De Kafka et Vian sous un ciel de pacotille


De Kafka et Vian sous un ciel de pacotille

 

Les choses ne s’améliorent guère.

 

Nous errons toujours dans un pays artificiel aux couleurs vives et décors plus qu’apparents. Jusqu’il y a quelques heures nous suivions des enfants mais ceux-ci ont disparu sans laisser aucune indication particulière quant à leur devenir.

 

Les pingouins amateurs de Piero della Francesca énervés par la routine qui leur est infligée dans ce paysage jamais renouvelé fait de fleurs, feuilles ou arbres de pacotille se sont dirigés vers la mer de velours pour s’y perdre. Nous ne les voyons plus.

 

Le Yéti anarchiste qui, contrairement à son habitude, suit le mouvement benoitement depuis quelques jours, m’a tiré par la manche de ma chemise blanche et m’a indiqué qu’il chercherait les enfants disparus là-bas sur la route bitumée se trouvant un peu plus haut, derrière les décors que nous discernons dans leur triste simplicité. Il est revenu quelques dix minutes plus tard pour m’indiquer qu’il y avait trois ou quatre enfants qui marchaient tranquillement. Je ne l’ai pas cru et ai voulu voir par moi-même ce qu’il en était. De fait, il y a bel et bien trois enfants marchant tranquillement vers l’horizon factice et plus on s’approche de la route plus le nombre de ces enfants augmente. Il doit y avoir une corrélation entre la proximité de la route et le nombre d’enfants dérivants en grappe gaie et touchante. Tant que l’on se trouve sur la route bien noire et brillante au milieu de prés et collines verdoyantes les enfants sont nombreux et vociférant mais au fur et à mesure que l’on s’éloigne de celle-ci leur nombre diminue.

 

Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien, peut-être un signal que l’on arrive au bout de ce monde particulier, de cette réalité fictive.

 

Le grille-pain existentialiste accroché sur mon épaule droite m’a signifié à plusieurs reprises qu’il était inutile de tenter de comprendre quoi que ce soit, que c’était illusoire et futile puisque de toutes les manières la fin était connue. Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire par là et il m’a répondu, mystérieusement, mais tu sais bien… Bien sûr, je ne sais pas, mais je n’ai pas voulu le contrarier.

 

La machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne s’est approché et m’a pris le bras gauche. Il a murmuré ne t’inquiète pas, je t’ai compris, je comprends ta douleur, je perçois ton anxiété, je ressens ta fièvre, tout cela est légitime, mais ne te torture pas, ne taraude pas ton esprit inutilement, ne creuse pas ta tombe sur cette réalité si sombre et brillante… les explications sont multiples ou inutiles, nous approchons d’une frontière entre nulle part et ailleurs, comme disait l’autre, ne te prends pas la tête, nous sommes dans un monde totalement illusoire, sans alpha et sans oméga, juste une sorte de vitrine en trois dimension sans contenu, dans le conte de l’autre il y avait un roi nu, ici il y a un roi transparent habillé de vêtements tout à fait visibles, un contenant sans contenu. Nous sommes des pièces rapportées, factices, inutiles et encombrantes. C’est pour cela que dans sa sagesse l’autruche volante, flottante et trébuchante nous a rapprochés insensiblement d’une frontière implacable. Il faut nous préparer à ce qui viendra et pour cela compte sur moi, je serais ton guide, si tu le souhaite, car moi seul t’ai compris.

 

Je l’ai chaleureusement remercié mais lui ai indiqué que ne me comprenant pas moi-même il me paraissait hautement illusoire que quelqu’un d’autre ne me comprenne.

 

L’autruche, notre guide suprême, est revenue tranquillement sur ses pas puis s’est assise en disant : voici, voilà, ici, là, pas, vert, bleu, gris, l’attente est subtile, le soleil s’achève et la nuit se lève, il n’y a plus d’amour à Saint-Pétersbourg, les flots sont bleus et le pont Mirabeau cache la Seine et le reste, tant pis, ici, là, stop.

 

Les pingouins sont revenus il y a quelques minutes et ont à nouveau haussé ce qui leur sert d’épaules et nous ont signifié que la mer artificielle était aussi grande que la mer naturelle et que tout cela les ‘barbait’ copieusement, qu’ils en avaient ‘marre, plus que marre’, et que la seule chose à faire était soit de ‘tirer à coup de kalachnikovs’ sur ce qui sert de ciel pour le ‘faire sauter dans un arc-en-ciel artificiel’ et demander ensuite ce qu’il en était, soit se ‘faire une petite hivernation de derrière les fagots’ et qu’on n’en parle plus.

 

Maria au regard si profond que jamais ne parviens à m’en détacher s’est assise en tailleurs, ajustant sa jupe très fine sur ses jambes soyeuses puis a continué sa conversation avec la jeune fille au foulard rouge, une discussion sur l’œuvre de Kafka telle qu’analysée par Vian.

 

Je me suis assis à côté d’elles et les ai écoutées. J’aime bien l’un et l’autre. Sur le ciel de pacotille un projecteur est accroché et continue de diffuser une lumière artificielle sur un monde qui l’est tout autant.

 

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