D’une invitation que l’on ne peut refuser et des portes qui se ferment


D’une invitation que l’on ne peut refuser et des portes qui se ferment

 

Nous nous trouvons dans la salle arrière d’un restaurant. Nous y sommes depuis plus de 24 heures.

 

Les portes sont fermées de l’extérieur et il n’y a pas de fenêtres ou ouvertures secondaires… Une porte battante à l’arrière et une double porte permettant de passer du bar au restaurant et vice versa à l’avant… Les deux sont fermées ou bloquées… Nous palabrions sur les raisons motivant ou générant la frayeur qui semblait s’emparer des habitants de cette partie du monde en nous voyant mais nulle explication n’emportait l’adhésion de tous les membres de notre groupe. Nous avions finalement décidé d’examiner avec attention les regards des personnes passant à notre proximité pour identifier quelle était la source de leur difficulté mais nous n’avons pu mettre en place cette politique puisque le couple qui nous servait s’est soudainement enfui non sans avoir au préalable bloqué lesdites portes.

 

Les trois pingouins amateurs de Piero della Francesca ont du coup jeté dans un mouvement synchronisé très élégant leurs assiettes de sardines et anchois à l’eau de vie de prune dans la direction supposée de nos adversaires mais ceci n’a servi à rien si ce n’est d’enduire les murs d’un fort peu ragoutant lustre collant.

 

Le Yéti anarchiste a bien tenté de délicatement enfoncer la porte mais de l’autre côté les restaurateurs avaient coincé un meuble lourd et encombrant devant la porte double. La porte arrière étant métallique et d’évidence elle aussi bloquée par quelque chose de volumineux, Maria au regard si profond que je m’y perds si souvent a suggéré à notre ami Yétinien de ne pas risquer de se déboiter ou disloquer l’omoplate pour rien.

 

Les plafonniers se sont éteints peu après et nous ne bénéficions plus que d’un éclairage tout à fait indirect, celui provenant de deux vasistas encastrés derrières des barreaux en fer forgés.

 

Nous sommes restés coi pendant quelques minutes, la surprise je pense, avant de héler les personnes de l’autre côté et leur enjoindre de nous délivrer ou à tout le moins de nous expliquer quelles étaient leurs préoccupations.

 

La réponse masculine que nous avons entendue comme solde de tout compte disait à peu près ceci : vos gueules ! C’est honteux de nous harceler de cette manière, de se conduire ainsi, de se moquer de nous, après tout ce qui s’est passé, abominable ! Vous êtes vraiment des chiens.

 

Puis le silence s’est fait, insidieux silence, comme une couverture de bohême, lourde et rêche, nous laissant dans une sombre expectative.

 

La jeune femme au foulard rouge a indiqué que les jours se suivaient et finissaient par se ressembler, dans la mesure où nous terminons immanquablement enfermés ou isolés quelque part, des endroits dont nous ne sortons que par la grâce d’évènements inconcevables, irrationnels ou parfois ridicules. Alors, je suppose qu’il nous reste à attendre qu’un petit homme vert, une girafe à petit cou et moustaches vertes habillée d’un pyjama rose, ou un vieil homme fumant une pipe et lisant Shakespeare en danois, sortis de la bouche d’aération au-dessus du vaisselier ne viennent nous sauver. Nous ne nous étonnons plus de rien, n’est-ce pas ? Laissons-nous porter par ce courant qui vient des profondeurs de nos âmes.

 

Elle s’est tue. Les autres ont souri et l’extincteur a proposé de jouer aux cartes ce qui a été agréé par les pingouins et l’autruche volante, flottante et trébuchante. Je ne suis pas intervenu dans cette conversation puisque mes interrogations étaient vouées à l’échec.

 

Autour de moi la pièce est plongée dans une douce et rassurante pénombre. J’ai marché tranquillement entre les tables et ai longé les murs et les meubles de décoration avec une petite bougie d’appoint, utilisée j’imagine lorsque l’électricité vient à manquer, cherchant des bribes d’information. Près d’un meuble d’appoint j’ai trouvé quelques feuillets et magazines qui ont attiré mon attention.

 

Cependant, je n’ai guère obtenu d’informations majeures si ce n’est peut-être que les menus sont rédigés en caractères gothiques, que le plat du jour de vendredi, (quel jour sommes-nous ? je l’ignore) était un flan de pommes de terre au yaourt, à la courge et au thon vert des prés, que le journal local s’intitule ‘Nouvelles d’ici et de là’, que son rédacteur en chef est un certain Joseph Dumoulin d’Avent, que la principale distraction des gens d’ici et de là est le saut à l’élastique depuis le clocher du village voisin, que le prochain concours de lancer de chaussures aurait lieu, ou a eu lieu, le 25 ventôse de l’an 77, que les dés étaient pipés chez ceux de là mais intacts chez ceux d’ici et que la chatte de Miloin le Bas était perdue.

 

Maria m’a rejoint dans mes recherches fastidieuses et a ri de mon misérable inventaire m’encourageant à persévérer, une de tes plus grandes qualités, il faut bien l’admettre, avant d’ajouter mais peut-être, pour un soir, pourrais-tu me tenir compagnie.

 

Comment pourrais-je ne pas acquiescer à pareille invitation ? A demain.

 

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