De l’irruption de l’étrange dans un monde qui pourtant l’était déjà, d’une porte que nous n’avions pas vu et d’envahisseurs que nous n’avions pas escomptés


De l’irruption de l’étrange dans un monde qui pourtant l’était déjà, d’une porte que nous n’avions pas vu et d’envahisseurs que nous n’avions pas escomptés

 

Nous nous étions quittés l’autre soir dans un état de profonde instabilité, de tension extrême, d’incertitude absolue – de mon côté en tout cas, je ne sais pas évidemment ce qu’il en est du vôtre, j’en profite pour vous adresser par-delà les mers, continents et temps mes meilleures salutations et sentiments – nous étions mes amis et moi-même assis en cercle et attendions à défaut de pouvoir faire quoi que ce soit d’autre que l’inéluctable se produise, en l’occurrence que le groupe d’individus fortement énervés, dépités, catastrophés, révoltés et mal maitrisés, ne fasse irruption dans la pièce centrale du musée imaginaire de ce monde morne et triste dans lequel nous évoluions alors.

 

Je vous ai laissé, me semble-t-il, au moment précis où la double porte fermée à clef et bloquée de travers par l’auteur, mon alter ego, d’une chronique, d’un roman ou de quelque autre texte que ce soit, cela n’a pas d’importance, mais bloqué depuis un certain temps dans un profond sommeil illusoire et fantasmatique, a fini par céder sous les coups de butoirs répétés d‘une foule qui comme je crois vous l’avoir décrit assez fidèlement faisait preuve d’une modération limitée et exultait par toutes ses pores la haine et le rejet de notre présence.

 

Je m’attendais au pire.

 

Le pire n’est pas advenu.

 

Car lorsque la porte s’est ouverte, elle n’a pas laissée place à une foule d’ignobles individus hurlants et menaçants, pas le moins du monde, la porte a cédé et s’est ouverte, les deux battants se sont dépliés lentement et une marée d’enfants très jeunes a fait irruption avec rires à l’appui.

 

Les visages crispés de colère et d’agressivité auxquels je m’attendais avaient simplement disparus, laissant des visages poupons, rieurs, joueurs, un brin surpris de se trouver ici, nous faire face.

 

Des centaines de jeunes enfants, entre 3 et 6 ans, guère plus, pas un adulte à l’horizon, des enfants hauts comme trois pommes, habillés de rouge, à nouveau, mais pas uniformément, des shorts, pantalons, chemises, baskets, casquettes, blancs ou noirs, mais des signes de couleurs par-ci par-là, essentiellement du vermillon, sont entrés dans la pièce où nous trouvions, se sont tus en réprimant des fous-rires évidents, de gloussements réjouissants, des mimiques naïves, des grimaces à peine forcées, des froncements de sourcils, des yeux parfois exorbités par la surprise et s’étonnant visiblement de se trouver dans cette pièce avec des personnages aussi dramatiques que nous.

 

Ils ont défilé parmi nous, tranquillement, sans anxiété ni énervement, se sont parfois arrêtés pour contempler le visage hirsute du Yéti anarchiste ou la tête dépitée de l’autruche volante, flottante et trébuchante surgie non point du néant, mais presque, ou pour toucher d’une main respectueuse mais curieuse les bras de Maria au regard si profonds qu’ils se perdaient tous et toutes pour quelques secondes avant de reprendre leur marche vers le fond de la pièce qui subitement nous est apparue plus longue qu’auparavant.

 

Ils ont contourné notre groupe assis en cercle, tranquillement, certains passant même en plein milieu, puis les bancs qui étaient dispersés aux quatre coins de la pièce, puis ont attendu devant une autre porte qui je pense pouvoir l’affirmer avec certitude n’existait pas deux minutes auparavant et, lorsqu’elle s’est ouverte dans un bruit d’ascenseur l’ont franchi avec plaisir se mettant ensuite à courir, rire et crier, mais de joie et non point de haine.

 

La longue cohorte des enfants a mis longtemps à passer devant nous, peut-être deux heures, des milliers d’enfants, toutes et tous très surpris de nous trouver là, ne disant presque rien ou s’exprimant par phrases télégraphiques qui ne nous étaient pas adressées, plus loin… avancez… ce n’est pas là… vous avez vu lui là-bas… elle est belle… où ça se trouve ? … qui s’est ? … lui me fait peur mais pas elle … qu’est-ce que ça fait ici ? … Par où sont-ils passés ? et ainsi de suite, des questions nombreuses mais pas de réponses, une exceptionnelle complicité, des rires retenus, un calme et une sérénité tout à fait évidents exhalant la sympathie, ceci nous a semblé proprement ahurissant, d’autant plus que depuis des semaines voire des mois nous n’avons fait autre chose que traverser des paysages désolés, désertés, abimés, détruits, des scènes sordides et menaçantes, nous trouver face à des dangers immédiats et déstabilisants.

 

Pour quelle raison la foule hurlante s’était transformée en longue file d’enfants rieurs et bienheureux, je n’en sais rien, mais j’ai trouvé ceci fort réjouissant et surtout soulageant.

 

Après quelques minutes et les premiers cinquante ou cent enfants, la surprise initiale cédant la place à un apaisement général, nous avons-nous-mêmes commencés à arborer des sourires de connivence et certains se sont pris à faire des grimaces infantiles attirant immédiatement des rires, gloussements, éclats ou risées supplémentaires.

 

Cette terre ingrate, morne et triste a cédé la place à un espace de joie, j’espère plus qu’une parenthèse.

 

Lorsque le dernier enfant a disparu par la porte nouvelle ouverte sur un monde inconnu nous nous sommes levés et les avons suivi avec hésitation tant le bonheur fait peur.

 

Nous étions hésitants, déstabilisés, maladroits, marchant avec peu d’aplomb et guère d’assurance.

 

Après quelques minutes d’efforts, nous nous sommes retrouvés sur le seuil de ladite porte, au sommet d’une colline verdoyante avec fleurs et arbres et un peu plus bas une route longue, noire, droite divisant le paysage en deux, d’un côté une colline et de l’autre une lande humide et fleurie, elle aussi, et au-delà la mer avec des vagues douces et blanches.

 

Le ciel de ce monde dans lequel nous venons de faire irruption est bleu avec gros cumulus blancs, il s’agit d’un monde d’Épinal, de jouets et de peluches…

 

Qu’avons-nous à faire dans un tel univers ? Je n’en sais rien… Est-il réel ? Que voulez-vous que je vous réponde ? Ni plus ni moins que ceux que nous avons traversés auparavant ou que celui dans lequel cher lecteur ou cher lectrice vous évoluez.

 

Nous avons descendu un brin piteusement les quelques dizaines de mètres nous séparant de la route puis l’avons empruntés nous aussi, loin derrière la cohorte d’enfants gazouillant et s’étendant vers ce qui semble être le levant.

 

Nous marchons sur cette route rieuse.

 

Je me suis retourné tout à l’heure mais je n’ai plus reconnu le monde derrière nous, la porte avait disparu, la colline aussi. Tant pis, je ne m’en plaindrais pas.

 

Le grille-pain existentialiste est toujours solidement agrippé sur mon épaule droite et l’autruche s’est instinctivement portée à mes côtés, comme lorsque nous marchions dans le désert il y a si longtemps. Nous sommes précédés par Maria et la jeune fille aux cheveux rouges. Les pingouins moqueurs et amateurs de Piero della Francesca sont derrière nous et se plaignent déjà indiquant que selon toute vraisemblance le paysage ne ressemblait pas à celui d’Arezzo. Un peu plus loin derrière le Yéti pousse une brouette contenant l’extincteur fort sage et la machine à gaz rondouillarde, les deux semblants encore assoupis.

 

Il n’y a pas d’auteur assoupi, ni d’ours passagers clandestins d’une embarcation de fortune, encore moins de banquiers isolés, non, nous sommes revenus à un cercle plus restreint d’amis désorientés.

 

Nous suivons une route sinueuse et noire bordée de lignes blanches tracées à l’équerre, la lande est rieuse tout comme la mer et la colline.

 

De ce paysage de carte postale, je vous souhaite une belle et bonne journée.

 

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Âmes pieuses s’abstenir… je vous aurais prévenu!


Âmes pieuses s’abstenir… je vous aurais prévenu!

 

La situation est un brin compliquée et délicate.

 

Nous sommes au centre d’un musée imaginaire, dans une pièce où des toiles blanches sont exposées, joliment encadrées, avec des petits cartons attribuant les uns et les autres à Vermeer, Piero della Francesca, Bellini, Ernst ou Klee, assis en cercle, considérant les vestiges des âmes, les nôtres et les autres, tandis qu’à l’extérieur des voix sombres et en colère se font entendre suivies de chocs sourds contre la porte que nous avons bloquée aussi bien que nous le pouvions.

 

Des hurlements et battements émergent d’un fond sonore tout empreint de violence.

 

Des centaines d’individus venus de nulle part forment une masse probablement grouillante guidée par leur lumière intérieure vers notre solitude morne et grise.

 

Les voix enflent, les sons se propagent, les slogans s’attirent les uns les autres et forment un chœur impromptu et un orchestre inutile.

 

On me reproche des écrits d’avant-hier dont je ne me rappelle même plus le contenu, des références involontaires à des situations religieuses ou similaires.

 

Les voix s’enchevêtrent, s’emmêlent, s’entremêlent et forment un canevas proprement indéchiffrable d’autant plus que l’origine des voix est invisible, nous sommes aveugles, nous sommes muets mais malheureusement pas sourds et entendons les menaces, les cris, les hurlements.

 

Je ne saurais proprement décrire ce capharnaüm, ces vocalises agressives, pieuses et vengeresses mais je crois pouvoir partager avec vous ceci :

 

Voix féminine 1 : Le Dieu Unique, les deux dieux secondaires, les prophètes tertiaires, les bienheureux et bienheureuses quartenaires sont venus sur notre terre et ont imposé la vie, le bonheur, la joie, l’amour, et cet individu les parjure, qu’il meure, que ses textes soient brulés, que ses compagnons soient torturés. On ne saurait remettre en question la bonté de nos guides suprêmes, la beauté de leur action, la sérénité de leur pensée, le calme irradié par leur commisération. Nous bénissons leur action mais maudissons ceux et celles qui les défient avec impudence…

 

Voix masculine 1 : Lors du repas de Brouchyon-les-Ouailles, le grand Féru et ses Saints acolytes ont béni la terre, les cieux et les eaux puis Il s’est tourné vers l’enfant qui contemplait les étoiles et a dit : « Que la joie soit et la foi choit, Que les brebis saines paissent et les autres aussi, Que l’amour diffuse dans les veines et le reste non… » Ceci est limpide, ceci est divin, ceci est commisératif, ceci est généreux et indique bien que le sang ne doit plus se diffuser dans les veines des brebis malsaines. Saisissez-vous de ce parjure et profanateur, écartelez-le, torturez-le, car le dieu saint, béni, ses ouailles généreuses, et l’amour qu’ils prescrivent nous l’ont dicté ainsi.

 

Voix féminine 2 : S’il est une femme parmi eux, qu’elle soit réprimandée, lavée puis violée, qu’on la punisse de n’avoir pas compris qu’ils étaient maudits parmi les maudits pour avoir dénigré les âmes pures, les trois dieux suprêmes, les dieux parallèles, les prophètes aux noms saints et les autres aussi.

 

Voix féminines 3, 4 et 5 : A mort, à mort, à mort, pas de quartier.

 

Voix masculines 2 à 7 : Qu’attendez-vous pour détruire cette putain de porte, pour écraser ces salauds qui profanent nos dieux, qui commettent sacrilège après sacrilège, tuez-les tous, brûlez les mecs, violez les femmes, torturez-les toutes et tous, répandez la peur parmi ceux qui nous combattent et réduisent notre amour de la foi et notre foi en l’amour en simples préceptes creux. Soyons justes et bons. Tuez-les…

 

Voix entremêlées : A mort, tuez-les, détruisez tout, salauds, pourritures, infâmes préposés de Lucifer, Satan et ses sbires, vive la liberté, vive l’amour, à bas les pourfendeurs de l’amour et la bonté.

 

Autres voix entremêlées : Il ne faut pas tolérer les sacrilèges et blasphèmes, ces gens sont la pourriture de la terre, nos quatre dieux, nos saints prophètes et lumières bénies, nos anges d’amour et bonheur nous instruisent de vivre en harmonie avec l’univers et de propager le bonheur, la joie sainte, la sérénité, la non-violence et la paix. Mais, nous ne saurions laisser se propager les virus de la haine, les gênes de la misère et de la guerre. Il faut écraser tout cela dans l’œuf. Il faut réagir et ne pas rester les bras croisés. C’est les larmes aux yeux et la peine dans nos cœurs que nous maudirons ces cloportes, leur arracheront leurs vêtements, les violeront et les puniront car c’est ainsi que le bonheur sera.

 

Ce climat délétère m’insupporte, je dois l’admettre. Il me fait peur.

 

Néanmoins je lui reconnais un avantage, celui d’avoir provoqué une réaction parmi mes amis.

 

Maria au regard si profond que je m’y perdais tout le temps mais qui depuis que je l’ai retrouvée dans ce monde inique, triste, cynique, semblait plongée dans une torpeur et une apathie dont elle ne pouvait sortir, est bien plus alerte et a prononcé quelques mots très doux.

 

La jeune fille au foulard rouge qui l’accompagne et qui était également plongée dans une profonde léthargie donne des signes évidents d’émergence dans notre réalité. L’image enroulée de ma chère autruche volante, flottante et trébuchante est traversée de convulsions et rides ce qui pourrait indiquer une renaissance de notre amie sous une forme autre qu’une simple photographie de taxidermiste.

 

L’extincteur fort sage secoue sa petite tête bien chétive et donne des signes de vie et il en est de même de la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne.

 

Les trois pingouins amateurs de Piero della Francesca ont posé leurs cartes et cessé de jouer avec le Yéti fort placide. Ils m’ont regardé longuement puis l’un, peut-être le dénommé Bob, a dit aux autres que le plus simple pour récupérer un peu de calme serait de le livrer aux crétins qui hurlent. Avec un peu de chance on pourrait peut-être même récupérer une petite somme qui nous permettrait de quitter cet endroit en direction d’Arezzo. De toute manière, il n’a jamais été très utile et comme narrateur il n’est pas très affectueux.

 

Tout ceci me rassure mais modérément je le confesse.

 

Il y a naturellement toujours cette interrogation quant à la présence de mon alter ego l’auteur mais là où il est, je veux dire en travers de la porte, il ne pose pas de problème majeur.

 

Comme en toutes choses, il y a plusieurs manières de considérer la situation, la première est de désespérer compte tenu du peu d’alternatives proposées, la seconde est de se réjouir du fait que pour la première fois depuis longtemps nous sommes réunis.

 

Voir les yeux de Maria retrouver leurs mouvement et profondeur est un pur délice, peu importe le reste.

 

Entre le tumulte extérieur et la plénitude intérieure il n’existe pas de réel lien. Il reste à trouver un équilibre, quel qu’il puisse être. Nous verrons bien. A chaque jour sa peine.

 

Pour vous les choses sont plus simples: si vous devez recevoir un nouveau signal de ce blog demain cela signifiera que nous avons survécu à cet épisode fort fâcheux. Sinon, cela signifiera l’inverse et je vous saurais alors fort gré de vous recueillir un moment sur l’ombre de la liberté d’expression, d’opinion et de pensée qui a un jour été.

 

A demain … j’espère.

 

ohhhhhh! on dirait que la porte s’entrouvre….

 

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Du blasphème et d’autres choses de cette nature ainsi que des conséquences qui peuvent découler de propos excessifs…


Du blasphème et d’autres choses de cette nature ainsi que des conséquences qui peuvent découler de propos excessifs…

 

Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le pensait initialement.

 

Hier, prisonnier d’une réalité triste, morne, et cynique, je m’étais martelé la possibilité d’une échappatoire aisée en réunissant mes amis au centre d’un musée imaginaire et avais fini par y croire. Je pensais pouvoir aisément tourner les pages de cette aventure déprimante en m’isolant de ce monde pluvieux et de ses cohortes d’humains cyniques, isolés dans leur sphère technologique, mais c’était sans compter sur les errements de mon errance…

Je me suis réveillé ce matin auprès de mes amis endormis ou comateux, songeant que cet univers égocentrique avait conduit à l’anéantissement, ou presque, de mes amis animaux, songez par exemple à l’autruche volante, flottante et trébuchante transformée en image d’animal empaillé, sans parler des pingouins amateurs de Piero della Francesca réduits à de simples joueurs vautrés sur le dos de mon alter ego, auteur prisonnier de l’imaginaire d’un autre moi-même.

 

Quant à mes autres amis de nature et situation difficilement explicables, le grille-pain fataliste, l’extincteur fort sage ou la machine à gaz, leur contribution s’est trouvée réduite à presque rien, un silence navré, un dialogue limité, des commentaires obscurs, un retour à des fonctions primales inutiles ou illusoires.

 

S’agissant de Maria au regard si profond que je m’y perdais toujours ou la jeune fille aux cheveux rouges, leurs yeux se sont largement éteints et leur visage ne reflète plus que des images d’Épinal.

 

Ce monde absorbe tout ce qui passe à sa portée pour lui ôter son âme ou son originalité, pour sucer sa vie et ne laisser que l’apparence d’un contenu dans un contenant sans vie, une armée de choses ou êtres similaires, sous la grisaille, dans l’anthracite et sur l’obscur.

 

Je pensais m’enfuir de tout ceci rapidement mais c’était sans compter sur une grossière erreur commise hier, vous vous en souviendrez peut-être, dans le contexte de ma chronique, une référence au chemin de croix et au calvaire, quelque chose de légèrement déviant, pas une grossière méchanceté, loin de là, mais comme la chose religieuse ne m’intéresse guère, me laisse de marbre ou de ciment, je n’avais pas vraiment pris garde à cela, c’était sorti de ma plume comme cela, une petite anicroche, une exagération, une inadéquation, sans lendemain… enfin, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que je sois extirpé de mes pensées initiales, telles que présentées précédemment, par des cris et vociférations provenant du hall du musée où nous séjournons.

 

Accompagné du grille-pain existentialiste tout juste sorti de ses propres rêves, je me suis rendu sur place et ai trouvé au-delà du portail d’entrée en fer forgé une masse grouillante d’individus aux yeux exorbités hurlant des slogans à mon encontre, me promettant les feux de l’enfer – ce qui soit dit en passant à fait sourire le grille-pain – et la mort immédiate si je ne me rétractais pas immédiatement avec pèlerinage à Saint-Pramton la Bréteche sur les genoux, les bras écartés, les yeux tournés vers le ciel et les prières dirigées en six langues, quatorze dialectes et douze-cent patois, à l’endroit des trois dieux suprêmes, des douze prophètes, des quinze divinités secondaires, et des deux-cent vingt-neuf bienheureux et bienheureuses diffuseurs de la foi vénérable et véritable.

 

Ils portaient des ornements très bizarres en forme de croix, étoiles, cercles, demi-cercles, demi-lunes, lapins et sauterelles, des vêtements étranges, rouges, jaunes ou verts, des instruments métalliques et des porte-voix leur permettant de multiplier le niveau de leurs incantations et menaces par trois ou quatre.

 

D’abord je n’ai pas compris qu’ils s’adressaient à moi et je pensais naïvement que cela concernait les toiles blanches du musée dont je vous ai parlé il y a quelques jours et j’ai tenté de les rassurer en leur disant que le fait qu’elles soient blanches ne signifiaient pas grand-chose et laissait la possibilité pour chacun et chacune de les remplir de tous les traits, dessins et schémas souhaités, y compris des représentations divines, réalistes ou abstraites, suivant le souhait.

 

Mais, ces chères personnes représentants la voix ou les voix et voies divines dans cette réalité bien grise m’ont immédiatement fait comprendre que là n’était pas le problème et se sont mis à gesticuler frénétiquement sur place en secouant la porte qui menaçait de s’ouvrir devant eux tout en criant des mots tels que blasphème, parjure, intolérance, sacrilège, irrespect, indignité, et j’en passe.

 

Lorsqu’ils ont vu le grille-pain accroché sur mes épaules et qui me murmurait ne t’en fais pas, les choses sont ainsi, les humains sont excessifs mais au fond ils ne sont pas si méchants que cela, ils ne pensent pas ce qu’ils disent et ne comprennent pas ce qu’ils font, les choses sont ainsi faites dans ce monde qui nous échappe et qui procède d’une logique incompréhensible. Ne sombrons pas dans un pessimisme de mauvais aloi…. cela a provoqué une recrudescence des cris et hurlements et une vieille femme indignée s’est mise à tendre la main vers nous et, en transe légère, s’est écriée : c’est un fils de Satan et des sept mages noirs suivi par un cri de rage d’une foule en délire.

 

J’ai reculé en souriant légèrement pour les apaiser puis me suis emparé d’un téléphone blanc qui trônait sur le pupitre de l’entrée.

 

Après avoir composé le chiffre 666 qui renvoyait apparemment aux urgences j’ai entendu une voix mécanique disant à peu près ceci : gentes dames et gentes sieurs, ayez l’amabilité de laisser votre revendication solennelle en trois exemplaires vocaux après le bip sonore et précisez si le cours de l’action dont vous songez qu’il baisse trop rapidement dispose d’une référence INSTETTA de catégorie 3 ou 4. Nous vous sommes très reconnaissants pour votre attention et vous souhaitons une belle et bonne journée d’investissements, de recueillements et de prédispositions philanthropiques durant ces périodes de recueillement.

 

J’ai raccroché un brin décontenancé et me suis dirigé vers le magasin de souvenirs encore fermé à cette heure matinale, ai trainé deux ou trois meubles d’appoint en vente à cet endroit et les ai coincés devant le portail. Je suis revenu en courant vers la salle centrale, ai fermé toutes les portes d’accès les unes après les autres, et me suis replié avec mon grille-pain fataliste dans la pièce centrale où je me trouve en ce moment.

 

J’ai bougé les bancs et l’auteur endormi contre les battants de la porte pour raffermir le système de fermeture – les auteurs sont souvent bloqués ce qui les placent dans une situation parfaite pour des situations de cette nature – et ai disposé mes autres amis en cercle.

 

Nous sommes ainsi disposés et attendons la suite des évènements dont je vous ferai un récit aussi réaliste que possible dès que les circonstances le permettront.

 

D’ici-là priez bien et recueillez-vous sur la liberté de pensée et d’expression qui glisse lentement hors de ce monde…

 

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De la réflexion qui précède l’action et des réalités qui s’emmêlent de plus en plus…


De la réflexion qui précède l’action et des réalités qui s’emmêlent de plus en plus…

 

Le monde triste dans lequel un auteur inconnu me fait évoluer demeure aussi triste qu’il était les jours précédents.

 

La bruine incessante qui s’échappe de nuages omniprésents imbibe les parapluies et mon visage tandis que je marche au milieu d’une foule compacte et sombre, une vague lourde et cynique, une marée sans nom, une association d’individus sans relation les uns avec les autres si ce n’est par engin électronique interposé.

 

J’ai tenté d’obtenir de mon alter ego, l’auteur endormi au musée sous les Vermeer imaginaires, une certaine forme de coopération et une ouverture sur un autre monde, une autre réalité mais il a refusé de coopérer arguant de sa neutralité dans des circonstances qui lui échappaient.

 

Vous vous rappellerez certainement que nous en étions arrivé à la conclusion que d’autres auteurs ailleurs ou ici, peu importe, jouaient avec nos nerfs et créaient au fur et à mesure des mondes aux dimensions, natures et formats différents. Cela rejoint d’ailleurs ces théories mathématiques qui prônent l’existence de plusieurs dizaines de dimensions voire de mondes parallèles qui jamais ne se croisent.

 

Un de mes alter ego a écrit là-dessus (publicité clandestine, je sais, je sais, désolé). Dans une réalité vous êtes architecte, marié(e), avez trois enfants, un chien, une villa et deux maitresses/amants, tandis que dans une autre vous ne vous êtes jamais présenté au concours dont il s’agissait pour d’obscures raisons tenant à l’horaire des bus, un joint mal supporté, ou que sais-je, avez bifurqué vers la sculpture, n’avez jamais émergé, puis, dans l’ordre, la bureautique, les barrages, les portes d’ascenseur, le culture du pavot, celle des fraises, puis le chocolat et enfin, en ce moment, êtes buraliste à Bloufarques-les-oies en Charentes Maritimes, célibataire, et pseudo-gourou d’une secte prônant les vertus d’un retour aux enseignements de Diogène.

 

Vous voyez ce que je veux dire, n’est-ce pas ? Tout est possible, tout est envisageable.

 

Ce cher Musset avait dit ceci dans un sonnet qui ne me revient pas en tête que dieu rêve, ce qui revient à peu près à cela. Nous sommes dans un rêve, plutôt que dans un autre, dont jamais nous nous réveillons, donc peu importe ce que nous sommes ou faisons puisque cela n’a pas plus de valeur qu’un courant d’air, chaud ou froid.

 

Bientôt nous nous réveillerons ou sombrerons dans un somme sans fin, quelle importance.

 

Bref, tout est possible, plausible, envisageable.

 

Donc, puisque tout est ainsi imaginable, il n’est pas totalement inconcevable que j’essaie de sortir de ce monde cynique et triste pour rejoindre une réalité différente, plus gaie, avec lumière au sortir du tunnel et tutti quanti, avec mes amis à mes côtés et non pas des ombres sans sourires ou des figures empaillées comme celles que j’aie retrouvées hier ou avant-hier.

 

J’ai donc procédé selon cette bizarre circonvolution de ma pensée, et me suis attelé à la tâche consistant à réunir mes amis, les mener au centre de ce monde sombre, soit la pièce central du musée imaginaire, pour, demain, déclarer notre sécession et advienne que pourra. Nous verrons bien.

 

Dans cette tâche délicate, j’ai malheureusement dû faire face à des impératifs logistiques évidents. J’étais seul, ou presque puisque l’assistance matérielle que le grille-pain existentialiste pouvait m’apporter m’est rapidement apparue négligeable, soyons honnête, mais devais regrouper tous mes amis.

 

Le Yéti anarchiste dorénavant homme d’affaires à succès, ne s’est pas montré fort coopératif et j’ai dû utiliser la manière forte, c’est-à-dire m’emparer de son portable brillant et doré et m’enfuir avec, lui me poursuivant avec forces insultes et parapluie dans la main droite. Arrivé au musée, je l’ai laissé aux mains des pingouins après leur avoir laissé croire qu’il, le yéti, souhaitait voler l’une des toiles imaginaires de Piero della Francesca. Ils se sont montrés fort brusques mais il n’aura pas été surpris outre mesure puisque dans ce monde, la fin justifie toujours les moyens.

 

Pour Maria au regard si profond que je m’y perds systématiquement et la jeune fille au pull rouge qui l’accompagne, j’ai dû les transporter dans une brouette de fortune ce qui a été fort éprouvant mais heureusement n’a provoqué aucune réaction symptomatique de la foule ; En fait, nul n’a bronché puisque dans cette réalité-ci tout est permis pour autant que l’on ne rompe pas le fil des monologues téléphoniques ou facebookiens.

 

S’agissant de l’extincteur, cela n’a pas posé de problème particulier, je l’ai décroché du mur où il était pendu et l’ai porté avec précaution.

 

Plus difficile aura été la transposition de l’autruche volante, flottante et trébuchante, dorénavant empaillée en compagnie d’ours blancs dans la devanture factice d’un taxidermiste de troisième catégorie. Je m’y suis pris à plusieurs fois pour tailler un carré d’environ deux mètre sur trois dans une sorte de toile de jute qui constitue la matière de ce monde de façade, ai enroulé l’image de mes amis et ai transporté le tout sur mon épaule gauche, la droite servant comme vous le savez de support au grille-pain fataliste.

 

Enfin, j’ai accroché une sorte de laisse à la machine à gaz rondouillarde muette dans cette dimension et l’ai trainée derrière moi.

 

Bref, ce tour de force – que je pourrais qualifier de chemin de croix si je ne craignais que des fanatiques religieux viennent m’accuser de tous les maux et détruire ma pauvre chronique au titre de l’alinéa 5,paragraphe 2, article 12, livre III, de l’encyclopédie des droits virtuels et devoirs réels des vivants de catégorie b, comme blanc, et c, comme … vous savez quoi, et que je me contenterais aujourd’hui de qualifier de calvaire, ah ! – s’est achevé il y a une petite demi-heure au centre du musée.

 

J’ai fermé les portes, ai baissé la lumière et me prépare pour le changement d’environnement.

 

J’effectuerai ceci en direct demain sur les principales chaînes de télévision retransmettant cette chronique en directe et, si vous deviez ne pas les trouver dans votre monde, pauvre de vous, sur ce vecteur de communication que parfois on nomme blog.

 

D’ici là, je vous souhaite la plus merveilleuse des nuits et les plus merveilleux rêves en espérant que vous vous réveilliez demain dans la même réalité qu’hier, on ne sait jamais…

 

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Des réalités qui s’entremêlent, d’amis qui s’empaillent, d’auteurs qui s’emmêlent et d’un second dialogue avec moi-même…


Des réalités qui s’entremêlent, d’amis qui s’empaillent, d’auteurs qui s’emmêlent et d’un second dialogue avec moi-même…

 

La pluie tombe du ciel uniformément anthracite, un gris fort triste, et dégouline sur les parapluies des humains qui marchent et mon visage qui n’est pas protégé des intempéries.

 

Ce monde résonne d’une sourde musique de fond, des battements de tambours forcenés et réguliers, ces chocs perpétuels des égos qui se cognent et s’affrontent cherchant à s’évacuer au-dessus des autres, se propulser vers les cieux et gagner l’immortalité des êtres par l’immoralité des âmes.

 

Rien d’autre ne filtre de ces têtes que des gages de grandeur, des ambitions effrénées, des étalages permanents des dits et non-dits. Ici tout se montre, ici tout se dévoile, ici tout se présente. Il n’y a pourtant aucun intérêt pour ce que l’autre ou les autres montrent ou dévoilent, tout le monde s’en fiche, cela n’intéresse pas, pourtant chacun et chacune se montre en un striptease moral permanent.

 

Je suis riche, je suis puissant, je suis forte, je suis beau, j’ai trois amants, j’ai deux maîtresses, j’ai des seins raccommodés, j’ai des enfants dont je me contrefiche, j’ai des fesses rehaussées, j’ai un sac Vuitton et il vaut cinq mille euros, j’ai un père à l’asile et une mère chez les putes, je vaux trois mille euros la nuit et quinze mille la semaine, j’ai une Maserati et un vison, j’ai deux statuettes Ming de contrebande, j’ai couché avec une mineure et je me porte bien, je suis malade et ma vessie est en plastique, j’ai volé trois i-pad pour rire mais ai revendu quinze grammes pour continuer de pleurer, mon psy m’a violée mais m’a suggéré d’acheter des FGZ et vendre mes MNSI pour mieux coller au S&P500 et ainsi de suite.

 

Ce monde pleure le cynisme comme la pluie.

 

Il y a peu j’errais dans un pays à feu et à sang brûlé par trois soleils, aujourd’hui je courbe l’échine dans un monde où il n’y en a aucun. Ne reste qu’un manteau de bruine et une cape de pluie, souillée et acide, qui marque les esprits et inonde les cœurs et fait disparaître l’espoir.

 

J’ai retrouvé Maria au regard si profond que je m’y suis si souvent perdu, et la jeune fille au chapeau rouge, leurs yeux sont ouverts mais vers l’intérieur.

 

L’extincteur existentialiste s’endort sur mon épaule droite tandis que les pingouins amateurs de Piero della Francesca jouent un jeu de cartes mystérieux assis sur le dos de l’auteur, mon alter ego, endormi sous un Vermeer blanc.

 

Pour votre information, sachez que je crois avoir retrouvé l’extincteur fort sage accroché devant la façade d’une boulangerie. Je lui ai parlé mais il ne m’a pas répondu. Je ne sais pas s’il s’agit ou non de mon ami prétendant être ambassadeur de quelques puissances extraterrestres et récemment historien officiel d’une révolution officieuse.

 

J’ai également trouvé un engin grotesque et bubonneux qui pourrait être une version mécanisée de la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne, elle se trouvait près d’une terrasse transformée en marché de produits de luxe et servait de radiateur à air pulsé.

 

Quant à l’autruche volante, flottante et trébuchante j’en ai retrouvé une version simplifiée en vitrine d’un taxidermiste. Ne pouvant y pénétrer pour les raisons expliquées les jours précédents, ce monde n’étant que de façade, j’ai posé mes mains en éventail sur la vitre mouillée par la pluie froide et ai tenté de discerner ce qui pouvait se cacher au-delà de cette pauvre amie empaillée et je crois avoir vu des ours blancs, petits, allongés les uns contre les autres, ceux-là mêmes qui s’étaient érigés en passagers clandestins de notre baignoire des mers.

 

Le monde dans lequel j’évolue est triste à mourir et mon monde à moi est lui-même empli de cadavres empaillés ou d’amis endormis.

 

Je suis revenu au centre de cette morne réalité, le musée des tableaux vierges et imaginaires, et me suis précipité au chevet de mon alter ego, l’auteur endormi.

 

J’ai débattu quelques minutes avec le grille-pain fataliste sur la meilleure manière de réveiller un artiste et il m’a dit que ces individus vivant dans un monde qui n’est pas le nôtre, les réveiller peut provoquer une perte de mémoire de catégorie 7 sur une échelle de Mysner-Maller en comprenant 12. Tu peux prendre le risque mais méfie-toi des conséquences.

 

Je lui ai demandé quelle était cette échelle mais il ne m’a pas répondu, s’est branché sur une prise en évidence et s’est enivré du parfum semble-t-il très particulier de l’électricité d’origine nucléaire.

 

J’ai donc opté pour la prise de risque maximale, me suis dirigé vers mon autre moi-même et me suis installé à califourchon sur son dos, juste devant les trois pingouins, l’ai secoué légèrement, puis, dans l’ordre, vivement, farouchement, et violemment.

 

Il a fini par se redresser et a souhaité des explications sur ma conduite, réaction évidente, banale et logique.

 

J’ai décrit mes anxiétés, mes douleurs d’âme et d’être, des incertitudes et mes regrets puis ai dit :

 

(Moi-même 1 / MM1) : cette réalité que tu construis est invivable, irréelle, inacceptable. J’en ai marre de cette grisaille et ce cynisme. Certains de mes amis sont morts tandis que d’autres sont en état d’hypnose.

 

(Moi-même 2 / MM2) : … et alors ? J’y peux quelque chose ?

 

MM1 : forcément ! Tu es auteur non ?

 

MM2 : oui, et ?

 

MM1 : et bien si tu as l’esprit suffisamment dérangé pour inventer un monde aussi pénible que cela tu devrais aussi pouvoir en concevoir un autre où nos potes ne seront pas empaillés.

 

MM2 : C’est sûr, mais cela ne changerait en rien ta situation.

 

MM1 : au contraire, cela changerait tout !

 

MM2 : Non, cela ne changerait rien pour toi.

 

MM1 : et pourquoi ?

 

MM2 : pour la simple et bonne raison que le monde que je suis en train de créer, ou plus exactement que j’étais en train de créer avant qu’un imbécile ne se mette à me gifler, n’a rien à voir avec celui que tu me décris. Ça c’est ton histoire, pas la mienne. La mienne, c’est un désert très aride dans lequel toi et tes copains tu te promènes. Il n’y a pas de pluie, pas de grisaille et pas d’humains car franchement les humains me font chier. Alors, si cela ne te dérange pas, je souhaiterais me remettre aussi rapidement que possible au travail. Je te saurais gré de bien vouloir te déplacer légèrement et me laisser travailler.

 

MM1 : … Mais, si ce n’est pas toi qui crée ce monde, c’est qui le responsable ?

 

MM2 : Tu peux pas imaginer combien je m’en fiche. Je te suggère de te rendre le plus rapidement possible au bureau des auteurs égarés et demander s’ils n’en ont pas trouvé un qui cuvait une bonne cuite dans un caniveau, ce qui expliquerait ton problème. Bon, je peux retourner à mes occupations ?

 

Je me suis tu car je n’avais rien à ajouter, j’étais accablé par le poids des évènements. Si mon alter ego n’est pas responsable de cela, qui l’est ? Si ce n’est pas son monde lequel est-ce ? Je suis un narrateur perdu dans un monde créé par un autre lui-même…

 

Combien ai-je donc d’alter ego ? Je vais dès demain faire paraître un article dans une feuille de choux électronique et demanderai que l’on m’indique la meilleure manière de retrouver le créateur de cette étrange réalité.

 

Si vous deviez avoir une idée n’hésitez pas à me le faire savoir à l’adresse suivante : réalité-perdue-v3/poste-restante-suisse-genève-1205.

 

Merci d’avance.

 

§542

De l’incongruité de ce monde et l’impossibilité qu’il soit autre chose que le produit de l’imaginaire d’un auteur endormi…


De l’incongruité de ce monde et l’impossibilité qu’il soit autre chose que le produit de l’imaginaire d’un auteur endormi…

 

Qu’arrive-t-il à mes amis ?

 

Ce monde étrange dans lequel mon alter ego, l’auteur, nous a plongés est insupportable de cynisme et d’indifférence. Les qualités et travers de chacun et chacune y sont exacerbés à l’extrême, les sentiments sont confondus, entremêlés, les comportements bouleversés.

 

Je vous ai parlé du Yéti anarchiste que j’ai croisé l’autre jour, qui m’a à peine reconnu et s’est plu à m’expliquer, brièvement, ses activités actuelles, les fonds révolutionnaires qu’il avait créés et introduit en bourse et qui prospéraient pour le bénéfice de la cause, laquelle ?, et dont ils tiraient des avantages certains et une motivation galvanisante, pour lui en tout cas.

 

J’ai retrouvé hier, mais ceci était dans un tout autre registre, Maria, la femme au regard si profond et étrange que je m’y perdais si souvent, accompagnée de cette jeune femme au chemisier rouge, qui nous avait aidés lors de notre séjour dans cette mégalopole traversée de convulsions profondes, marquée au fer rouge par la peur, le chaos et les désordres de toutes sortes, et qui m’avait ensuite guidé dans ma traversée du désert.

 

Toutes les deux sont apparues dans cette réalité incongrue mais leur présence est, si j’ose m’exprimer ainsi, celle d’absentes.

 

Dans un monde qui n’est qu’un contenant sans contenu elles sont assises empreintes d’une profonde léthargie, silencieuses, immobiles, sourdes à mes paroles, apparemment apaisées, mais leur être trahi quelque chose qui n’est ni tranquillité, ni sérénité, ni sagesse. Il y a ces tics quasiment imperceptibles, ces mouvements subis et brusques des paupières, ces doigts qui tremblent légèrement, le froncement des lèvres qui papillonnent, le teint du visage tirant les nuances vers le clair voire le diaphane, les vaisseaux sanguins qui dans les yeux se découvrent en arbres hivernaux minuscules et rouges.

 

Je me suis inquiété mais nul ne m’a aidé.

 

Le grille-pain, assis sur mon épaule droite, tel un perroquet de bonne compagnie, a supposé la chose suivante : nous sommes clairement installés dans un monde superficiel, artificiel, de façades et décors sans fondements, il y a là création d’un auteur endormi, ton autre toi-même qui couve son imaginaire dans un sommeil triste sous des pingouins avachis et un Vermeer blanc. Nous sommes en quelques sortes des acteurs d’un monde qui n’est pas réel, pas véridique, simplement plausible. Celui ou ceux dans lesquels nous avons évolué jusqu’à présent n’étaient guère mieux mais ils étaient plus détaillés, mieux finis, plus crédibles. Celui-ci est brut. Une composition simple. Moins de nuances, moins de subtilité. Donc, Maria et la jeune femme sont là mais sans y être vraiment. De la même manière que les pingouins qui sont pourtant, au-delà de leur passion particulière pour Piero della Francesca, râleurs, pesteurs et piaffeurs, sont installés sur le dos de ton autre toi-même dormant et ne prononcent pas un mot. Ce pauvre Yéti qui s’est toujours fichu comme d’une guigne des honneurs et de l’argent ne cherche plus que cela. Ce n’est pas crédible. C’est donc fantasmatique, imaginaire. Nous évoluons dans une création, peut-être le prélude d’un roman ou d’un film, va savoir. Nous sommes des personnages non point en quête d’auteur, pas de doute sur cela, mais en quête d’histoire. Nous attendons que les choses bougent, avancent, nous souhaitons rejoindre le flot de celles et ceux qui marchent, mais ne savons comment faire. On ne nous a pas donné la clef!

 

J’ai réfléchi un moment et ai acquiescé. Cela doit être vrai. En partie tout au moins.

 

Ce monde n’existe pas!

 

L’indifférence et le cynisme de ces gens ne peut qu’être feinte. Elle ne saurait être réelle.

 

Songez un moment aux conversations que j’aie entendu ces dernières heures:

 

Une jeune femme, marchant d’un pas ferme sous le crachin perpétuel s’adressant à un gestionnaire anonyme à l’autre bout d’une liaison téléphonique virtuelle et probablement inexistante, lui demandant d’étudier en détail les valeurs boursières qui monteraient en cas d’éruption volcanique, tremblements de terre, ou tsunami, de les cataloguer et les suivre avec précision pour créer un fonds d’investissement potentiellement très rentable nommé ‘Espoir’.

 

Ou encore, ce jeune homme au costume taillé dans la marque et le vernis s’adressant au monde virtuel collé à son oreille et lui disant que suite aux famines du Dixland et Mixterres il songeait à demander une mutation qui lui ferait compléter le cycle demandé et lui permettrait d’obtenir une promotion rapide et méritée au sein du secrétariat d’état à l’assistance humanitaire, la perpétuation du bonheur, et la diffusion de la sérénité envers les foules humaines et animales animées du désir de droits et liberté.

 

Sans parler de celui-ci qui se portait volontaire pour des concerts ou spectacles philanthropiques en arguant de sa disponibilité, de son souhait de diffuser gratuitement ses nouvelles créations hors frais généraux et indemnités de traitement pour lui et son orchestre, sa cousine et ses deux maîtresses, ce qui lui permettrait de propulser sa carrière inondée non pas de joie et soleil mais de poncifs certains.

 

Et cet autre individu charmant suggérant d’investir en masse dans une société condamnée et en faillite pour avoir diffuser des molécules dangereuses, voire mortelles, l’acheter pour le dollar symbolique, revendre tous les biens, transférer le fonds de commerce en Boulchanie Transversale sur la base du soutien à l’investissement mélancolique, y rester trois ans, licencier tout le monde et revenir au point de départ sur la base de l’assistance au retour des investissements étrangers, bénéficier des aides à l’emploi premier et second, à la création d’entreprise etcetera et à ce moment-là, faire comme les prédécesseurs et partir rapidement sous d’autres cieux plus hospitaliers.

 

Sans parler de celle-là qui venait de faire trois enfants de suite à trois maris différents et avait maintenant atteint la limite supérieure de pensions lui permettant de se lancer dans le soutien au botoxage intensif des âmes charitables et peaux élastiques ou celui-ci qui proposait à un anonyme de le rejoindre dans une boite de nuit pour ados de riches et atteindre bientôt le record d’un viol consentant par chimie interposée et par nuit de labeur, six nuits par semaine, par respect du jour du seigneur, et cinquante semaines par an, pour permettre le pèlerinage de Maigrelettes les bains durant les mois de processions mariales.

 

Non, ce monde ne saurait être réel.

 

Il ne peut être le fait que d’un esprit dérangé et maladif.

 

Je vais réveiller l’auteur, mon alter ego, le secouer et lui demander de nous transposer toutes et tous dans une réalité meilleure et cette-fois-ci plausible, quelque chose qui soit vivable.

 

Je vais également essayer de retrouver les absents, je veux dire l’extincteur fort sage et la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne.

 

Pour l’heure, cependant, j’ai du mal à quitter le banc où Maria et la jeune fille au chapeau rouge laisse leur mélancolie filtrer et baigner le monde impur de leur aura magique.

 

Je me sens si las. La pluie coule sur mon visage telle une douche de tristesse. Je devrais voler un parapluie.

 

§511

D’une énorme surprise suivie d’une étrange situation et d’un profond désarroi


D’une énorme surprise suivie d’une étrange situation et d’un profond désarroi

 

Les choses se sont compliquées…

 

Je ne sais comment vous dire cela.

 

Vous vous rappelez certainement mes dernières descriptions de ce monde gris et humide, pluvieux à l’extrême où les vivants ne songent qu’à l’apparence et sont entièrement pris par des considérations purement matérialistes. Je vous ai parlé de leurs monologues sans fin et leur égocentrisme de bas étage. Je vous ai narré mes tentatives désespérées et infructueuses de conversations. Je suis ignoré de toutes et tous. Nul ne me voit, nul ne me reconnait. J’ai retrouvé le Yéti anarchiste mais sous une apparence indigne de lui. Je me promène avec le grille-pain existentialiste sur mon épaule droite. Au musée l’auteur, mon alter ego, mon autre moi-même, dort sous un Vermeer blanc. Les trois pingouins amateurs de Piero della Francesca sont assis sur lui et ne cessent de causer.

 

Ce monde tourne dans une ronde sans fin.

 

Tout semble rituel et routinier.

 

Semblait, devrais-je dire.

 

La pluie, les façades sans âme, les vivants sans cœur, les mouvements perpétuels, l’arrogance et l’égoïsme, la superbe indifférence. Pourtant, les choses ont évolué.

 

J’AI RETROUVÉ MARIA, MA MARIA, celle au regard si profond que je m’y perdais si souvent.

 

J’ai retrouvé la jeune fille au foulard rouge.

 

Toutes les deux assises sur une terrasse.

 

Toutes les deux immobiles et les yeux perdus, le regard en berne, le teint blanchâtre, semblant hypnotisées, absentes, perdues. Je me suis précipité vers elles et leur ai parlé avec émotion, dévotion, passion, mais elles n’ont pas levé les yeux vers moi, ne m’ont pas remarqué, sont restées parfaitement immobiles. J’ai posé ma main sur leurs épaules, les ai même secouées légèrement mais sans impact particulier.

 

Silence, calme, sérénité, absence.

 

J’ai tellement attendu de les revoir mais lorsque, enfin, nous nous retrouvons, c’est elles qui sont absentes, toutes en étant présentes.

 

Un regard perdu, noyé, dérouté, un corps immobile, mais en vie, heureusement, des silhouettes voutées, des drames cachés, des accidents ou des violences, des chocs ou que sais-je encore.

 

Avant je me noyais de ne plus voir Maria, maintenant je me meurs de la voir dans cet état.

 

Qu’est-il arrivé ? Comment les ramener à la vie, comment les faire émerger dans ce monde, comment les sauver.

 

Je cours parmi les nuées de vivants aux téléphones portés à l’oreille droite et le parapluie tenu à la main gauche, ou inversement, en permanence, je demande de l’aide, de l’assistance, l’adresse de médecins, mais personne ne me reconnait et nul ne m’aide.

 

Je me suis emparé de téléphones et ce que j’ai entendu disait : il n’y a personne au numéro que vous ne demandez pas, il n’y a personne au numéro que vous demandez, il n’y a personne…

 

Je me suis emparé d’un autre, et ai entendu la même chose… Tous ces gens de faisaient que parler à des boites vocales ridicules.

 

Aucun ne me répond, aucun n’est utile à quoi que ce soit, tous sont des ombres gesticulantes, des parangons d’égoïsmes, des façades, des contenants sans contenus, je cours mais rien ni personne ne peut m’aider.

 

J’ai essayé de pénétrer dans un bâtiment qui indiquait : Clinique de Marthe la Mielleuse mais la porte ne s’ouvrait pas.

 

J’ai essayé de casser les fenêtres d’un commissariat de police pour m’y introduire mais le verre était plus dur que du béton.

 

J’ai souhaité prendre une voiture, mais elle était plus lourde que l’acier et ses portes ne s’ouvraient pas.

 

J’ai crié mais nul ne m’a entendu et encore moins écouté.

 

Maria et la jeune fille au mouchoir rouge sont là mais absentes…

 

Les autres sont présents mais vides…

 

Où suis-je ?

 

Qui suis-je et qui sont-ils ?

 

Y a-t-il un pilote dans l’avion, y a-t-il un avion, y a-t-il une réalité telle que celle dans laquelle j’avance aveuglé ?

 

Je ne sais pas…

 

Je suis maintenant assis à côté de Maria et lui tient la main. Celle-ci est tiède. Je lui parle. Son regard est vide. Sa bouche ne prononce aucun mot.

 

Mais je lui parle et lui dit tout l’amour que j’ai dans mon cœur. A ce stade je préfère ne pas vous conter très précisément ce que je lui dis.

 

Je pense que vous comprendrez.

 

508

D’un baiser charmant sous un ciel de pluie et d’un triste romantisme…


D’un baiser charmant sous un ciel de pluie et d’un triste romantisme…

 

 

Le monde dans lequel je déambule est étrange et peu intéressant. La pluie y est incessante. Le ciel s’ouvre en permanence pour dévoiler d’autres couches de nuages, puis encore d’autres, et ainsi de suite jusqu’à épuisement du ciel, des yeux et de l’eau, et tout cela libère encore plus d’eau sur les corps se mouvant d’une manière saccadée le long de trottoirs ruisselant d’infortune.

 

Les humains marchent et leurs corps sont droits. Il n’y a que des silhouettes démantibulées formées d’un tronc longiligne et d’une tête énorme en demi-cercle, des ombres d’humains portant haut et fier leurs parapluies tout en s’époumonant dans des réceptacles de mauvaise humeur, d’instructions précises ou diffuses, de mauvais procès ou bonnes ruptures, tous et toutes avancent dans un courant qui n’a ni début ni fin.

 

L’auteur, mon autre moi-même, n’a pas semblé vouloir donner à ces êtres d’autre but à leur pérégrination quotidienne qu’une marche agrémentée de discussions à n’en plus finir avec d’autres ombres.

 

Il est possible – tel est le constat du grille-pain existentialiste qui posé sur mon épaule droite ne cesse de commenter sur l’absence de finalité de cette réalité stricte et déplaisante – que ces ombres que nous voyons passer et repasser se parlent les uns aux autres par l’intermédiaire de ces instruments plats et brillants. Peut-être sans que nous nous en rendions compte marchent-ils les uns à côté des autres mais sans pouvoir disposer de l’indépendance, de la liberté ou du courage nécessaire pour reproduire des sons et se les adresser directement. Il leur faut peut-être un lien, un pont, un moyen leur permettant de combler ces lacunes. La brutalité de leurs propos pourrait en fait masquer une lâcheté particulière, va savoir.

 

Je ne sais pas.

 

Je n’ai pas répondu à mon grille-pain car je ne sais pas ce qu’il en est.

 

Je crois que l’auteur, mon alter ego, se promène sur des sentiers par lui seul connu et moi, le narrateur ou locuteur, le suis sans vraiment comprendre où, ni comment, ni quoi que ce soit. Je ne perçois pas le contenu de son message et pour dire vrai je ne saisis même pas le contenant. Il m’échappe totalement.

 

Mais, je suis habitué, j’en ai vu d’autres, comme diraient d’anciens combattants de guerres inutiles menées par eux mais pour d’autres.

 

Je ne vous ferai pas le catalogue de toutes les rencontres avortées de ce jour, ce serait lassant et inutile, le même spectacle triste voire sordide, les mêmes commentaires agrémentés d’insultes et jurons, la même solitude.

 

Il y a bien peut-être cette chose assez drôle qui s’est produite vers midi, 11 minutes et 10 secondes foi de grille-pain affamé, un couple jeune et sans téléphone portable, appareil électronique équivalent ou parapluie, sous un porche suintant l’humidité et s’embrassant avec un semblant de tendresse, pas trop quand même, juste deux paires de lèvres qui se touchaient vaguement et des mains qui entouraient le cou ou le dos et se permettaient de frôler la surface lisse et supérieure de l’épiderme de l’autre.

 

Je me suis arrêté, ai regardé avec un sourire aux lèvres – les miennes je veux dire puisque les leurs étaient occupées- le spectacle d’intimité qui s’offrait à moi, mais cela n’a duré qu’un temps, soit 5 secondes et 3 dixièmes, puis une voix surgie du néant a dit :

 

C’est bon, la torture est finie. On a assez d’images. Une super campagne en perspective. Si ces chiants d’ados n’ont pas compris, ils comprendront jamais…

 

Ce à quoi la partie féminine du couple éphémère a demandé le slogan c’est quoi déjà ?

 

Et la réponse de la voix surgie du néant a été : me rappelle plus vraiment mais je crois une connerie du style, Herpitude, la bonne attitude contre l’herpès. Ça se termine en gros plans sur vos lèvres puis un fondu enchaîné sur des tâches dégueulasses et enfin la boite de 20 ou 30 comprimés à 15 dollars pièce.

 

La partie masculine dudit couple, déjà loin d’ailleurs, s’est immobilisée et a demandé fort doctement: Cette connerie devrait rapporter, l’idée est nulle, tu fais un boulot de merde, mais le réalisateur est top, donc on pourrait acheter… Herpitude tu dis ? C’est Bagneuls qui fait cela non ? Ils ont baissé ces temps-ci avec l’épidémie qui a secoué Bangalore suite à de mauvaises manipulations. C’est tout bon pour nous. Tu sors quand cette connerie de campagne ?

 

La voix du néant a rétorqué avec platitude Va te faire foutre connard, dans deux mois je crois, mais compte pas sur moi pour te conseiller quoi que ce soit.

 

Conclusion du jeune homme fort charmant à l’attention de la très charmante jeune femme : Au fait, la prochaine fois tu pourrais mettre un gel un peu moins gras, je m’en suis mis plein les vêtements. En plus ça pue. Dégueu… Bah, toutes façons pas demain la veille qu’on se reverra. Font chier ces cons.

 

Et il a disparu derrière un parapluie et un portable doré. Les autres ont fini par faire de même et je me suis retrouvé seul, regardant le porche avec une certaine forme de nostalgie ou mélancolie, teintée, en marge, d’un sentiment de détresse assez fort accentué un peu plus tard par la vision d’un extincteur par la fenêtre d’un marchand de vin.

 

Lorsque je me suis approché de ladite vitrine pour décrypter l’intérieur de la boutique j’ai aperçu ce cylindre rouge aux lanières et tuyaux noirs profonds si caractéristiques de mon ami disparu, l’extincteur fort sage, mais lorsque j’ai tenté d’ouvrir la porte coulissante j’ai dû me rendre à l’évidence, l’ensemble n’était qu’un trompe l’œil assez bien réussi. Pas d’ami, pas de résurrection ou d’apparition, cette réalité-là m’embarrasse et étreint mon cœur d’une douce mélancolie, je ne sais plus qui disait cela mais c’était joli.

 

Je vais revenir à mon musée, mon auteur allongé, mes pingouins forts las, mon extincteur fataliste et moi-même.

 

Je contemplerai non pas l’or du soir mais les pull-overs rouges des touristes de passage et penserai à vous qui me lisez, songeant si d‘aventure vos pensées pourraient se joindre pour m’exiler dans une terre moins âpre et rugueuse, une terre de tendresse et de soleil ou, peut-être je pourrais retrouver Maria mon ange au regard si profond… le reste vous le savez par cœur. A demain.

 

§323

D’un monde purement imaginaire


D’un monde purement imaginaire

 

La pluie est toujours présente dans ce monde de grisaille.

 

Les êtres vaquent à leur occupation, virevoltent de-ci-delà leur portable dans la main droite ou en oreillette, leur parapluie à main gauche, leurs regard porté vers le sol, leur silhouette de misère ne se détachant pas de leur ombre inexistante, ou presque, leurs pas rythmé par le son glauque des voitures et klaxons et ne s’interrompant qu’au coin des rues ou des feux les empêchent parfois mais pas pour très longtemps de traverser les flots de véhicules.

 

Deux marées s’affrontent, celle des objets roulants et celle des sujets titubants, mais aucune armée ne triomphe, il s’agit de mondes qui cohabitent sans jamais se rencontrer.

 

J’ai fait de la salle centrale du musée imaginaire où j’ai émergé de mon au-delà avec mon alter ego un lieu de recueillement et repos. Je m’y rends régulièrement et retrouve l’auteur toujours endormi sous son Vermeer blanc.

 

Le monde qu’il imagine et dans lequel je déambule est de plus en plus précis et détaillé. Finie la période des touristes aux pulls rouges et aux visages lisses ! Désormais, le monde alentours est formé et empli de détails. Les humains, les animaux, les plantes et les objets sont délinéés avec précision. Même les ciels reprennent, en dépit de la pluie qui tombe en permanence, une forme et des lignes ou géométries s’y dessinent régulièrement. Les passants ont des voix, les objets aussi et la ville crache ses décibels tandis que les crachins du ciel éclaboussent les passants qui semblent ne pas y prendre garde.

 

La réalité dans laquelle l’auteur nous a plongée est triste et égocentrique, chacun s’y affiche et présente son meilleur profil, chacun se posture comme une vedette aux petits ou moyens pieds, chacun cherche une visibilité et une reconnaissance sans lesquelles il semble devoir faner puis mourir, le tout en marchant sans but déterminé mais à pas rapide et soutenu.

 

Je ne sais ce que l’auteur veut nous dire, je ne suis que narrateur et peut-être même pas de son histoire, peut-être une autre histoire navigue dans son esprit et nous sommes tous les deux, les autres aussi, les sujets et personnages inventés par un troisième moi-même dormant ou songeant ailleurs, au bord d’une plage, ou sous une falaise, allez savoir où.

 

J’ai passé une grande partie de la journée à la recherche de mes amis disparus. J’ai porté le grille-pain existentialiste sur l’épaule gauche, il s’y trouve bien, mais ai laissé les pingouins amateurs de Piero della Francesca assis sur l’auteur, ils s’y trouvent bien aussi et de toutes les manières ils ne font que m’accabler d’insultes et de reproches.

 

Hier, j’ai retrouvé mon ami Yéti anarchiste mais il n’était plus lui-même, il avait changé d’âme, ou peut-être l’avait-il perdue. J’ai eu très peur, et me suis senti plus isolé et seul après qu’avant.

 

Dans ce monde sans âme, dénué de sentiments et gris comme la pluie peut l’être lorsqu’elle arrose des caniveaux sombres et inutiles, je ne sais ce que je dois chercher et encore moins ce que je risque de trouver. Il reste que j’ai passé du temps à rechercher mes autres amis égarés, je veux rire la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes, l’extincteur fort sage, Maria au regard si profond que je m’y perdais avec délectation, la jeune fille au pull rouge, et peut-être les amis plus récents rencontrés sur un esquif perdu sur une mer gélatineuse, mais je n’ai trouvé personne.

 

J’ai essayé de rentrer dans d’autres immeubles mais ceux-ci étaient inaccessibles, les portes ne s’ouvraient sur rien, ou alors sur d’autres murs, il s’agit d’un monde de façades. Le paraître a pris le pas sur le reste. L’auteur a dessiné les contours mais pas le fond, il y a un contenant mais pas de contenu. Le vide est à l’intérieur et le ciel peut-être pleure-t-il en permanence l’absence de signification.

 

Le vivant étant porté à croire qu’il y a une signification derrière toute chose, je me demande ce que je fais ici et pourquoi l’auteur s’est-il échiné à créer ces décors, ces rues, ces individus sans ombre ni relief, mais je ne trouve aucune réponse.

 

Je me suis assis à la même terrasse qu’hier et ai été servi par la même serveuse qui ne m’a pas reconnu comme individu, seulement comme client. Elle m’a apporté un café Vendôme clair, je ne sais pas ce que cela signifie, et l’ai bu d’un trait sans chercher à comprendre.

 

Les tables autour de moi étaient occupées par des grappes d’individus parlant chiffres et nombres, s’exprimant de manière crue et presque vulgaire, n’écoutant jamais les réponses à leurs questions, ou les remarques suivant leurs propres commentaires, voutés sur leurs instruments électroniques, riant à des interlocuteurs invisibles, ignorant ceux leurs faisant face.

 

Il y avait un jeune homme seul à une table à ma droite et je me suis présenté en quelques mots, prénom, nom, lieu de naissance, et âge et lui ai simplement demandé où nous nous trouvions prétextant m’être égaré.

 

Il n’a pas levé les yeux de son journal électronique, a pris un objet cylindrique bleu roi et l’a porté à son oreille puis s’est mis à parler de la nécessité d’acheter immédiatement du « Cyanesque et du Petrusque puisque l’explosion de ce matin a fait chuter leurs cours artificiellement. Il faut aussi rebondir sur Flapyus et Voltarex qui ont présenté des bons résultats et vendre tant qu’il en est encore temps. Quant à Schtruz, on vend, vend, vend tout de suite, ces cons se sont carrément présentés au juge alors même qu’on leur avait dit de lancer une campagne de dénigrement. Ils n’ont pas voulu, des principes ont-ils dit. On s’en fout des principes mais ces cons ont dit qu’ils avaient déjà provoqué trois suicides avec notre dernière suggestion et que cela leur suffisait. Trois suicides c’est quoi au regard des tonnes de bénéfice qu’ils ont engrangé ? Tu peux me le dire ? Parce qu’on ne finit pas par mourir tous autant que nous sommes ? alors aujourd’hui plutôt que demain, on s’en fout. Non, font chier, on vend. Ah, j’allais oublier, tu recrutes l’autre connasse que je t’ai envoyée, d’abord c’est une femme ça sera bien dans l’organigramme, ensuite elle est lesbienne, encore mieux, après c’est la fille des Mesmerkeers, ils nous devrons cela ensuite, enfin elle est ambitieuse ce qui fait qu’on n’aura pas à la supporter trop longtemps. Je te laisse, tu fais ça tout de suite et t’envoies Chnerzer bouler. Je lui avais proposé une villa pour l’hiver avec soleil et filles en prime et ce crétin n’a rien trouvé de mieux à faire que de parler de cela à ma femme. Y a plus d’honnêteté dans ce monde. Je te jure. Maintenant je dois m’expliquer comme si je lui demandais à elle si elle s’en voie en l’air avec son gynéco… »

 

J’ai cessé d’écouter peu après et me suis abstenu de poser des questions à qui que ce soit.

 

Je suis revenu au Musée et ai passé quelques heures à parler à un Degas et un Kienholz, j’ai trouvé cela beaucoup plus sain.

 

Ce monde est bien triste. Heureusement qu’il n’est qu’imaginaire.

 

§511

D’un monde inhospitalier, d’une rencontre surprenante, et d’étranges métamorphoses


 

D’un monde inhospitalier, d’une rencontre surprenante, et d’étranges métamorphoses

 

Le temps des rizières, des tropiques, des déserts et des océans qui s’achèvent sur des ciels et des mers en furie est fini, l’auteur en a décidé ainsi.

 

Il dort tranquillement dans son coin, sous son Vermeer blanc et ses pingouins amateurs de Piero della Francesca, eux aussi endormis, qui ont probablement oublié à ce stade les raisons pour lesquelles ils se trouvaient ainsi installés sur ce banc de fortune probablement peu confortable mais allez donc savoir ce qu’il en est avec des animaux aussi irascibles qu’eux et, après tout, habitués à un environnement bien plus hostile et inhospitalier que celui-ci.

 

Je marche dans les rues de cette cité humide éclaboussée par une bruine froide, sous un ciel sombre et gris, sans lumière autre que celle d’un soleil triplement filtré par deux couches de nuages et une de pollution, avec ses cortèges incessants de vivants gris anthracite avançant à pas soutenus sous des parapluies gris ou noirs, dans leurs costumes de survivants de marque, vers une destinée grandiose et sublime.

 

Chacun bouscule l’autre, l’autre se secoue et avance de quelques pas et bouscule celui ou celle qui le précédait, ce dernier se déhanche et prononce quelques jurons ou insultes, ce qui est un insigne de choix dans cette réalité où les puissants doivent être vulgaires sinon ils ne sont pas, doivent singer la plèbe qu’ils ignorent mais dont ils épousent l’épiderme des rites et coutumes pour faire bien, pour faire ‘in’, ou dieu sait quoi, ou plutôt dieu ne sait plus trop quoi car honnêtement il s’en fout complètement.

 

J’ai passé la matinée à avancer dans une direction inconnue dans un monde rédhibitoire porté par une foule étrange d’endimanchés débraillés, et inversement, affligés de marques et logos tout jolis avec portables sophistiqués à l’oreille, en bandoulière, sur le dos ou le chapeau, peu importe, le paraître est essentiel, et me suis trouvé face à face avec le Yéti anarchiste que je n’avais plus vu depuis des lustres.

 

Je me suis précipité vers lui mais il m’a à peine reconnu, m’a murmuré quelques mots mimés signifiant qu’il était en grande conversation avec des grandes gens venant de grandes institutions puis il m’a signifié de la main une terrasse froide et humide sur laquelle les gens d’ici ont disposé des tables et parasols ainsi que chauffage adaptés pour permettre à chacun de profiter du bon air bien pollué et parler à voix haute, très haute, permettant ainsi aux voisins qui s’en fichent profondément de connaître les secrets les plus intimes des embellis de pacotille.

 

Je me suis installé aussi bien que je le pouvais, calfeutré sous mes pulls rouges arrachés au rêve de mon auteur préféré, mon alter ego endormi, ai commandé à une jolie serveuse blonde sur hauts talons de marque – avec tatouage discret sur le front, ‘fuck you’ en liseré vert de police calibri (body), taille 11 et en italiques, piercings élégant sur le sourcil droit, la narine gauche, les deux oreilles en trois points particuliers et je pense la langue – une boisson à codéine, adrénaline, alcool, vitamines B, C, D et Z, calcium et racines de palétuvier cueillies par jour de pleine lune à 4 heures 33 selon les rites papous, et ai attendu que mon cher et brave Yéti, habillé d’un complet Prada, d’une chemise blanche à l’indienne, d’une ceinture Lanvin, de chaussures Smith and Weston, de chaussettes Tom Smith, de boutons de manchettes Penhallinet figurant une tête de mort souriante, me rejoigne.

 

Plusieurs douzaines de minutes et sept ou huit conversations téléphoniques plus tard, mon ami m’a rejoint, a commandé à la serveuse qui le connaissait et l’a appelé Léo Charles une boisson au nom de ‘froissements de vipères charnelles’ que je n’avais pas vu sur la carte lisse et auréolée de fleurs de lys et signes cabalistiques dorés et a consulté ses messages électroniques tout en me faisant bénéficier d’un sourire charnel révélant des dents blanches, non plus carnassières comme autrefois mais standardisées façon acteur de cinéma.

 

« Je suis très heureux de te retrouver, cela faisait si longtemps que nos chemins se sont séparés… » lui ai-je dit un peu naïvement j’en conviens.

Il m’a répondu d’une voix très ferme mais chaleureuse tout en lisant ses emails: « certes, les choses ont changé, il en est ainsi de toute chose. Je devrais te laisser dans une petite minute ou deux. Plusieurs entretiens au sujet de la mise sur le marché de mes nouveaux fonds pro-révolutionnaires pour la liberté et l’épanouissement des populations antérieurement soumises et maintenant libérées. Liberté 1 et 2, Anarchie 7 et surtout Explosion 3 qui fait un tabac. J’ai fait réaliser à ces cons des profits limités mais leur ai conféré un bien-être immédiat, la joie de participer à moindres frais aux bouleversements et convulsions du monde. Le combat continue même s’il a épousé de nouvelles formes et stratégies. La victoire est proche ».

 

Il a levé la main pour demander à ce que l’addition soit mise sur son compte puis s’est levé sans demander son reste.

 

J’ai à peine réussi à susurrer quelque chose demandant où je pourrais le joindre et s’il avait vu Maria au regard si profond que si souvent je m’y suis perdu corps et âme, mais à part un sourire perdu dans quelque lointains sommets oubliés il n’a pas voulu ou pu me proposer d’autre réponse.

 

J’ai soupiré, ai essayé de converser avec la serveuse, mais celle-ci ne me voyant pas ne pouvait me répondre, puis me suis levé et ai continué la longue errance qui est la mienne.

 

Je me suis un peu égaré, ai perdu le fil de mon cheminement ne sachant plus très bien où le musée se trouve mais j’imagine qu’il me sera facile de le retrouver. Les sentiments qui s’infiltrent dans mon cerveau las sont ambigus, d’un côté la déception, provenant du changement de nature de mon ancien ami, et d’un autre l’espoir, celui de revoir mes autres amis car si l’un a surgit du néant les autres doivent probablement être par-là eux aussi.

 

Mais … comment dire … il y a cette angoisse sourde qui m’opprime le plexus solaire, se répand sur la cage thoracique, empresse mes poumons, opprime mon estomac et calfeutre mon abdomen, celle de retrouver dans deux minutes, une heure ou deux jours une Maria au regard profond et beau mais une Maria différente qui ne me reconnaitrait pas, qui serait rivée à un téléphone portable et procéderait à des achats et ventes d’obligations, actions ou hedge funds, parlerait prime et bonus, et aurait oublié tout ce qui nous liait, enfin je veux dire tout ce qui constituait de mon point de vue un lien entre elle et moi.

 

Il pleut sur ma tête et l’eau dégouline sur mes cheveux, mon visage, mon cou, car je n’ai pas de parapluie, je regarde le ciel qui n’a pas de fin, la rue qui s’ouvre à l’infini, les humains qui marchent en se bousculant et en parlant aussi fort que leurs poumons le leur permet, les voitures qui se cognent les unes contre les autres en rythme lent et mélodieux, les bâtiments qui s’ajustent les uns aux autres avec agressivité et angles morts, et me demande s’il y a encore quelque chose en vie dans tout cela.

 

§544