Du blasphème et d’autres choses de cette nature ainsi que des conséquences qui peuvent découler de propos excessifs…
Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le pensait initialement.
Hier, prisonnier d’une réalité triste, morne, et cynique, je m’étais martelé la possibilité d’une échappatoire aisée en réunissant mes amis au centre d’un musée imaginaire et avais fini par y croire. Je pensais pouvoir aisément tourner les pages de cette aventure déprimante en m’isolant de ce monde pluvieux et de ses cohortes d’humains cyniques, isolés dans leur sphère technologique, mais c’était sans compter sur les errements de mon errance…
Je me suis réveillé ce matin auprès de mes amis endormis ou comateux, songeant que cet univers égocentrique avait conduit à l’anéantissement, ou presque, de mes amis animaux, songez par exemple à l’autruche volante, flottante et trébuchante transformée en image d’animal empaillé, sans parler des pingouins amateurs de Piero della Francesca réduits à de simples joueurs vautrés sur le dos de mon alter ego, auteur prisonnier de l’imaginaire d’un autre moi-même.
Quant à mes autres amis de nature et situation difficilement explicables, le grille-pain fataliste, l’extincteur fort sage ou la machine à gaz, leur contribution s’est trouvée réduite à presque rien, un silence navré, un dialogue limité, des commentaires obscurs, un retour à des fonctions primales inutiles ou illusoires.
S’agissant de Maria au regard si profond que je m’y perdais toujours ou la jeune fille aux cheveux rouges, leurs yeux se sont largement éteints et leur visage ne reflète plus que des images d’Épinal.
Ce monde absorbe tout ce qui passe à sa portée pour lui ôter son âme ou son originalité, pour sucer sa vie et ne laisser que l’apparence d’un contenu dans un contenant sans vie, une armée de choses ou êtres similaires, sous la grisaille, dans l’anthracite et sur l’obscur.
Je pensais m’enfuir de tout ceci rapidement mais c’était sans compter sur une grossière erreur commise hier, vous vous en souviendrez peut-être, dans le contexte de ma chronique, une référence au chemin de croix et au calvaire, quelque chose de légèrement déviant, pas une grossière méchanceté, loin de là, mais comme la chose religieuse ne m’intéresse guère, me laisse de marbre ou de ciment, je n’avais pas vraiment pris garde à cela, c’était sorti de ma plume comme cela, une petite anicroche, une exagération, une inadéquation, sans lendemain… enfin, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que je sois extirpé de mes pensées initiales, telles que présentées précédemment, par des cris et vociférations provenant du hall du musée où nous séjournons.
Accompagné du grille-pain existentialiste tout juste sorti de ses propres rêves, je me suis rendu sur place et ai trouvé au-delà du portail d’entrée en fer forgé une masse grouillante d’individus aux yeux exorbités hurlant des slogans à mon encontre, me promettant les feux de l’enfer – ce qui soit dit en passant à fait sourire le grille-pain – et la mort immédiate si je ne me rétractais pas immédiatement avec pèlerinage à Saint-Pramton la Bréteche sur les genoux, les bras écartés, les yeux tournés vers le ciel et les prières dirigées en six langues, quatorze dialectes et douze-cent patois, à l’endroit des trois dieux suprêmes, des douze prophètes, des quinze divinités secondaires, et des deux-cent vingt-neuf bienheureux et bienheureuses diffuseurs de la foi vénérable et véritable.
Ils portaient des ornements très bizarres en forme de croix, étoiles, cercles, demi-cercles, demi-lunes, lapins et sauterelles, des vêtements étranges, rouges, jaunes ou verts, des instruments métalliques et des porte-voix leur permettant de multiplier le niveau de leurs incantations et menaces par trois ou quatre.
D’abord je n’ai pas compris qu’ils s’adressaient à moi et je pensais naïvement que cela concernait les toiles blanches du musée dont je vous ai parlé il y a quelques jours et j’ai tenté de les rassurer en leur disant que le fait qu’elles soient blanches ne signifiaient pas grand-chose et laissait la possibilité pour chacun et chacune de les remplir de tous les traits, dessins et schémas souhaités, y compris des représentations divines, réalistes ou abstraites, suivant le souhait.
Mais, ces chères personnes représentants la voix ou les voix et voies divines dans cette réalité bien grise m’ont immédiatement fait comprendre que là n’était pas le problème et se sont mis à gesticuler frénétiquement sur place en secouant la porte qui menaçait de s’ouvrir devant eux tout en criant des mots tels que blasphème, parjure, intolérance, sacrilège, irrespect, indignité, et j’en passe.
Lorsqu’ils ont vu le grille-pain accroché sur mes épaules et qui me murmurait ne t’en fais pas, les choses sont ainsi, les humains sont excessifs mais au fond ils ne sont pas si méchants que cela, ils ne pensent pas ce qu’ils disent et ne comprennent pas ce qu’ils font, les choses sont ainsi faites dans ce monde qui nous échappe et qui procède d’une logique incompréhensible. Ne sombrons pas dans un pessimisme de mauvais aloi…. cela a provoqué une recrudescence des cris et hurlements et une vieille femme indignée s’est mise à tendre la main vers nous et, en transe légère, s’est écriée : c’est un fils de Satan et des sept mages noirs suivi par un cri de rage d’une foule en délire.
J’ai reculé en souriant légèrement pour les apaiser puis me suis emparé d’un téléphone blanc qui trônait sur le pupitre de l’entrée.
Après avoir composé le chiffre 666 qui renvoyait apparemment aux urgences j’ai entendu une voix mécanique disant à peu près ceci : gentes dames et gentes sieurs, ayez l’amabilité de laisser votre revendication solennelle en trois exemplaires vocaux après le bip sonore et précisez si le cours de l’action dont vous songez qu’il baisse trop rapidement dispose d’une référence INSTETTA de catégorie 3 ou 4. Nous vous sommes très reconnaissants pour votre attention et vous souhaitons une belle et bonne journée d’investissements, de recueillements et de prédispositions philanthropiques durant ces périodes de recueillement.
J’ai raccroché un brin décontenancé et me suis dirigé vers le magasin de souvenirs encore fermé à cette heure matinale, ai trainé deux ou trois meubles d’appoint en vente à cet endroit et les ai coincés devant le portail. Je suis revenu en courant vers la salle centrale, ai fermé toutes les portes d’accès les unes après les autres, et me suis replié avec mon grille-pain fataliste dans la pièce centrale où je me trouve en ce moment.
J’ai bougé les bancs et l’auteur endormi contre les battants de la porte pour raffermir le système de fermeture – les auteurs sont souvent bloqués ce qui les placent dans une situation parfaite pour des situations de cette nature – et ai disposé mes autres amis en cercle.
Nous sommes ainsi disposés et attendons la suite des évènements dont je vous ferai un récit aussi réaliste que possible dès que les circonstances le permettront.
D’ici-là priez bien et recueillez-vous sur la liberté de pensée et d’expression qui glisse lentement hors de ce monde…