De ma première leçon dans le désert
Le désert est une vaste entité diverse et variée sous un manteau de solitude.
Nous marchons depuis des heures sous un soleil de fer, la chaleur s’infiltre en nous et dissous progressivement notre cerveau, il n’y a pas d’ombre, ce qui est un pléonasme, comment pourrait-il y en avoir puisque nous sommes dans un désert de dunes et cailloux, comme les images polies, cristallines et aseptisées dont les chaines de télévision thématiques nous abreuvent à longueur d’année, et nous marchons sur ce qui ressemble à de la gelée glauque s’ouvrant sous nos pas nous absorbant avec minutie, délicatesse et patience infinie.
Nous sommes ici, je vous l’ai expliqué hier, pour des raisons thérapeutiques, pour permettre à l’autruche volante, flottante et trébuchante, et moi-même incidemment, de retrouver un sens particulier ou général à notre vie, instiller un semblant d’ordre et de rationalité dans le déroulement des minutes, puis des heures, puis des jours, nous rappeler que la journée est un tout, qu’il n’y a pas forcément une révolution, un tremblement de terre, une explosion de violence ou bonheur, un chaos ou une convulsion des évènements ou éléments chaque jour, qu’il est possible de se réveiller, petit-déjeuner, vaquer à ses occupations, déjeuner, re-vaquer à ses occupations, diner, re-re-vaquer à ses distractions et occupations puis dormir sans que le monde ne traverse forcément une zone d’ébullition et bouleversement.
Par définition, les deux individus sous thérapie précédemment mentionnés, sont incapables de comprendre, appréhender, supporter, absorber et digérer ce qui se passe depuis qu’ils sont entrés dans ce pays de misère recouvert de poussières et cendres, pris depuis peu dans un tumulte et une effervescence continue, et ont fini par croire que le fracas était normalité et le silence exception. Il leur fallait donc, dixit Maria au regard si profond que je m’y baigne et noie en permanence, et l’autruche volante, flottante, et trébuchante, une thérapie de choc, un plongeon dans un désert, aux antipodes de ce qu’ils venaient de traverser.
Nous voici dans cet endroit aride, marchant tranquillement sous une chaleur épaisse, pour autant que l’on puisse qualifier ainsi cette chape de béton qui nous écrase de tout son poids, et nous nous trouvons sans provisions, sans abri, sans rien, tout cela parce que je n’avais pas organisé les choses de la meilleure des manières. Maria et la jeune fille au foulard rouge marchent devant, suivies par votre serviteur, et loin derrière l’autruche qui éprouve des difficultés de plus en plus évidentes à suivre le train imposé par ces charmantes jeunes femmes resplendissant d’une fraicheur apparente en totale contradiction avec notre propre physionomie.
J’ai proposé à l’autruche de s’envoler et de scruter les alentours pour déterminer s’il y avait un point d’eau ou une zone d’ombre à proximité mais elle s’est contentée de hausser les épaules, qu’elle n’a pas, et indiquer « marcher si non plus, voler si non pas, oiseau pas moi, chanter oui, ça oui, sonnets et poèmes, voler si hauteur, hauteur si non plus, plus si pas moins, et là haut pas si haut que cela mais haut tout de même et fraîcheur soudaine si non plus et risque tomber haut surtout si haut pas bas et moi ainsi pas vraiment encouragée, surtout, oublié, tout oublié, ailes y compris, ne sais pas où, comment, quoi et quand, alors marcher, mieux, surtout qu’à Saint-Pétersbourg il n’y a plus d’amour. »
J’ai haussé les épaules que moi j’aie, et ai continué à marcher en suivant les traces des guillerettes jeunes femmes me demandant si la thérapie de choc avait envisagé la disparition pure et simple de l’un des patients concernés.
Donc, je marche et me tais, essaie de vider mon esprit et surtout ne pas le laisser se pencher sur le cours des évènements pour y chercher une signification quelconque. Je me concentre sur les deux jeunes femmes devant moi et laisse mon cœur s’enivrer du parfum, de la silhouette, de la grâce, et de la sérénité de Maria.
Je regarde également mes pas, car je fais partie de ceux qui marchent le dos vouté, la tête basse, le regard las, laissant pendre les yeux et le regard qui s’en échappe du sol qui, lui, absorbe tout, et là, entre mes pieds, je distingue un monde de sècheresse, de vide, de tristesse, de douleur et de feu, dans lequel s’agite un certains nombres de vivants, crépusculaires et oubliés, des insectes pour l’essentiel, qui semblent trouver sous l’épiderme de sable, des raisons d’espérer.
Il y ainsi de la vie dans la fournaise et l’obscurité, il y a de l’espoir aussi, tout n’est pas mort, mais c’est espoir porte le sceau d’une autre humanité, et cela je ne sais pas si c’est tellement réjouissant.
Après tout, cela vous importe peu, j’imagine, et cela me concerne encore moins, mais dans la mesure où ma marche est silencieuse et que je ne peux décemment passer mon temps à observer Maria, il me faut bien réfléchir à autre chose, et les insectes c’est mieux que ressasser ce qui a pu se passer ces derniers jours, essayer avec les ‘si’ de refaire un monde différent.
Je dois me concentrer sur ce que je vois sous mes pieds, le monde que j’aperçois et réaliser que tout vit, même le désert, que la vie est éphémère, certes, mais qu’elle continue, qu’il y a une chaîne qui lie l’ensemble des vivants voire même les minéraux, organiques et minéraux même combat dirait l’autre, ou sous les pavés la plage, mais en l’occurrence je peux vous garantir que sous le sable il n’y a pas de pavés, juste un souvenir ou un préalable à l’humanité, nous ne faisons que passer, vous et moi, mais la vie elle demeure, inlassablement, imperturbablement, sans se demander quoi que ce soit, sans s’interroger, sans essayer de comprendre, elle passe et se déroule, gentiment, tranquillement, lentement, par à-coups ou pas, logiquement ou pas, naïvement ou pas.
La vie est là et nous ne devons pas l’oublier. Voici probablement la première leçon de ma longue pérégrination dans le désert.
Imprégné de bon sens…j’aime
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merci ce n’est qu’une personne qui connait bien le désert qui peut aussi bien en parler ..merci:)
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