Des conseils de Maria…


Des conseils de Maria…

 

Les jours se suivent mais pas les paysages qui eux demeurent toujours similaires.

 

Tout est uniformément coloré, bleu azur, vert émeraude, rouge vermillon ou carmin, jacinthes, pâquerettes et coquelicots alternent dans les prés recouvrant les collines d’un tapis impressionniste, la mer alterne ses vagues en rythme quasiment binaire, la route est bitumée, noire et striée sur le côté de bandes blanches étincelantes.

 

A chaque faux plat on se prend à espérer que le paysage finisse par changer mais tel n’est pas le cas.

 

L’un des pingouins amateurs de Piero della Francesca, peut-être Bob, peut-être pas, s’est approché des enfants ce matin et leur a indiqué, indiqué est un grand mot, disons qu’il les a apostrophé en s’exclamant : y en a marre de ces images de carte postales, plus que marre, nous les pingouins on en a rien à cirer des jolis paysages à la mémère, ça nous amuse pas, on veut soit des banquises bien blanches, soit des collines façon toscanes qui nous rapprochent d’Arezzo, le reste on s’en fout, alors vous allez trouver le grand chef louveteau, le babouin général scout suprême ou qui vous voudrez et vous lui direz de notre part que soit il change rapidos son petit trip champêtre et on se calme soit on prend le tout et on y fiche un fourbi pas possible. Compris les gosses ?

 

Il n’est pas allé plus loin, Maria au regard si profond que systématiquement je m’y perds l’en a empêché gentiment mais fermement, en lui souriant façon infirmière interrompant le malade abruti par des doses insupportables de médicaments qui tentait de lui caresser la jambe : je pense que l’on a compris, tout le monde a compris, surtout les enfants. Il n’est pas nécessaire d’user d’un vocabulaire de charretier lorsque l’on parle à des jeunes gens, cela n’est digne ni d’eux ni de celui ou celle qui les agresse ainsi. Ils n’y sont pour rien, ne sont pas à nos ordres et n’ont de message à faire passer à personne. D’évidence ils marchent seuls, ils ne suivent personne et surtout pas des adultes, à tel point que les seuls adultes aux alentours les suivent. Donc, je te prie de bien vouloir les laisser. Il doit y avoir une explication à cette succession de paysages candides et un brin naïfs et cette explication c’est à nous de la trouver pas de l’extorquer, surtout pas à des enfants, la génération qui suit la nôtre, à qui je souhaite de ne pas mettre les pas dans les nôtres et de se forger une nouvelle route, bien distincte de la nôtre. Alors, s’il te plait, retourne parmi tes frères et sœurs et prends ton mal en patience. Certes, tout fini par lasser, mais tout fini également par passer, sois patient.

 

Il n’a pas rétorqué car nul ne répond jamais à Maria. Il est revenu parmi les siens et est resté muet pour quelques temps.

 

De mon côté, j’ai profité de cette opportunité et me suis rapproché de Maria et de la jeune fille au collier rouge et leur ai demandé de manière un peu abrupte et maladroite, j’en conviens, ce qui leur était arrivé durant les semaines passées. Vous vous souviendrez peut-être que notre petit groupe s’était scindé sans le vouloir et je m’étais retrouvé seul avec Bob dans un pays maudit et sinistre, avec trois soleils dans le ciel, dévasté par un incendie immense, partageant la fuite d’une longue cohorte d’humains commotionnés, pour finalement nous en échapper par la mer après avoir retrouvé l’autruche volante, flottante et trébuchante ainsi qu’un couple de banquiers, dont une jolie jeune femme prénommée Nelly, et des ours clandestins. Nous avions fini par échouer à l’endroit où les mondes se rejoignent et avions découvert un au-delà fort géométrique puis quelques péripéties plus tard et la découverte d’un auteur mélancolique nous avions recréé un monde et, par la même occasion, les avions retrouvé mais silencieuse, un brin hébétées, passives.

 

Excusez-moi, je vous lasse… Mais ce long développement et ces réitérations étaient nécessaires pour souligner que tout ceci m’avait beaucoup coûté, l’absence de Maria en particulier, et ma peine avait été profonde.

 

Je lui ai dit: J’ai beaucoup souffert durant ces semaines sans toi, sans mes autres amis, vos absences ont été proprement insupportables et m’ont fait percevoir l’insignifiance de nos vies, leur insupportable banalité, leur inacceptable fragilité, un jour heureux, le lendemain désespéré et maudit. Aujourd’hui tu es là Maria, mais demain qu’en sera-t-il ? Quelle certitude puis-je avoir de te retrouver à mes côtés ?

 

Maria m’a regardé avec une grande douceur puis a parlé en continuant son chemin et me tenant la main. Son regard s’est perdu vers le sol puis l’horizon nous faisant face.

 

Je te comprends. Mais tout est si fragile, par définition. Il n’y a pas de certitude. Il n’y pas vraiment de passé et certainement pas de lendemain, encore moins de futur. Nous vivons au jour le jour, surtout dans le cadre de cette errance. Mais toute vie est une errance, nos chemins sont ainsi faits et nous n’y pouvons rien. Il faut t’en contenter et l’accepter. Rejeter ces faits ne servirait à rien d’autre qu’à te plonger dans une dépression profonde et sans espoir. Nous ne sommes qu’humains sans alpha ni oméga, il n’y a que le présent c’est tout. Quant à notre soi-disant absence, il n’en a rien été… c’était l’impression que tu avais, tu ne nous voyais ou ne nous entendais plus. C’est tout. C’était aussi simple que cela. Après tout, nos pensées sont toujours ainsi faites, cet après-midi nous songeons à x, y et z, choses, vivants ou évènements, peu importe, et ce soir nous songerons à a, b et c et demain à t, u et v et ainsi de suite. Ce n’est pas pour autant que l’alphabet des possibles disparaît, non, pas le moins du monde, chaque lettre évolue à son gré dans un monde où toutes sont présentes, en permanence, pas une ne manque, ce que cela veut dire c’est que simplement nous ne pouvons voir, ressentir, percevoir ou analyser que trois ou quatre choses, vivants ou évènements à la fois, nous sommes limités. J’étais tout le temps à tes côtés, mais tu ne me voyais pas. Ce n’est pas grave, c’est ainsi, la vie est si éphémère. Nous sommes en ce moment ensemble, dieu sait où nous serons demain et surtout avec qui nous serons. Profite du moment, de l’instant, ne te pose pas tant de questions, l’éphémère a aussi ses avantages, le présent peut-être beau, magnifique même, il faut en profiter, le lendemain appartient à d’autres que nous, en particulier à ces enfants qui marchent vers un horizon que nous ne voyons pas et que nous n’aurons pas la chance de découvrir. Contente toi de cela et cesse pour l’heure de te préoccuper.

 

Elle s’est tue et j’ai suivi son conseil, je n’ai plus parlé mais l’ai serré contre moi, le paysage autour de nous est artificiel, certainement mais ses couleurs sont gaies.

 

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