Des différents temps qui s’écoulent, de celui de brel et de tant d’autres, de la pension de famille dans laquelle nous séjournons, des différentes langues que nous parlons, des discours que nous entendons et des personnes que nous voyons
La pension de famille dans laquelle nous séjournons est modeste, assez petite, peut-être dix chambres, probablement moins, un salon avec des cavités inégales s’ouvrant sur une cour intérieur, dans laquelle il pourrait aisément pleuvoir si ce pays aride connaissait ce phénomène, le tout agrémenté de tapis, canapés, matelas, fauteuils rembourrés rouges, chaises d’écolier, bancs, coussins et poufs, tables basses, moyennes et hautes, lumières à pied et vieilles appliques sortant des murs mais retournées, ampoules suspendues et même trois néons, dont un qui marche parfaitement et les deux autres pas forcément, pas en même temps en tout cas, et par intermittence sûrement.
A l’arrivée de Maria dans cet endroit personne n’y passait beaucoup de temps car l’histoire se faisait ailleurs, les manifestations étaient quotidiennes, la vie était dehors, les gens hurlaient, criaient, dansaient, il y avait à la fois une peur invraisemblable, l’exaltation des lendemains qui chantent, le sentiment de pouvoir tout bousculer, l’horreur du présent et le dégoût du passé, l’impression que ce qui avait été supporté durant tant de décennies devait maintenant disparaître et ne pourrait en tout état de cause être vécu à nouveau, et naturellement la perception pleine et entière que la messe était dite, que tout était fait, qu’il n’y avait plus de retour en arrière possible, pour le meilleur ou le pire, la vie ou la mort, et que de ce combat entre deux adversaires inégaux l’un ou l’autre voire les deux tomberaient, mais qu’aucun ne resterait pareil après qu’avant.
Puis, le temps des convulsions est arrivé, chaque jour a amené sa part de nouveautés, de changements, jusqu’au matin sacré, le jour béni où tout a basculé en faveur des uns et contre les autres. C’est à ce moment-là que Maria aux yeux si profonds que toujours je m’y perds est parvenue à bousculer une foule toute acquise à sa cause et à obtenir qu’elle vienne démolir les murs de la prison dans laquelle nous croupissions avec tant d’autres. Ces jours-là ont duré des tonnes d’heures, ont pesé comme du plomb ou de l’or liquide, ont nivelé ce qui pouvait l’être, ont tout bouleversé, ont changé le cours des fleuves et la taille des montagnes, tout était possible, tout a été modifié, même le cours du destin, c’est ainsi.
Mais a suivi le temps des malentendus, celui de Brel et d’autres, celui des choses dites et non comprises et des non-dits trop bien compris, celui des voies de travers et des croisements mal empruntés, celui des trahisons et des virements, des retournements et des dénonciations, des sourires crispés et coincés, et progressivement les bruits se sont tus et les danses ont ralenti leur rythme endiablé, et les chants d’amour ou de haine sont devenus des cris et des menaces, des demandes et des revendications.
Nous sommes dans ce temps-là. Je ne sais pas ce qui viendra après.
Nous passons beaucoup de temps à l’intérieur de la pension de famille vautrée sur nos canapés et fauteuils, et nombreux sont celles et ceux qui viennent nous voir, ou plutôt viennent voir Maria ou la jeune femme au pull rouge, la fille de la propriétaire des lieux, car franchement qui voudriez-vous qui viennent voir ou entendre une autruche volante, flottante et trébuchante, équipée depuis peu d’un trombinoscope à coulisse exprimant par volutes de fumées et d’ombres des sonnets ridicules ou encore votre serviteur, pauvre âme en peine, amoureux éperdu de ladite Maria, et puis c’est tout, triste et déconfit, nostalgique de temps n’ayant jamais existé, déprimé comme avait pu l’être le grille-pain existentialiste avant sa disparition dramatique, et perplexe en permanence ?
Non, il n’y a pas photo, les visiteurs viennent voir Maria et la jeune femme aux habits rouges, parfois l’une, parfois l’autre, souvent les deux, ce sont la plupart du temps des jeunes gens, surtout des femmes, qui se réunissent et comptent leurs histoires des temps anciens, c’est-à-dire d’il y a quelques semaines, leurs pertes, leurs joies, et content leurs espérances et cherchent une boussole pour les mettre sur la voie de la rédemption, celle de tout un peuple perdu et contemplatif, demandant sans savoir s’exprimer vraiment, essayant de prendre la mesure de leur formidable épopée et de faire en sorte qu’elle ne s’arrête pas là, pas à mi-chemin, pas au milieu du gué, pas… enfin vous m’avez compris.
Il est arrivé que la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne ou le Yéti anarchiste voire l’extincteur fort sage, se trouvent là, ensemble ou séparément, et assistent à ces entretiens, ces écoutes car il s’agit surtout de cela, en observateurs libres et intéressés. Aux attentes mal exprimées, mal expliquées, imparfaitement conçues et présentées, mais passionnées, pleines de naïveté et de fraîcheur, ils ont, chacun à leur façon répondu évasivement, lourdement, effrontément au gré des circonstances « je vous ai bien compris, mais il faut savoir être patient, les attentes c’est une chose la capacité de réagir promptement et efficacement c’en est une autre, il faut s’appuyer sur des fondations solides pour construire un édifice de grande ampleur, Rome ne sait pas fait en un jour, il faut donner du temps au temps, les élites d’hier ne peuvent être toutes écartées, il faut écarter les fruits les plus gâtés mais pour l’instant conserver les autres, soyez à l’écoute et vigilant mais ne demandez pas le paradis ceci dit à la manière du porte-parole du Comité du salut, de la santé, du bien, de l’ordre, des droits et des libertés publics, »
ou encore, mais cette fois-ci selon les préceptes des Yétis anarchistes, opportunistes et contemplatifs « tout, voici ce qu’il vous faut, tout, ici, maintenant, et celles et ceux qui vous disent le contraire sont des mous avachis sur leurs privilèges qui ne comptent que sur eux-mêmes, veulent conserver leurs rôle, statut et puissance, sur votre dos, des vampires des temps modernes, vous devez demandez le soleil car on vous le donnera, tout est à vous, vous le méritez et l’aurez ».
L’extincteur fort sage a, par moments, eu un peu plus de succès, guère, mais un soupçon, en parlant des précédents historiques, en évoquant les grandes et petites révolutions, les révoltes et réformes et indiquant que tout s’inscrivait dans une longue et douloureuse marche des vivants vers la liberté.
Les jeunes gens ont écouté mais n’ont pas compris, ou plus exactement ils ont perçu que ce langage n’était plus le leur, qu’il sentait la naphtaline et le sirop de fleurs, la madeleine de Proust et la quatrième république, les torchons brodés et les discours pieux, et ils se sont détournés, poliment et gentiment, se concentrant sur les petits fours et des raisins secs, et se concentrant sur que Maria et à la jeune fille au chemisier rouge leur disait en réponse à leurs longues confessions exprimées durant des heures, des jours et des nuits. Les deux femmes les ont écouté, inlassablement, patiemment, répondant à peine, leur souriant de leurs lèvres ou paupières, avec ces étoiles dans les yeux que si peu reconnaissent.
C’est ainsi que les choses se sont passées et qu’elles se passent encore.
Lorsque enfin ces jeunes s’en vont et que je me retrouve avec Maria dans notre chambre au parfum de roses et que je lui demande pourquoi elle ne fait que les écouter elle me réponds qu’elle ne souhaitent pas que ces jeunes se perdent et que la vérité est en eux pas en elle, car chacun a sa vérité, qui ne demande qu’à s’exprimer et que des millénaires ont étouffée, mais cela je ne peux pas le comprendre car vous savez bien que Maria a un regard dans lequel je me perds en permanence, même et surtout lorsqu’elle me parle.
Je ne saurais vous dire ce qu’elle me dit, je ne saurais vous décrire ce que je vois dans ses yeux, peut-être simplement une part de bonheur qui jamais ailleurs ne s’est exprimée.
« Mon Trésor, Ma Précieuse » ça frise l’Amour galant, et c’est touchant …!!!
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