Du bout du tunnel et de nulle part…
Nous devons être au bout du chemin, le bout du tunnel, le bout de nulle part.
D’un côté la lande sans fin, la boue, les mondes compressés, les vies compilées et empilées, le vent qui assèche tout et tente vainement de bousculer un incendie qui avance, bleuté, et marque d’une ligne sombre l’horizon bouché. De l’autre, la mer, des vagues farouches, un plafond bas, trois soleils regroupés en chapelets ridicules et laiteux, une falaise crayeuse, une plage ridicule, petite, de galets et rochers moussus ou pointus, sur laquelle des milliers d’hères se tassent attendant des milliers d’autres qui arrivent silencieux en file longue et fataliste, résignée à son triste sort.
Le grille-pain existentialiste qui gît sur mon épaule ne cesse de répéter qu’il ne comprenait pas pourquoi « être revenu d’un songe sans rêve pour être traîné dans un cauchemar sans fin. Pourrait-on m’expliquer l’utilité d’un don non point d’ubiquité mais de métempsychose s’il s’agit d’irrémédiablement terminé dans une sorte de Dunkerque ridicule. Il ne manque plus que les stukas et on pourrait rejouer une deuxième guerre mondiale entre nous et eux, ces inconnus qui errent d’oméga à alpha et ne parviennent même pas à se rebeller, exprimer leur colère ou leur épuisement. Regarde-les ! Ils sont là, transis de froid, meurtris par la perte de tant de leurs proches, persuadés de leur propre et misérable fin et pourtant ils ne disent rien, ne pipent mot, se taisent et se posent à terre, se retrouvent bousculés mais ne disent rien. Ils contemplent la mer comme si les cavaliers de l’apocalypse devaient soudain se mettre à charger et les décimer. Je ne comprends pas. Nous sommes vraiment futiles et illusoires, inutiles et benêts. Pourquoi tout accepter ainsi et ne jamais nous rebeller ? »
Je cherche des yeux si nos amis égarés ne se trouveraient pas dans cette cohue humaine et animale mais je ne vois rien. J’appelle mais nul ne me répond. Le silence est profond mais ne conduit pas les sons que je prononce car le vent, les vagues et les pas de celles et ceux qui froissent les galets dispersent mes mots. Je ne me fais pas entendre. Personne ne m’écoute. Je ne suis pas muet mais toutes et tous sont sourds.
Le seul qui dans cet environnement dantesque a trouvé une forme de repos est Bob le pingouin qui se matin s’est enfui après avoir fait des adieux un peu sommaires et, me semble-t-il, peu adaptés aux circonstances « Bon, c’est dit, je me barre, pourquoi je resterais avec un humain paumé et un assemblage de plastique mal goupillé qui ne fait que se lamenter. Après tout, moi je sais voler et il y a des falaises. Cela me rappelle mon enfance. Je vais me trouver un petit creux quelque part là-bas et m’y enfouir le temps que cela se passe et se tasse. Ça va pas être très joli quand tout va se consumer. Désolé de vous lâcher cela ainsi mais franchement c’est mieux de le savoir, mourir brûler ça fait très cathare mais c’est pas drôle. Jeanne d’Arc elle y croyait mais vous ? Moi ? Pas du tout, mais alors pas du tout. Piero della Francesca lui au moins ne s’est pas retrouvé au barbecue. Bon, il faut l’admettre il ne s’est pas mêlé de ce qui ne le regardait pas, il a pas dit à ce crétin de Pape que la terre était ronde, qu’elle était perdue autour d’un soleil modeste même pas au milieu d’une galaxie commune et ordinaire. Non, il s’est tu et a laissé les autres faire le sale boulot. Il s’est contenté de peindre ses fresques et tableaux merveilleux. Il y a mis toute une vie de passion et beauté… Bon, vous me direz que le retrouver cela va pas être coton mais pour l’heure je me barre. Lorsque l’incendie aura fini par se mouiller un coup je reviendrai et si par chance vous êtes toujours là on verra ce qu’on pourra faire ensemble. Je vous souhaite une bonne et belle journée. Au moins il fera pas froid. A plus, les potes. C’était sympa de vous connaître ».
Et il est effectivement parti ainsi, sans autre forme de procès. Je n’ai rien dit car peut-être est-ce la meilleure solution. Il survivra et pourra, si d’aventure il retrouve un jour Maria, l’extincteur, la machine à gaz, le Yéti et ses frères ou sœurs, leur raconter ce qui est arrivé ici.
Je regarde vers l’orient et vois des nuées humaines qui se déversent sur cette plage de cinquante mètres de large pour quelques kilomètres de long. Des humains se noient par intermittence, au rythme des vagues mais nul ne semble le remarquer.
Il y a une malsaine habitude de la mort qui s’est installée sur les univers compressés que nous foulons, une fichue habitude que celle-ci.
Il y a quelques minutes, un représentant de je ne sais quelle autorité m’a dit en passant que finalement maintenant ou plus tard on y passerait tous alors mieux valait ne pas trop se soucier, dans quelques heures tout sera fini et on pourra passer à quelque chose d’autre.
Je lui ai demandé s’il était croyant et il a ri d’un sourire en diagonale gauche et a conclu : « qu’est-ce- que cela peut faire maintenant ? Croyant ou pas, on va bientôt savoir. A mon avis, il vaut mieux ne pas trop croire cela évitera de désespérer. Pour ma part je vais annoncer aux braves gens qui se compressent que les autorités provisoires et anarchiques de la région est, ou sud, je ne sais plus, vont arrêter l’incendie dans une heure trois quart et trente-deux secondes, il faut être précis, cela fait plus crédible, vieux truc de vieux marin, ceux du Titanic ont dû faire pareil, puis répartir chacune et chacun dans un palais de marbre bleu et granit rose, rose cela fait joli, et je passerai le message, et vous savez quoi l’ami ? je suis sûr que certains vont y croire… je vais leur faire un autre coup que j’aime bien, je vais leur parler de décret ou règlement, de circulaire et de comité de salut public, et cela les soulagera. Le politique c’est fait pour cela, soulager, faire croire qu’il y a quelque chose ou quelqu’un qui contrôle ce qui ne peut plus l’être. Avant c’était le religieux mais ça c’est foutu. Alors il faut bien qu’on leur raconte des conneries pour qu’ils se la ferment. En plus ils avalent tout. Moi j’ai dû rester parce que le dernier hélicoptère est parti avec les trois femmes et deux maris du vieux con qui servait de ministre sacré de l’ordre, de la sérénité et de l’amabilité, dans la justice, l’équité et le bonheur. Un nom tout con mais ça a marché. Ils m’ont éjecté manu militari en me disant qu’ils enverraient un autre hélicoptère pour me retrouver, et le plus drôle mon ami c’est que je les ai cru moi aussi… Comme avant lorsqu’ils me bernaient avec des conneries du style ‘on vous dépouille pas, on pollue pas tout, on détruit rien, c’est du solide, on fait ça pour vos gosses, petits-gosses et arrière petits-gosses, on tue pas pour le plaisir mais par devoir et pour l’humanité, on s’intéresse pas au fric mais à vos cœurs, vos âmes, votre bonheur, et blablabla… Bon, vous m’avez compris, j’ai tout gobé et j’ai même trouvé le moyen de leur faire au revoir de la main tandis qu’un de ces cons fouillait dans son portefeuille de merde pour voir si je n’avais rien volé… Tu t’imagines l’ami ? Fallait être con, non ? Bon, je vais passer le message. Il faut les rassurer, qu’au moins ils meurent en paix en pensant à l’au-delà. Moi je vais penser à l’eau d’ici qui est froide, je me tâte, me noyer ou brûler ? Trop drôle… Non, je ne suis pas drôle… Juste un peu peur, totalement peur, comme toi… »
Il est parti et moi je suis resté au milieu d’une foule compacte et oppressante. Il ne reste plus grand-chose à espérer mais je sais que demain les choses iront mieux. Forcément.
Tout est relatif dans ce bas monde. Je ne sais pas comment on va se sortir de cette chronique-ci mais on trouvera bien un moyen.
Tout cela c’est de l’imaginaire, alors n’y croyez pas trop, il n’y a rien qui ressemble à quoi que ce soit de vrai ou réaliste, toutes les situations sont inventées, que du bidon, pas de similitude avec quoi que ce soit. On verra demain. Pour l’heure, dormez bien je vous prie, les trois soleils d’ici vous saluent bien.