Du guide suprême de la grande cohorte


Du guide suprême de la grande cohorte

 

Depuis ce matin les enfants ont un guide.

 

Vous vous rappellerez peut-être qu’hier l’un des pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca avait invectivé le groupe d’enfants débonnaires qui marchent sur cette route sans fin au milieu d’un paysage de cartes postales en leur enjoignant de déterminer où ils se rendaient et qui les guidaient. Maria au regard si profond que je souhaite m’y noyer à chaque instant l’avait interrompu et à son tour enjoint de ne plus perturber les enfants dans leur errance.

 

Pourtant, cette interpellation n’est pas restée sans suite, les enfants ont été perturbés, ils n’ont pas compris l’insistance de cet oiseau de mauvais augure, la violence de ses propos, les menaces et sous-entendus, ils ont finalement, c’est en tout cas mon interprétation, conclu que quelque chose devait être fait, qu’un leader devait être trouvé, quelqu’un qui guiderait leurs pas, les amènerait où ils souhaitent aller même s’ils n’ont pas conscience de ce fait, même s’ils ne souhaitent pas aller quelque part de particulier, même si pour eux l’alpha ou l’oméga ne veulent rien dire d’autre qu’alpha ou oméga.

 

Les murmures parmi les enfants ont été nombreux durant toute la nuit, ils ont vibré dans toutes les directions, se sont propagés à gauche ou à droite, ont remonté le cours du groupe, sont revenus vers nous qui sommes en queue de cette cohorte immense, se sont échappés vers la droite ou la gauche, sont repartis pour s’espacer puis se redévelopper et, enfin, au petit matin, se sont matérialisés en rires aigus et chants de nature indéfinissable… le guide avait été choisi.

 

Parmi tous les individus disponibles, je veux dire les pingouins, Maria, la jeune fille au chapeau rouge, l’extincteur fort sage, le grille-pain existentialiste, le Yéti anarchiste, la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes, l’autruche volante, flottante et trébuchante et moi-même, les enfants ont choisi à notre grande surprise l’avant-dernière, c’est-à-dire l’autruche.

 

J’en demeure abasourdi.

 

Ceci ne fait que confirmer la propension pour chacun d’entre nous de lire le monde selon ses propres valeurs et références. Lorsque précédemment j’ai évoqué cette question je suis sûr que vous êtes arrivés à la même conclusion que moi, c’est-à-dire une sorte de liste innée d’individus à même, selon nos prismes, de remplir la fonction de guide et je suis persuadé que cette liste comprenait en haut Maria suivie de la jeune fille aux cheveux rouges et peut-être même votre serviteur et qu’en bas figuraient cette pauvre autruche en compagnie des pingouins.

 

Faites-moi savoir, préférablement par pli recommandé et en sept exemplaires s’il vous plait pour archivage selon les critères de Maastricht et Klüger, version 7, si cette assertion est fausse et, dans un tel cas, quel aurait été votre échelle des valeurs propre à cette chronique.

 

Quoi qu’il en soit, cette brave autruche volante, flottante et trébuchante s’est trouvée propulsée en tête de la cohorte des enfants, certains se sont installés sur son dos, d’autres lui tiennent la main comme il m’est arrivé de le faire par le passé, d’autres encore, de très petite taille, sont accrochés à ses jambes. Elle semble heureuse et fière et clame quelques sonnets incompréhensibles à l’attention de qui veut les entendre, peut-être après tout ne sont-ils incompréhensibles que pour moi et que d’autres les écoutent avec intérêt y trouvant une nourriture spirituelle de grande facture… allez-donc savoir.

 

Jugez-en plutôt : le monde est ainsi fait, les oies sauvages ou non volent au-dessus des mers et des terres tandis que la marée grandit, vert, jaune, rouge, ce n’est pas pareil, les chapeaux sont blancs et l’amour n’est plus de mise à Saint-Pétersbourg, demain l’aube, aujourd’hui le crépuscule, et le soleil se couche, non, je marche, tu marches, les autres, stylo rouge et feuilles, jacinthes connait pas, mais la question se pose.

 

Les enfants rient en l’écoutant et beaucoup opinent du chef, semblant approuver ses assertions, partager ses regrets ou ses joies, s’amuser de ses anecdotes, tandis que certains bondissent en avant de la cohue en imitant la démarche gracieuse d’une autruche volante.

 

L’autruche, notre guide, s’est glissée avec détermination et élégance dans son rôle de guide suprême de notre groupe cosmopolite et après quelques centaines de mètres sur la route bitumée qui partage ce pays de cartes postales en deux, elle a bifurqué vers la gauche et conduit notre meute ou troupeau le long d’un long terrain vert pomme de géométrie quadrilatérale.

 

Le sol ressemble à une moquette de qualité supérieure à base de laine angora et la plupart d’entre nous ont ôté leurs chaussures pour ressentir la douceur de cette texture souple.

 

Quant à savoir où nous allons, cela fait bien longtemps que je ne me suis plus posé la question.

 

Le soleil est haut dans le ciel, l’ombre projetée fait un angle constant de 45 degrés avec le sol quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, la mer avance ses ridelles avec une constante toute binaire, les collines ondoient avec élégance sous un courant d’air douillet.

 

Nous marchons.

 

§458

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