Des errements et doutes au milieu d’une réalité qui dépasse la fiction
Je suis confus, désolé, navré, je ne sais comment vous dire cela mais je sens que nous nous égarons.
Vous devez être profondément déçus, je le comprends parfaitement. Pardonnez-moi.
Le monde traverse des convulsions profondes et ces chroniques sont tout simplement aux antipodes de celles-ci, ne parlent de rien qui puisse vous intéresser et finissent par s’échouer dans un nulle part trouble, déroutant et admettons-le inintéressant.
J’aimerais pouvoir évoquer ce qui vous touche et vous concerne, ce qui vous déroute et vous effraie, mais au lieu de m’approcher de cette réalité-ci, celle des guerres et des désastres naturels ou humains, je vous impose une réalité-là qui n’en est pas une, une accumulation de consternantes banalités qui ne vous importe en aucune manière.
Encore une fois pardon.
De surcroît, les choses ne s’arrangent pas. J’aimerais vous annoncer le contraire mais je crains que cela ne soit pas possible.
Ces chers pingouins aux lunettes roses, amateurs de Piero della Francesca, se sont arrangés, au moment précis où notre transportation virtuelle vers Arezzo devait avoir lieu, pour dérégler la machine dont nous nous servions et nous voici transmutés ailleurs, séparés et égarés. C’est incompréhensible.
Et me voici prisonnier ou victime d’une histoire qui n’est plus la mienne, ne m’inspire plus, me fatigue, et vous lasse. Je le sens bien.
Ce qui m’épuise par-dessus tout c’est cette accumulation d’invraisemblances. Comme si les machines, équipements, électroniques, automatiques, robotiques, surprotégés et sur-contrôlés par des entités philanthropiques nullement intéressées par l’argent public ou privé et préoccupées par le seul attrait des besoins des sociétés, civiles je veux dire, et des individus, pourraient être sujettes à de tels errements ? C’est tout simplement inconcevable ! De la pure et simple science-fiction.
J’en rirais si je n’étais l’otage de ces calembours boiteux et misérables farces sans fondement.
Je suis là perdu dans une nouvelle manifestation délirante à la recherche de mes amis, de l’endroit de mes rêves, ou plutôt des rêves de mes amis pingouins, et surnage dans un océan de désespoir. Car, voyez-vous, l’auteur de ces propos souhaite vous faire croire qu’un simple avatar du destin, une succession de hasards improbables, un faisceau de divergences, pourraient aboutir à dérégler des systèmes aussi précis et parfaits que les ordinateurs dont il s’agit, qui ont été conçus par des machines elles-mêmes réglées par des esprits non point chagrins ou mesquins mais géniaux, attentifs au contrôle total de la bonne ou mauvaise fortune, et provoquer les erreurs dont il a été fait référence ici ou ailleurs. C’est impossible vous le savez bien !
Nous devions aller à Arezzo en Italie et nous voici dispersés à Arreso au Danemark, Areso en Espagne, et Arezo en Iran.
Plus encore, lorsque je me suis éveillé ce matin, j’ai constaté que je n’étais pas vraiment en Iran comme je le pensais mais dans une accumulation de sites provenant de ces trois endroits distincts, un cumul de lieux, de choses, de gens, de mémoires, et d’objets. Il doit en être de même pour mes amis absents.
Je suis avec un des trois pingouins au bord d’un lac salé, avec un amoncellement de maisons à colombage, peut-être basques, des nains de jardin qui flottent sur des étendues d’eau, des lacs, peut-être danois, des paysages bouleversés présentant à la fois l’aspect de collines parsemées d’objets innombrables et déroutants, et de plaines gelées par le sel et le granit. Il y a également des pics neigeux au lointain et une foule bigarrée de gens de tout âge, constitution, langues, taille, genre ou aspect, vêtements et âmes, toujours ces fichues âmes qui me hantent moi l’athée, et qui passent en une longue file ininterrompue marchant à la queue leu leu la tête basse comme s’ils fuyaient un danger lointain mais certains.
Ceci est absurde.
Il n’est tout simplement pas possible que des mécanismes parfaits imaginés, conçus, réalisés, développés, construits et dispersés dans le monde entier par les esprits les plus créatifs et intelligents qui soient puissent se dérégler ainsi.
Donc, l’erreur ne peut pas leur être imputée.
Soyons absolument clair : si Maria au regard si beau que je m’y perd toutes les nuits, la jeune fille au foulard rouge perdue dans notre histoire à son corps et esprit défendant, la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes, les trois pingouins et par extrapolation le yéti anarchiste et l’extincteur fort sage, se retrouvent ainsi dispersés aux quatre vents, sans possibilité de contact, dans une réalité à nouveau incompréhensible, au milieu de gens terrifiés et abominablement marqués par les évènements, ceci ne peut être le fait de celles ou ceux, les parfaits, je dis bien les parfaits je vous prie d’être attentifs car ceci est d’importance, qui ont conçus ces mécanismes, les créateurs ultimes. Non ! L’erreur ne peut leur être imputée et, s’il devait y en avoir eu plusieurs aucune d’entre elle ne saurait leur être imputable.
Ni coupable ni responsable.
Il ne saurait y avoir en conséquence que quatre responsables possibles :
(i) les pingouins et autres animaux similaires qui ont été incapables d’utiliser correctement les machines si délicates et sublimes, implacables dans le lent et long déroulé de leur splendeur,
(ii) la nature qui a laissé ces volatiles s’incruster en ce lieu et temps bien précis,
(iii) Maria dans l’esprit de laquelle cette idée particulière, destructrice au demeurant, a émergé,
et (iv) votre serviteur qui ne cesse de se perdre dans les méandres d’une vie qui le guide au lieu de l’inverse.
Bref, celles et ceux qui sont responsables ce sont ceux-là et avouons-le, ils ont été punis de la pire des manières. Tant pis pour eux.
Il ne faut jamais, je vous en prie écoutez-moi, ne trahissez pas d’hésitation à cette lecture, il ne faut jamais désespérer des mécanismes que le génie créatif de l’humain compose car celui-ci, pour autant qu’il soit épaulé par la bonté philanthropique d’entreprises justes, honnêtes, modestes, et généreuses et appuyé par un pouvoir politique ayant le seul intérêt de la réalisation pleine et entière des droits, libertés et bonheur des individus, celui-ci disais-je ne peux pas se tromper.
Ce serait arrogant que de soutenir ceci, et pas l’inverse.
Donc, me voici encore une fois perdu, au milieu de ces gens qui fuient, dans un mille-feuilles de réalités improbables, sous une avalanche d’objets qui se mélangent et sont indiscernables, indéchiffrables, inconnus, indifférenciables, dans des lieux qui pourraient être n’importe où, dans un nulle part ou un sans-pareil espagnol, italien, iranien ou danois ou allez donc savoir où, et je me trouve paralysé, l’esprit obnubilé par ces choses que je ne comprends que difficilement, observateur imbécile d’un composé de réalités qui le dépasse, et surtout, dans l’impossibilité totale de vous parler de ce que vous souhaiteriez que je vous parle.
Vraiment, je suis confus, décalé, isolé, loin de votre réalité.
J’ai même failli, je l’admets honnêtement, mettre en doute l’infaillibilité des grands esprits, les choix géniaux des grands créateurs, les constructions des grands architectes, et les réalisations des politiciens et industriels philanthropes. Heureusement, je me suis repris et j’ai rédigé hâtivement cette confession.
J’espère que vous me pardonnerez un peu.
Je vais maintenant m’empresser de rejoindre cette file infinie de gens qui fuient et me soumettre avec eux au diktat du destin et à la bonté de ceux et celles dont j’ai mis en doute, inconsciemment et silencieusement, la justesse des déductions et des montages, je suis avec les premiers, en esprit tout au moins, car ce que je décris n’est qu’un aspect d’une réalité qui vous le savez n’existe que dans mon imaginaire et certainement pas dans le monde où nous vivons.
Dont acte.
Soyons tristes, des clowns, des marionnettes, des pantins, et des funambules tristes, des humains en quelque sorte.