Des slogans politiques et de la normalité abandonnée dans une société peu banale
Les trois humains s’enfuient…
Après une longue et lente errance les ayant fait parcourir le monde entier, rencontrer puis survivre tant bien que mal a différentes réalités plus ou moins virtuelles, ils pensaient être sortis de ces parenthèses de temps et lieux, ils envisageaient une réintégration plus ou moins réussie dans le monde des humains, celui de la banalité, de l’habitude, de l’accumulation des secondes, minutes et heures, puis jours et mois, puis années, puis vies et morts, la juxtaposition des soucis, des plaisirs, des petits riens qui font un grand rien puis une belle ou mauvaise vie, allez-savoir, ils y étaient préparés, mais tout a volé en éclats.
Cette banalité affligeante qu’ils ont rencontrée et retrouvée sur une promenade surplombant les chutes du Niagara a explosé, en millions de morceaux incongrus et grotesques, dans une imitation ridicule du monde ordinaire et contemporain mais en réalité un basculement, encore un, dans une situation extraordinaire, au sens premier du terme, en un monde où les individus, apparemment humains, se complaisent à commercer la vie, le sexe, leurs corps et leurs âmes, ou ceux des autres, enfants ou vieillards dans la même catégorie, et dieu sait quoi encore, pas de pitié, pas de sentiments, pas de clémence, pas d’altruisme, même à fleur de peau.
La situation s’est aggravée rapidement.
Longeant la rivière, loin de la foule et des grappes humaines singeant une humanité qui n’existe que de manière puérile et extravagante, ils ont fini par s’asseoir sur un banc pour déjeuner de quelques sandwichs achetés avant le jeu de meurtres et repêchages.
Là, l’homme très las a distribué des journaux qu’il avait achetés sans les lire dans une boutique touristique pour touristes embarqués dans un péril touristique sans intérêt touristique autre que les photos touristiques pour cérémonies cultuelles touristiques post-séjours touristiques, et les trois les ont lus, ou plutôt feuilletés, n’ayant pas ou plus vraiment la force de commenter une réalité qui à nouveau les dépassait. Ce qui est à noter est que contrairement aux situations passées, l’homme n’est plus le seul à être totalement accablé, il a été rejoint dans cet état apathique par les deux femmes qui pourtant, jusqu’à présent tout au moins, avaient constitué un rempart efficace contre le caractère irréel ou surréel, absurde ou dérisoire des différents défis rencontrés.
Les journaux ou magazines dont il s’agit sont semblables en apparence à ceux que l’on peut lire partout dans le monde, de Copenhague à l’île de Vienne ou la Mer d’Autriche mais en substance ils s’en écartent diamétralement.
La publicité omniprésente dans leurs colonnes faisait la part belle aux annonces politiques telles que ‘les voix sont chères partout, mais chez xxxx elles valent $200, trois coupons pour le meilleur sex-shop de Buffalo et deux entrées à l’infirmerie du stade de football en salle de Burbanks, qui dit mieux ? Votez xxxx ça rapporte !’, ou encore ‘chez yyyy on ne fait pas que payer les électeurs, on les utilise aussi. Si vous souhaitez joindre la campagne pour une semaine électorale récréative, inscrivez-vous dès à présent. Côtoyez yyyy, rejoignez-là lors des diners électoraux, serrez des pinces, souriez aux caméras, invitez-vous aux séances nocturnes dans les meilleures boites de striptease ou cabarets de Burbanks, participez aux orgies qui vous intéressent et filmez les autres, yyyy ne censure rien, ne juge rien, ne reproche rien et le matériel récolté pourra être diffusé commercialement sur la chaîne youshop-youvote. Votez yyyy, à vous le plaisir, à vous l’argent, à vous les combines’.
Ailleurs, zzzz vendait sa campagne électorale en bourse et proposait aux personnes intéressées de rejoindre son groupe de concubinage pour la ‘modique somme de $100.000’ ;
wwww lui se contentait d’indiquer que dès le lendemain de son élection il se mettrait à la disposition des groupes mentionnés en annexe pour abolir les lois controversés ou en adopter de nouvelles et qu’il le ferait dans l’ordre des contributions reçues et publiées ;
xxxx, encore lui, faisait dans la transparence et mentionnait dans une interview dont il précisait qu’elle lui avait couté $25.000 que son intention était de conserver son mandat pour deux fois cinq années ce qui lui rapporterait $7.500.000 par an selon ses calculs, en commissions et contributions diverses ;
Enfin, la campagne de tttt était axée sur la substance et indiquait que son intention était de diffuser plus largement et de mieux rétribuer les jeux télévisés suivants : Chasse-à-cour aux migrants clandestins en milieu urbain (troisième partie) / Mourir d’indigestion et revendre les organes sains (deuxième saison) / Sexe, crimes et châtiments (onzième édition) / Donner naissance est une chose, tuer en est une autre (nouveau).
Les trois humains ont lu ces lignes et sont affligés d’une nausée grandissante.
Ils ne parviennent pas à intégrer le sens profond de ces postulats politiciens plus proches de films d’anticipation que de la réalité qu’ils ont connu ou dont ils pensaient se souvenir, plus largement celui d’une société qui donne ainsi libre cours aux comportements les plus extrêmes après avoir abandonné ce qu’ils pensaient être le sens de l’humain.
Ils ne comprennent pas, ou plus, et marchent à nouveau le long de la rivière les bras lourds, l’esprit affligé et le cœur fermé.
L’homme terne et triste marmonne quelque chose à l’objet accroché sur son épaule droite et ces mots pourraient être : Il n’y a plus d’amour à Saint-Pétersbourg, sous le Pont Mirabeau la Seine s’est tarie…