De la pondération du vrai et du faux et de l’intense lassitude qui s’en suit forcément


De la pondération du vrai et du faux et de l’intense lassitude qui s’en suit forcément

 

Le soleil s’est levé sur un paysage artificiel haut en couleurs. La mer est d’azur, les fleurs alternent des teintes chatoyantes et vives, la route bitumée sur laquelle nous marchons est noire bornée de bandes blanches étincelantes, le ciel est bleu roi avec quelques nuages rondelets aux contours finement sculptés dans la masse humide et blanche, l’herbe est plus verte que nature, les vagues qui échouent sur le sable naturellement blond sont régulières et ornées d’écume lisse et sans faux pli.

 

Nous marchons au sein d’un groupe compact d’enfants dirigé par une autruche volante, flottante et trébuchante qui signifie par quelques gestes sobres la direction à suivre tout en proposant des sonnets improbables à des enfants qui les accueillent en souriant : la mer est sombre, les oiseaux nagent, les eaux flottent, nuit, demain, aussi, le tronc est brun mais sans col, la nature boit tandis que l’émoi de l’émeu génère la mer, l’abondance non, mais là pourquoi pas, sur le ciel il n’y a rien mais en dessous des poissons volent, ce qui est rare mais surprenant, surtout les baleines, elles volent en frappant l’air de leurs grandes ailes vertes, non, pourquoi ? C’est sûr, mais dessous, il n’y a plus rien car si les poissons volent et les oiseaux nagent, dessous il ne plus rien y avoir, les humains s’empiffrent et les mammifères disparaissent, c’est ainsi, restent les reptiles, et les insectes, rouge, bleu, jaune, les couleurs aussi, non, demain…

 

A chaque refrain incompréhensible les enfants s’ébrouent et rient, grimacent parfois, se chamaillent de temps en temps, mais jouent tout le temps.

 

Nous marchons loin des sentiers battus, ou plutôt de la route bitumée, suivant le chemin tracé par l’autruche, guide suprême d’une cohorte enfantine et de quelques adultes sans boussole fixe.

 

Depuis que nos pas ont quitté ladite route, l’ombre ne trace plus un angle précis de 45 degrés quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, elle se tasse un peu, se retire avec timidité pour laisser le minimum d’ombre envisageable et envisagé, révélant encore davantage le caractère artificiel de l’endroit où nous nous trouvons. D’ailleurs depuis que nous avons noté ces étranges circonvolutions des ombres, d’autres étrangetés se produisent.

 

Les troncs ne sont plus uniformément ronds mais proches de l’oblong, et des tiges en métal fichées dans le sol en diagonale apparaissent, probablement pour soutenir les arbres. Les buissons rondouillards sont également pour la plupart de forme plane et lorsque nous sommes passés derrière l’un ou l’autre d’entre eux nous nous sommes rendus compte qu’ils étaient coupés en deux, une partie visible, lisse et brillante face à la route et, en arrière, des planches de bois et des barres métalliques.

 

Chose amusante, je viens également de noter que la lune qui auparavant apparaissait en croissant bas sur l’horizon est en réalité une structure double accrochée sur un mât dont la forme devient apparente au fur et à mesure que nous nous éloignons de la route. Le soleil est très brillant et vif, ce qui rend sa lecture difficile, mais je ne serais pas surpris outre mesure s’il devait lui aussi être accroché à un poteau ou fixé au mur peint en bleu roi.

 

Ce monde dans lequel nous évoluons en suivant des enfants éternellement heureux, gais et rieurs, est visiblement artificiel, un simple décor dont l’envers nous apparaît dorénavant, en raison des choix surprenants mais juste de l’autruche volante, flottante et trébuchante.

 

Le grille-pain existentialiste solidement accroché, vous vous en souviendrez peut-être, sur mon épaule droite, a noté : je me doutais que ce monde était trop beau pour être vrai, qu’il n’était qu’un décor de carton-pâte, que les vivants, quelle que soit leur nature, évoluait dans un environnement dont le contenant l’emportait sur le contenu, mais là l’image est trop évidente, grossière, un faux beaucoup trop faux pour être totalement faux, donc un faux faux, c’est ce qui me porte à croire que ce monde est aussi trop faux pour être faux. Donc, s’il est trop beau pour être vrai et trop faux pour être faux, qu’est-il donc ?

 

Sur quoi il s’est tu me laissant plongé dans un océan de perplexité et d’incertitude. Je me suis tourné vers Maria au regard si profond que j’aime m’y perdre, espérant entendre quelques mots de sagesse de sa part mais elle m’a souri avec une forme de mansuétude et peut-être de lassitude puis est revenu à sa conversation avec la jeune fille au foulard rouge qui touchait je crois aux peintres hollandais contemporain de Vermeer.

 

L’extincteur fort sage qui est tranquillement installé sur le dos du Yéti anarchiste sur qui mon regard s’est posé par la suite a haussé ce qui lui servait d’épaules et a brièvement commenté : je n’en sais pas plus que toi, peut-être souhaite-t-on nous faire comprendre que les apparences sont souvent trompeuses, ceci nous le savions, mais si le décor est visiblement trompeur, alors c’est lui-même qui doit être considéré comme trompeur, ce qui nous ramène à la question du grille-pain.

 

Puis il s’est retourné très lentement et a regardé le ciel avec une certaine quiétude en disant : Finalement le ciel qu’il soit vrai ou faux, trompeur ou réel, apparent ou fortuit, je m’en fiche un peu du moment qu’il est beau. Qu’est ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux, c’est un peu ce qui fait bouger les humains mais à part eux, tout le monde s’en fiche et …

 

Je ne saurais jamais ce qui devait suivre puisqu’il s’est assoupi dans l’instant. Je dois admettre que face à un tel abattement généralisé, une apathie contagieuse, un laxisme débonnaire hautement contagieux, il est difficile pour le narrateur que je suis de continuer à vouloir chercher ce qui se cache derrière les apparences d’une fausse réalité.

 

Si ceux qui t’entourent te semblent tous avoir tort, disait le sage, alors c’est peut-être toi qui a tort. Je m’en tiendrais à cela pour aujourd’hui et vous prie de me laisser au bâillement qui me saisit.

 

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