2004 – LE TEMPS DES RAPACES ET CELUI DES HERONS


letemps

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J’ai écrit ce roman durant l’année 2004.

Il s’agit d’une épopée dans laquelle se croisent plusieurs histoires. La principale dont il est fait référence à partir du troisième ou quatrième chapitre seulement ramène à des temps révolus, durant la guerre, un amour furtif et angoissant qui s’achève dans la douleur, forcément. Mais, surtout, il y a une une jeune femme qui se cache dans un grenier et n’a d’autre occupation possible qu’écrire. Elle est extrêmement myope et tape à la machine, un vieil engin, frappant un texte qui lui est très cher. Elle connait les touches métalliques par coeur et tape, tape, tape, sans aucune hésitation, et ce pendant des semaines puis des mois. Un roman surgit.

Après son arrestation, puis sa déportation, il reste un manuscrit qui aboutit dans les mains de celui qui l’a tant aimée. Il ne lui reste que ces feuillets. Mais le texte est indéchiffrable, illisible.

Tout cela reste ainsi à l’abandon durant des décennies durant lesquelles le destin suit son cours, ingrat naturellement, jusqu’à ce que, informatique aidant, les mots, puis les phrases surgissent du néant.

Pour le vieillard qui découvre ce texte, c’est un abime ou un paradis qui s’ouvre à lui. Le reste en découle. Les destins se croisent et se décroisent puis se recroisent à nouveau. Les hommes et les femmes sont déchirés. Le passé envahit le présent et celui-ci déborde sur un avenir qui n’existe pas vraiment.

Je pense qu’il s’agit d’un des textes dans lequel je me suis le plus investi émotionnellement parlant. J’aimerais le relire tranquillement, assis sur une chaise longue en montagne. Peut-être me paraitrait-il désuet ou trop romantique. Peut-être pas. Mais c’est ainsi que je l’avais voulu, je m’en souviens très bien. Un choc entre deux mondes, deux cultures, le passé et le présent, entre de multiples destins et des déchirements profonds.

Il me reste en mémoire les deux derniers chapitres que j’avais eu du mal à rédiger tant ils étaient lourds de passion et tension et qui je pense confrontaient beaucoup d’émotions rentrées et enfouies. Une rencontre que j’avais voulue éblouissante mais implicite à peine évoquée avant un final inéluctable. Tout un livre concentré sur quelques lignes et mots.

Le ruisseau suit toujours son cours.

Voici le premier chapitre dans une des dernières versions.

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Vous vous réveillez brusquement. Les diodes rouges de votre réveil dernier cri – un parmi d’autres des nombreux cadeaux dont vous êtes inondée par votre père pour compenser ses absences à répétitions – clignotent faiblement et erratiquement au plafond. Elles indiquent 5 heures 55. Une partie de votre être se languit encore dans votre rêve sur un chemin perdu d’où semble-t-il vous essayiez de vous envoler avec un succès mitigé en semblant devoir inexorablement terminer votre tentative contre le parapet d’un pont en fer. Des personnes hurlaient derrière vous. Un ivrogne vous souriait stupidement tout en vous lançant un geste obscène de la main droite. Des chats vous observaient. Il y en avait un peu partout. Vous détourniez le regard mais celui-ci semblait ne devoir se poser que sur des chats. Cela devenait oppressant et se sortir de ce rêve de manière aussi brusque vous paraît bienvenu. Vous n’aimez pas les chats.

Vous êtes donc en train de lentement vous extraire de votre sommeil et ne savez par vraiment qui vous êtes, où vous êtes, ce que vous faites ni pourquoi vous être là dans ce lit à cette heure incongrue. Vous avez froid et réalisez que vous avez omis de refermer la fenêtre. Dehors, on entend des gouttes d’eau, pas de neige malheureusement, s’écraser sur les volets. Les visages des personnages incongrus qui vous suivaient dans votre rêve s’estompent dans un brouillard de plus en plus épais. Vous n’arrivez pas ou plus à conférer un quelconque sens à ces images.

Vous essayez de vous rendormir mais quelque chose vous en empêche. Vous réaliser que ce quelque chose est un son, mais également vous ressentez du mouvement dans les pièces alentours. La même sorte de son semble s’éparpiller ailleurs. Vous percevez que ce son est celui de votre réveil et vous associez enfin les chiffres 5:56 à une heure matinale, trop matinale pour un lendemain de réveillon. Vous entendez maintenant clairement les réveils dans les chambres avoisinantes alors même que les dernières vagues images de votre rêve s’éclipsent définitivement.

Vous arrêtez votre propre réveil et de votre bouche sortent les mots ‘ces fichus jumeaux, ils en ratent pas une’. Puis, vous vous remémorez quelques impressions de la soirée surréelle de la veille et vous vous dîtes qu’ils ont probablement du organiser cette bonne blague alors que vous skiiez au Mont d’Arbois et qu’eux étaient restés au chalet pour se reposer avant le réveillon. Vous pensez qu’ils auraient eu mieux fait de skier et de se fatiguer au maximum et qu’ainsi ils auraient peut-être évité les désagréments qui suivirent. Mais après tout, pensez-vous, ils n’y étaient pour rien et la faute, si l’on peut appeler cela une faute, était vraiment négligeable. La réaction de grand-père était invraisemblable.

Vous aimeriez aller plus avant dans votre réflexion mais vous ressentez une gêne dans votre corps et votre tête. Vous essayez de calibrer celle-ci et comprenez que les sueurs froides ne sont peut-être pas l’effet de l’air frais qui entre par la fenêtre, car après tout vous laissez toujours une fenêtre ouverte pendant la nuit en montagne, ‘une brave fille de la campagne’ disait votre père à l’époque où il lui arrivait encore de vous parler – c’était avant qu’il ne sorte, en secret – quel secret ? – avec cette fille qui n’a guère plus que votre âge et une façon bêtement angélique de le regarder tout en pensant à ses cartes de crédits, et qu’il abandonne définitivement toute tentative de pacification de vos relations.

Vous isolez chacune des parties de votre être et venez à la conclusion que les doses de Vodka et de Gin ingurgitées à ‘l’Altiplano’ étaient peut-être un peu trop importantes d’autant que l’une de vos amies de toujours vous a laissé terminer ses cigarettes bizarres après avoir quitté la boite pour le chalet d’un jeune industriel dont elle ignorait encore le nom au début de la soirée.

Pauvre Sylvia ! Vous riez en l’imaginant dans quelques heures découvrir le visage buriné du présupposé parfait amant posé grotesquement sur l’oreiller voisin et correspondant probablement à celui d’un fleuriste de Cergy Pontoise ou un garagiste d’Issy les Moulineaux arrivé à Megève dans les valises d’un gigolo ou d’une starlette vieillissante.

Pauvre vous-même ! Puisque vous avez fini stupidement la soirée à une tablée louée fort chère par un arriviste de première, une connaissance de Sylvia, qui vous a inondé de paroles stupides et niaises hurlées à votre oreille droite tout en malaxant maladroitement votre cuisse que vous aviez eu la merveilleuse idée de laisser pratiquement dénudée- ce dont certains individus du sexe masculin pensent benoîtement qu’il s’agit forcément d’une offrande à leurs appétits et frustrations. Vous avez tenté de bavarder avec celles de vos amies encore présentes en cette aimable occasion mais chacune était hors service : Blanche se préparait pour un marathon techno sur la piste ; Une autre, sur motivée par une consommation excessive de poudre non laiteuse, s’essayait aux frictions intimes avec un des ex-amis de Sylvia ; Céline quant à elle pleurait, probablement choquée par une absorption trop brusque d’un alcool local. Vous avez patiemment attendu qu’une opportunité se présente et vous êtes enfuie vers trois heures après avoir, par pure maladresse, renversé un verre de tequila sur l’entrejambe du parfait ignare à la gourmette nacrée et la montre Rolex plaquée or… Trois heures du matin! Vous êtes rarement rentrée si tôt même durant un week-end normal. A tout le moins vous aurez évité de finir dans les serres de ce nabot prétentieux.

Tout cela a constitué une fin adéquate à une soirée désagréable débutée par des propos niais et condescendants de vos ascendants et de leurs proches simiesques, suivie par l’esclandre de votre grand-père et terminée par cette drague ridicule d’un parisien pédant. Achevée serait un terme plus approprié. Vous êtes achevée, aucun doute à ce sujet.

Vous vous dirigez vers la salle de bain et vous croisez votre mère qui, curieusement, ne s’est pas vêtue de son charmant déshabillé Dior pour aller aux toilettes, préférant un tee-shirt Ralph Lauren. Elle vous bouscule en grommelant ‘excusez-moi, les toilettes c’est bien par là’ songeant probablement s’adresser à la petite bonne Andalouse recrutée pour les fêtes de fin d’année. Vous la dirigez vers l’escalier espérant qu’elle s’y écrase en bas des marches et songez en souriant qu’ainsi elle pourrait essayer une nouvelle gamme de vêtements. Vous l’imitez : ‘Un vison sur du blanc n’est pas seyant. Plutôt de la zibeline ou du renard, mais alors, quid du foulard rose pâle Hermès ?’ Cela ne fait qu’ajouter à votre malaise stomacal et vous évitez de penser à elle.

Vous vous agenouillez face à la cuvette des toilettes, posez vos mains sur chaque côté du volume blanc, regardez le liquide de nettoyage rose qui mousse au fond du bac, sentez des effluves de fleurs parfaitement artificielles, fermez les yeux et vous concentrez sur la douleur sourde qui soupire au fond de vos entrailles, les rouvrez et voyez des boucles de vos cheveux châtains clairs qui plaisent tant aux vautours de sexe masculin se répandrent dans la cuvette, pensez au résultat possible d’un vomissement sur celles-ci et vous remémorez les scènes similaires précédentes et le temps absurdement long nécessaire pour réparer les outrages de vos nausées, regroupez vos cheveux en arrière et les bloquez dans une large pince naturelle en corne de vache fabriquée dans de lointaines montagnes que vous trouvez près de vos affaires sur une des étagères gagnée après d’âpres négociations avec votre mère, vous remettez à genoux et réalisez que si vous avez pu vous relever cela pourrait signifier que le dommage est encore réparable, vous redressez encore pour puiser dans la valise à médicaments deux cachets appropriés ainsi qu’un calmant, ingurgitez le tout avec un grand verre d’eau froide, repartez vers votre chambre et ouvrez en passant en grand la fenêtre de l’étage, laissez l’air froid vous absorber et vous rendormez sur le fauteuil rouge et or qui trône dans le couloir à l’étage.

* * *

Il est 11 heures trente lorsque vous vous réveillez. La fenêtre est fermée. On discerne au loin la chaîne des Aravis et un plafond nuageux assez bas. La journée sera blanche mais peut être sans pluie. La limite de la neige a encore monté pendant la nuit et le ski ne sera pas au rendez-vous de la plupart des citadins venus se ressourcer en montagne pour Nouvel An – c’est-à-dire se stresser encore davantage que d’habitude en se conglomérant dans les télécabines, se pressant dans les magasins de luxe, se coinçant dans les boîtes de nuit hurlantes et fumantes, et se cognant dans les ruelles étroites et charmantes de Megève contre une masse informe, teigneuse, arrogante et prétentieuse de contemporains Parisiens ou Genevois à la recherche du petit plus qui rendra leur silhouette différente du reste de leurs cousins.

Vous vous dîtes que de toute manière il n’y a plus d’originalité à une époque où ne survivent que l’apparence et le virtuel. Vous remarquez une couverture de laine délicatement posée sur vous pour vous protéger du froid de la nuit et ses dessins figurant des animaux sauvages vous indiquent clairement que Max – de Maxime – l’a posé sur vous avant de descendre petit-déjeuner. Max, votre seul véritable allié – avec votre grand-père – dans cette famille de demeurés dont le quotient intellectuel est inversement proportionnel aux ressources financières. Vous songez que si Darwin avait connu vos parents il n’aurait pas songer à élaborer la théorie de l’évolution.

Vous vous remémorez cet amusant échange avec les parents de Blanche, une autre de vos amies de collège qui confond Bourbon et Canada Dry. Probablement deux ou trois ans auparavant. Un restaurant chinois parce que Blanche avait expliqué à ses parents que vous veniez de passer un mois à HongKong chez des amis de votre grand-père pour vous verser dans la langue et la culture d’une civilisation qu’il apprécie par-dessus tout : ‘je t’assure ma Laurette’ ‘ne m’appelle plus comme cela, je n’ai plus dix ans’, ‘dont acte, Laure, la Chine sera le nouvel empire dominant, la nouvelle Grèce antique, la Rome millénaire, la Babylone’, ‘j’ai saisi le truc, grand-père, tu te répètes !’, ‘les vieux radotent toujours ma chérie, ils n’ont pas grand-chose d’autre à faire’ ‘fishing for compliments ! Avec moi cela ne marche pas. Plus en forme que toi, y a pas ! Sauf peut-être des papous boostés à la cocaïne.’ ‘Cesse donc de toujours te référer à ces fichues herbes ! Tu m’exaspères, et je suis sérieux.’ ‘ Allons, je te charrie. Si je ne peux pas plaisanter avec toi, avec qui pourrais-je le faire ? Les Duchesnais peut-être ?’ ‘Ne parle pas comme cela de tes parents. Après tout, Laurette, pardon Laure, ton père c’est mon fils, alors je porte une part de responsabilité. De toute façon, tu sais très bien que je ne partage pas ton point de vue. De toute manière, tes manières crasses et vaguement anarchistes sont parfaitement contradictoires avec ton mode de vie réel. Avoue… tu craches sur les marques que portent ta mère, tu t’amuses des habitudes réactionnaires de ton père, mais tu es la première a puiser dans les comptes sans fond de tes parents pour financer tes lubies. Il ne s’est pas passée une année depuis ton enfance sans que tu n’ais changé de ‘hobby’. Méfie toi de la caricature car elle peut se retourner contre-toi ! Et je ne parle même pas de l’habitude parfaitement affligeante de cacher les anagrammes des Hermès, Vuitton, Chanel, et j’en passe dont ta famille t’inonde bourriquement !’ ‘Tu vois, toi aussi tu les considères comme des ânes bâtés !’ ‘Oui, mais moi je parle de mon fils et ma belle-fille et de plus j’ai très exactement 74 ans au troisième top ! Je suis une éminence et si te traite de gamine péteuse on trouvera cela touchant tandis que si tu me traites de sénile on hurlera au crime de lèse majesté et on t’enverra en détention préventive.’

Vous réalisez soudain que vous pensiez aux parents de Blanche et que de fil en aiguille cela vous a ramené à votre grand-père. Surprenant comportement, à tout le moins. ‘Comment a-t-il pu ? Et pourquoi les jumeaux ? Il les adore. Il n’a jamais levé la main sur qui que ce soit et, au-delà, n’a jamais fait autre chose qu’adorer ses petits-enfants ce qui n’a fait que provoquer des réactions de jalousie de la part de l’aîné des ses petits enfants, vous-même.

Vous vous dirigez vers l’escalier et, tout en descendant les marches et entendant la voix aigue de votre mère parlant au portable avec une de ses innombrables amies ‘alors ma chérie, tu n’imagineras jamais le réveillon inoubliable que nous avons passé. Tu connais mon beau-père et blablabla…’ vous vous remémorez enfin l’échange verbal avec le père de Blanche. C’était en mangeant des crevettes géantes. Etant ingénieur au CNRS il était parti sur un long monologue concernant l’évolution de l’homme – Blanche vous avait prévenue ‘pas que les tiens qui sont chiants. On devrait les attacher à un arbre avant les vacances et on en serait débarrassé une fois pour toute.’ ‘Le problème est que si la SPA s’en rendait compte elle nous déshériterait. Il te faudrait travailler ma chère. Et comme tu ne sais pas faire grand-chose d’autre que fumer, redoubler une année sur deux, draguer les beaux blonds, voire même les moches blonds et moches bruns, taguer les murs et acheter des disques, tu irais pas loin.’ ‘Jalouse va !’

Le monologue consistait a égrener à sa femme songeuse les différentes étapes de l’évolution de l’homme et les dernières découvertes semblant indiquer que le grand rift africain n’avait peut-être pas, après tout, été l’évènement marquant de l’évolution puisque des restes d’hominidés évolués avaient été découverts au nord du Tchad. Il continua en se référant au grand mystère des Néandertaliens qui avaient un volume cervical bien plus important que nos ancêtres mais avaient été supplantés par eux. Je lui répondis alors que tout cela me paraissait parfaitement normal. ‘Prenez mes parents, un exemple parmi d’autres. Je ne sais pas exactement quel est leur volume cérébral mais on pourrait aisément convenir que celui-ci doit être plutôt restreint ou alors que leur faculté à utiliser les capacités que la nature leur a offerte est terriblement limitée. Pourtant, ils font partie de la race des seigneurs qui supplante le restant des mortels avec peu de grâce et beaucoup d’arrogance. D’après moi, nous avons atteint un stade de notre évolution, très similaire à Neandertal, où l’homme a cessé d’évoluer et, après avoir stagné pendant quelques millénaires, s’est mis à régresser sérieusement. L’hyperspécialisation des neurones des humains post-modernes, mes parents et leurs proches en somme, leur confère une faculté de domination hors du commun. Ceci cumulé avec un manque de scrupule total et un mépris de dimension grotesque conduit à l’ultime supériorité … avant l’extinction définitive.’

Après un silence embarrassé de plusieurs secondes, le père de Blanche murmura ‘intéressant’, puis plongea dans la lecture du menu des desserts. Sa fille pouffa. Sa mère s’empourpra puis plongea son regard sur moi. Celui-ci disait ‘et qui te nourri et t’habille ma belle ? Le Pape ou le cousin Neandertal ?’ Elle n’avait pas tort mais vous n’aviez pas souhaité argumenter plus avant préférant laisser cela aux bons soins de votre grand-père. Pour parfaire le tout, vous aviez, à votre tour, plongé votre regard sur elle puis après une lente observation descendante l’aviez remonté vers son visage et aviez sourit innocemment. La condescendance est cruelle.

* * *

Vous vous préparez des céréales, des mandarines, une mangue, un yaourt, des toasts, un œuf au plat, une tranche de cake aux raisins, du pain perdu, et du fromage. Vous mâchouillez un peu de tout puis quittez la table en laissant tout sur place, pratiquement intact. La petite bonne qui s’occupe du chalet jettera tout à la poubelle tout à l’air. Vous vous en fichez. Les autres aussi.

Vous rejoignez la famille au salon attenant. Vous embrassez votre frère et lui murmurez ‘merci’ à l’oreille et remarquez à ce moment-là qu’il s’est fait percé l’oreille à trois endroits au sommet du lobe pour y passer des petits anneaux rouges. Il n’est pas en retard pour quinze ans. Qui d’autre l’aura remarqué ? La réponse pour cinq centimes. Personne naturellement. Cela fait bien longtemps que dans cette famille on réserve ses regards pour son propre ventre, ses seins, ses cheveux, ses cuisses, ses fesses, ses rides, ses bras et ses doigts. Pas très original.

Vous embrassez les jumeaux qui s’esquintent les yeux sur leurs jeux électroniques et semblent avoir tout oublié de leur déconvenue de la veille. Vous remarquez cependant que les vaisseaux de leurs yeux sont plus marqués qu’habituellement ce qui dénote une tension inaccoutumée pour des enfants de cet âge.

Votre mère est toujours au téléphone. Elle est très en beauté portant un vêtement de sport de marque italienne et des lunettes en corail blanc. Sa montre Audemars Piguet plaquée or 18 carats est en évidence. Quelques colliers Dior fantaisie s’entrelacent délicatement autour de son cou. Elle a utilisé un make-up ‘soin et fraîcheur du matin’ dont il reste quelques traces au creux de son cou. Ses yeux sont faiblement cernés montrant les limites de la dernière opération esthétique et la cible inéluctable de la prochaine – ‘le ravalement de façade du mois’ comme le dit si bien Max ‘c’est les cuisses, les yeux ou le ventre. Celui de l’année c’est les seins, les joues ou les fesses. A ce rythme, son amant, pour autant qu’elle en ait en ce moment, devrait fricoter dans les OPA sur les compagnies esthétiques plutôt que le high-tech. Toujours à contre courant celui-là’ ce à quoi vous répondez d’habitude ‘tu pourrais en dire de même de notre très cher père qui est passé de la restauration des maisons en ruine à la construction de villas dites contemporaines. Il fera bientôt dans les crèches et maternelles puis les maisons d’arrêt s’il continue dans sa dégénérescence post-pubertaire.’

Votre tante est à ses côtés et fait semblant de lire le Wall Street Journal. Son négligé de soie presque transparent au niveau de seins renvoie l’image de beauté qu’elle retrouve dans les magazines féminins que son mari lui emprunte de temps en temps pour lire dans le jacuzzi sis à l’étage inférieur près du sauna. Ledit mari tente de faire partir un feu de bois, trop vert, dans la vaste cheminée ouverte sur le coin séjour. Il risque d’échouer tant le bois est vert mais sa patience étant limitée il est probable qu’il n’ira pas jusqu’à enfumer le chalet. Il porte déjà de splendides lunettes de soleil de marque qui reluisent le parvenu à peu prêt autant que son Aston Martin grise habituellement judicieusement stationnée pour que les voisins puissent la voir – eux qui n’en ont rien à faire puisque par définition ils ont le même type de voiture, de vêtements, de gadgets et de skis –, ce qui démontre qu’il a pour intention de partir skier rapidement, en tout cas de se rendre sur les pistes avec son nouvel équipement carving. Vous esquissez une grimace désabusée lorsqu’il se tourne vers vous d’une part pour lui faire comprendre que vous n’avez pas apprécié du tout la remarque de la veille sur vos seins qu’il estimait ‘charmants’ ceci étant dit au détour d’une conversation ambiguë sur les vertus du sport sur les physionomies féminines et ce sans la moindre réaction de votre mère alors occupée à goûter un verre de Zinfandel et, d’autre part, pour figurer le rejet que vous éprouvez chaque fois que vous côtoyer quelqu’un fumant un cigare phallique tellement en honneur dans la jet-set. Vous convenez néanmoins que cette réaction désabusée sur le cigare est néanmoins paradoxale venant d’une charmante jeune femme elle-même accroc aux cigarettes achetées en cartouches et, puisque vous en convenez, vous détourner rapidement votre regard vers la fenêtre qui au-delà s’ouvre sur la montagne embrumée et froide.

Après une légère rêverie suscitée par le fond musical new age que votre père a imposé, probablement dès son réveil, vous émergez dans le monde des vivants – façon de parler. Vous observez votre père assis à côté de sa mère, votre grand-mère donc. Tous deux sont en grande et sérieuse conversation, le sujet de laquelle est assez évident à savoir les conséquences de l’incident de la veille. Il vous paraît clair que la tournure des évènements n’est pour le moins pas favorable à votre grand-père dont par ailleurs vous vous étonnez de ne pas voir la silhouette rassurante à proximité de la cheminée, plongée dans la lecture ou l’écriture d’un roman. Votre grand-mère, cheveux châtains trop clairs en arrière, tailleur Chanel noir bordé de blanc, lunettes en écailles doctement portées sur l’avant du nez, indique à son fils, votre père, la marche à suivre pour les heures, jours et mois à venir. En a-t-il jamais été autrement?

Vous regardez votre mère qui vient apparemment de conclure sa session téléphonique et hésite à grignoter l’un des petits-fours négligemment déposés dans du Limoges sur l’une des tables basses. Finalement, elle saisit l’un de ceux-ci qu’elle croque avec gêne comme s’il s’agissait d’un aliment empoisonné. La dernière fois qu’elle s’est laissée aller à une expression spontanée d’un sentiment de plaisir – hors ses activités nocturnes pour lesquelles vous n’avez guère d’information et ne souhaitez pas en avoir – remonte à la dégustation d’un éclair au café alors que vous aviez quatre ou cinq ans. Vous étiez ensemble dans un salon de thé cossu et la serveuse avait déposé devant vous un échantillonnage de ses mets les plus prisés. Vous n’aviez fait qu’une bouchée de différents mille-feuilles, religieuses, tartes au citron et éclairs miniatures. Voyant votre immense moustache elle avait sourit et avait pris une de ces pâtisseries et l’avait introduite dans sa bouche puis poussé de son majeur gauche en fermant les yeux et laissant échapper un soupir de contentement. Etonnée, vous aviez sourie vous aussi et aviez du coup avaler une autre série de gourmandises. Ce moment de complicité avait duré ce que durent les éphémères, un souffle ténu. Le soir même, lors du dîner familial – vous aviez mangé avec Yasmina votre nanny d’alors peu auparavant – elle s’était étalée en long et en large sur cet évènement et de manière suffisamment forte pour que vous puissiez l’entendre. Votre père n’avait pas réagi. Vous étiez devenue la raison principale de sa prise de poids et l’êtes restée jusqu’à ce jour même si cet épisode ne connu jamais de réplique.

Vous la voyez telle qu’en elle-même, transparente, sans aspérité, le cerveau au niveau des fessiers, n’ayant pour tout sujet de préoccupation dans sa vie que ses lignes, formes, et régimes. Elle vous regarde ou plutôt, son regard passe sur vous et vous réalisez avec stupeur que pour elle vous aussi êtes parfaitement transparente. Votre maison est celle de fantômes, d’êtres diffus sans consistance, parfaitement léger dans leur plénitude irréelle. Comme les sujets de préoccupations de ces spectres sont de nature, nombre et amplitude limités, il en ressort une ambiance irréelle de monologues qui s’entrecroisent sans jamais se mêler ou se rencontrer. Les thèmes abordés par les uns et les autres sont généralement liés à l’argent, au sexe, à la mode et autres sujets lourdement philosophiques. L’essentiel pour ces gens-là – qui malheureusement semblent être vos ascendants directs ou indirects – est de proférer tout mot et exprimer toute pensée avec force affirmation, condescendance, énergie, arrogance, complaisance et suffisance. Il s’agit là d’une race de seigneurs.

Vous regardez donc votre mère et décidez de mettre les pieds dans le plat. ‘Mais où est donc grand-père ?’ Comme elle ne vous répond pas, pas plus elle qu’un autre, vous répétez votre question à deux reprises jusqu’à ce que votre père se décide à vous répondre mais sans s’adresser directement à vous. ‘Je vais au Mont d’Arbois, je peux déposer quelqu’un si l’un ou l’autre souhaite skier.’ Enfin, il se peut que ce soit adressé à vous. Vous prenez votre père au mot et descendez à l’étage inférieur, enfilez votre combinaison de couleur parme clair avec l’empreinte d’une marque scandinave bien lisible.

* * *

Vous êtes confortablement assise dans la Range Rover de votre père qui roule à tombeau ouvert sur la route des Chozeaux avant d’emprunter la route du Mont d’Arbois. Il vient de dépasser une berline familiale au volant de laquelle un conducteur d’un certain âge tentait tant bien que mal de conserver le contrôle du véhicule sur un sol qu’il jugeait trop humide. ‘Vieux con’ lui a rétorqué votre père par télépathie tout en se concentrant sur son portable qui sonnait au même instant. Vous le lui arrachez et dîtes à l’interlocutrice qui tentait de lui parler :

‘Vous êtes bien sur le répondeur de Charles Villemin. Celui-ci ne peut malheureusement pas vous répondre pour le moment trop occupé qu’il est d’écraser de pauvres piétons égarés. Comme de toute manière il n’a rien à cirer de vous et vos problèmes, vous pouvez laisser un message après le bip sonore en ayant le vague espoir qu’il le lise lorsqu’il en aura le temps. Ce dernier commentaire ne vaut pas pour les jeunes femmes pré pubères en jupes courtes et décolletés plongeant. BIP. !’ Vous lui rendez son Nokia et recommencez à mâchouillez vos ongles.

‘J’espère que tu me fait marcher et qu’il n’y avait personne de l’autre côté’.

‘Espère toujours !’

‘Ne me cherche pas… Y avait-il quelqu’un ou pas ?’

‘Il y avait une voix aigue et un brin stupide. Ce devait être l’adolescente anorexique aux seins comme des melons – je ne sais pas comment elle fait – qui sert d’épanchoir à tes désirs les plus sauvages.’

‘Ça suffit ! Vraiment ! On dirait que tu te fais un malin plaisir de me faire chier. Comme si ton grand-père ne suffisait pas.’

‘Un peu de sagesse dans un monde inepte n’a jamais fait de mal à personne.’

‘Sagesse. Tu parles pour qui ? Ni pour toi ni pour ton grand-père quand même. A force de cracher dans la soupe qui te nourris tu finiras par ne plus avoir que des glaires à avaler.’

‘Toujours d’un grand tact et d’une profonde délicatesse. Il demeure que tu trompes ta femme, ma noble mère – pour cela je ne t’en veux pas – avec une gamine de mon âge qui te donne l’air d’un pédophile et pour qui tu prends des allures ridicules en permanence. Quand je te vois en boîte j’ai l’impression qu’à chaque sourire de sa part tu va … enfin tu as compris ce que je veux dire.’

‘Je comprends surtout qu’on ne parle pas comme cela à son père !’

‘Tu as raison, on ne parle pas comme cela à son père mais… il y a père et père. Ce doit être un concept que tu ne domines pas complètement – comme ta maîtresse d’ailleurs – à l’inverse de ton petit business.’

‘Petit business de papa qui rapporte suffisamment pour que sa fifille puisse en profiter de temps en temps. N’est-ce pas ? Voilà, on y est. Je rejoins des amis à l’Idéal et repartirai aux alentours de 15 heures trente. Si tu es toujours par là, tu seras la bienvenue dans mon véhicule petit bourgeois.’

‘Je t’appellerai sur ton portable avant cela. Mais dis-moi., personne n’a répondu à ma question – ce n’est pas vraiment une surprise – où est grand-père ?’

‘Ton grand-père, mon honorable et chiant de père est parti tôt ce matin. Où, je n’en n’ai pas la moindre idée. Il est probablement retourné à Paris où il a rejoint quelques uns de ses amis quelque part. Il n’a rien dit à qui que ce soit. Pfft ! Volatilisé.’

‘Avec la scène que vous lui avez faite on peut comprendre sa réaction. N’empêche, à son âge, vous auriez pu essayer de le dissuader de prendre la voiture de nuit.’

‘On ne l’a pas entendu partir mais, même si cela avait été le cas, il ne nous aurait pas écouté. En plus, pour ta gouverne, il n’est pas parti en voiture, il a du prendre un taxi. De toutes les manières, je te signale, au cas où tu l’aurais oublié, que ton charmant grand-père avait giflé ta cousine. Ce n’est peut-être pas tout à fait ce que l’on peut appeler un comportement très civilisé, non ? Même tes parents, tes ignobles parents, ne se sont jamais permis de t’infliger ni à toi ni à ton frère ce type de geste même si l’envie nous en a souvent démangée.’

‘Vous, c’était plutôt l’indifférence parfaite, à chacun son registre. Ciao.’

* * *

Vous venez de skier dans des conditions très difficiles. La neige était mauvaise, tassée au sommet, humide sur le bas et glacée sur les murs. Le brouillard était dense par moment. La pluie a fait son apparition et les gouttes vous ont gênée. Vous êtes une skieuse accomplie et vous avez surmonté tout cela sans le moindre problème. Vous avez apprécié le silence de la montagne, les conditions ayant dissuadé les vacanciers de venir pratiquer leur sport prétexte en ce lendemain qui pour la majorité de celles et ceux présents dans cette station a du être de fête. Vous avez glissé légère et diffuse sur un sol lisse et blanc, à l’image de ce que votre esprit aimerait parfois être.

Maintenant, vous avez rejoint vos amies Céline, Sylvia et Blanche à l’un des restaurants d’altitudes où d’aucuns viennent épurer leur envie de mouvements, remplaçant celui des hanches et des cuisses par celui des avant-bras, des mâchoires et des poumons. Vous réalisez que les poumons ne sont pas des muscles mais vous vous en fichez. Vous vous abandonnez au rire avec vos amies de toujours. Sylvia et Blanche font preuve de beaucoup d’énergie pour un lendemain de fête et vous vous demandez si les exploits dont elles se vantent ne sont pas simplement des fantasmes d’étudiantes. Les regards appuyés des mâles des tables voisines vous font cependant douter de votre propre remise en question. Il est vrai que l’une et l’autre sont ‘absolument ravissante’, et qu’elles pourraient aisément faire perdre l’esprit au plus chevronné des évêques ou rabbins, non point qu’elles fréquentent les lieux de culte d’ailleurs. Sylvia est aussi blonde que Blanche est brune – vous vous amusez du jeu de mots. Chacune des deux nymphes expose avec prestance, mais implicitement, la conviction de son irrésistible beauté et s’amuse à accumuler et décortiquer des histoires sans lendemain – mais avec une très longue veille. Céline, plus intériorisée et moins épanouie que les deux autres les écoute avec avidité ne pouvant concourir dans la même catégorie. Pourtant, elle ne manque ni de charme ni d’allant mais peut-être ne souffre-t-elle pas de la même intensité de frustration qui l’oblige à chercher dans des expériences extrêmes et soi-disant éphémères des satisfactions que la vie n’a pu charrier jusqu’alors.

Vous regardez le trio avec un brin de détachement et vos amies s’en rendent compte. Elles s’en étonnent et se moquent.

‘Pas de beau gosse dans cette boite, tous partis après mon départ’ s’amuse Sylvia.

‘Pas de joint, tous dans mon sac’ rie Blanche.

‘Surtout, y a plus de grand-père’ dites-vous simplement. Et vous racontez la soirée. D’abord, l’ennui jusqu’au dégoût à la table familiale avec longs monologues boursicoteurs, radoteurs, comploteurs et bêtement moqueurs. Vous, absente. Votre grand-père songeur. Puis, un film sur la vidéo du salon avec Max, les jumeaux et votre grand-père qui a abandonné sa progéniture dans les brumes de la salle à manger. Puis la scène: les jumeaux fouineurs qui n’accrochent pas au film amènent une vieille boite ou classeur jauni qu’ils ont trouvé lors de leurs pérégrinations diurnes et commencent à fureter dedans. Votre grand-père leur sourit bizarrement et demande gentiment l’objet. Eux s’amusent. Max aussi. Ils ont toujours agi ainsi avec celui qu’ils considèrent – vous aussi – comme un ami. Lui rit mais vous sentez un malaise croissant qui vous gagne. Vous essayez de raisonner les jumeaux mais ils sont hilares. La cause est désespérée. Vous tentez de les calmer mais n’y arrivez pas. Le visage de grand-père est blême. Puis, Anne se trémousse avec une feuille de papier jauni et crie aussi fort que possible ‘c’est pas à toi, papy, c’est à moi, et moi j’aime manger.’ Et, comble de l’hilarité, pour elle, du grotesque, pour vous, elle met le papier en bouche. Le visage de votre grand-père est stupéfié, liquéfié, il se précipite sur elle pour lui arracher mais c’est sans compter Bertrand qui se jette sur son dos et crie ‘hue, papy, hue’. Le papier jauni est expectoré par Anne qui rit à n’en plus mais. Max prend une autre feuille. Bertrand se précipite sur lui et tente de lui arracher. Vous vous dîtes qu’avec de tels frère et cousins votre santé mentale est loin d’être assurée mais, en riant – car après tout vous étiez adolescente il n’y a pas si longtemps que cela – vous songez à rejoindre la mêlée. Mais, c’est à ce moment précis que votre grand-père craque, cède, disjoncte, déconnecte. Bref, vous voyez tel dans un mouvement ralenti au cinéma sa main droite se lever et s’abattre sur le visage atterré de Bertrand.

Le reste est à l’avenant. Les cris d’offrais des jumeaux, l’arrivée des parents surpris puis horrifiés, les pleurs des enfants, l’indignation de leur mère, le visage absent de votre grand-père qui reprend ses papiers, y compris la feuille déjà mâchouillée, votre grand-mère qui le regarde froidement et hautainement, votre père qui secoue sa tête dans un geste d’intense perplexité. Et vous, qui regardez mais ne comprenez pas. Finalement, dans la confusion, votre grand-père dit quelque chose et lève la main pour la poser délicatement sur le visage de son petit-fils qui, croyant à une nouvelle gifle, hurle de plus belle. Sa mère apostrophe son beau-père du regard mais c’est inutile, il est déjà loin.

Puis la cohue, les commentaires ineptes des adultes qui n’en demandaient pas tant. Enfin, le grand homme a failli. Jusqu’à sa tombe les vautours le lui reprocheront! Personne n’essaie de comprendre. Votre grand-mère, mélodramatique, s’assied près de la cheminée et avale quelques gorgées d’un sédatif herbeux – et alcoolisé de surcroît mais cela nul ne le relève. ‘Mais comment a-t-elle pu s’enticher d’une brute pareille’ semblent-ils tous dire et penser.

Vous décider de quitter les lieux et rejoindre vos amies. Le reste est connu.

Sous les poutres du restaurant d’altitude, vos amies vous ont écouté et s’empressent de fournir des explications.

Pour Céline, ‘tes cousins sont infernaux, le pauvre homme a craqué. C’est tout. Ils l’ont poussé à bout et avec ce qu’il endure, il n’a pas pu géré ses émotions.’

Sylvia est plus directe: ‘A force de fantasmer sur l’assassinat de la sainte grand-mère, il est passé aux actes, mais sir plus faible que lui, en guise de répétition générale. Mais, il s’est rendu compte de son erreur et est parti. Maintenant qu’il a pu affirmer ses pulsions profondes il ne va pas tarder à la tuer pour de bon. Une bonne vieille pendaison, cela nous manquait par ici.’

La palme revient à Blanche qui considère, sérieusement – et cela vous inquiète – qu’il s’agit là d’un effet secondaire du viagra.

Vous rêvassez et décidez d’obtenir de votre grand-père les éclaircissements nécessaires. Mais, pour l’heure, toute cette histoire vous a passablement fatigué et vous avez envie de vous amuser, de laisser loin derrière vous les soucis, frustrations et cachotteries. Le fiasco de la veille est encore trop présent. Au-delà, il y a trop de regrets, d’ambiguïtés, de contrariétés, de dégoûts, de rejets, de lassitude, et d’embarras qui s’entremêlent dans votre vie. Toutes ces années passées vous paraissent tellement lourdes et l’avenir ne représente rien. Quand vous fumez et qu’on vous rappelle doctement que votre espérance de vie s’en trouve amputée de quelques jours, mois et années vous n’en avez cure car vivre ce que vivent les désaxés qui vous entourent ne vous attire guère. Vous êtes lasse. Une chape de béton est tombée sur vous quelque part dans votre adolescence et vous ne savez ni pourquoi, ni comment ni même de quoi il s’agit mais assurément elle est toujours là. Vous en avez plus qu’assez et n’avez qu’un désir en ce moment précis : vous laissez aller, jouir de la vie, de cet hoquetement du temps que représente une journée, ou plutôt une soirée et ce qui suit. Vous n’avez plus ressenti ‘d’émotions’ physiques depuis trop longtemps et vous demandez à vos amies ‘où sont les hommes’ en chantant sur une mélodie d’antan. Elles reprennent en choeur et ça y est, enfin, vous commencez à vous sentir plus légère. Vous vous abandonnez à ce sentiment.

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