De ma quatrième leçon dans le désert


De ma quatrième leçon dans le désert

 

Le désert nous parle. C’est ce que l’on dit. C’est que l’on écrit.

 

Il parle de sa voix sourde et profonde. Il parle par le biais du vent, de ses grondements, sifflements, éreintements. C’est ce que l’on écrit.

 

Je suis assis à côté de mes amies, la main dans le bout de l’aile de l’autruche volante, flottante et trébuchante, qui se trouve bien ainsi depuis que je me suis éveillé un brin amnésique de mon insolation. Elle me marmonne des comptines invraisemblables et incompréhensibles, quelque chose du style « les fruits sont rouges, les eaux baissent, le navire avance, je suis chameau, il n’y a plus d‘amour à Saint-Pétersbourg, le jardin à ses secrets, Léon est bon, le Pape pas, il pleut et pleure mais pas ici car ici le désert avance et je boite, nous pas, le soleil est vif, c’est normal, il y a du bon dans le faux et du rouge dans les marais poitevins, tout est ainsi et moi pas… »

 

Maria au regard si profond que je ne cesse de m’y perdre et dont je tombe amoureux même quand je m’éveille dans la peau d’un autre homme m’a recommandé de laisser ce grand volatile s’exprimer ainsi ce qui lui donne l’impression d’être utile, de contribuer à ta convalescence, n’oublie pas que cette balade dans le désert est une thérapie non seulement pour toi mais pour elle également. « Elle a toujours estimé être inutile, marginalisée, ridicule, laissée pour compte et soudain elle réalise que sa présence à tes côtés est utile pour toi, et cela la grise et la réjouit alors ne gâche pas cela.  Sourie lui de temps en temps et remercie-la. Après tout, depuis notre plus tendre enfance nous avons besoin d’entendre des histoires, de les écouter, généralement contée par une grand-mère ou un grand-père. Ses sonnets, ses chants, ne disent pas grand-chose mais ils font partie de cet ensemble de traditions orales qui nous sont si nécessaires ».

 

Je n’ai pas réagi, Maria a raison, elle a toujours raison, même si les chants de l’autruche ne veulent rien dire, sa présence à mes côtés m’est chère, je dois en convenir, je me suis habitué à ces mots mélangés et récités délicatement, avec aplomb et gravité, comme s’il s’agissait de Dante ou de Virgile, qu’importe, j’en suis le seul récipiendaire, et ceci n’a pas vraiment de prix.

 

Assise à côté de Maria il y a cette jeune fille au chemisier rouge, la fille de la propriétaire de la pension où nous avons trouvé refuge dans ce pays de misère pris dans des spirales convulsives, elle est gaie et fraîche, persuadée que l’avenir des siens, de la jeunesse de tout une nation, est doré, qu’elle est parcelle d’un courant qui ne cessera de gonfler et emportera tout sur son passage, elle a cette énergie de la jeunesse mêlée à la sagesse de la vieillesse, comment cela s’est-il matérialisé et quand ? je n’en sais rien, mais l’impression est saisissante. Je ne suis pas sûr d’avoir essayé de comprendre tout ce que sa présence à nos côtés veut dire.

 

Les deux femmes ensembles constituent un miroir étonnant pour le genre que je représente et qui achève son cycle, très long, mais là également peu de surprises, tout a un début, une apogée et une fin, nous sommes à bien des égards proches de la fin de nombreux cycles, du cycle occidental, du cycle masculin, du cycle de l’hyperproduction et donc hyperconsommation, et j’en passe et de bien nombreux autres. Le désert nous parle, disent-ils, mais je n’entends rien.

 

Je songe à tout ceci.

 

Je me trouve bien à l’abri de rochers entouré des miens, de ce singulier volatile et de ces deux femmes représentant l’humanité dans ce qu’elle a de plus vrai et beau, et tous ensembles nous laissons le vent nous submerger. Celui-ci s’est levé ce matin, il était crissant et a transpercé nos vêtements armés de ses cohortes granuleuses, ce sable qui envahit tout et qui provoque la mort, et nous a dépêché vers cette sinuosité de la colline rocailleuse en face de ce que je pensais hier être une forêt d’arbres noirs et qui n’était en fait qu’un seul et unique arbre, sans fleur naturellement, l’arbre qui ne cachait rien et surtout pas la forêt, puisqu’elle n’existait que dans mon délire.

 

Le vent a craché ses flammes épaisses et nous nous sommes mis à l’abri et depuis des heures nous entendons ses cris et hurlements, le désert ne nous parle pas, il y a silence ou bruit intense, sifflement ou rugissement, murmure ou chuchotement, mais pas de parole.

 

L’univers ne nous parle pas, mère nature ne nous dit rien, le vent, la pluie, le soleil ou la lune ne nous racontent rien, les éléments à vrai dire se fichent de nous comme d’une guigne, le désert se fiche de nous, et c’est là une leçon que j’ai compris ce jour.

 

Pourquoi aurait-il quelque chose à nous dire à nous, ou à moi, qui suis-je pour mériter ceci ? qui sommes-nous pour revendiquer le droit à l’existence ? des humains ? et alors, que cela représente-t-il dans l’échelle des choses et des êtres ? rien, absolument rien !

 

Nous ne devons pas chercher en permanence à nous raccrocher à un beau surnaturel, incompréhensible car trop immense, mais qui comprend tout, non! reculez, il n’y a rien à voir, à entendre ou dire, nous sommes médiocres et n’avons à nous raccrocher à personne d’autre que nous-mêmes pour essayer de nous sortir au fil des millénaires de cet atroce sentiment de médiocrité.

 

Le désert est silencieux.

 

Il n’exprime rien, ne dit rien, ne raconte rien.

 

Il ne fait que produire du bruit ou du silence.

 

Nous en faisons de même.

 

Face à l’ordre des choses et celui du temps nous ne représentons absolument rien. Alors, dans cette extrême solitude, il faut revenir sur ce que nous avons, nous et nos proches, celles et ceux que nous négligeons si souvent, que nous oublions, celles et ceux qui sont partis et que nous avons oubliés, qui étaient à nos côtés puis s’en sont allés et que nous avons laissé au bord de notre route sans jamais y songer si ce n’est une ou deux fois par an quand la nostalgie nous prend.

 

Le désert ne nous dit rien, mais celles et ceux qui nous entourent ont des choses à nous dire, ils nous le disent à la façon de mon autruche volante, flottante et trébuchante mais nous n’y prêtons aucune attention et n’essayons même pas de traduire leurs sentiments, sans même essayer de les écouter, des les comprendre, et surtout pas de les aider car dans notre immense médiocrité nous sommes également immensément égoïstes, des enfants braillards et ridicules, trépignants auprès de leurs proches et leur demandant tout et n’importe quoi. Basta.

 

Le temps a passé et il faut cesser de geindre.

 

L’autruche m’a prise par la main et je n’ai même rien dit.

 

J’ai trouvé cela naturel, logique, car le monde est censé tourner autour de moi, depuis Galilée, vous le savez bien, on nous l’a répété depuis que nous sommes Sapiens, la terre est au centre de l’univers et nous en avons chacun déduit que nous étions au centre du centre. Tout s’est écroulé mais nous restons sur cette affirmation inconsciente. Sachez-le bien, je vous le dit en direct du désert qui m’entoure, la terre n’est pas au centre du système solaire, qui n’est pas au centre de la voie lactée, qui n’est pas au centre de l’amas local, qui n’est pas au centre de l’amas de la Vierge, qui n’est pas au centre du super-amas, et nous ne sommes pas au centre de la terre, n’en déplaise à Jules Verne, nous sommes aussi peu important que la branche d’un arbre ou, à l’inverse, aussi essentiel que la plume de l’autruche qui nous tend la main.

 

Le désert ne nous dit rien.

 

Pour l’heure j’ai demandé à l’autruche de me raconter une histoire et elle le fait, sagement, avec un immense sourire au bec, « le désert est sable, l’eau est rare, les papillons vont au Mexique, les oies volent, le monde est beau, la mer est bleue, le sol est bas, le ciel est toit, la route est longue, sans fin, début pas, fin pas, mais route toujours, ici et là-bas, finira à Saint-Pétersbourg, pour qu’ils finissent par s’aimer, je suis chameau et las, c’est ainsi… »

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