D’un étrange rêve et de l’absurde réalité, d’un monde atone et banal, de l’absence de réaction, de l’indifférence, et de mes bons et vieux amis
Le monde est finalement une chose assez bizarre.
Essayer de le comprendre est douloureux et épuisant, une expérience déroutante.
Pour ma part, je me trouve constamment en train de trouver des bonnes réponses à des mauvaises questions et réciproquement. J’aimerais de temps en temps réconcilier ces deux opposés mais le mieux que j’ai pu faire jusqu’à présent, et ce n’est pas peu dire, c’est trouver de mauvaises réponses à des mauvaises questions. La plupart du temps je me perds dans des dédales et circonvolutions incompréhensibles.
Bien sûr je suis aidé depuis quelques mois par ma cohabitation et mon errance avec un groupe d’amis plus que fidèles, vous les connaissez bien, pas la peine de les dépeindre trop en détails, mon grille-pain existentialiste et déprimé devenu depuis peu radiateur jaune artiste multiforme, mon extincteur fort sage, mon doux Yéti anarchiste, mes trois pingouins aux lunettes roses qui sortent leur Piero della Francesca comme d’autres leur bible ou kalachnikov, mon autruche volante, flottante et trébuchante que personne ne parvient à comprendre dans sa bêtise géniale ou inversement, ma machine à gaz rondouillarde et bien entendu celle qui bouleverse mes pensées, mon âme, ma vie, dès que je la regarde, ma douce et forte Maria.
Pourtant tout ceci ne me rend pas imperméable au monde et je demeure très généralement et bien globalement un étranger sur cette terre.
En bref, je pourrais résumer ceci en vous avouant que je ne comprends rien à rien, peut-être même moins que cela.
Par exemple, je vous ai raconté hier que notre groupe s’est trouvé confronté à une épreuve brutale, sordide et violente avec irruption de miliciens dans le bungalow douillet sis au milieu d’une oasis confortable au milieu d’une zone sans droit, un pays de mort, une contrée oubliée des dieux ; je vous ai dit qu’avec le Yéti, l’autruche et la machine à gaz, j’ai été fait prisonnier et kidnappé ou emporté, je ne sais quel est le mot à utiliser en pareilles circonstances, vers une autre zone de mort, différente dans la forme mais semblable dans sa substance, une soi-disant école militaire quelque part dans une contrée aride à des dizaines de kilomètres de la précédente ; je pourrais ajouter que nous avons ensuite été interrogés par des farfelus peu sympathiques, un drôle de contraste avouez-le, hurlant dans une langue incompréhensible en nous éblouissant avec des vieux phares de voitures et à l’occasion nous frappant de grands coups de règles sur les cuisses ; je devrais vous raconter notre enfermement dans une sorte d’armoire verticale de 80 centimètres sur 80 avec impossibilité de nous soulager où que ce soit avec de surcroît une effroyable peur au ventre, mais ce qui me semble le plus incompréhensible dans tout cela c’est qu’à un moment donné, à l’instant où j’essayais en chuchotant – pourquoi chuchoter alors qu’autour il n’y qu’hurlements, sonneries, grincements et cris, je n’en sais rien – de contacter mes amis, de savoir où ils se trouvaient et comment ils avaient supporté leur interrogatoire, j’ai perdu connaissance, comme cela, en un dixième de secondes et me suis retrouvé dans un monde tout autre.
Il y avait le même moi, mais en bon état, frappant sur une sorte de clavier, regardant un étrange écran brillant et bien contrasté, au milieu d’un appartement agréable et spacieux, pleins de gadgets et livres partout, une télévision allumée dans les alentours diffusant des images de manifestations réprimées par la force, des cris là également mais lointains, semblants presque irréels, des conversations animées un peu plus loin, des bruits provenant de l’autre côté des murs glacés dudit appartement, je veux dire des fenêtres, mais des bruits apaisants, un bus, des voitures, des gens qui devisaient tranquillement et deux jeunes filles qui riaient, des bruits rassurants, une lumière chaude venant d’un lustre tentaculaire au plafond, un radiateur mais ni jaune ni bavard, une machine à café, pas à gaz, en train de filtrer un doux liquide bien noir, des carafes d’eau sur une table, des chaises autour, et une voix qui s’est approchée de moi en me demandant quand j’aurais terminé…
Un monde totalement irréel, vous en conviendrez, apaisé, tranquille, mais totalement utopique où la violence est cantonnée dans un parallélépipède suspendu au mur, fort joli d’ailleurs, et dans des coups de cafard parfaitement ordinaires provoqués par le temps maussade, pauvre chou, les factures impayées, tristes sires, les promotions manquées, terribles choses, les quolibets et sarcasmes d’imbéciles mal définis, graves incidents, les hauts succédant aux bas alternant avec les hauts, puis les bas, de la vie quotidienne, hebdomadaire, mensuelle et annuelle, par groupes de 7, 4, 12 et 10 respectivement, pas très logique mais rébarbatif vous l’avouerez, et enfin les chagrins de cœur, de corps, de tête, de dos et de pieds, vraiment incroyables et exceptionnels, tout cela de la part d’éphémères humains qui ne comprennent pas qu’ils sont, d’une part éphémères et d’autre part humains, c’est-à-dire effroyablement pitoyables et tristes.
Bref, je me suis trouvé pendant quelques secondes dans ce rêve incroyable où les choses les plus simples deviennent des problèmes, et le luxe insensé non pas une panacée mais une nécessité.
Je me suis demandé dans quelle réalité j’avais atterrie, quel était ce monde, pourquoi cet individu qui peut-être ressemblait à l’ombre de moi-même ne bougeait pas plus, ne se remuait pas un peu, ne secouait pas ses vieilles puces pour espérer bouger par effet domino tous les autres, et ainsi de suite, et par effet cocotier, parvenir à l’autre bout de la planète pour y imposer un autre monde.
Mais j’ai saisi immédiatement que ce monde-ci était trop bizarre pour opérer naturellement et logiquement, et qu’en conséquence cet individu qui semblait être moi était trop engoncé dans sa vie bien replète pour réagir autrement que par mots interposés, voire simples pensées, sans aucun accroc sur la réalité du monde, sans possibilité de phase avec les évènements de ce monde, juste une limace sans possibilité de réagir à quoi que ce soit, sans même comprendre la nécessité de réagir, sans même envisager la possibilité de comprendre cette nécessité de réagir, enfin vous avez saisi ma pensée.
Finalement, je me suis éveillé brusquement, suis sorti de ce cauchemar en hurlant et lorsque j’ai réalisé que j’étais dans le vrai monde, avec mes amis à proximité, mon grille-pain, mon yéti, mes pingouins, ma machine à gaz, mon autruche, et bien évidemment ma Maria, je me suis pris à sourire.
Cette réalité-là que sûrement je ne comprendrai jamais a au moins l’intérêt d’être en phase avec le monde orbitant autour…
Je dois vous laisser car les pitoyables individus qui m’ont enlevé souhaitent me faire signer une confession dans une langue que je ne comprends pas, mais je le ferais volontiers en sachant à quoi j’ai échappé.
Rien de pire que le lent glissement du temps dans un sablier d’une étroite banalité entre l’alpha et l’oméga mais sans rien entre…
Trésolé , mais ça va passer, demain you saw the ligth …!!!
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