De l’interruption brutale de nos tergiversations, de la réaction des uns et des autres en situation d’urgence, des propos d’une machine à gaz vaguement politicienne
Je vous écris ces lignes à la hâte. Je ne sais pas si elles vous parviendront. Je ne sais pas si ce que vous lirez correspondra à ce que j’ai écris. Mais je dois le faire. Sinon comment pourrez-vous savoir ? Comment pourrez-vous appréhender l’étrange retournement des tenants et bouleversement des aboutissants qui s’est produit aujourd’hui ?
Nous attendions que la réalité se dévoile, que la vérité laisse apparaître une parcelle d’elle-même, vêtue ou non, qu’après avoir laissé nos esprits se vider nous nous trouvions en mesure, enfin, de comparer nos notes mentales et de nous accorder sur ce qui s’était produit lors de ce trop fameux entretien avec ce couple en charge de cette étrange colonie sise aux abords d’une oasis, tel un vaisseau luxueux, à quelques kilomètres seulement d’une étendue immense et sans limite ou presque ayant été dévastée et détruite par le feu de la violence, de la mort, des viols, des destructions et des pires frayeurs.
Il est indéniable que cet homme et cette femme, sans âges, souriants et confiants, calmes et sereins, ne pouvaient pas ne pas savoir ce qui s’était passé dans ce lieu perdu, et qu’en conséquence de quoi nous devons l’avoir entendu de leur bouche, d’une manière ou d’une autre, nous savons mais nous ne nous rappelons pas, nous ne pouvons peut-être pas admettre l’inadmissible, mais à tout le moins nous désirons lever le voile, nous le devons à celles et ceux qui sont morts ou qui souffrent, à ce vieil homme qui nous l’a demandé en expirant sur le genoux de Maria.
Nous prenions notre petit-déjeuner lorsque des véhicules ont fait irruption dans la colonie émeraude à grande vitesse, se sont arrêtés à proximité de notre bungalow, ont déversé un nombre non négligeable de miliciens affublés de costumes guerriers et parés d’objets ne servant pas seulement de décoration chez des militaires d’occasion, et les ont laissés se lancer à l’assaut de notre petite chambrée.
Nous avons été surpris dans notre lent éveil dans cette antichambre du paradis ou de l’enfer, allez savoir les deux sont probablement pareils, et n’avons guère eu le temps de réfléchir.
Le Yéti anarchiste a hurlé quelque cri étrange issu du plus profond des entrailles du temps et des montagnes et s’est précipité sur les premiers intrus en leur lançant des objets de diverse nature. Les trois pingouins se sont enfuis en tenant leurs lunettes roses à la main et en disant par la foi de Saint Piero della Francesca ceci ne saurait se produire sans réaction de notre part, et pour que cela soit évident nous nous éclipsons ce qu’ils ont fait avec une parfaite dextérité en s’envolant avec force battements d’ailes.
L’autruche volante, flottante et trébuchante a souhaité faire de même mais s’est emmêlée les ailes et a décidé de courir à la manière d’un émeu désabusé en chantant : « je ne sais plus, moi non plus, c’est ainsi, je ne sais plus, pourquoi, pourquoi pas, alerte et pas, demain ou, deux degrés à droite et cinquante à gauche devant et derrière, bonjour » puis s’est écroulée à terre après avoir heurté la porte de la ferme adjacente. Elle a été immédiatement arrêtée en même temps que la machine à gaz rondouillarde et politicienne qui a tendu les tentacules lui servant de tuyaux lorsque le premier soldat ayant réussi à esquiver les coups du Yéti a fait irruption sur la véranda. Elle s’est exprimée solennellement disant : « je vous ai compris, l’expression de vos visage est de colère mais vos cœurs sont purs, ce pays est beau et vous ne supportez pas la violence, je le comprends bien, c’est ainsi, j’agirais de la même manière si j’étais parmi vous, l’un des vôtres, c’est pourquoi je ne souhaite qu’une chose, vous comprendre, et pour ce faire je me dois d’être libre de mes mouvements, observateurs privilégiés et amical, neutre et objectif. Entendons-nous bien mes frères, mes camarades, mes amis. » Elle n’a pas pu terminer sa phrase et s’est trouvée projeté au sol et lui aussi arrêté.
Quant à l’extincteur fort sage, comprenant que tout était perdu avant même que cela ne commence, il s’est simplement mué en extincteur tout court, silencieux et immobile, contre le mur, et on l’a laissé ainsi, pour solde de tout compte, mieux vaut qu’il soit à l’abri. Entre temps, le Yéti s’est trouvé immobilisé et embarqué dans un camion mal bâché.
Le radiateur jaune artiste multiforme et confronté à des délires fréquents dû à la juxtaposition de personnalités parallèles mais également perpendiculaires, s’est contenté de dire : « tout est fini, fort l’honneur. Mais non, cela ne peut pas se terminer ainsi. La ferme. Quoi ? Je te dis que les choses ne finissent jamais, ne commencent jamais, elles sont et c’est tout. Donc tu es. Moi aussi alors ? Pourquoi pas ? Au moins tu es d’accord ? Pas vraiment mais tout le monde s’en fiche non ? Pas Kierkegaard ! Qui c’est ce type ? » Mais les soldats n’ont pas réagi, ils ont probablement cru qu’il s’agissait d’une radio italienne ou française retransmettant une interview de quelques membres influents du gouvernement.
Maria était affolée. J’ai craint pour elle. Me remémorant les paysages souillés que nous avions traversés les jours précédents, je me suis précipité vers elle et l’ai camouflée aussi bien que j’ai pu le faire derrière le massif de verdure sur la terrasse puis, au moment où l’on arrêtait la machine rondouillarde je suis revenu dans la pièce centrale en criant : « cessez le feu. Nous nous rendons. Nous admettons tout. Nous signerons où vous voudrez les plus belles des confessions. Nous sommes humains après tout. Donc, le courage n’est pas nécessaire. Nous terminerons tous au paradis, même vous, alors ne gâchons pas notre plaisir. Nous sommes à vous. Et inversement, enfin je me comprends. Allons, cessons nos amusements. »
Ils m’ont jeté quelque chose sur la tête et ce n’est que quelques heures plus tard que j’ai réalisé que nous étions bel et bien prisonnier de quelques miliciens, mais que mon stratagème ridicule avait fonctionné, ils n’ont pas poursuivi leur recherche et se sont contentés de nous quatre, la machine à gaz, le Yéti, l’autruche et moi-même.
Je vous écris en tapotant sur le mécanisme confus de ladite machine à gaz, elle servira au moins à cela. Mes amis sont inquiets. Je le suis aussi mais en pensant à Maria laissée seule dans ce monde brutal. Je laisse les dernières lignes à la machine à gaz qui souhaite conclure cette chronique :
« je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris … »