De manifestations qui dégénèrent et de l’inadéquation de la raison en période d’explosion des passions
Il y a eu deux scènes de rue qui ont dégénéré ce matin. C’était dans les rues hautes conduisant au quartier des ministères, salles de ping-pong et palais de justice et fébrilité.
Des manifestants en colère ont forcé des barricades érigées à la va-vite par les agents de l’ordre, de la sécurité et du bien-être cumulatif, et se sont précipités vers le palais de première importance et dernière instance en hurlant justice ! Que justice soit faite ! Qu’attendent les autorités pour lyncher le grille-pain ! Il a avoué, il faut le rouer ! A mort !
Ils se sont heurtés à des membres des forces de protection de la justice, du bonheur et de la sérénité qui ont fini par avoir le dernier mot et repousser les assaillants. Le bilan a été fort lourd, à savoir une dizaine de blessés du côté des manifestants et trois parmi les représentants de l’ordre et la décence, vingt-sept arrestations, trois devantures cassées, deux voitures brulées, quatorze parapluies volés – probablement à fin de provocation -, quinze pots de fleurs détruits par choc brutal sur les casques officiels, vingt à trente pavés carrés et cinquante-sept coniques déterrés et brisés contre des façades inoffensives, une voiture de la voirie utilisée comme bélier et trois chiens comme nains de jardin.
Les journalistes autorisés à décrire les évènements ont fait état ‘d’une violence extrême’, ‘de propos antisociaux et démagogiques’, ‘de slogans incitant à la haine’, et ‘de comportements inacceptables portant atteinte à la pureté de nos institutions’.
L’un des rédacteurs en chef de la plus prestigieuse de publications a commenté ce qui suit dans le Vent des Charentes et des Moulins Obscurs :
Les évènements de ces derniers jours qui ont culminé, espérons-le, avec les destructions viles et ordurières de ce matin renforcent la conviction qui est la nôtre qu’un cap a été franchi avec l’arrestation du grille-pain maffieux. Sans l’avouer explicitement nous souhaitions que le basculement des valeurs prévalant dans notre société meurtrie et blessée depuis les évènements bien connus et commentés dans ces chroniques se trouverait interrompu voire annihilé avec la capture des meneurs. Mais, tel n’a pas été le cas, bien au contraire. Il est à craindre que la violence des propos, la gestuelle sécuritaire affirmée par les forces de l’opposition bien-pensante, et la haine colportée et disséminée par les groupuscules non affiliés à des mouvements libres et généreux, ont fini par imprégner notre structure de fonctionnement, la corrompre et la rendre impropre à tout échange politique ou dialogue sociétal posé, ouvert et altruiste. Nous sommes devenus ce que l’on voulait que l’on soit. Nos adversaires sont en passe de gagner la partie. Les propos télégraphiques, les raisonnements binaires, les diktats infondés, toute cette masse grouillante et fusante de comportements manquant aux bases mêmes de l’éthique ont chamboulé nos structures de fonctionnement et nous perdons le contrôle de nous-mêmes. Nous ne sommes plus que l’ombre de ce que nous avons été. Notre indignité actuelle aurait été rejetée sans coup férir par nous-mêmes voici quelques années à peine. Nous ne sommes plus que des humains sans âmes, des intelligences brouillées et troublées, des vivants sans esprits. Il est bien loin le temps des dialogues constructifs et des échanges paisibles d’arguments opposés dans une atmosphère respectueuse et équilibrée. Bienvenue dans le temps des féodalités et des guerres de religion. Tout est perdu, l’honneur également.
Je dois admettre ne pas avoir tout compris tant les références implicites à un passé et des évènements que j’ignore étaient nombreuses dans cet article mais le propre de ce texte est assez claire.
L’extincteur fort sage qui dans notre petit groupe a l’habitude d’être consulté sur les questions à l’histoire ancienne, récente ou à venir a déclaré pompeusement :
Même si les références à un passé radieux sont malheureusement le propre des personnes ayant évolué dans ce dernier sans avoir pu s’adapter aux conditions nouvelles de l’existence, il reste que le basculement des valeurs, le bouleversement des situations, le sentiment de décadence et d’entrée à reculant dans un monde qui implose sont des caractéristiques des temps incertains, les périodes intermédiaires des braves égyptiens, les troisièmes et cinquièmes siècles romains, les phases de décadence des empires de toute sorte.
Je n’ai rien dit car je ne sais rien. Je suis perdu dans cette réalité-ci comme dans les autres.
De fait, mes pérégrinations de ce jour fortement bouleversées par les manifestations dont j’ai parlé auparavant, ne m’ont absolument pas permis de progresser dans la détermination des évènements horribles dont le grille-pain existentialiste a avoué avoir été à l’origine. Personne n’a daigné m’en dire plus que je ne savais déjà, c’est-à-dire presque rien, et toutes et tous m’ont regardé d’un œil assez sale et soupçonneux. Tout a été renvoyé dans les limbes les plus profondes de l’inconscient collectif. Il ne reste que des poussières ici et là et une haine profonde à l’encontre de ceux ou celles suspectées d’en être à l’origine.
Mais, quelles que puissent être lesdits évènements ceux-ci ont dû être d’une gravité telle qu’il me parait sidérant que l’on puisse accuser une personne, et encore moins un minuscule grille-pain, d’en être le responsable unique.
Quid des complicités actives et passives ? Quid des bénéficiaires avérés de ces agissements ? Quid des commanditaires ?
Ma demande de visite au présupposé coupable a été rejetée par les autorités dignes et magnanimes. Celle de l’autruche volante, flottante et trébuchante a par contre été acceptée ce qui me désole profondément dans la mesure où quoi que puisse dire notre ami enfermé je doute que notre bipède chanteur puisse en faire un résumé compréhensible. Je l’ai mentionné avec dépit à Maria au regard si profond que je m’y délecte mais celle-ci m’a souri en me rappelant d’une caresse de la main sur mon avant-bras gauche que ce qui doit être sera. Nous verrons demain