D’une intrusion remarquable et d’une double arrestation remarquée


D’une intrusion remarquable et d’une double arrestation remarquée

 

 

Nous étions enfermés dans une salle de restaurant au milieu d’une ville pavillonnaire, à la merci d’habitants effarouchés par notre présence, mais nous ne savions pas pourquoi il en était ainsi, nous ne parvenions pas à saisir ce qui se cachait derrière cette hostilité très visible.

 

Mes amis ne semblaient guère concernés par cet état de fait persuadés qu’ils étaient qu’une solution tomberait du ciel incessamment, comme cela avait été le cas depuis le début de notre errance. J’étais le seul à manifester un trouble certain et tourner dans cette pièce tel un singe en cage, m’accrochant, visuellement s’entend, aux barreaux visibles ou invisibles de cette prison.

 

Dans un meuble de rangement j’avais trouvé de vieilles coupures de presse mais elles ne m’ont pas appris grand-chose si ce n’est que le propriétaire de ce lieu avait été récompensé il y a cinq ans par la croix du mérite gustatif, la légion culinaire de catégorie 7 bxz du 10 brumaire an 313, et par un coupe de glace à la rhubarbe dans un tournoi de badminton.

 

J’ai ainsi tourné tel un moulin à vent attendant son Don Quichotte lorsque soudain vers 16 heures 48 les portes battantes se sont rouvertes brutalement laissant passer des agents de sécurité, au nombre de sept, étrangement déguisés d’un bas sur la tête et de moufles en laine à la main gauche – comme si nous pouvions reconnaître qui que ce soit dans cet endroit qui nous est totalement étranger, armés de lances à incendie.

 

Le premier d’entre eux, le seul à ne pas être déguisé mais coiffé d’un béret dit basque, s’est adressé à nous de manière très polie et je dois l’admettre respectueuse et nous a dit à peu près ceci : Je vous prie de bien vouloir excuser notre intrusion fort brusque mais les propriétaires de ces lieux nous ont averti de votre présence en leur établissement et nous ont demandé de procéder à votre évacuation au titre du livre 12 b de l’ordonnance sur le respect de l’ordre, des droits humains, des libertés et de la propriété, et de mettre en situation de restriction temporaire de mouvements les individus s’étant placés en situation d’infraction au sous-paragraphe 2 de l’article 5t de la première section de l’Annexe 8 à ladite Ordonnance. Selon mon interprétation, qui devra être confirmée par un édit gracieux du bureau des libertés, les deux individus que voici (il a tendu sa main gauche vers l’extincteur fort sage et le grille-pain existentialiste) tombent sous ces dispositions. Je comprends votre émoi et certainement votre effroi mais ceci résulte des tensions et des désagréments générés par les évènements de 5 Ventôse dernier. Je suppose qu’étant étrangers vous n’êtes pas au courant de ces derniers mais mon rôle est d’assurer un minimum de stabilité à une région autrefois délicieuse mais aujourd’hui sujette à maints bouleversements. Il est donc de ma responsabilité de procéder aux vérifications qui s’imposent. Vous pourrez rendre visite à vos amis dès la trente-cinquième minute de la treizième heure passée ce moment précis. Il est … 16 heures 49, veuillez régler vos montres je vous prie. Je vais mettre un agent de type délicat à votre disposition pour vous raccompagner à votre logement actuel. Il reviendra vous chercher au moment opportun pour vous guider au lieu où vos amis seront retenus. Les désagréments qui sont les vôtres sont regrettables et regrettés. La procédure suivra son cours selon les règles en vigueur qui sachez le sont protectrices non seulement des intérêts bien compris des victimes mais également de ceux des présupposés coupables.

 

Tandis qu’il s’exprimait, l’un des agents a saisi le grille-pain qui était, comme vous l’imaginez, accroché à mon épaule droite et, au moment où j’écris ceci, le soir étant déjà tombé sur ce monde incrédule, tel un œuf sur une poêle bien chaude recouverte d’une huile légèrement crépitante, je ressens encore avec un profond déchirement ses petits pieds tentant avec désespoir de demeurer blotti au creux de mon épaule.

 

Je n’ai pas eu le temps de réagir.

 

Mon regard s’est porté sur mon pauvre ami mais celui-ci était déjà bâillonné et ligoté, avec son propre fil électrique, et engouffré dans un sac portant une double croix rouge et verte.

 

Le livre que le grille-pain retenait en son sein depuis tant de temps est tombé à terre dans cet épisode marqué par une certaine gesticulation. Je l’ai ramassé et l’ai mis dans la poche intérieure droite de ma veste.

 

L’extincteur a été saisi de la même manière et lorsque le Yéti anarchiste a tenté de se porter à son secours l’aimable chef du groupe de sécurité l’en a dissuadé en indiquant qu’il n’était pas recommandé de s’insinuer dans le déroulement lisse, implacable mais juste de la justice en devenir. Les présupposés coupables auront le droit d’arguer en justice des circonstances de cette interpellation et disposeront de tous les moyens de fait et de droit pour prouver qu’ils sont innocents des chefs d’accusation dont ils sont accablés par le collège des habitants de cet endroit.

 

Je suis intervenu pour demander quels étaient lesdits chefs mais il n’a pas apporté d’autres précisions qu’une référence à la confidentialité de la procédure et à la nécessaire impartialité de tous les intervenants dans une procédure de ce type.

 

Maria au regard si profond que je m’y perds matin, midi et soir, surtout le soir, m’a interrompu et a indiqué qu’il serait probablement délicat pour un présupposé coupable de se défendre s’il n’était informé de ce dont on l’accusait et que ceci était d’autant plus valide que nous étions étrangers à ce lieu au demeurant fort sympathique.

 

L’agent responsable a opiné du chef et indiqué qu’il comprenait fort bien cet argument et qu’il l’étudierait avec soin.

 

Il nous a ensuite salué avec toute la superbe appropriée et s’est éclipsé en grandes pompes tandis que ses assistants l’ont suivi avec des cabrioles qui auraient été amusantes si les circonstances avaient été autres.

 

Seul un énergumène affublé d’un collant rougeâtre sur le visage est resté derrière lui et nous a raccompagnés à notre maison d’hôte.

 

Les passants étaient fort nombreux et d’apparence hostile. Les murmures qui sortaient de leur bouche et s’encastraient dans nos têtes étaient difficilement compréhensibles mais formait un tout assez lourd pour contrarier la limpidité de l’atmosphère.

 

Nous nous sommes cloitrés dans l’une des chambres qui nous est allouée et c’est d’ici que nous allons conciliabuler.

 

Je vous en dirai plus un peu plus tard. L’heure est solennelle et peut-être grave.

 

Je tape ces derniers mots en songeant à ce pauvre grille-pain qui, il y a quelques heures à peine était aimablement lové dans le creux de mon épaule…

 

 

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10 commentaires sur « D’une intrusion remarquable et d’une double arrestation remarquée »

    1. non, non, Maria est l’inverse de l’autruche. le pauvre grille-pain a failli mourir une première fois dans le premier tiers de l’aventure, est mort pour de bon dans la seconde, donc je crois qu’il devrait s’en sortir… C’est le seul à ne pas craindre le bucher 😉 On va lui envoyer un sauveur de dernière minute.

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