D’un sentiment d’intense désolation et d’impuissance


D’un sentiment d’intense désolation et d’impuissance 

La solitude pèse même ou surtout lorsqu’elle s’exprime collectivement.

Auparavant, j’étais seul et souffrais en silence dans ma cellule triste, isolée du restant du monde, dans ce pays de désolation, de violence et frayeur, à la merci du gentil et sympathique policier qui s’occupait avec soin de ma petite personne bien anodine et oubliée, mais au moins j’avais le sentiment ou l’espoir que mes amis se trouvaient en meilleure situation, qu’étant considéré comme le leader de cette étrange communauté c’est à moi que l’on réservait le traitement le plus approprié et adéquat, ou plus parler plus directement que les sévices les plus marqués m’étaient réservés.

Depuis lors, sont venus me rejoindre dans un cagibi plus petit que le précédent, la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes qui est prostrée dans un coin et ne manifeste même plus son assurance par de tonitruants « je vous ai compris », le Yéti anarchiste qui passe par des phases d’extrême violence durant lesquelles il essaie mais sans grand succès de détruire le mur ou la porte de notre petit monde avant de se prostrer dans un coin ne semblant même plus pouvoir respirer, et l’autruche volante, flottante et trébuchante qui parle sans arrêt mais dont les propos n’ont plus aucun sens intelligible, que des mots sans lien les uns avec les autres, même plus de changement de sonorité, des sortes de vocalises sans référence possible, loin des sonnets d’autrefois qui étaient extravagants, surréalistes, comiques ou ridicules mais avaient le mérite de laisser entrevoir le début d’une signification, d’un sens, il s’agit de choses, appelons-les ainsi, ressemblant à « mais… deux… champs… désert… lui… attr… demain… ahahaha…oui bien sur … toi ? …certes …plus … »

Mes amis souffrent d’évidence plus que moi et leur boussole intérieure est encore en plus mauvais état que la mienne.

Nous n’avons plus de visite de l’aimable policier qui doit avoir trouvé une autre proie, tant mieux pour moi, simplement une porte qui s’ouvre, des aliments que l’on jette comme à des chiens, puis une porte qui se ferme, la lumière s’extirpe de l’ampoule et chemine brutalement mais de manière insuffisante sur notre petit monde sous-dimensionné, jour et nuit, sans différence aucune, nous ne pouvons la discerner car il n’y a d’évidence pas de lumière du jour filtrant par un soupirail, un interstice de la porte ou autrement, nous sommes en isolement complet, on nous a gratifié d’une radio juste devant la porte qui crépite des sons aigus mélangés à des mots prononcés dans une langue incompréhensible, 24 heures sur 24.

Nous ne savons même plus depuis combien de temps nous sommes là.

Nous sommes ensemble mais ne nous parlons plus car chacun n’a qu’une pensée en tête, le sort réservé à nos amis absent, à savoir l’extincteur fort sage, les trois pingouins aux lunettes roses, amateurs de ce bon et brave Piero della Francesca qui parait plus enfoui dans le passé qu’il ne l’a jamais été, notre quête de la chapelle d’Arezzo pour déclarer son indépendance paraissant si lointaine et si dérisoire, et bien sûr Maria, la belle et superbe Maria, au regard si profond, au visage si radieux, à l’intelligence si fine, au courage si grand, qu’est-il advenu d’elle ?

Mon cerveau n’ose avouer ce qui pourtant doit être l’implacable vérité. Il n’y avait pas de possibilité pour elle comme pour nos autres amis de s’enfuir ou se cacher après avoir tenté de nous rejoindre, non c’était impossible, rien de tel, nous sommes allés dans une autre direction, nous aurions pu être ensemble pour le pire ou le pire, mais ensemble, nous avons raté cette occasion et maintenant la regrettons amèrement, ils ont donc tenté de repartir mais nous savons, je sais, qu’autour de cette prison dans un désert pire que celui des tartares il n’y a rien et que donc, nécessairement, implacablement, inexorablement, ils ont été rattrapés, et compte tenu de ce que l’on m’a fait subir, ce que l’on nous a fait subir, il n’y a rien à espérer, tout est perdu même l’honneur, nous ne les reverrons plus…

Le pire est l’ignorance, le silence, cette incertitude permanente, ce désespoir qui s’est insinué dans nos veines et les glace, ce désarroi, ce sentiment que rien ne peut changer mais sans en être absolument sûr, cet effroyable sensation de savoir sans savoir, ce glissement impitoyable qui laisse le vivant s’efforcer de croire qu’il y a un espoir, un sur dix mille, millions, ou milliards ou que sais-je, mais un espoir quand même, qui tétanise et fige tout le reste, mon esprit, nos esprits sont paralysé par ce sentiment de mort et deuil impossible, il n’y a rien à espérer mais nous nous raccrochons à cette triste pitance que notre état de vivant nous laisse, c’est-à-dire cet odieux sentiment que peut-être au-delà de l’évidence il y a un misérable espoir…

Je ne peux plus supporter cela.

Je ne veux plus espérer.

Je veux qu’on nous la dise, quelle que puisse être la réalité, qu’on nous la présente, nous la jette, qu’on nous crache dessus ou qu’on nous l’aboie, peu importe, qu’on se moque de nous et nous insulte, je le répète, peu importe, mais qu’on brise cette coque de silence et qu’on fasse notre deuil.

Je crois que je deviens fou et que bientôt mon état va être similaire à celui de mes amis.

Si cette chronique s’achève aujourd’hui, je pense que vous aurez compris pourquoi.

Bonsoir mes amis, mes chers amis. Oubliez-nous. Il n’y a rien à voir, rien à dire. Circulez, cela vaut mieux pour vous et pour nous. Laissez-nous dans notre cellule quelque part entre le néant et le néant, entre désert et terres arides, poussière et silence, ombres et désolation.

Je suis désolé.

Merci d’avance.

§512

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