Des êtres bicéphales, de leur nombre et de leur grâce, des attentes différentes et divergentes des trois humains et d’une tour en forme de vis noire


Des êtres bicéphales, de leur nombre et de leur grâce, des attentes différentes et divergentes des trois humains et d’une tour en forme de vis noire

 

Les trois humains marchent dans un monde surpeuplé.

 

Des êtres bicéphales les suivent, les précèdent, les côtoient, mais jamais ne les bousculent, leurs mouvements ondulant et ondoyant étant si subtils et souples que leurs longs corps fins n’entrent jamais en contact avec eux.

 

Les deux femmes et l’homme tirant sa charrette peuplée de souvenirs et objets hétéroclites marchent derrière leur guide sur les trottoirs vastes d’une cité métallique s’étendant vers les hauteurs du ciel, les profondeurs de la terre, les différents axes d’une rose des vents très complexe.

 

Presque tous les cent mètres leur marche s’interrompt au croisement de plusieurs voies de circulation, elles aussi très peuplées. Ils en profitent alors pour scruter les environs et, à chaque fois, leurs regards se perdent dans des horizons lointains dévoilés par des boulevards ou avenues s’ouvrant de manière étoilée. Une cité Haussmannienne d’un siècle à venir se déroule devant leurs yeux. Des axes en étoiles tracés à la règle et l’équerre, rutilants, brillants, scintillants, parcourus par des millions d’êtres, de véhicules, de sortes de train ou métro extérieurs, d’étages superposés de voies diverses, d’avions et engins téléportés nombreux, le tout, curieusement, dans un calme impressionnant et un bruit très modéré.

 

Les conversations des uns avec les autres procèdent systématiquement de la même manière, des sifflements aigus, suivis de grognements et grondements, le tout s’évacuant par vague concentrique puis à nouveau le calme, comme si des gouttes de pluie tombaient sur une étendue d’eau et provoquaient des vagues concentriques s’évacuant rapidement tout en se heurtant parfois, mais sans interrompre le flux. Les humains suivent leur accompagnateur, un long et filiforme être à deux têtes qui les a cherchés pour quelques raisons particulières sur leur promontoire au bord du vide.

 

Maria, la jeune femme au regard pénétrant et sensible, contemple les environs avec une gourmandise évidente. Elle ne redoute pas le changement, n’est pas surprise par les chocs successifs, les changements brusques, les basculements et bouleversements, de leur lente et longue errance. Elle les ressent comme des passages obligés reliant chaque point à un autre, formant une constellation puis une autre et liant l’ensemble des humanités possibles et à venir. Elle ne songe pas un instant qu’à force de côtoyer la mort, les combats, les destructions, les catastrophes naturelles ou humaines, elle finira avec ses amis par y succomber. Cela fait déjà fort longtemps, peut-être depuis leur errance sur la belle mer d’Autriche à la recherche d’Arezzo ou lorsqu’ils se sont perdus dans les dédales d’une cité inconnue dans un pays longtemps  éreinté par la dictature mais secoué par une fort opportune révolution. Elle sait que leur errance à un but, mais elle ignore quel pourrait être celui-ci. Ceci ne la déstabilise pas, bien au contraire. Elle observe les réalités qui s’offrent à elle, les différentes facettes d’une même humanité en prise avec ses contradictions les plus profondes et ressent que toutes sont liées par des liens qu’elle devine très puissants.

 

La jeune fille au manteau rouge observe les mondes que le hasard propose à sa vue. Elle est souvent enthousiaste, parfois bouleversée, mais pas peinée. Elle sait que le monde change, mais très lentement, et que la douleur en fait malheureusement partie intégrante. Celui qu’elle a quitté était certainement terrible mais au moment où elle a fait ses adieux peut-être définitifs, peut-être pas, surement pas d’ailleurs, elle a ressenti que son rôle était ailleurs, qu’elle devait apprendre pour pouvoir un jour, si les circonstances, le destin, les dieux, le hasard ou quoi que ce soit d’autre du même genre, le lui permettaient, partager cet enrichissement avec toutes celles et ceux qu’elle a laissés derrière elle, à commencer par ses proches.

 

L’homme est perdu et confus. Il cherche depuis le début de son errance à comprendre mais n’y parvient pas. Il y a fort à parier qu’il n’y parviendra jamais. Il s’est construit un monde virtuel, fort sympathique au demeurant, et s’y retranche lorsque les atteintes du monde extérieur sont trop virulentes, c’est-à-dire le plus souvent. Il intervient dorénavant rarement dans la conversation et lorsqu’il le fait ce n’est pas à propos. La souffrance, la douleur, l’injustice, l’arrogance, tout l’insupporte et il ne comprend pas, ne comprend pas, ne comprend pas…. Ce fait le rend fou, littéralement. L’errance qu’il subit de plus en plus comme une implacable succession de chocs très violents, risque à terme de l’enfermer dans une apathie définitive. De cela, les deux femmes en sont parfaitement conscientes et elles essaient de le protéger de sa propre impuissance.

 

Les trois humains suivent leur guide bicéphale. Ils font face à son visage masculin. En tout cas, tel est le cas en ce moment particulier car tout est changeant dans ce monde léger et fluide. Parfois la face féminine se porte vers l’avant parfois l’arrière, sans que l’on remarque de changements particuliers, pas de retournement façon ‘exorciste’, pas le moins du monde, ce n’est pas le style de ce monde en apparence si doux.

 

La petite troupe s’arrête enfin devant une tour très gracieuse en forme de vis noire, d’à peu près soixante-treize étages, et y pénètre. Ils sont attendus au dix-neuvième étage mais cela ils ne le savent pas.

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