Des errements et doutes au milieu d’une réalité qui dépasse la fiction


Des errements et doutes au milieu d’une réalité qui dépasse la fiction

Je suis confus, désolé, navré, je ne sais comment vous dire cela mais je sens que nous nous égarons.

Vous devez être profondément déçus, je le comprends parfaitement. Pardonnez-moi.

Le monde traverse des convulsions profondes et ces chroniques sont tout simplement aux antipodes de celles-ci, ne parlent de rien qui puisse vous intéresser et finissent par s’échouer dans un nulle part trouble, déroutant et admettons-le inintéressant.

J’aimerais pouvoir évoquer ce qui vous touche et vous concerne, ce qui vous déroute et vous effraie, mais au lieu de m’approcher de cette réalité-ci, celle des guerres et des désastres naturels ou humains, je vous impose une réalité-là qui n’en est pas une, une accumulation de consternantes banalités qui ne vous importe en aucune manière.

Encore une fois pardon.

De surcroît, les choses ne s’arrangent pas. J’aimerais vous annoncer le contraire mais je crains que cela ne soit pas possible.

Ces chers pingouins aux lunettes roses, amateurs de Piero della Francesca, se sont arrangés, au moment précis où notre transportation virtuelle vers Arezzo devait avoir lieu, pour dérégler la machine dont nous nous servions et nous voici transmutés ailleurs, séparés et égarés. C’est incompréhensible.

Et me voici prisonnier ou victime d’une histoire qui n’est plus la mienne, ne m’inspire plus, me fatigue, et vous lasse. Je le sens bien.

Ce qui m’épuise par-dessus tout c’est cette accumulation d’invraisemblances. Comme si les machines, équipements, électroniques, automatiques, robotiques, surprotégés et sur-contrôlés par des entités philanthropiques nullement intéressées par l’argent public ou privé et préoccupées par le seul attrait des besoins des sociétés, civiles je veux dire, et des individus, pourraient être sujettes à de tels errements ? C’est tout simplement inconcevable ! De la pure et simple science-fiction.

J’en rirais si je n’étais l’otage de ces calembours boiteux et misérables farces sans fondement.

Je suis là perdu dans une nouvelle manifestation délirante à la recherche de mes amis, de l’endroit de mes rêves, ou plutôt des rêves de mes amis pingouins, et surnage dans un océan de désespoir. Car, voyez-vous, l’auteur de ces propos souhaite vous faire croire qu’un simple avatar du destin, une succession de hasards improbables, un faisceau de divergences, pourraient aboutir à dérégler des systèmes aussi précis et parfaits que les ordinateurs dont il s’agit, qui ont été conçus par des machines elles-mêmes réglées par des esprits non point chagrins ou mesquins mais géniaux, attentifs au contrôle total de la bonne ou mauvaise fortune, et provoquer les erreurs dont il a été fait référence ici ou ailleurs. C’est impossible vous le savez bien !

Nous devions aller à Arezzo en Italie et nous voici dispersés à Arreso au Danemark, Areso en Espagne, et Arezo en Iran.

Plus encore, lorsque je me suis éveillé ce matin, j’ai constaté que je n’étais pas vraiment en Iran comme je le pensais mais dans une accumulation de sites provenant de ces trois endroits distincts, un cumul de lieux, de choses, de gens, de mémoires, et d’objets. Il doit en être de même pour mes amis absents.

Je suis avec un des trois pingouins au bord d’un lac salé, avec un amoncellement de maisons à colombage, peut-être basques, des nains de jardin qui flottent sur des étendues d’eau, des lacs, peut-être danois, des paysages bouleversés présentant à la fois l’aspect de collines parsemées d’objets innombrables et déroutants, et de plaines gelées par le sel et le granit. Il y a également des pics neigeux au lointain et une foule bigarrée de gens de tout âge, constitution, langues, taille, genre ou aspect, vêtements et âmes, toujours ces fichues âmes qui me hantent moi l’athée, et qui passent en une longue file ininterrompue marchant à la queue leu leu la tête basse comme s’ils fuyaient un danger lointain mais certains.

Ceci est absurde.

Il n’est tout simplement pas possible que des mécanismes parfaits imaginés, conçus, réalisés, développés, construits et dispersés dans le monde entier par les esprits les plus créatifs et intelligents qui soient puissent se dérégler ainsi.

Donc, l’erreur ne peut pas leur être imputée.

Soyons absolument clair : si Maria au regard si beau que je m’y perd toutes les nuits, la jeune fille au foulard rouge perdue dans notre histoire à son corps et esprit défendant, la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes, les trois pingouins et par extrapolation le yéti anarchiste et l’extincteur fort sage, se retrouvent ainsi dispersés aux quatre vents, sans possibilité de contact, dans une réalité à nouveau incompréhensible, au milieu de gens terrifiés et abominablement marqués par les évènements, ceci ne peut être le fait de celles ou ceux, les parfaits, je dis bien les parfaits je vous prie d’être attentifs car ceci est d’importance, qui ont conçus ces mécanismes, les créateurs ultimes. Non ! L’erreur ne peut leur être imputée et, s’il devait y en avoir eu plusieurs aucune d’entre elle ne saurait leur être imputable.

Ni coupable ni responsable.

Il ne saurait y avoir en conséquence que quatre responsables possibles :

(i) les pingouins et autres animaux similaires qui ont été incapables d’utiliser correctement les machines si délicates et sublimes, implacables dans le lent et long déroulé de leur splendeur,

(ii) la nature qui a laissé ces volatiles s’incruster en ce lieu et temps bien précis,

(iii) Maria dans l’esprit de laquelle cette idée particulière, destructrice au demeurant, a émergé,

et (iv) votre serviteur qui ne cesse de se perdre dans les méandres d’une vie qui le guide au lieu de l’inverse.

Bref, celles et ceux qui sont responsables ce sont ceux-là et avouons-le, ils ont été punis de la pire des manières. Tant pis pour eux.

Il ne faut jamais, je vous en prie écoutez-moi, ne trahissez pas d’hésitation à cette lecture, il ne faut jamais désespérer des mécanismes que le génie créatif de l’humain compose car celui-ci, pour autant qu’il soit épaulé par la bonté philanthropique d’entreprises justes, honnêtes, modestes, et généreuses et appuyé par un pouvoir politique ayant le seul intérêt de la réalisation pleine et entière des droits, libertés et bonheur des individus, celui-ci disais-je ne peux pas se tromper.

Ce serait arrogant que de soutenir ceci, et pas l’inverse.

Donc, me voici encore une fois perdu, au milieu de ces gens qui fuient, dans un mille-feuilles de réalités improbables, sous une avalanche d’objets qui se mélangent et sont indiscernables, indéchiffrables, inconnus, indifférenciables, dans des lieux qui pourraient être n’importe où, dans un nulle part ou un sans-pareil espagnol, italien, iranien ou danois ou allez donc savoir où, et je me trouve paralysé, l’esprit obnubilé par ces choses que je ne comprends que difficilement, observateur imbécile d’un composé de réalités qui le dépasse, et surtout, dans l’impossibilité totale de vous parler de ce que vous souhaiteriez que je vous parle.

Vraiment, je suis confus, décalé, isolé, loin de votre réalité.

J’ai même failli, je l’admets honnêtement, mettre en doute l’infaillibilité des grands esprits, les choix géniaux des grands créateurs, les constructions des grands architectes, et les réalisations des politiciens et industriels philanthropes. Heureusement, je me suis repris et j’ai rédigé hâtivement cette confession.

J’espère que vous me pardonnerez un peu.

Je vais maintenant m’empresser de rejoindre cette file infinie de gens qui fuient et me soumettre avec eux au diktat du destin et à la bonté de ceux et celles dont j’ai mis en doute, inconsciemment et silencieusement, la justesse des déductions et des montages, je suis avec les premiers, en esprit tout au moins, car ce que je décris n’est qu’un aspect d’une réalité qui vous le savez n’existe que dans mon imaginaire et certainement pas dans le monde où nous vivons.

Dont acte.

Soyons tristes, des clowns, des marionnettes, des pantins, et des funambules tristes, des humains en quelque sorte.

 

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De l’importance de ne jamais confier à des pingouins une transportation virtuelle et d’une douce et sainte colère de l’auteur de ces lignes


 

De l’importance de ne jamais confier à des pingouins une transportation virtuelle et d’une douce et sainte colère de l’auteur de ces lignes

Je vais probablement regretter ce que je vais écrire, ce n’est pas politiquement correct, c’est parfaitement inapproprié, et vous direz ensuite que ce qui était arrivé était en fait inopiné, totalement, et vous m’en voudrez, je le sais bien, et je vous prie humblement et par avance de bien vouloir excuser mon emportement singulier et probablement surprenant, c’est un fait, mais disons-le nettement, haut et fort, ne laissez jamais un crétin de pingouin diriger une opération de transportation virtuelle, ceci ne pourra que mal se terminer.

Voilà c’est dit et pour la première fois depuis le début de cette chronique avec des termes légers et inadéquats. Pardon, mille pardon, dix mille pardon mais, je dois vous l’avouer, je suis vraiment excédé.

Que l’on me comprenne bien, je n’ai rien en particulier contre la gente pingouine, je la trouve pour le moins sympathique, évoluée, cultivée, charmante et attachante, tout cela est une évidence, donc rien dans mes propos ne doit être considéré comme une attaque de naturelle globale contre l’espèce pingouine qui au demeurant se trouvera bientôt dans une situation délicate compte tenu du réchauffement climatique et de la présence contiguë desdits pingouins ainsi que des ours sur les mêmes lopins de glaces et pierre, ce qui ne sera bon ni pour la croissance des glaces ni pour celles des bipèdes dont il s’agit, donc je le répète il n’y a de ma part aucune volonté de dénigrer une espèce animale dans son ensemble.

Le fait que les pingouins soient originaires du nord de l’hémisphère occidental n’entre nullement en compte dans le constat que j’ai fait, ce serait proprement déplacé voire raciste, je n’éprouve aucun sentiment particulier à l’égard ou l’encontre des populations de ces contrées septentrionales, pas le moins du monde, rien à dire, rien à voir, je suis sourd à ce type de propos.

Je n’ai rien non plus contre la couleur blanche et naturellement rien contre la couleur noire, ni d’ailleurs rien contre quelque couleur que ce soit, je m’en fiche éperdument, cela m’indiffère ou plutôt me laisse pantois et coi, je suis silencieux, j’aime toutes les couleurs, rien à dire là-dessus, comprenez-le bien.

Quant au fait que mes pingouins à moi portent des lunettes roses, je vous prie de n’en tirer aucune conclusion, les questions de genre ou autre ne sont pas du ressort de cette tribune ou chronique, pas de cela ici.

La propension naturelle desdits bipèdes palmés et volants de se promener en groupe de trois ne doit pas être retenu contre moi, je n’y peux rien et je n’ai aucune idée si cela se produit ainsi dans la nature, mais dans une chronique intemporelle, virtuelle et absurde, ceci n’entre pas en ligne de compte. Non, pas de problème de cette nature-là.

Enfin, si vous pensez noter dans mes propos des considérations déplacées contre ce cher Piero della Francesca, je vous prie d’effacer ceci de vos mémoires, carnets de note ou cartons de rangement sur lesquels vous êtes peut-être en train de préparer mon acte d’accusation.

Tout cela n’a rien à voir.

Par contre, permettez-moi de vous rappeler quelle était la situation de notre entreprise hier soir à 23 heures et 59 minutes.

Nous étions, je vous le rappelle, sous l’impulsion de Maria au regard si profond et délicat que je m’y perdais tout le temps, là je vous prie de noter le temps que j’utilise, pas le présent, ô grands ou petits dieux non, le passé, l’imparfait, c’est-à-dire que ceci est dans mon passé et que j’ai perdu cette espérance de perfection qu’elle représentait, et bien nous étions en train de réaliser notre rêve commun depuis des mois, quitter ces lieux de misère, chaos et convulsion et rejoindre Arezzo la douce, en Toscane, au milieu de laquelle une chapelle s’élève contenant les fresques du bien nommé Piero.

Maria avait négocié avec l’individu louche qui est le créateur de ces lignes la possibilité de prendre pied dans cette réalité virtuelle là et de nous y rendre ensemble et rapidement, sans autre forme de procès, en tout bien et tout honneur, sans baignoire qui fuit, bateau qui chavire, avion qui s’écrase, non tout simplement par la sainte intercession des lois et principes informatiques.

Maria avait enjoint au créateur de ces lignes de nous accorder la possibilité de nous ressourcer à Arezzo pendant quelques temps, juste ce qu’il faut pour nous reposer un peu, déclarer en passant l’indépendance de la cité et peut-être, admettons-le, soyons franchement fous, créer quelques trépidations, tumultes et turpitudes légères et digestibles en passant, rien de moins mais rien de plus non plus.

Tout était au point.

Nous étions en cercle, Maria, cette chère autruche volante, flottante et trébuchante qui pour l’heure se contentait de hoqueter « eh viva la révolucion, que Saint-Pétersbourg soit, et vivement qui verra que viennent les vieux », les trois pingouins innommables, et la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne et dorénavant dépressive.

Bien sûr manquaient le Yéti anarchiste et l’extincteur fort sage mais cela vous le savez déjà.

Quant au pauvre grille-pain existentialiste, je suis encore trop ému pour vous en parler mais tient dans ma poche arrière droite le fil gainé de plastique noir qui lui permettait de se ressourcer en jus de fruit électrique.

Donc tout était approximativement au point, les présents en cercle et les absents en carré d’absence.

Chacun tenait son ipad en main sur lequel nous avions écrit le mot sacré, Arezzo, et par l’intercession de googlemap et le bénéfice du doute nous étions censés entre 24 heures et zéro heure zéro minute et zéro seconde, nous propulser vers ladite cité toscane, tous ensemble, en cercle vertueux, la main dans la main. La jeune fille au foulard rouge nous regardait avec un brin de mélancolie douce dans l’œil droit et de nostalgie dans le gauche.

Tout était au point mais ces braves et bons pingouins n’ont pas réussi à se tenir calme et coi comme l’accord en sept exemplaires signés avec l’auteur le stipulait.

Ils se sont émus de la possibilité que nous ayons épelé la ville d’Arezzo de manière inappropriée et sont précipités sur nos écrans luisants et polis pour policer la police de nos ipad à l’ultime moment ce qui a créé confusion et chaos nous propulsant quelques secondes plus tard chacun dans un endroit différent.

Me voici donc, chers amis lecteurs sur l’île d’Arezo dans la province azerbaidjanaise orientale sis en Iran, grâce m’en soit rendu, avec pour compagnon remarquable un des trois pingouins tandis que mes amis sont, je l’imagine, près du lac d’Arreso au Danemark ou dans la ville d’Areso au pays basque espagnol.

Quant à imaginer que l’une ou l’autre soit arrivée à Arezzo en Toscane j’ose à peine l’imaginer et, si tel devait être le cas, je pense que ce pourrait être la jeune fille au foulard rouge qui n’en avait pas demandé autant.

J’ai toujours affirmé que la vie était une succession de hasards, en voici une nouvelle démonstration et si vous le voulez bien permettez-moi de célébrer mon cher compagnon pingouin en lui volant les plumes pour vous envoyer cette missive ma plaquette étant tombé en panne de batterie, ce qui finalement ne m’étonne pas, plus rien ne m’étonne, l’étonnement ne saurait être autre chose qu’un cousin germain de ma solitude. Je vous souhaite une bonne nuit où que vous puissiez être, ne jouez pas trop avec votre ipad, on ne sait jamais…

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D’un sentiment d’intense désolation et d’impuissance


D’un sentiment d’intense désolation et d’impuissance 

La solitude pèse même ou surtout lorsqu’elle s’exprime collectivement.

Auparavant, j’étais seul et souffrais en silence dans ma cellule triste, isolée du restant du monde, dans ce pays de désolation, de violence et frayeur, à la merci du gentil et sympathique policier qui s’occupait avec soin de ma petite personne bien anodine et oubliée, mais au moins j’avais le sentiment ou l’espoir que mes amis se trouvaient en meilleure situation, qu’étant considéré comme le leader de cette étrange communauté c’est à moi que l’on réservait le traitement le plus approprié et adéquat, ou plus parler plus directement que les sévices les plus marqués m’étaient réservés.

Depuis lors, sont venus me rejoindre dans un cagibi plus petit que le précédent, la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes qui est prostrée dans un coin et ne manifeste même plus son assurance par de tonitruants « je vous ai compris », le Yéti anarchiste qui passe par des phases d’extrême violence durant lesquelles il essaie mais sans grand succès de détruire le mur ou la porte de notre petit monde avant de se prostrer dans un coin ne semblant même plus pouvoir respirer, et l’autruche volante, flottante et trébuchante qui parle sans arrêt mais dont les propos n’ont plus aucun sens intelligible, que des mots sans lien les uns avec les autres, même plus de changement de sonorité, des sortes de vocalises sans référence possible, loin des sonnets d’autrefois qui étaient extravagants, surréalistes, comiques ou ridicules mais avaient le mérite de laisser entrevoir le début d’une signification, d’un sens, il s’agit de choses, appelons-les ainsi, ressemblant à « mais… deux… champs… désert… lui… attr… demain… ahahaha…oui bien sur … toi ? …certes …plus … »

Mes amis souffrent d’évidence plus que moi et leur boussole intérieure est encore en plus mauvais état que la mienne.

Nous n’avons plus de visite de l’aimable policier qui doit avoir trouvé une autre proie, tant mieux pour moi, simplement une porte qui s’ouvre, des aliments que l’on jette comme à des chiens, puis une porte qui se ferme, la lumière s’extirpe de l’ampoule et chemine brutalement mais de manière insuffisante sur notre petit monde sous-dimensionné, jour et nuit, sans différence aucune, nous ne pouvons la discerner car il n’y a d’évidence pas de lumière du jour filtrant par un soupirail, un interstice de la porte ou autrement, nous sommes en isolement complet, on nous a gratifié d’une radio juste devant la porte qui crépite des sons aigus mélangés à des mots prononcés dans une langue incompréhensible, 24 heures sur 24.

Nous ne savons même plus depuis combien de temps nous sommes là.

Nous sommes ensemble mais ne nous parlons plus car chacun n’a qu’une pensée en tête, le sort réservé à nos amis absent, à savoir l’extincteur fort sage, les trois pingouins aux lunettes roses, amateurs de ce bon et brave Piero della Francesca qui parait plus enfoui dans le passé qu’il ne l’a jamais été, notre quête de la chapelle d’Arezzo pour déclarer son indépendance paraissant si lointaine et si dérisoire, et bien sûr Maria, la belle et superbe Maria, au regard si profond, au visage si radieux, à l’intelligence si fine, au courage si grand, qu’est-il advenu d’elle ?

Mon cerveau n’ose avouer ce qui pourtant doit être l’implacable vérité. Il n’y avait pas de possibilité pour elle comme pour nos autres amis de s’enfuir ou se cacher après avoir tenté de nous rejoindre, non c’était impossible, rien de tel, nous sommes allés dans une autre direction, nous aurions pu être ensemble pour le pire ou le pire, mais ensemble, nous avons raté cette occasion et maintenant la regrettons amèrement, ils ont donc tenté de repartir mais nous savons, je sais, qu’autour de cette prison dans un désert pire que celui des tartares il n’y a rien et que donc, nécessairement, implacablement, inexorablement, ils ont été rattrapés, et compte tenu de ce que l’on m’a fait subir, ce que l’on nous a fait subir, il n’y a rien à espérer, tout est perdu même l’honneur, nous ne les reverrons plus…

Le pire est l’ignorance, le silence, cette incertitude permanente, ce désespoir qui s’est insinué dans nos veines et les glace, ce désarroi, ce sentiment que rien ne peut changer mais sans en être absolument sûr, cet effroyable sensation de savoir sans savoir, ce glissement impitoyable qui laisse le vivant s’efforcer de croire qu’il y a un espoir, un sur dix mille, millions, ou milliards ou que sais-je, mais un espoir quand même, qui tétanise et fige tout le reste, mon esprit, nos esprits sont paralysé par ce sentiment de mort et deuil impossible, il n’y a rien à espérer mais nous nous raccrochons à cette triste pitance que notre état de vivant nous laisse, c’est-à-dire cet odieux sentiment que peut-être au-delà de l’évidence il y a un misérable espoir…

Je ne peux plus supporter cela.

Je ne veux plus espérer.

Je veux qu’on nous la dise, quelle que puisse être la réalité, qu’on nous la présente, nous la jette, qu’on nous crache dessus ou qu’on nous l’aboie, peu importe, qu’on se moque de nous et nous insulte, je le répète, peu importe, mais qu’on brise cette coque de silence et qu’on fasse notre deuil.

Je crois que je deviens fou et que bientôt mon état va être similaire à celui de mes amis.

Si cette chronique s’achève aujourd’hui, je pense que vous aurez compris pourquoi.

Bonsoir mes amis, mes chers amis. Oubliez-nous. Il n’y a rien à voir, rien à dire. Circulez, cela vaut mieux pour vous et pour nous. Laissez-nous dans notre cellule quelque part entre le néant et le néant, entre désert et terres arides, poussière et silence, ombres et désolation.

Je suis désolé.

Merci d’avance.

§512

Chronique – 58


De la méthodologie pour aller d’un point A à un point B

Toute démarche humaine implique, me semble-t-il, de s’engager dans une réflexion sur trois interrogations particulières : d’où venons-nous, où allons-nous et comment irons-nous du premier au deuxième point.

Notre petit groupe est interloqué et en pleine confusion à cet égard.

Nous savons que nous devons partir de notre petite rizière proche de la belle et bonne île de Vienne. Nous savons comment le faire, du moins en théorie, c’est-à-dire en nous déguisant en membres de l’équipe fictive de curling de Papouasie Nouvelle-Guinée.

Nous avons donc rempli le troisième terme de l’équation d’autant qu’un chalutier au départ du port de Vienne est prêt à nous embarquer, son capitaine étant sportif de salon invétéré et amusé par la composition de notre équipe, un grille-pain, un réfrigérateur, un extincteur, trois pingouins, une autruche volante et deux humains, cela ne s’invente pas, nous a-t-il dit hilare avant que nous ne montions à bord. Par contre, les deux premiers termes restent parfaitement flous.

D’où venons-nous ?

De l’île de Vienne serez-vous tentés de répondre mais nous savons depuis peu que tel n’est peut-être pas le cas, que peut-être l’assertion selon laquelle les contours de la réalité sont flous, que celle-ci évolue au gré des circonstances, que coexistent au moins dix dimensions dont seules trois ou quatre sont palpables, que toutes les réalités imaginables cohabitent à chaque instant, n’est pas forcément fondée. Vienne n’est pas forcément une île et d’ailleurs que nous importe ? Et pourquoi serions-nous tant intéressés par notre point de départ. On se fiche éperdument de Vienne, qu’elle soit sur le Danube ou sous les tropiques, qu’est-ce- que cela peut nous faire ? a dit avec un aplomb assez surprenant le réfrigérateur pressé d’agir car l’action est inscrit dans ses gênes pneumatiques, électriques et chimiques.

Ceci pourrait être étendu à la deuxième interrogation, pourquoi insistons-nous tant pour aller à Bangkok ? Nous ne cessons de nous référer à cela mais avons perdu le fil de l’histoire et ne savons plus pourquoi nous devrions aller dans cette lointaine, ou pas si lointaine que cela, ville sous les tropiques.

Ce qui paraît à peu près clair est qu’il fut un temps nous étions en Suisse et vivions tranquillement dans un appartement dont le seul défaut est qu’il s’étendait lentement et tranquillement sans crier garde et que ses occupants augmentaient en nombre au gré des circonstances. Nous avons quitté un matin ce doux cocon parce que si ma mémoire est bonne on nous accusait d’être lié peu ou prou à Wikileaks et d’avoir diffusé des informations non fondées sur les baleines, les autruches et dieu sait quoi. Ceci est le passé, le reste ne suit pas les contours du temps. Vienne ? Bangkok ? Des inconnues au bataillon, des interrogations au titre de la causalité, des murs qui s’éloignent au fur et à mesure qu’on s’y approche.

Eh bien, a proposé le grille-pain existentialiste et passablement déprimé notamment depuis que je me suis rapproché de Maria, si tout ceci nous pose tant de problèmes, prenons les choses autrement. Disons que nous venons de Genève, ce qui n’est pas forcément faux, nous y étions il y a un temps certain mais éloigné dans le passé, et que nous nous dirigeons vers une ville autre que Bangkok. Si nous avons oublié pourquoi nous devions aller dans cette dernière ville nous pourrions tout aussi bien nous diriger ailleurs.

Le Yéti a saisi l’occasion qui lui était ainsi présentée et a suggéré que nous allions porter assistance aux peuples qui de par le monde souffraient sous une chape de béton totalitariste et n’aspiraient qu’au plaisir de se frayer un chemin sur le chemin des libertés et des possibles. Nous constituerions ainsi selon lui le bras de la révolution.

Les trois pingouins ont exprimé leur désaccord absolu réitérant leur souhait de se diriger vers Arezzo et déclarer l’indépendance de la chapelle de Piero Della Francesca, ce qui en soit constituait déjà une assertion révolutionnaire.

L’autruche volante, flottante et trébuchante a souhaité s’exprimer mais conscient que ses propos seraient inintelligibles, le Yéti l’a interrompu ce qui lui a attiré les foudres de Maria, arguant que chacun devait avoir le droit de s’exprimer et que nul n’avait le monopole de la parole et de la vérité.

Notre amie a alors déclaré qu’importent les feuilles sur les arbres et l’eau de la rivière, l’essentiel est dans le vent, les oiseaux volent, l’air est partout est impalpable mais nécessaire, ce qui se voit ne l’est pas forcément, donc visons l’invisible, disparaissons, retirons nous.

Nous n’avons rien compris, mais au moins nous l’avons écouté, ce qui était important et répondait au souhait impérieux de Maria.

Par suite, la discussion a continué en boucles, nul ne sachant où les pas devaient nous porter, ou, plus précisément, proposait une autre alternative.

J’ai proposé de recueillir les diverses propositions sur un bout de papier et ai noté : Tunis, Arezzo, Copenhague, Bangkok, Port Moresby, Genève, et naturellement Erewhon. Nous en étions là de nos discussions lorsque nous avons ressenti une forte vibration et avons réalisé que le navire venait de quitter le port de Vienne ou ailleurs.

C’est alors que l’extincteur s’est exprimé pour commencer, peut-être, serait-il utile de demander où ce navire va. Ce serait une première étape dans notre réflexion, non ?

Il n’a pas tort. Peut-être devrions-nous commencer par cela. J’irai donc demander au capitaine où nous nous dirigeons. Ensuite nous aviserons.

Les choses sont donc un peu plus claires : nous savons qu’il y a longtemps nous étions à Genève et que nous nous dirigeons vers un ailleurs encore inconnu mais pas pour longtemps et ce en bateau. C’est un début ! Le reste? nous verrons bien, il y a un temps pour tout.

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chronique

Chronique – interruption


De l’interruption volontaire des programmes et d’une pause bienvenue dans la diffusion quotidienne des chroniques, et poèmes d’une autruche volante et flottante en prime

Ceci est une interruption volontaire du carnet de bord de sept ou plutôt neuf soit disant réfugiés dérivant en Mer d’Autriche à la recherche d’une chapelle dite d’Arezzo pour y déclarer l’indépendance des fresques de Piero della Francesca et ce avant de se diriger vers Bangkok et y trouver une sauvegarde inespérée.

Les autorités maritimes, portuaires, royales, nerveuses et à toutes fins utiles, ont décidé d’interrompre le flux cathodique, neuronique, et éthylique, desdits individus dont l’intention ne parait ni catholique, ni protestante, ni orthodoxe, ni musulmane ni hébraïque, ni bouddhiste, ni hindouiste, ni conforme à tout autre culte reconnu par la législation d’Isidore II de Garenne les lapins et est donc en porte à faux par rapport aux prescriptions légitimes, studieuses, averties, léoniques, maçonniques ou tantriques contenues aux lettres c) à g) des décrets, règlements et lois de nature diverses et spécifiques compilées dans le Code dit de la Liberté, du Devoir et de la Fierté Légitime et Pleine de Bonté de Saint Ambroise de Parme et d’Ailleurs.

En conséquence de quoi, en ce jour spécifique de l’année 2015, afin d’éviter que des notations ou commentaires inappropriés ne soient colportés par lesdits carnets, les autorités dont il s’agit ont décidé d’intervenir de main de maître et de pied de travers afin d’éviter aux malheureux lecteurs et malheureuses lectrices, c’est à dire vous, de succomber à une avalanche de propos sans fondement aucun, ni toit, ni cave, ni pilier, ni poutre, ni rien de tout cela, d’autant plus que les coupables demeurent pour l’heure innocents en fonction de la racine carrée de la présomption d’innocence multipliée par le double de l’inverse de la cotangente des obligations invétérées des peuples unis et murs pour l’autocratie ploutocrate quasi absolue moins 1,5.

Ainsi, la chronique est interrompue ce jour et reprendra si lesdits individus ne sont pas morts noyés auparavant le jour d’après et la nuit d’avant pour qui de droit, de fait et de maturité.

Ce faisant, les autorités ont convoyé un navire de la marine marchande et fruitière pour arraisonner les neuf soi-disant naufragés et les expurger de toute histoire, conte, chant, commentaire, ou dialogue et éviter que l’on entende à nouveau parler d’autruche volante et flottante, dite marmotte gracieuse, de grille-pain existentialiste et depuis peu anorexique à l’idée de bruler l’ouvrage de Kierkegaard soigneusement confiné en son sein, d’un extincteur sage au point de ne jamais perdre son sang-froid ou sa mousse rafraîchissante, d’un réfrigérateur colérique au possible dont les antécédents sont lourds et les casiers à fruits, légumes, et glaçons, vides, de trois pingouins radoteurs et cruels pour qui Piero della Francesca – dont les contemporains de ce jour et de cette nuit n’ont absolument que faire – est tout, d’une jeune femme au regard si doux et la commisération si intense qu’elle fait radoter tant le grille-pain que le narrateur des chroniques perdu dans un monde qui l’a perdu lui depuis fort longtemps.

C’est ainsi, chers lecteurs, chères lectrices, que vous serez épargné(e)s des chants de l’autruche et de ses sordides poèmes dont le dernier se lisait ainsi : « damnés de la terre et perclus de rhumatismes, que la nuit tombe sur vous, car elle est plus chaude qu’une couette tissée à la main de chez Saveurs et Terroirs de Marthe la Vallée sur Hermès et Condine interposés, que l’or et l’argent d’Harfleur sur le pont de Mirabeau et Miramoche vous entende et vous supplante dans le cœur d’Annabelle et Mirabelle de chez PousPous le Misérable, que la joie du dernier jour et la tristesse du premier et l’inverse, c’est selon vous ressemble et rassemble ce qui ne peut l’être, car aujourd’hui, point, et demain, point -virgule, et vive. »

Remerciez-nous et profitez de ces moments de lecture non avérée et réciproque car bientôt sous quelques heures à peine et en 33 exemplaires seulement vous verrez à nouveau lesdits personnages se réimplanter dans votre quotidien avec leurs histoires à dormir debout, assis, couché ou en poirier.

Que les jours à venir soient aussi agréables que l’impossible et que le reste soit à l’avenant comme l’étoile de nom différent et que vous profitiez de tout cela pour emmagasiner l’énergie appropriée pour vous permettre d’affronter cette chronique interdite mais reproduite en toute illégalité sous des titres divers et des fanfaronnades particulières.

Les autorités dont il s’agit et même les autres vous garantissent le meilleur et le moins bon, s’approprient ce qui est bien, revendiquent ce qui l’est aussi et se déchargent de responsabilité et culpabilité pour tout le reste, demandez au grille-pain ce qu’il en est si cela ne vous convient pas.

Nous vous ils et elles.

A bientôt. Jamais et toujours. C’est ainsi. Pour qui de droit, fait et ailleurs. Amicalement et sous peu. Aujourd’hui c’est chou.

Voilà et houp et viva

§787

Chronique – 43


De Maroni, de Piero della Francesca, d’une situation bien compromise, de la violence contre les enfants et du délire d’un extincteur

Certains disent parfois qu’ayant rencontré les pires difficultés ils ne peuvent guère tomber plus bas. Jolie expression à mon sens mais qui malheureusement ne saurait s’appliquer à notre cas.

Qu’on en juge: nous avons fui la douceur de mon appartement voici quelques semaines à peine, trouvé un abri précaire à Copenhague puis Vienne, deux villes charmantes camouflées sous des palmiers, rizières, temples et fruits tropicaux, recherché Bangkok dont nous savons qu’elle pourra accueillir les réfugiés que nous sommes, avons largué les amarres des sept baignoires récupérées dans des villages lacustres autrichiens, sommes partis vers Arezzo pour y déclarer l’indépendance de la chapelle de Piero Della Francesca, avons successivement perdu toutes nos embarcations quelque part au-dessus des Alpes, au beau milieu de la mer d’Autriche, avons été rejeté par les navires officiels, avons trouvé un refuge que nous pensions ultime dans la bouche béante et froide de notre ami réfrigérateur et sommes maintenant tous les sept dans l’eau de mer sans la moindre parcelle d’espoir encore discernable dans nos esprits moites et froids.

Pas un brin de bois ou morceau de table pour jouer le Titanic de Cameron, même plus possible de jouer les Géricault sur notre frigo de la Méduse, non, plus rien. Maria m’a regardé avec son doux regard confiant et optimiste et me caressant les cheveux m’a dit que la situation ne pouvait guère dégénérer davantage.

Le grille-pain existentialiste installé tant bien que mal sur la tête du Yéti anarchiste s’est contenté de remarquer : c’est le propre des vivants de terminer la boucle de leur vie ridicule et sans but aussi niaisement qu’il l’avait commencée. Le seul et unique souci de nos confrères et soeurs qui se noient dans le tourment de leur vie médiocre pour ne surtout pas se confronter à ce vide affreux est de savoir est quand viendra cette heure fatale. Pour nous, pas de contrariété à cet égard, nous le savons, c’est ici et maintenant. Au moins, ce souci nous est épargné. A chacun de se mettre en règle avec lui ou elle-même.

Il aurait continué encore un certain temps si l’extincteur ne lui avait demandé posément mais fermement d’éviter ce genre de propos à ce moment si dramatique.

Le réfrigérateur dont la partie congélateur seule flottait encore a opiné ce qui lui restait de chef et s’est exprimé plus directement en tentant de lui claquer une porte sur la tête ce qui n’a pas amélioré sa situation.

Le Yéti anarchiste a souri en tapotant son copain grille-pain en faisant remarquer : qu’au moins nous ne sommes plus soumis à la moindre tyrannie, directe ou non, explicite ou non, de quelque conglomérat que ce soit, plus de ploutocratie, nous sommes libres et devrions profiter de ces moments-là. Après tout la mer d’Autriche est bien plus chaude que je ne m’y attendais et nous flottons remarquablement bien. Alors, parlons encore un peu de ces fêtes d’antan. Je vous ai dit ce que j’en pensais et ce que je ferais lorsque je serai devenu Pape et lui là-bas (NDLA : c’est-à-dire moi) Roi d’Islande. Ecoutons ceux qui ne se sont pas encore exprimés. L’extincteur, tu veux nous en dire un mot ?

(NDLR : en temps normal nous répéterions notre commentaire habituel sur l’interdiction de la publicité clandestine mais ne le ferons pas, après tout les royalties des cadavres perdus en mer doivent probablement revenir à la société, autant qu’ils en profitent encore un peu. Nous sommes bons ! N’est-ce pas ?)

L’extincteur qui éprouvait des difficultés considérables à se maintenir à flot en remuant la buse que d’habitude il utilisait pour projeter du liquide sur les objets brûlants mais en l’occurrence lui servait à éviter que le liquide ne parvienne à son front fort chaud obtempéra mais télégraphiquement.

Je vous sers ses propos un brin retouchés pour que vous puissiez mieux les appréhender : Pas grand-chose à dire, je suis fort ancien, né voici des lustres de l’union, légitime celle-ci, désolé cher grille-pain, entre un télégraphe sans fil dont le grand père avait servi sous Marconi à Salvan et une ampoule à filament de carbone. Portés sur l’assistance à autrui humain, ayant à cœur de servir les désespérés, ils ont très tôt choisi mon avenir, car c’est ainsi qu’on faisait dans les temps jadis, et m’ont porté sur les fonts baptismaux comme extincteur à pression permanente.

 

Je vous l’ai dit antérieurement, mes meilleurs souvenirs sont ceux des fêtes d’antan, Noël, Pâques, Ascension et autres jours fastes s’il en est où les humains s’empressent de brûler leur cheminée, incendier leurs sapins, calciner leurs dindes ou lièvres et j’en passe et des meilleurs. Il y a cinq ans, j’ai sauvé un individu à la réputation douteuse qui pour faire passer ses tendances alcooliques et violentes se déguisait chaque année en Père Noël pour sa fille qu’autrement il battait copieusement. Il s’était mis en tête grisé comme il était de s’introduire chez lui par la cheminée, est resté coincé dedans et s’est mis à brûler tel un gigot que l’on cuit mais à la différence qu’il criait comme un pauvre porcin que l’on égorge.

Pour une fois j’ai songé ne pas intervenir mais voyant sa fille pleurer et songeant qu’il était injuste qu’un tel être ne finisse victime et martyr dans l’imaginaire de sa fille, je l’ai sauvé. J’ai attendu que ses parties charnues soient définitivement hors d’usage – je craignais fort pour l’avenir de cette petite fille – et ai finalement éteint le feu, l’ai repoussé sur le toit grâce à ma buse non volante et à cet endroit précis, loin de tout autre humain, je l’ai définitivement sorti d’affaire.

 

Lorsqu’il a fini de reprendre ses esprits il a recommencé à hurler pour se plaindre de la perte d’êtres chers ce à quoi j’ai mis une fin immédiate en lui disant que s’il levait encore une fois la main sur sa fille c’est le haut de son corps qui serait détruit.

Il m’a regardé avec une frayeur d’un degré fort impressionnant puis s’est tu. Il n’a plus jamais parlé, plus jamais levé la main sur sa fille, sur qui que ce soit, et est demeuré un brave et bon légume dans son lit douillet ou sa chaise en paille regardant par la fenêtre le temps qui passe et corrigeant les devoirs de sa fille en souriant. Un bon souvenir…

Les trois pingouins ont esquissé une larme puis ont dit en chœur qu’il s’agissait effectivement d’une belle histoire mais qu’il aurait dû achever l’imbécile sur le toit puisque d’évidence il ignorait tout de Piero della Francesca qui était un être très doux.

Je n’ai rien dit et tout en regardant l’univers dans les yeux de Maria me suis contenté de continuer à nager.

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Chronique – 41


Des fêtes d’antan d’un grille-pain dépressif et kirkegaardien et du chant d’une autruche volante dite marmotte gracieuse  

Nous continuons de dériver dans nos quatre baignoires sur la mer non pas d’Iroise mais d’Autriche. Depuis hier, nous avons perdu une autre baignoire et je me permets à cet égard de suggérer à mes lecteurs potentiels et enthousiastes de colmater toutes les brèches que ce genre d’embarcation est à même de receler avant de se mettre à l’eau. Non point que notre situation soit dramatique car comme je vous l’ai indiqué nous disposons de victuailles en quantité suffisante et la présence de trois pingouins très bons pêcheurs est un accessit dans ce type de situation.

Nous sommes donc simplement un peu plus à l’étroit mais ceci nous permet de nous rapprocher spirituellement en cette période qui, du moins me semble-t-il, coïncide avec des fêtes et fériés dans de nombreux pays de ce bas monde tant il est vrai que maintenir un calendrier en mer est chose compliquée. Peut-être aurions-nous dû rester quelques jours de plus à Vienne pour profiter des traditions autrichiennes ? Il aurait été sympathique de manger des tartes Sacher et des friandises Viennoises sur fond de rizières, marchés aux fleurs, bouddhas, temples dorés et fruits tropicaux. Je n’aurais pas imaginé la chose ainsi mais les voyages apportent toujours leur lot de surprise et rectifient l’image biaisée que l’on en donne dans les médias traditionnels.

Nous voguons plus ou moins dans la direction d’Arezzo en Toscane, sous la mer ou non, je n’en sais rien, mais où, je l’espère, nous pourrons établir la République libre de Piero della Francesca dans la fameuse chapelle qui lui doit sa célébrité et que les français ont manqué de brûler au temps où un certain Empereur diffusait des idées républicaines à des peuples qui s’en fichaient comme d’une guigne. En attendant, chacun partage ses souvenirs de fêtes d’antan.

Hier c’était le Yéti anarchiste qui nous a parlé de ses sentiments pieux fort particuliers. Aujourd’hui c’est au tour du grille-pain existentialiste et passablement dépressif.

Voici ce qu’il nous a raconté : Je suis né d’une union illégitime entre une friteuse de bonne famille et une perceuse de mauvais sang, un escroc de petite nature qui avait séduit ma mère alors qu’elle évoluait dans son cocon bourgeois d’ustensiles design pour bobo bien argentés. Il venait du mauvais côté de l’immeuble, de la cave et boite à outils. Je n’ai aucun souvenir de lui puisque rapidement il a été embarqué dans une sombre histoire de meurtre ou suicide à la perceuse, une affaire bizarre qui l’a envoyé au trou pour très longtemps. J’ai été élevé dans une cuisine bien précieuse, toute en serviettes de soie, salières, poivriers, moutardiers, assiettes, couverts de marque, Alessi, Koziol, Pam Norman, etcetera.

Ma grand-mère maternelle m’adorait, une gentille petite cafetière d’avant les Nespresso, qui pouvait durer des siècles mais dont on s’est séparé en la laissant rouiller sur le trottoir lorsque les capsules jetables et stéréotypées sont arrivées.

 

Mon grand-père, une bouilloire argentée d’origine russe, profondément religieux et conservateur n’a plus parlé à ma mère jusqu’à son remplacement et son renvoi dans le studio du petit jeune de la famille d’adoption humaine lorsqu’il s’est installé à Berlin.

 

Par suite, et dans ma douleur d’orphelin, il s’est rapproché de moi et m’a pris sous sa coulpe, m’a enseigné les rudiments du métier de grille-pain, m’a expliqué les règles inculquées depuis des générations aux serviteurs d’humains, l’obéissance, le respect, le bon fonctionnement, le lustre discret, le fonctionnement sans réparation jusqu’à expiration et un jour de la garantie et ainsi de suite.

 

Les journées de fête, tandis que les humains enfants se ruaient sous le sapin rituel ou dans les jardins, nous étions de sortie, bien endimanchés, à la table de la salle à manger sur une nappe brodée de Damas avec initiales je vous prie. Nous servions au mieux les humains bien nerveux ces matins-là.

 

Mon meilleur souvenir ?

 

Le dernier Noël avant le renvoi de ma grand-mère, j’opérais près du fils aîné et préféré, étudiant en littérature et philosophie, qui par espièglerie ou pitrerie s’est amusé à introduire près de ma résistance chauffée à rouge un livre de poche intitulé ‘Traité du désespoir’ de Kierkegaard. J’ai refusé de le brûler, j’avais mes scrupules. J’ai fait sauter les fusibles plutôt que de perdre un tel ouvrage. Un grille-pain grille du pain, des brioches, des toasts, mais rien d’autre. Je n’avais pas à être soumis à de tels traitements. Je n’avais pas non plus à contribuer à détruire une famille bien née et respectueuse. Le père de l’humain concerné a hurlé et constatant la blague du jeune fat s’en est plaint de manière formelle et brusque. Tout le monde a quitté la table du salon et a fait prière et pénitence ridicule à genoux devant une crèche en santons de Provence.

 

Pour ma part, je suis resté des heures durant à proximité de cet ouvrage fascinant qui m’a parlé chaleureusement, mais pas trop, et s’est exprimé par mots cachés et couverts et s’est instillé profondément en moi.

 

On ne m’a plus vraiment utilisé depuis ce fameux matin et j’ai pu garder en mon sein le souvenir kirkegaardien qui m’est si cher. J’ai tout appris et je le dois à cette matinée de Noël humainement gâchée mais majestueusement et oniriquement proche de mon âme de grille-pain.

 

Les choses ont changé, certes, j’ai perdu mes proches, ils ont sombré dans l’oubli des humains et ont été désossés ou rejetés, éparpillés ou détruits, je les ai beaucoup pleuré, même si je savais dans mes gènes de grille-pain que la souffrance est chez nous spontanée et que l’issue qui nous est réservée est dramatique mais naturelle, mais j’ai continué à rechercher aux tréfonds de mon âme les raisons qui nous poussent à exister, pourquoi nous sommes ainsi faits, le pourquoi, le où, le comment et les autres mystères de nos vies.

 

Vous me connaissez ainsi et parfois vous vous agacez de mes larmoiements mais sachez qu’à l’origine de tout cela il y a ce matin de Noël là, ces pleurs, ces cris, ces prières, et cette rencontre livresque étonnante.

Un long silence a suivi cette étonnante suivie de reniflements et sourires ambigus. Maria a embrassé le grille-pain sur le front et les pingouins, se sont redressés dans leurs baignoires et l’ont salué militairement en tenant leurs lunettes roses à l’aile, tout en disant ‘t’es un sacré pote mon cousin. T’es notre Che, notre leader’. Je crois que pour une fois nous partageons tous leur sentiment.

En conclusion de cette histoire et en prime de Noël, Pâques ou ce que vous voudrez, pour toutes et tous, un autre chant de l’autruche volante dite marmotte gracieuse :

‘Malheur aux affamés car ils auront faims, que les poules aient des dents ou pas elles restent poules et stupides à la fois, que les orties soient japonaises ou pas elles restent piquantes, qu’Homère ait été ou pas reste l’Iliade, que la savane brûle ou pas, reste les animaux et que les animaux disparaissent ou pas, restent l’humain, et ça c’est pas du coton, mon cousin.’      

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Chronique – 38


D’une certaine forme de lassitude, de la fin de la révolte des grille-pains, de l’exaltation des pingouins, et d’un voyage à Arezzo en baignoires

Dire qu’il y a quelque temps encore je vivais tranquillement dans mon appartement Genevois et me contentais de temps en temps de regarder par la fenêtre mélancoliquement à la recherche d’une raison d’être à ma vie ploutocrate et mal aboutie.

Plusieurs semaines se sont écoulées et entourés d’amis pour le moins particuliers, si l’on doit se baser sur l’éternelle notion de normalité ou d’anormalité, je suis à la recherche de la voie la plus discrète pour relier Vienne où nous pensons être et sommes vaguement camouflés et Bangkok, ce afin de ne pas éveiller les soupçons de représentants de puissances obscures et sournoises.

En parallèle, je ne cesse de me laisser dépasser par des évènements dont la plupart du temps je n’ai pas le moins du monde pressenti le déclanchement et parvient avec la plus grande des peine à contribuer à leur maîtrise. Mes compagnons sont dénués de tout point d’ancrage dans le temps et se situant exclusivement dans le présent évoluent librement et sans attache. Je les envie. Ils évoquent en permanence et au premier degré leurs désenchantement, tristesse, joie, colère, bouleversement ou passion. Je les suis avec peine mais contentement car tout plutôt que revenir derrière ma fenêtre mais d’une certaine manière je les envie.

Tenez par exemple cette révolte des grille-pains, bien entendu vous avez compris qu’elle terminerait en eau de boudin dans une rizière mal épanchée et qu’il nous faudrait de longues heures pour extraire de la vase les acteurs de cette révolution surréaliste, les grille-pains, gaufriers, cafetières et autres dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas équipés pour des routes aussi chaotiques surtout après avoir accompli un striptease d’anthologie.

Vous l’aviez vu venir, je le sais bien, mais moi pas du tout. Je me suis laissé totalement surprendre.

Bien entendu, mon état d’esprit est plutôt délétère ces temps-ci perdu dans une sombre folie amoureuse, sombre parce que je ne suis pas sûr qu’elle puisse terminer autrement que dans la vase, folie car comment pourrais-je prétendre pouvoir attirer autre chose qu’une sympathie de façade de la part d’une aussi parfaite femme que Maria et amour parce que c’est ainsi, cela s’appelle comme cela, je n’ai pas d’autre mot pour décrire ce que je ressens et tant pis si vous pensez que cela habille très mal cette chronique et encore plus tant pis si vous croyez que cela va finir avec un beau mot fin sur un couple niaisement enlacé au bord d’une cheminée kitsch.

Si vous avez lu mes livres (NDLR : On dit plus rien sur la publicité clandestine, ça sert à rien, y comprend pas, et ça nous lasse, mais ça nous lasse, vous pouvez pas imaginez, alors vous avez qu’à vous farcir le reste, on vous aura prévenu, nous, c’est bof !) vous devriez savoir qu’ils se terminent rarement bien, nada, niet, jamais, c’est comme cela.

Donc, je sais que tout cela terminera mal mais j’espère quand même que peut-être le présent me réservera un jour un fugace instant de bonheur…

Revenons à nos moutons, ou plutôt n’y revenons pas car notre quête a été interrompue avant la révolte des grille-pains et je doute qu’elle reprenne rapidement. Cela m’a surpris, je vous l’ai dit, tout me surprend.

Le coup des pingouins, pas des lapins, pingouins, suivez un peu ce que je vous dis, je ne l’ai pas vu venir non plus.

Ils étaient comme nous en train d’essuyer les centaines de grille pains exsangues et totalement déprimés, surtout le nôtre, sortis de leur coque de boue lorsque soudain ils se sont dressés et se sont exprimés l’un après l’autre de façon parfaitement solennelle:

Qu’importe la défaite / le désespoir / il faut oser / vous avez osé / c’est géant / félicitations à vous les grille-pains / à notre Che à nous / et nous allons tous faire de même / pour aller à Bangkok nous passerons par Arezzo / et comme Vienne est dorénavant au bord de la mer / il n’y a pas de raison pour que Arezzo n’y soit pas non plus / et puisque nous n’avons pas trouvé de téléphérique souterrain / ou de moutons humains / nous irons de Vienne à Arezzo / traverserons les Alpes par la mer / et célébreront en grandes pompes les 519 années de sa mort / et prendrons de force la chapelle / et déclarerons son indépendance / et sous la céleste bonté de sa célèbre résurrection / nous placerons le grille-pain et il renaîtra lui aussi sous la forme de la Madonne de Senigalli.

Je me suis détourné de cet amoncellement de bêtises sans nom mais lorsqu’ils ont évoqué une réincarnation d’un grille-pain en Madonne je n’en ai pas cru mes oreilles et leur ai demandé de se taire. Comme si nous n’avions pas déjà assez de problèmes avec toutes les ligues et autorités que l’on peut imaginer!

L’extincteur leur a suggéré de demeurer coi et le réfrigérateur leur a proposé de passer quelques heures dans son sein pour refroidir leur esprit particulièrement échaudé par l’eau froide. Seule l’autruche volante, dite marmotte gracieuse, s’est sentie à même de répondre à leurs propos en posant une question qui je dois l’admettre n’était pas forcément ridicule, à savoir comment ferions-nous pour traverser les alpes par la mer ?

C’est à ce moment-là que les pingouins m’ont étonné, dressés sur leurs courtes pattes, les branches de leurs lunettes roses, dans leur bec jaune, ils ont dit pas compliqué les gringos il nous faut 7 baignoires que nous attacherons par des cordes, on jette le tout à l’eau et on laisse dériver comme les banques et tôt ou tard on arrivera en Italie, on dit bien qu’après la Grèce, l’Irlande et le Portugal c’est là que cela finira non ? Donc en bateau et que ça saute, et on sauvera la chapelle, et on évitera qu’elle soit détruite comme à Pompéi et on déclarera notre indépendance et on réincarnera le grille-pain. Logique, non ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait une véritable logique dans tout cela mais soyons honnête, il faut suivre l’actualité, c’est le propre d’une chronique réaliste, donc nous irons de Vienne la cité balnéaire à Arezzo, autre cité balnéaire et tropicale, par la mer et nous y irons par baignoires interposées.

Maria a demandé pourquoi 7 baignoires ?

Ils ont répondu pour deux raisons ma chère Maria, Uno parce que nous sommes 7 et deuxio parce qu’il y a bien 7 nains non dans l’histoire non? Tercio parce que nous approchons de l’été et qu’en été il vaut mieux disposer de baignoires ! Cuatro pourquoi pas !

Je n’ai pas compris l’à propos de ces deux remarques mais comme je vous l’ai dit je ne comprends pas grand-chose ces temps-ci, alors allons-y, cherchons des baignoires et voyons ce que nous pourrons en faire, plutôt cela qu’autre chose… d’ailleurs, auriez-vous mieux à proposer que traverser les alpes dans des baignoires ?

Pas l’avion, certainement pas, de toutes les manières ces temps-ci cela marche pas fort. Pas le reste non plus parce que ça glisse… Alors, pas vraiment mieux à proposer, les baignoires c’est exotique et économe, écologique et ne coûte rien en taxe carbone, pas de fumée, pas de fuite et surtout pas de risque de marée noire, non, rien que du bonheur, du plaisir, je vous le dis, je ne comprends rien à tout cela mais au moins nous avançons, et en plus l’idée de voir Maria dans une baignoire, cela serait tellement grisant s’il n’y avait la contrepartie, l’idée qu’elle m’y voit aussi… je vous l’ai souvent dit, tout est relatif.

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