D’une nouvelle étape dans une longue errance


D’une nouvelle étape dans une longue errance

 

L’homme marche à pas lent.

 

Il peut avoir la quarantaine, ou peut-être un peu moins. Difficile de déterminer son âge exact étant donné son apparence. Son visage est marqué par le soleil, les ans et les embruns. Une chose métallique étrange est accrochée avec une cordelette verte sur son épaule, la droite. Il marche lentement, son regard se porte sur la route devant lui, n’en bouge que rarement.

 

Il tire derrière lui une sorte de charrette, mi-métallique, mi-plastique, à quatre roues, en un temps lointain elle doit avoir servi à promener des enfants. Une bâche transparente la recouvre, ceci devait permettre aux enfants de voir à travers même par jour de pluie ou de vent. Aujourd’hui, la tenture est abîmée et déchirée en deux endroits.

 

À l’intérieur il n’y a pas d’enfants. Seulement des objets métalliques divers, difficilement identifiables, incongrus. Un extincteur d’un autre temps avec tuyau noir allant dans toutes les directions et relié au cylindre rouge par une chaîne rouillée. Beaucoup de bric-à-brac. Peut-être des fils électriques, certainement des tuyaux, probablement des morceaux de caoutchouc, des vannes, des soupapes et des sifflets d’acier. Une grosse peluche en forme d’autruche, ou d’émeu, sale et en partie détruite, il manque une patte. Il y a également un poster encadré, coupé en deux dans le sens de la longueur, représentant la couverture d’un album de tintin, celui où le journaliste belge se perd au Tibet et rencontre l’abominable homme des neiges en sauvant son ami Chang. Derrière, une perche métallique attachée tant bien que mal au corps du véhicule et en son extrémité un crochet auquel est suspendu une cage et à l’intérieur de celle-ci des oiseaux noir et blanc, sûrement des pies, trois pour être exact.

 

L’homme marche. Son dos est voûté. Il est accablé par les ans, les soucis, la marche, l’errance plus probablement, voici un homme qui n’a pas dû s’arrêter de marcher depuis bien longtemps. Il parle. A voix haute mais ses mots sont difficilement compréhensibles. Il alterne des sons aigus avec des graves, des voix de faussets avec des grognements de bête.

 

A sa gauche, une femme. Belle. Habillée modestement mais dignement, elle semble moins accablée que lui. A dire vrai, les deux ne sont pas du tout assorti. Peut-être ne forment-ils pas un couple. C’est probablement ce que l’on penserait si l’on voyait les deux déambuler de telle manière au marché ou en ville, ces deux-là ne vont pas ensemble, elle marche plus vite que lui, sa démarche est ferme, son visage est frais et radieux, son regard est bleu, le sien est un miroir qui ne réfléchit que la grisaille, la tristesse et la mort. Les deux ne vont pas ensemble du tout. Ce n’est pas un couple mais un accident du destin. Ils marchent ainsi par hasard. Il n’est qu’une ombre. Elle est une forme, belle et attractive, une femme d’action, la tête sur les épaules. Lui n’est qu’un vagabond, étranger à notre monde. Ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Voici ce que l’on penserait si les deux marchaient au milieu d’une foule ou d’une communauté quelconque.

 

Oui, mais voilà, ils ne marchent pas dans un tel endroit. Ils marchent le long d’une route étroite, à moitié mangée par la végétation, entourée d’arbres épais et effrayants, de poteaux télégraphiques rongés par la rouille, de carcasses de voitures et d’autres équipages oubliés, il n’y a personne à part eux, si ce n’est une jeune fille portant un manteau rouge un peu trop long pour elle et un ruban rouge pour le moins surprenant dans les cheveux.

 

Elle donne la main à la femme et les deux forment un couple, mère fille probablement, peut-être pas si l’on songe à la différence d’âge qui n’a pas l’air conséquente, une dizaine d’années tout au plus, l’aînée ne saurait être la mère de la cadette, à moins qu’elle ne cache son âge sous le sourire et la plénitude de ses traits.

 

Les deux marchent d’un pas ferme et droit. Lui, l’homme fatigué, dérive à leur côté, tirant derrière lui son étrange équipage. Il n’y a pas d’autre âme à des centaines de mètres à la ronde. Difficile de dire ce qu’il en est un peu plus loin tant la végétation est épaisse.

 

Par moments ils passent devant ce qui a dû être maison ou entrepôt. Les arbres sont touffus et confus, ils entourent les êtres et les objets en les empreignant d’une teinte sombre, les engouffrant dans leur ombre pénétrante. Dans le ciel des nuages d’altitude, brumeux, cachent le soleil.

 

Il n’y a pas d’horizon. Il n’y a personne.

 

Les sons que l’on entend sont ceux de l’homme errant qui se parle à lui-même en une cacophonie d’accents et de voix, la femme et le jeune fille qui devisent tranquillement d’une voix musicale relativement similaire, le crissement du wagonnet sur la route bitumée déchirée par endroits, fragile, crevassée, et les oiseaux dans la cage qui par moments crissent des sons stridents.

 

Rien d’autre.

 

Pas de sons d’oiseaux ou d’animaux provenant des sous-bois. Pas de murmure de l’eau ou du vent. Pas de bruit de machine ou de véhicule. Rien. Les ombres que ces humains semblent être avancent.

 

Ils sont seuls.

 

§511

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