D’un monde nouveau, d’un disque plat, de falaises de marbre, de la fin d’un monde, et d’une rencontre inattendue
Les trois humains, deux femmes et un homme, ainsi que le chariot dérisoire que lui traîne maladroitement à la manière d’un pauvre vieil être promenant un pauvre vieux chien épuisé et maladif, sont arrivés au bout du tunnel, à la lumière, face au couchant, le dos perpendiculaire à une ligne imaginaire liant le levant audit couchant à travers un tunnel sombre mais inoffensif peuplé par des fantômes invisibles, des voitures déchiquetés et un improbable train éventré.
Avant de pénétrer dans cet édifice sombre, ils évoluaient dans un pays triste et morne, battu par la pluie et les vents, ne présentant à l’œil que des cercueils de véhicules, de bâtisses diverses ou d’objets hétéroclites.
Maintenant, ils font face à une plaine morne et triste battue par les vents et la pluie ne présentant à l’œil que des cercueils d’objets hétéroclites, de véhicules divers et de bâtisses.
Mais il y a une nuance, et de taille: Le pays est le même mais il est bordé au loin par une ligne noire et sombre au-delà de laquelle il n’y a rien, en tout cas on n’y distingue rien, et l’eau qui inonde le monde aux alentours s’y dirige et visiblement y chute de manière solennelle et puissante.
Le monde tout entier semble s’être dilué dans une étendue plane et circulaire aboutissant invariablement à une frontière lissée de noire au-delà de laquelle il n’y a plus rien, un rien dans lequel tout sombre en une gigantesque et universelle cascade.
L’autoroute sur laquelle ils marchent fournit une sorte de passerelle enjambant une plaine inondée, comme si les polders hollandais avaient été éventrés par quelque catastrophe invraisemblable et avaient été recouverts par une seule et immense flaque de laquelle n’émergeait que cette autoroute un brin dérisoire au milieu de l’eau, une eau quasiment stagnante mais évoluant lentement vers le bout de l’univers avant d’y sombrer dans une cabriole lente mais implacable.
Tout un univers qui disparaît dans un vide sidéral. Une planète réduite à un disque plat et au bout de laquelle les eaux se déversent dans un au-delà proche mais ridiculement niais et naïf, médiéval.
Les trois humains sont sidérés, ils sont interdits, regardent sans comprendre, ne cherchent même plus à comprendre, des eaux qui se réunissent, se prolongent, détruisent, puis se déplacent et enfin disparaissent dans un vaste vide inconnu.
Ils sont au bout du tunnel, sur une colline très peu élevée mais suffisamment pour permettre de découvrir un paysage morne et plat, gris et sombre, animé par quelques rares moments de mouvements des eaux découvrant par-ci par-là des traces d’habitations ou d’occupation humaine, de simples traces, des souvenirs isolés et oubliés, plus personne pour s’en rappeler.
De là où ils sont, la route se rétrécit pour devenir un simple trait droit, noir, de la couleur du bitume, celle de l’autoroute réduite à une file seulement, s’avançant au milieu des eaux dans la direction de la fin des temps, du bout d’un monde.
Les trois humains après quelques heures de contemplation silencieuse, se sont remis en route, ils avancent vers le couchant, l’endroit où les eaux se déversent dans un tumulte profond et sourd, par-delà des falaises que l’on devine gigantesques.
Leur but était le couchant, ils y sont, ou presque.
Ils avancent vers cet endroit étrange où les temps finissent, les dimensions se perdent, la signification s’épuise.
Trois ombres dérisoires et négligeables, traînant des images d’un quelque chose incompréhensible, marchent vers le bout de leur chemin.
Les deux femmes se tiennent par la main. L’homme est un peu en retrait.
Il parle à voix haute à l’attention de fantômes de son passé ou de son avenir, allez savoir, cela n’a que peu d’importance. Il écoute des voix que lui seul entend et qui sorte d’un appareillage grotesque sur son épaule droite. Il s’adresse à une autruche en peluche et d’autres objets auxquels il semble attaché et à qui il prête une voix, la sienne, et une oreille attentive, la sienne également, probablement la gauche.
Leur pas les entraîne immanquablement au bout de la route et de leur monde.
Des heures durant ils marchent.
La route se rétrécit de plus en plus, il ne reste que trois ou quatre mètres d’une promenade noire et sombre et tout autour il y a le vaste tapis d’eau qui bourdonne, ronfle, enfle et se dirige imperturbablement vers la ligne noire qui marque la chute des eaux dans un gouffre ultime, la ponctuation du monde, de ce monde en tout cas.
La brume les entoure, des nuages entiers les engloutissent et les submergent, le brouhaha est omniprésent, un vacarme odieux et monstrueux, une fin du monde n’est jamais une plaisanterie, les nuages épaississent jusqu’à ne plus former qu’un monde en soi. Ils s’y perdent mais n’ont guère le choix puisque leur route est droite et suit la route qui n’est bientôt plus que de deux mètres de large.
Plus d’horizon, plus de visibilité, plus de paysage, juste une couleur grise omniprésente qui les absorbe, les avale, les dévore.
Ils sont presque au couchant.
Les deux femmes marchent avec décision, lentement mais sûrement, leurs mains sont refermées l’une dans celle de l’autre.
L’homme est derrière elles et parle à des ombres d’objet, une autruche en peluche et des images similaires, ses mots ne veulent rien dire, mais il n’a plus peur, il est serein, son visage est plus jeune qu’auparavant, son regard est lisse et chaud.
Bientôt, les eaux se referment sur leurs pieds mais le courant ne les renverse pas, ils continuent d’avancer.
Tout autour d’eux, il n’y a plus qu’un brouillard profond, compact, spongieux. Un lourd et puissant souffle les entoure, l’ultime ligne de ce disque plan qu’est le monde est proche, un battement qui ressemble à un cœur en délire les emplit d’un son intemporel.
Puis tout s’efface et ils se trouvent devant un promontoire en bois sur lequel il pose pied. La brume se dissipe devant eux et ils distinguent sur des kilomètres à droite ou à gauche d’immenses falaises reflétant une cascade infinie, interminable, uniforme et puissante.
Les chutes du Niagara, de Victoria ou d’Iguaçu semblent des petits jets d’eau à côté de ce qu’ils aperçoivent et dont ils devinent qu’il ne s’agit que d’une portion infime d’un écroulement sans borne des eaux du monde dans un gouffre sans limite ni fond.
Curieusement, ils n’ont pas peur, ne sont pas effrayés. Les deux femmes regardent avec curiosité, apaisée et sereine, les falaises de marbre. L’homme s’est assis à côté des personnages fantasmatiques qu’il s’est créé et contemple lui aussi les environs.
Ils restent ainsi deux heures durant, deux heures qui semblent un infini temporel.
Lorsque leur regard s’est enivré au point de ne plus saisir ce qui est réalité et ce qui est autre chose, ils se relèvent et c’est là, à ce moment seulement, qu’ils distinguent devant eux, à quelques pas vers le couchant, au bout du promontoire de bois, deux formes géantes, assises l’une à côté de l’autre, qui les regarde silencieusement.
Deux géants, de treize mètres de haut, peut-être un peu plus, difficile à dire avec la brume, assis en tailleurs, qui les observent sans manifester la moindre gêne, peur ou surprise.
Deux géants issus de quelque cauchemar d’un lointain passé.
Deux géants de forme humaine, un homme et une femme, lourds et trapus, mais de haute taille, aux regards avenants.
Deux géants qui les regardent et finissent enfin par leur parler.
hou! il va se passer quoi maintenant j’ai encore un peu peur moi:)
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Les rencontres vont devenir de plus en plus improbables je le crains….
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