D’un entretien qui ne se déroule pas exactement comme on s’y attendait…
Les trois humains se trouvent dans une pièce quadrilatère blanche meublée d’une table carrée et de chaises, blanches elles aussi, il n’y a rien d’autre, la lumière est diffusée de manière indirecte par la phosphorescence des murs et des objets.
Une femme est assise en face d’eux et leur précise qu’elle ne dispose que de quelques minutes tout au plus pour les entendre. Elle leur rappelle que toutes les propositions faites doivent répondre aux critères définis dans une circulaire de type xwc/4 mais dans ses versions impaires seulement. Elle ajoute que la compagnie dont elle est l’une des dirigeantes subalternes de catégorie trois est prête à envisager toutes les formes de coopération imaginable pour autant qu’une relation inversement proportionnelle puisse être établie entre les gains potentiels et les frais envisagés. Des développements novateurs sont possibles tels que jeux à haute valeur ajoutée et forte impression médiatique, conflits localisés en milieux densément urbanisés ou large distribution de produits porteurs et diversifiés parmi les éléments les plus jeunes de la société.
Elle se tait. Le silence s’installe. Elle ne les regarde pas.
Ses yeux fixent un écran placé très exactement devant elle, ce qui empêche les trois humains de distinguer son visage avec précision. Des listes chiffrées, des références de matériels divers, des cartes géographiques coloriées se succèdent tandis que le silence se diffuse.
Maria au regard naturellement fort perçant est circonspecte, plus que perplexe. Elle se racle la gorge puis demande avec une timidité qui ne lui est pas habituelle plus de précisions sur le potentiel de croissance qu’elle discerne et sur la contribution envisagée de la part du groupe qu’elle représente.
La dirigeante subalterne ne détourne pas son regard de l’écran et précise d’une voix monotone et d’un ton saccadé: conflits internes de toute catégorie, guerres civiles à fort potentiel de dégénérescence, conflits larvés entre deux ou plusieurs nations pour autant que la possibilité de transformation en conflit ouvert est tangible, conflits ouverts mais croissants en intensité, conflits régionaux avec implications externes fortes sans recours à des moyens de règlements pacifiques des différends.
Maria ne sait que dire, ni que proposer. Le silence devient intense et gênant.
La dirigeante subalterne lève son regard vers elle et lui demande ce qu’il en est, elle rappelle ne pas avoir beaucoup de temps à leur consacrer et que des conglomérats chimiques, sidérurgiques, pétroliers, agroalimentaires, miniers ou autres sont légions et attendent parfois des mois avant d’obtenir un entretien de cette nature et que lorsque celui-ci est enfin organisé elles font preuve d’innovation dans la gestion des dérivés conflictuels de toutes natures.
La jeune fille au manteau rouge prend la parole, elle parle des populations locales du pays d’où elle provient, elle souligne leur labeur et les soubresauts calamiteux dont ils ont été les témoins, sujets et victimes au cours des dernières décennies et indique qu’il est plus que temps que les soutiens extérieurs aillent non plus là où les ressources se trouvent et la puissance se cache mais dans les projets durables, les infrastructures pouvant assurer un niveau de vie suffisant à la majorité de ses concitoyens, des hôpitaux, des écoles, des marchés, des routes, des gares, des entrepôts, des hospices et tout autre équipement permettant de soutenir ensuite la production de biens et d’équipements et l’enrichissement de la société dans son ensemble.
La responsable subalterne hausse les épaules et demande de quel pays il s’agit, puis se reprenant avec une forme d’impatience légèrement retenue, rappelle que ce qui compte c’est l’épanouissement des désirs et plaisirs humains, que toute vie se terminant au même endroit, dans un vide absolue et sans fin, le chemin y conduisant devait être aménagé pour satisfaire aux souhaits des gouvernants des premières catégories, que l’humain ne cherchait jamais autre chose que le plaisir ou la survie par peur de la mort et que si l’on ne pouvait lui donner l’un ou l’autre, le dernier suffisait et qu’il serait hypocrite de laisser la souffrance se perpétuer lorsque la possibilité existait d’assurer à chacune et chacun un plaisir même éphémère, que l’essentiel était d’assurer une telle ivresse passagère à tous, chacun selon ses capacités, une heure, une journée, un mois, une année ou une vie, que la durée n’avait en fait qu’un importance limitée dans la mesure où au bout du compte toutes et tous finiraient par se décomposer en compost salvateur pour la gente végétale, et que si ces explications étaient jugées utiles il serait opportun de décrire (i) le pays en question, (ii) les ressources disponibles, (iii) la propension des autochtones à sombrer dans la violence, les revendications sociales ou similaires, la capacité de résistance et le niveau d’obéissance aux ordres des élites (iv) la composition ethnique de la société, (v) la nature des conglomérats industrio-humanitaires présents, (v) le degré d’épanouissement, corruptibilité, et éducation des élites, (v) les ressources présentement distribuées auxdites élites et la marge de progression disponible en rapport avec la proportion des sommes détournées mises à la disposition des individus de catégories dix ou supérieure.
Le silence reprend, s’étend, se prolonge et se propage.
Elle regarde à nouveau son écran.
La jeune fille est choquée mais ne dit plus rien. Maria au regard habituellement si intense se terre dans une apathie atypique.
L’homme hagard se lève, arrange les différents objets hétéroclites dans sa charrette que pour une raison ou une autre il continue de tirer derrière lui et annonce à la responsable subalterne que l’entretien était terminée, qu’ils étaient désolés d’avoir abusé de son temps, que le pays d’où ils provenaient se trouvaient dans les profondeurs de la Mer d’Autriche et que la ressource principale disponible était une eau vaguement salée et inexploitable, que la population locale était composée en majorité de poissons et crustacés et que les rares humains qui s’y aventuraient appartenaient à la race des pêcheurs étrangers, qu’en conséquence de quoi même s’il était envisageable de corrompre les oursins ceci ne pouvait qu’être un projet à long terme peu conciliable avec les intérêts de l’entreprise dont il s’agissait.
Le silence s’établit à nouveau, cristallin et léger.
La femme consulte son écran puis se lève, les salue brièvement, et ferme la porte derrière elle.
Ils se retrouvent seuls. Il n’y a plus d’autre son que celui de leur respiration.
Les regards des uns et des autres sont rougis par la honte, la peur, l’épuisement mais ceci ne laisse pas de trace autre que morale et intérieure.
Les objets autour d’eux sont blancs, immaculés, purs, l’image de la perfection dans un monde sans aspérité aucune.