine jalousie en nous voyant ainsi déambuler main dans la main.
Le Yéti, aimable depuis peu, lui a expliqué que l’ironie de sa situation devait lui plaire plus que le chagriner et tester ses introspections. Peut-être lui a-t-il dit trouveras tu enfin une quiétude propre à te rapprocher de la pensée de ton mentor, ce cher Kierkegaard, de ses angoisses, ses doutes, son ironie. Laisse ces deux humains patauger dans leur marasme et concentre-toi sur la plénitude de cette pensée. Retrouve tes racines et celles du vivant dans cette ville qui semble avoir perdu les siennes. Quant à moi laisse-moi chercher d’éventuels Yétis bleus qui pourraient s’y être perdu aussi.
C’est ainsi que le monde déroule ses avenues à l’issue incertaine devant nous.
Ailleurs dans la ville nos amis recherchent des indices qui pourraient les mener à la chapelle d’Arezzo où Piero della Francesca a peint ses plus belles fresques. Ainsi va la vie, dans un dédale parfois méconnaissable.
Et pour poursuivre la diffusion de publicités clandestines de degré 4 sur l’échelle de Plazmer-Dunant telle qu’envisagée par le décret 78 du 7 fructidor an 223 relatif à la liberté, aux droits et devoirs de l’individu heureux et dispos et tout le reste, et vous faire goûter aux joies des mondes oniriques et parallèles je vous rappelle que les chroniques des auteurs sont disponibles en libre chargement sur http://www.pelleteuse.la.rondeuse.cimenterie.et.co.com