Chronique – 60


De Kubrick, de Pirandello, de Kierkegaard, de la réincarnation, des grille-pains, réfrigérateurs et machines à gaz de nature diverse

Depuis le début de cette chronique je n’ai cessé de m’étonner des étonnantes circonvolutions du destin, des étranges aléas de notre quotidien, des sinuosités du présent qui est le nôtre. Aujourd’hui ne dérogera pas à cette règle immanente. Jugez-en donc par vous-même, ceci pourrait je crois susciter un brin d’intérêt de votre part et vous permettre de relativiser les aléas de vos propres vies et devenirs tout en me laissant déambuler tranquillement et sans fin dans les couloirs sombres du labyrinthe qui constitue mon quotidien.

Je vous ai décrit hier ces circonstances impalpables et incompréhensibles ayant conduit à l’explosion du grille-pain existentialiste et déprimé et par suite l’implosion du réfrigérateur colérique. Les circuits internes les plus intimes de nos amis se sont répandus sur le sol et en lieu et place de brillants et charmants amis, ne restaient que des traces désuètes, obsolètes et ridicules ne ressemblant en rien aux silhouettes rassurantes que nous avions l’habitude de côtoyer.

Nous avons passé la nuit dans ma cabine à pleurer nos amis. Nous n’avons pas vu les heures et minutes défiler perdus que nous étions dans cette contemplation intérieure de nos âmes tristes.

L’autruche volante, flottante et trébuchante a, par intermittences, scandé des sanglots longs et lents, des rengaines telles que : « il pleure des oranges à Saint-Pétersbourg, le ciel et la mer sont des aliments pour animaux béants, la vie et la joie sont des musiques sombres, nous irons, vous, je et moi aussi, crapauds et singes ne sont pas des alliages légers de fabrication chinoise » et j’en passe mais comme nous avons perdu l’habitude de songer à donner sens à ce qui n’en a visiblement pas nous l’avons laissée chanter et avons trouvé cela plutôt approprié car, après tout, la disparition de nos amis était pour le moins ridicule et sans aucune sorte de signification ou de sens.

Le surréel, l’irréel, l’incompréhensible et le totalement niaiseux sont parfois intimement liés. La nuit s’est écoulée ainsi, calmement, et au matin nous étions encore ainsi à nous lamenter et à pleurer le départ de nos amis.

Pendant ce temps, Maria a poursuivi sa noble tâche consistant à ne pas accepter l’inacceptable, à cartographier les pièces disjointes et éparpillées, à les regrouper, les sérier, les classer, les nettoyer, les réparer et finalement tenter de les recomposer.

Elle nous a expliqué ensuite qu’il y avait dans le monde deux catégories d’individus, la première, la plus nombreuse, qui s’hypnotisait à force de se lamenter de s’ébahir ou de s’endormir sur son propre supposé sort et la seconde, en voie de disparition, qui se rebellait et s’indignait tout en refusant de baisser les bras, d’abandonner, de se résigner, ou de se complaire d’une situation proprement inacceptable. Elle s’est tue mais nous en avons déduit que tandis qu’elle faisait irrémédiablement partie de cette dernière catégorie, notre appartenance à la première ne faisait guère de doute.

Puis, elle nous a ramené dans la chambre de nos chers disparus et au lieu des débris désastreux de la veille nous avons découvert deux étranges choses, à savoir une sorte de grille-pain jaune éblouissant incrusté dans un radiateur à portes et tuyaux. Nous sommes restés immobiles et interdits de nombreuses minutes, sans savoir ni comprendre ce qui se passait.

Maria a rompu non point le pain car elle ne souhaitait pas tester son œuvre mais le silence et a expliqué ce qui suit : « Voilà le travail. J’ai procédé aussi justement qu’il me paraissait possible de le faire. Des pièces ont irrémédiablement disparu. D’autres étaient très abîmées ou non attribuables. Je n’avais pas de guide ou de manuel et encore moins des assistants puisque vous étiez entièrement pris par vos accablements délirants. J’ai agi tandis que vous vous lamentiez. Le résultat n’est pas parfait mais voici le semblant d’une renaissance, un grille-pain réfrigérant. Par contre, je ne suis pas encore parvenu à mettre l’ensemble en marche, je ne suis pas Mary Shelley ».

Nous avons contemplé l’entremêlement de deux amis chers, une étrange chose, difficile de la nommer autrement. Elle ne ressemblait à rien.

Les pingouins ont regretté ce travail inutile et ont dit qu’il aurait mieux valu vendre les pièces détachées pour ensuite alimenter un fonds pour l’établissement à plus ou moins terme de la province indépendante d’Arezzo puis la proclamation de la république chapellaine de Piero della Francesca.

Le Yéti anarchiste n’a pas succombé à une crise de fous rires mais au contraire à des assauts de sanglots.

L’extincteur s’est contenté de dire « Pourquoi pas ? ». Quant à moi, j’ai murmuré « et maintenant ? ».

Maria a haussé les épaules en soupirant et disant « décidément ! il faut tout faire soi-même ! ». L’extincteur s’est repris et a suggéré de procéder à la manière du savant de Métropolis et d’user de force électrique mais Maria l’a interrompue.

« Le grille-pain a explosé et le réfrigérateur implosé. Nous procéderons donc de manière diamétralement opposée. Nous ferons imploser le grille-pain et exploser le réfrigérateur ». Elle a alors demandé au Yéti de se tenir prêt à sauter sur le grille-pain pour le faire imploser sous son poids. Quant à l’autruche elle lui a demandé de chanter sans interruption pour faire exploser de colère le réfrigérateur.

Dix minutes de chants parfaitement insupportables ont suivi et alors que nous étions tous prêts à jeter la pauvre autruche par la fenêtre, des vibrations se sont diffusées sur le corps livide du réfrigérateur pneumatique à portes et tuyaux.

Au signal de Maria qui a suivi le Yéti a sauté brusquement sur le grille-pain provoquant sont étouffement immédiat. Puis tout a cessé et après quelques secondes à peine, des voix se sont fait entendre, celles entremêlées de nos chers amis disparus.

Ils étaient de retour mais évidemment épuisés et, surtout, dans des corps différents des précédents. Il y avait eu une sorte de processus de réincarnation. Le grille-pain s’était transmuté en un radiateur miniature jaune et le réfrigérateur dans une machine à gaz, ronde et trépidante.

Nous souhaitions leur parler mais Maria a fait évacuer la cabine et ai restée seule avec eux pour qu’ils se reposent sans devoir supporter nos commentaires improductifs et épuisants.

Nous avons ainsi récupéré nos amis. Une résurrection mécanique. Deux réincarnations miraculeuses. Maria est certainement une sainte. Il faudra évaluer tout cela à tête reposée.

Pour l’heure nous avons décidé de procéder de manière calme et pondérer et tous, en chœur, nous sommes endormis. C’est de là que je vous écris ceci, à vous mes cher(e)s et fidèles lecteurs/trices.
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