D’une douce errance parmi des gens forts gentils mais effrayés…
Nous avons enfin quitté ce pays de pacotille avec ses paysages artificiels.
Tout s’est effondré, une implosion lente et heureusement sans dommages physiques, quant à savoir ce qui se cachait derrière tout cela, je n’en sais rien et, après tout, je dois admettre que je m’en fiche un peu. J’éprouvais un certain malaise, quelque chose d’insidieux difficilement descriptible, lorsque les enfants qui précédaient notre marche se sont mis à disparaître les uns après les autres mais après la fin de ce monde en trompe-l’œil au milieu de ce qui devait être un studio de grande taille je m’en suis moins préoccupé.
Dorénavant, nous errons au milieu d’un décor sommes toute bien plus proche de celui que nous avons quitté voici des lustres, quelques années lumières assurément, lorsque nous nous sommes aventurés à Copenhague puis à Vienne.
Dans un premier temps, nous avons quitté cette zone de studios puis nous sommes déplacés au milieu d’un paysage urbanisé, une banlieue résidentielle avec de nombreux pavillons, des voitures très grandes et pour certaines brillantes pour d’autres moins, des croisements aux feux rouges bien alignés et visibles, des semi centres commerciaux avec quelques commerces de proximité, des individus visiblement humains promenant d’autres humains plus jeunes ou des animaux versions chiens ou chats domestiques, laisses en mains et jolis petits sacs bleus en plastiques pour récupérer les déchets, je veux dire ceux des chiens pas ceux des jeunes humains qui sont sensés, eux, se soulager de manière moins ostentatoire.
Nous avons croisé des vieilles personnes assises sur des bancs près d’un parc aux arbres naturellement centenaires qui nous ont regardé, les personnes pas les arbres, avec des yeux surpris, angoissés voire même effrayés.
A un croisement de routes, traversant une sorte de passage piéton un cycliste a démarré précipitamment en apercevant le Yéti anarchiste et les pingouins amateurs de Piero della Francesca qui le dévisageaient avec une émergence de rancœur pingouinesque relativement regrettable mais malheureusement fréquente ces temps-ci.
Un livreur de canapés et fauteuils en cuir de qualité s’est calfeutré dans sa cabine de conduite en nous voyant arriver et ses yeux exorbités ont suivi notre démarche dans la glace du rétroviseur.
Une dame enceinte qui promenait deux enfants et demi aux abords d’une ligne de magasins entourant une banque et une poste a récupéré promptement sa progéniture et a placé sa main, droite je pense, sur les yeux du bambin le moins âgé pour éviter que son regard ne croise celui de l’extincteur fort sage ou du grille-pain existentialiste.
Quatre jeunes adultes ou vieux adolescents, de sexe masculin pour trois d’entre eux, féminin pour la quatrième, ont interrompu leur conversation qui portait, me semble-t-il, sur le dernier match de badminton gagné par les Red Stars de Rieux-en-Chaussettes contre les Poitveins Francbourgeois de Moulins la Breneche, lorsque nous nous sommes approchés. Les regards de chacun d’entre eux étaient fixés sur celui de son voisin de gauche dans une étrange valse improvisée, probablement provoquée par le souhait de ne pas se poser sur les nôtres.
Maria au regard si profond que je m’y aventure avec une forme de plaisir teintée d’appréhension, a perçu cette gêne qui ne faisait que s’accroître et s’est approchée du petit groupe. Elle les a interpellés avec le plus aimable des sourires et la plus douce des voix leur demandant s’ils pouvaient nous indiquer un hôtel à proximité. La jeune femme du groupe a tendu sa main droite vers la gauche en balbutiant des mots sans signification particulière, des onomatopées ou des sons incongrus, je ne sais pas. L’un des garçons a ajouté quelque chose mais peu après la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne a fait remarquer que selon elle il s’agissait d’un éternuement ce à quoi l’extincteur s’est opposé arguant d’une plus évidente proximité avec une quinte de toux intempestive provoquée par un résidu de laryngite ou une stupeur sans tuméfaction. L’importance de ce détail est certainement ténue. Les deux autres jeunes gens n’ont rien dit et se sont contentés de regarder leurs souliers dont la marque m’était inconnue, un L barré de deux traits avec une tête de renard ou de lynx autour.
Un peu plus loin nous avons croisé un gendarme habillé de ses plus beaux atours avec chapeau haut de forme et queue de pie sur plastron à barrettes de légionnaire mais je ne peux vous en dire plus car il s’est mis à courir très rapidement en nous voyant. Dissertant sur cette rencontre la jeune fille au foulard rouge a abondé dans mon sens lorsque j’ai précisé qu’il devait s’agir d’un gendarme en raison des barrettes et de la démarche caractéristique de ces individus particuliers mais ceci n’a pas été agréé par les pingouins qui ont insisté sur l’hypothèse de l’appartenance de cet individu au corps des botanistes urbains.
Ceci aurait pu durer un certain temps si l’autruche volante, flottante et trébuchante ne s’était mise à s’ébrouer violemment en triturant sa tête de gauche à droite puis au centre, tout en chantant un sonnet étrange, sans signification évidente qui disait à peu près ceci : la flaque d’eau grossit, les oies blanches volent, le peuple peuple, la soie lisse glisse lentement, les cheveux bouclés sont d’or mais sans ours, tout cela vit tandis qu’à Saint-Pétersbourg il n’y a toujours pas d’amour.
Nous n’avons rien dit et avons repris notre errance qui a finalement abouti à un bâtiment au toit rouge et à la porte de même couleur, un peu délavée peut-être, au-dessus de laquelle un panneau indiquait Maison d’Hôtes endroit où nous nous trouvons à présent.
Après d’intenses négociations avec trois individus successifs dont la capacité à nous parler sans s’évanouir s’est avérée très limitée – mais qui avaient l’avantage de parler une langue que subitement nous avons réussi à comprendre – nous avons obtenu la possibilité de réserver trois chambres pour cette nuit, au premier étage, face à la cour arrière, au parc Largechamps et au cimetière Dofirst.
A gauche de l’entrée s’ouvre une porte donnant sur un salon salle à manger meublée de tables permettant d’accueillir les hôtes de ce lieu, mais pas nous car lesdits individus nous ont assuré qu’ils n’avaient pas été livré en grenouilles et crevettes et ne pourraient donc assurer les dîners, petits déjeuners et déjeuners des trois jours à venir, tandis qu’à droite un petit escalier se promène de manière assez élégante. C’est celui-ci que nous emprunterons tout à l’heure.
Pour le moment, je laisse Maria et la jeune fille aux cheveux roux discuter des termes de notre séjour pendant que je lis un journal s’intitulant La boite de Pandore. C’est à cela que je m’attelle maintenant vous laissant à vos occupations de ce jour.