Âmes pieuses s’abstenir… je vous aurais prévenu!


Âmes pieuses s’abstenir… je vous aurais prévenu!

 

La situation est un brin compliquée et délicate.

 

Nous sommes au centre d’un musée imaginaire, dans une pièce où des toiles blanches sont exposées, joliment encadrées, avec des petits cartons attribuant les uns et les autres à Vermeer, Piero della Francesca, Bellini, Ernst ou Klee, assis en cercle, considérant les vestiges des âmes, les nôtres et les autres, tandis qu’à l’extérieur des voix sombres et en colère se font entendre suivies de chocs sourds contre la porte que nous avons bloquée aussi bien que nous le pouvions.

 

Des hurlements et battements émergent d’un fond sonore tout empreint de violence.

 

Des centaines d’individus venus de nulle part forment une masse probablement grouillante guidée par leur lumière intérieure vers notre solitude morne et grise.

 

Les voix enflent, les sons se propagent, les slogans s’attirent les uns les autres et forment un chœur impromptu et un orchestre inutile.

 

On me reproche des écrits d’avant-hier dont je ne me rappelle même plus le contenu, des références involontaires à des situations religieuses ou similaires.

 

Les voix s’enchevêtrent, s’emmêlent, s’entremêlent et forment un canevas proprement indéchiffrable d’autant plus que l’origine des voix est invisible, nous sommes aveugles, nous sommes muets mais malheureusement pas sourds et entendons les menaces, les cris, les hurlements.

 

Je ne saurais proprement décrire ce capharnaüm, ces vocalises agressives, pieuses et vengeresses mais je crois pouvoir partager avec vous ceci :

 

Voix féminine 1 : Le Dieu Unique, les deux dieux secondaires, les prophètes tertiaires, les bienheureux et bienheureuses quartenaires sont venus sur notre terre et ont imposé la vie, le bonheur, la joie, l’amour, et cet individu les parjure, qu’il meure, que ses textes soient brulés, que ses compagnons soient torturés. On ne saurait remettre en question la bonté de nos guides suprêmes, la beauté de leur action, la sérénité de leur pensée, le calme irradié par leur commisération. Nous bénissons leur action mais maudissons ceux et celles qui les défient avec impudence…

 

Voix masculine 1 : Lors du repas de Brouchyon-les-Ouailles, le grand Féru et ses Saints acolytes ont béni la terre, les cieux et les eaux puis Il s’est tourné vers l’enfant qui contemplait les étoiles et a dit : « Que la joie soit et la foi choit, Que les brebis saines paissent et les autres aussi, Que l’amour diffuse dans les veines et le reste non… » Ceci est limpide, ceci est divin, ceci est commisératif, ceci est généreux et indique bien que le sang ne doit plus se diffuser dans les veines des brebis malsaines. Saisissez-vous de ce parjure et profanateur, écartelez-le, torturez-le, car le dieu saint, béni, ses ouailles généreuses, et l’amour qu’ils prescrivent nous l’ont dicté ainsi.

 

Voix féminine 2 : S’il est une femme parmi eux, qu’elle soit réprimandée, lavée puis violée, qu’on la punisse de n’avoir pas compris qu’ils étaient maudits parmi les maudits pour avoir dénigré les âmes pures, les trois dieux suprêmes, les dieux parallèles, les prophètes aux noms saints et les autres aussi.

 

Voix féminines 3, 4 et 5 : A mort, à mort, à mort, pas de quartier.

 

Voix masculines 2 à 7 : Qu’attendez-vous pour détruire cette putain de porte, pour écraser ces salauds qui profanent nos dieux, qui commettent sacrilège après sacrilège, tuez-les tous, brûlez les mecs, violez les femmes, torturez-les toutes et tous, répandez la peur parmi ceux qui nous combattent et réduisent notre amour de la foi et notre foi en l’amour en simples préceptes creux. Soyons justes et bons. Tuez-les…

 

Voix entremêlées : A mort, tuez-les, détruisez tout, salauds, pourritures, infâmes préposés de Lucifer, Satan et ses sbires, vive la liberté, vive l’amour, à bas les pourfendeurs de l’amour et la bonté.

 

Autres voix entremêlées : Il ne faut pas tolérer les sacrilèges et blasphèmes, ces gens sont la pourriture de la terre, nos quatre dieux, nos saints prophètes et lumières bénies, nos anges d’amour et bonheur nous instruisent de vivre en harmonie avec l’univers et de propager le bonheur, la joie sainte, la sérénité, la non-violence et la paix. Mais, nous ne saurions laisser se propager les virus de la haine, les gênes de la misère et de la guerre. Il faut écraser tout cela dans l’œuf. Il faut réagir et ne pas rester les bras croisés. C’est les larmes aux yeux et la peine dans nos cœurs que nous maudirons ces cloportes, leur arracheront leurs vêtements, les violeront et les puniront car c’est ainsi que le bonheur sera.

 

Ce climat délétère m’insupporte, je dois l’admettre. Il me fait peur.

 

Néanmoins je lui reconnais un avantage, celui d’avoir provoqué une réaction parmi mes amis.

 

Maria au regard si profond que je m’y perdais tout le temps mais qui depuis que je l’ai retrouvée dans ce monde inique, triste, cynique, semblait plongée dans une torpeur et une apathie dont elle ne pouvait sortir, est bien plus alerte et a prononcé quelques mots très doux.

 

La jeune fille au foulard rouge qui l’accompagne et qui était également plongée dans une profonde léthargie donne des signes évidents d’émergence dans notre réalité. L’image enroulée de ma chère autruche volante, flottante et trébuchante est traversée de convulsions et rides ce qui pourrait indiquer une renaissance de notre amie sous une forme autre qu’une simple photographie de taxidermiste.

 

L’extincteur fort sage secoue sa petite tête bien chétive et donne des signes de vie et il en est de même de la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne.

 

Les trois pingouins amateurs de Piero della Francesca ont posé leurs cartes et cessé de jouer avec le Yéti fort placide. Ils m’ont regardé longuement puis l’un, peut-être le dénommé Bob, a dit aux autres que le plus simple pour récupérer un peu de calme serait de le livrer aux crétins qui hurlent. Avec un peu de chance on pourrait peut-être même récupérer une petite somme qui nous permettrait de quitter cet endroit en direction d’Arezzo. De toute manière, il n’a jamais été très utile et comme narrateur il n’est pas très affectueux.

 

Tout ceci me rassure mais modérément je le confesse.

 

Il y a naturellement toujours cette interrogation quant à la présence de mon alter ego l’auteur mais là où il est, je veux dire en travers de la porte, il ne pose pas de problème majeur.

 

Comme en toutes choses, il y a plusieurs manières de considérer la situation, la première est de désespérer compte tenu du peu d’alternatives proposées, la seconde est de se réjouir du fait que pour la première fois depuis longtemps nous sommes réunis.

 

Voir les yeux de Maria retrouver leurs mouvement et profondeur est un pur délice, peu importe le reste.

 

Entre le tumulte extérieur et la plénitude intérieure il n’existe pas de réel lien. Il reste à trouver un équilibre, quel qu’il puisse être. Nous verrons bien. A chaque jour sa peine.

 

Pour vous les choses sont plus simples: si vous devez recevoir un nouveau signal de ce blog demain cela signifiera que nous avons survécu à cet épisode fort fâcheux. Sinon, cela signifiera l’inverse et je vous saurais alors fort gré de vous recueillir un moment sur l’ombre de la liberté d’expression, d’opinion et de pensée qui a un jour été.

 

A demain … j’espère.

 

ohhhhhh! on dirait que la porte s’entrouvre….

 

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Du blasphème et d’autres choses de cette nature ainsi que des conséquences qui peuvent découler de propos excessifs…


Du blasphème et d’autres choses de cette nature ainsi que des conséquences qui peuvent découler de propos excessifs…

 

Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on le pensait initialement.

 

Hier, prisonnier d’une réalité triste, morne, et cynique, je m’étais martelé la possibilité d’une échappatoire aisée en réunissant mes amis au centre d’un musée imaginaire et avais fini par y croire. Je pensais pouvoir aisément tourner les pages de cette aventure déprimante en m’isolant de ce monde pluvieux et de ses cohortes d’humains cyniques, isolés dans leur sphère technologique, mais c’était sans compter sur les errements de mon errance…

Je me suis réveillé ce matin auprès de mes amis endormis ou comateux, songeant que cet univers égocentrique avait conduit à l’anéantissement, ou presque, de mes amis animaux, songez par exemple à l’autruche volante, flottante et trébuchante transformée en image d’animal empaillé, sans parler des pingouins amateurs de Piero della Francesca réduits à de simples joueurs vautrés sur le dos de mon alter ego, auteur prisonnier de l’imaginaire d’un autre moi-même.

 

Quant à mes autres amis de nature et situation difficilement explicables, le grille-pain fataliste, l’extincteur fort sage ou la machine à gaz, leur contribution s’est trouvée réduite à presque rien, un silence navré, un dialogue limité, des commentaires obscurs, un retour à des fonctions primales inutiles ou illusoires.

 

S’agissant de Maria au regard si profond que je m’y perdais toujours ou la jeune fille aux cheveux rouges, leurs yeux se sont largement éteints et leur visage ne reflète plus que des images d’Épinal.

 

Ce monde absorbe tout ce qui passe à sa portée pour lui ôter son âme ou son originalité, pour sucer sa vie et ne laisser que l’apparence d’un contenu dans un contenant sans vie, une armée de choses ou êtres similaires, sous la grisaille, dans l’anthracite et sur l’obscur.

 

Je pensais m’enfuir de tout ceci rapidement mais c’était sans compter sur une grossière erreur commise hier, vous vous en souviendrez peut-être, dans le contexte de ma chronique, une référence au chemin de croix et au calvaire, quelque chose de légèrement déviant, pas une grossière méchanceté, loin de là, mais comme la chose religieuse ne m’intéresse guère, me laisse de marbre ou de ciment, je n’avais pas vraiment pris garde à cela, c’était sorti de ma plume comme cela, une petite anicroche, une exagération, une inadéquation, sans lendemain… enfin, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que je sois extirpé de mes pensées initiales, telles que présentées précédemment, par des cris et vociférations provenant du hall du musée où nous séjournons.

 

Accompagné du grille-pain existentialiste tout juste sorti de ses propres rêves, je me suis rendu sur place et ai trouvé au-delà du portail d’entrée en fer forgé une masse grouillante d’individus aux yeux exorbités hurlant des slogans à mon encontre, me promettant les feux de l’enfer – ce qui soit dit en passant à fait sourire le grille-pain – et la mort immédiate si je ne me rétractais pas immédiatement avec pèlerinage à Saint-Pramton la Bréteche sur les genoux, les bras écartés, les yeux tournés vers le ciel et les prières dirigées en six langues, quatorze dialectes et douze-cent patois, à l’endroit des trois dieux suprêmes, des douze prophètes, des quinze divinités secondaires, et des deux-cent vingt-neuf bienheureux et bienheureuses diffuseurs de la foi vénérable et véritable.

 

Ils portaient des ornements très bizarres en forme de croix, étoiles, cercles, demi-cercles, demi-lunes, lapins et sauterelles, des vêtements étranges, rouges, jaunes ou verts, des instruments métalliques et des porte-voix leur permettant de multiplier le niveau de leurs incantations et menaces par trois ou quatre.

 

D’abord je n’ai pas compris qu’ils s’adressaient à moi et je pensais naïvement que cela concernait les toiles blanches du musée dont je vous ai parlé il y a quelques jours et j’ai tenté de les rassurer en leur disant que le fait qu’elles soient blanches ne signifiaient pas grand-chose et laissait la possibilité pour chacun et chacune de les remplir de tous les traits, dessins et schémas souhaités, y compris des représentations divines, réalistes ou abstraites, suivant le souhait.

 

Mais, ces chères personnes représentants la voix ou les voix et voies divines dans cette réalité bien grise m’ont immédiatement fait comprendre que là n’était pas le problème et se sont mis à gesticuler frénétiquement sur place en secouant la porte qui menaçait de s’ouvrir devant eux tout en criant des mots tels que blasphème, parjure, intolérance, sacrilège, irrespect, indignité, et j’en passe.

 

Lorsqu’ils ont vu le grille-pain accroché sur mes épaules et qui me murmurait ne t’en fais pas, les choses sont ainsi, les humains sont excessifs mais au fond ils ne sont pas si méchants que cela, ils ne pensent pas ce qu’ils disent et ne comprennent pas ce qu’ils font, les choses sont ainsi faites dans ce monde qui nous échappe et qui procède d’une logique incompréhensible. Ne sombrons pas dans un pessimisme de mauvais aloi…. cela a provoqué une recrudescence des cris et hurlements et une vieille femme indignée s’est mise à tendre la main vers nous et, en transe légère, s’est écriée : c’est un fils de Satan et des sept mages noirs suivi par un cri de rage d’une foule en délire.

 

J’ai reculé en souriant légèrement pour les apaiser puis me suis emparé d’un téléphone blanc qui trônait sur le pupitre de l’entrée.

 

Après avoir composé le chiffre 666 qui renvoyait apparemment aux urgences j’ai entendu une voix mécanique disant à peu près ceci : gentes dames et gentes sieurs, ayez l’amabilité de laisser votre revendication solennelle en trois exemplaires vocaux après le bip sonore et précisez si le cours de l’action dont vous songez qu’il baisse trop rapidement dispose d’une référence INSTETTA de catégorie 3 ou 4. Nous vous sommes très reconnaissants pour votre attention et vous souhaitons une belle et bonne journée d’investissements, de recueillements et de prédispositions philanthropiques durant ces périodes de recueillement.

 

J’ai raccroché un brin décontenancé et me suis dirigé vers le magasin de souvenirs encore fermé à cette heure matinale, ai trainé deux ou trois meubles d’appoint en vente à cet endroit et les ai coincés devant le portail. Je suis revenu en courant vers la salle centrale, ai fermé toutes les portes d’accès les unes après les autres, et me suis replié avec mon grille-pain fataliste dans la pièce centrale où je me trouve en ce moment.

 

J’ai bougé les bancs et l’auteur endormi contre les battants de la porte pour raffermir le système de fermeture – les auteurs sont souvent bloqués ce qui les placent dans une situation parfaite pour des situations de cette nature – et ai disposé mes autres amis en cercle.

 

Nous sommes ainsi disposés et attendons la suite des évènements dont je vous ferai un récit aussi réaliste que possible dès que les circonstances le permettront.

 

D’ici-là priez bien et recueillez-vous sur la liberté de pensée et d’expression qui glisse lentement hors de ce monde…

 

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