Des étranges circonvolutions de l’au-delà et des circonstances qui ont conduit à une conversation entre deux moi-même
Beaucoup d’évènements en une seule journée, je vais donc résumer ceci de manière relativement télégraphique, ne m’en veuillez pas je vous prie.
Tout d’abord, les ours ont disparu! Ils étaient quatre, passagers clandestins de notre esquif désuet et involontairement embarqués dans notre découverte de l’au-delà. Leurs dernières paroles datent de quelques jours déjà lorsque découvrant cet au-delà ni charmant ni charmeur, plongé dans une obscurité totale, suintant l’humidité et résonnant des paroles métalliques nous demandant de patienter un peu plus d’une année avant que l’on ne s’occupe de nous, l’un d’eux avait dit « ça va pas vraiment nous changer, l’obscurité et l’attente on connaît. Allez, une petite hivernation et ça passera » et ils s’étaient tous endormis en parfaite synchronisation et harmonie, une sainte, profonde et ultime sieste.
Ce matin, enfin je pense qu’il s’agissait de ce matin, allez donc savoir dans cette triste nuée sombre quelle heure il peut bien être, lorsque nous nous sommes réveillés, ils n’ont pas répondu à l’appel. Nous avons tâté le sol tatamiesque de cet au-delà de petite configuration mais n’avons rien trouvé. Le grille-pain existentialiste s’est référé aux paroles bibliques habituelles selon lesquelles les derniers seront les premiers et inversement et en a déduit qu’ils avaient été choisis par celui ou celle qui gère cet état particulier. Je ne suis pas sûr de partager cette opinion mais le fait est là, ils ne sont plus ici dans l’au-delà mais ailleurs, ce qui est peu précis vous l’avouerez. Cette disparition nous a cependant déstabilisés.
Nous avons alors assisté à une scène assez épique durant laquelle Nelly, la jeune banquière dont la finesse des jambes et la vivacité de l’esprit sont d’une proportionnalité arithmétique, et son ancien compagnon dont le nom et la présence n’ont aucune sorte d’importance, ont proposé de vendre aux enchères l’une ses chaussures à talons hauts de marque et l’autre sa gourmette en argent massif sur laquelle son prénom ridicule était gravé avec une modestie toute clinquante.
Je n’ai pas vraiment compris l’utilité de cette proposition dans la mesure où les acheteurs étaient en nombre limités, quatre en réalité, ne disposaient plus vraiment de moyens de paiement appropriés car qui saurait déterminer avec justesse le procédé utilisé dans l’au-delà pour subvenir à ses besoins, pour autant qu’il y en ait encore, mais Nelly a rétorqué avec promptitude que « la disparition des ours devrait nous inciter à la prudence, un peu de philanthropie et charité ne feront de mal à personne. Nous procéderons comme l’on procède toujours dans ce genre de situation nous vendrons des biens qui ne nous appartiennent pas vraiment à des gens qui les payeront avec des moyens qui ne sont pas vraiment les leurs au bénéfice d’une cause ignorée mais larmoyante pour le plus grand bien de l’humanité. Alors, s’il vous plait, agissez comme le font tous les bienfaiteurs anonymes, hurlez votre nom, payez à crédit, et souriez avec larme à l’œil et l’œil sur la jambe de votre voisine. » J’ai bien compris que l’anxiété de Nelly devait être montée d’un degré ou cran dans l’échelle non pas de Richter mais de Peter, du nom du paon qui sert à de référence ultime à tous les parangons de la fortune aisément acquise mais difficilement cédée. Nous avons procédé comme Nelly le souhaitait mais sans vraiment parvenir à détendre l’atmosphère.
Un peu plus tard, Bob le pingouin aux lunettes roses et grand amateur de Piero della Francesca, a été à son tour entraîné dans un état d’appréhension et d’angoisse fort poussé. Il s’est mis à trituré dans l’obscurité tout ce qui pouvait l’être. Il a fini par dénicher une sorte de thermostat sur lequel il s’est échiné à démonter le mécanisme dont il pensait qu’il permettrait d’ouvrir une porte. Le résultat a été de détruire ladite chose avec son bec fort aiguisé et déstabiliser par la même occasion l’horloge parlante nous indiquant le temps d’attente avant le jugement dernier, ou plutôt la comparution immédiate devant un jury appelé à jauger nos actes, faits et omissions.
Ainsi, au lieu de diminuer, le temps nous séparant de ce moment particulier s’est mis à augmenter et ce avec une rapidité exemplaire. La dernière fois où j’ai prêté attention à ce que la voix devenue subitement très aigue et mécanique disait, j’ai noté que nous avions reculé de deux mois dans le temps pour autant que ce mot veuille encore dire quelque chose. Cette situation n’a pas provoqué de grands applaudissements, vous l’imaginez bien, et l’autruche volante, flottante et trébuchante s’est saisie du grille-pain existentialiste et s’est mise à voler dans tous les sens.
Une autruche de taille conséquente volant dans un au-delà dont le volume est, je vous le rappelle, d’à peine 39 m3, n’est pas sans incidence et au bout d’un moment assez embarrassant j’ai demandé aux deux amis de bien vouloir se calmer mais en en vain.
Finalement, l’autruche s’est stabilisée au plafond et est parvenue à débloquer le soupirail par lequel nous étions arrivés en cet au-delà particulier. Cependant, étant revenu en arrière temporellement parlant, ce qui était au-dessus de nous n’était plus un océan gélatineux mais un océan tout court. L’eau s’est donc engouffrée dans l’au-delà en grandes gerbes fort impressionnantes en même temps qu’une lumière bleuâtre ce qui nous surpris et paralysé.
Nelly et le banquier, apprivoisés par les marchés et automatisés dans leur réaction aux situations d’urgence, ont écrasé tout ce qui pouvait l’être, surtout mon abdomen, et se sont empressés de nager vers la surface suivant l’autruche et le grille-pain qui avaient été les premiers à pouvoir franchir les portes de l’au-delà en sens inverse.
Bob le pingouin n’a pas demandé son reste et, après avoir hurlé quelque chose du style « cet au-delà est décidément très humide ,» s’est élégamment envolé ou plutôt a nagé avec fluidité d’une manière qui n’était pas sans rappeler l’ample gestuelle de Moïse séparant les flots de la mer rouge de confusion.
Ne restait plus que moi et j’allais suivre avec précipitation le chemin tracé par mes amis lorsque j’ai réalisé que mon double, mon autre moi-même, restait tranquillement assis sous les flots. Je n’ai pas souhaité m’en aller en laissant une partie de mon être, un autre moi, se noyer et j’ai donc nagé vers lui, ai saisi sa main et ai essayé de l’attirer, mais sans succès, vers la surface, puisque, en effet, toute l’eau de l’océan s’étant tassée entre nous au fond de l’au-delà et eux au-dessus de l’eau d’ici, il était devenu pratiquement impossible de se mouvoir avec aisance.
Je me suis donc étouffé, car mes poumons ne sont pas de contenance illimitée, et ai bu la tasse, enfin je veux dire que j’ai absorbé une énorme gorgée d’eau de mer, non radioactive s’il vous plait, on a assez de problème comme cela, mais de manière surprenante sans conséquence particulière sur mon état de santé. Je ne me suis pas noyé. D’ailleurs vous vous en êtes je pense rendu compte sinon comment aurais-je pu faire pour communiquer avec vous dans cette situation désagréable? Je me au contraire suis rendu compte que je pouvais respirer dans ou sous l’eau ce qui ne m’a au demeurant pas vraiment surpris, pourquoi le serais-je après toutes ces aventures ?
J’ai donc absorbé une grande quantité d’eau et me suis assis en face de mon double. J’ai essayé de parler mais les mots qui sont sortis de ma bouche ressemblaient plus à des bulles qu’à autre chose mais, dans les circonstances particulières de ce moment très chargé émotionnellement, je n’en ai pas tiré de conclusions spécifiques.
Nous sommes restés de longues minutes silencieux puis je lui ai demandé s’il allait bien mais lui en a fait de même. J’ai mis ma main sur sa bouche pour lui suggérer de se taire mais lui a opéré de la même manière. J’ai cependant fait preuve de plus d’opiniâtreté, persévérance et cohérence et ai fini par imposer un ordre strict dans notre conversation.
Je ne sais pas pourquoi mais la première question que je lui ai posé était : « comment t’appelles-tu ? » Ce à quoi il a répondu « Henri ». Je lui ai donc fort logiquement demandé s’il balavoinait un peu mais il n’a pas compris. Il doit être d’une autre époque, un peu plus jeune peut-être.
En tout cas, ceci a détendu l’atmosphère très chargée de cet au-delà fort mouillé et notant ce fait salvateur nous avons ri à l’unisson.
La conversation entre les deux moi-même vous sera relatée aorès-demain car je me sens un peu las et telle une carpe un peu lourde j’éprouve soudainement le besoin de me reposer en musclant ma bouche et répéter en boucle l’au-delà et l’eau d’ici sont humides, ce qui est peu surprenant vu d’ici.
On s’amuse comme on peu dans l’au-delà, je pense que vous l’aurez noté… A demain.