D’une étrange porte de sortie


D’une étrange porte de sortie

 

Je vous ai parlé hier de la situation particulièrement difficile dans laquelle nous nous trouvions.

 

D’un côté un pays, un empilement de mondes ravagés devrais-je dire, épuisé par les flammes et un vent insolent et de l’autre une mer très froide et agressive. Entre les deux des milliers de gens pris au piège sur une mince plage de galets et des récifs inhospitaliers.

 

Nous nous préparions au pire lorsque le salut est venu de la mer. Vers 7 heures 21 minutes et trois secondes – dixit mon grille-pain existentialiste devenu horloge parlante dans son sommeil, ce qui n’est pas le phénomène le plus enthousiasmant qui soit lorsque l’on essaie de se reposer mais n’était pas un vrai problème dans les circonstances puisque nul ne souhaite dormir lorsque la mort est à ses trousses – nous avons vu au lever de l’un des trois soleils sur un horizon forcément glauque une myriade d’embarcations, des baignoires roses en fait, flottant comme elles pouvaient et ce à perte de vue.

 

Des milliers de telles embarcations et, contrairement à ce qui était arrivé il y a quelques semaines lorsque nous naviguions en mer d’Autriche au-dessus des sommets alpins, lesdites baignoires ne fuyaient pas.

 

En tête de ces navires de fortune il y avait mon amie autruche volante, flottante et trébuchante, très digne dans un costume de bain qui cherchait à l’aide d’une paire de jumelles parfaitement inadaptée à l’écartement de ses yeux des figures amies, c’est-à-dire nous.

 

Nous sommes restés quelques secondes interloqués puis l’immense marée humaine et animale s’est mue avec discipline vers le bord de la plage et par groupes de deux ou trois chacun a embarqué sur l’un des bâtiments de l’improbable flottille. Il a fallu presque toute la journée pour répartir tout le monde et je suis resté sur la plage pour aider celles et ceux qui tentaient de distribuer les grappes humaines dans lesdites embarcations.

 

Vous ne serez probablement pas surpris de savoir que d’une part l’autruche a quitté la sécurité de sa baignoire pour venir à mon aide et que d’autre part Bob le pingouin amateur de Piero della Francesca, particulièrement colérique ces temps-ci, a lui pris le chemin inverse et s’est installé dans la baignoire en pointe de l’armada, loin de tout danger.

 

Au crépuscule, l’incendie avait dévoré tout ce qu’il pouvait mais nous étions en sécurité. Plus personne ne demeurait sur les galets tranchants de la plage abandonnée. La marée humaine était d’évidence devenue telle, intégrée dans un océan de baignoires roses dérivant avec docilité sur des vagues heureusement modestes.

 

Je me trouve dans une de ces baignoires, surpris, rassuré et anxieux de savoir ce qui s’est passé et où se trouvent nos autres amis égarés, surtout Maria au regard si profond que je m’y perds si souvent. Mais à mes questions directes ou indirectes, mon amie l’autruche volante, flottante et trébuchante a répondu à sa manière: « Plus d’amour à Saint-Pétersbourg, pluie à La Rochelle, bleu et vert, couleurs du jasmin, banane et chocolat, tout cela me dépasse mais nul ne se trémousse, il fait et pas, moi ou toi, nous et vous, argh! je m’emmêle mais les mêmes se mêlent et médisent sur Méliès ce qui n’est pas gentil ».

 

Je suis éreinté, mais l’espoir, cette étrange bête à la frimousse dorée, se contorsionne à nouveau aux tréfonds de mon âme. Il y a de la lumière au bout du tunnel. Quelque chose s’annonce. Un nouveau départ. Peut-être. Derrière nous les flammes ont tout brûlé, il ne reste rien, mais qu’importe, vers l’horizon qu’éclaire un soleil moins pâle qu’hier me semble-t-il je crois discerner des étincelles de plaisir. Je vais me blottir contre mon autruche, laisser mon grille-pain débiter ses quarts d’heure, supporter Bob le pingouin qui est revenu puisqu’il ne risque rien et rêver, à nouveau. Un beau et tendre rêve où Maria ne sera pas comme ici, absente.

 

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