De ma sixième leçon dans le désert


De ma sixième leçon dans le désert

 

Le désert n’est pas uniforme. Il n’est pas unique. Il est diversité.

 

Après le paysage lunaire des derniers jours nous sommes entrés dans un environnement différent fait de petites collines rocailleuses, de gorges de terre rouge, d’anciens lits de rivières maintenant taries, d’étendues arides et pierreuses desquelles des buissons écorchés par le soleil émergent par endroits tandis qu’ailleurs la vie semble retrouver une plus grande pugnacité et s’aventure à tester l’endurance des éléments en jetant quelques tubercules ou arbustes en éclaireurs.

 

La chaleur reste la même, implacable, infernale, le ciel est semblable à lui-même, je veux dire gris-bleu, le soleil est inutilement grotesque et se pavane d’est en ouest comme s’il n’avait rien d’autre à faire, le sol est inégal mais dur, on ne s’y enfonce plus mais on trébuche, ce qui pose bien entendu des problèmes à l’autruche, volante et trébuchante, et parfois on chute, ce qui est mon cas, à deux reprises depuis ce matin, avec peu d’élégance je dois en convenir, mais sans conséquences problématiques, pas de meurtrissures particulières, ni de blessures qui sous ce soleil-là seraient problématiques.

 

Maria au regard si éloquent et profond que je m’y ressource avec bonheur et la jeune fille au mouchoir rouge marchent en tête de notre dérisoire cortège et continuent à avancer avec grâce et retenue, économisant leur geste pour ne pas perdre inutilement de l’énergie, parlant avec calme et pondération et évoquant des problématiques diverses profitant ainsi des méandres du temps qui sont à leur disposition.

 

Je ne bénéficie pas d’une telle chance, je ne peux participer à de telles discussions, c’est à peine si j’en saisis parfois la thématique, étant tout entier pris par une seule et même préoccupation, survivre à l’instant, marcher dans leur pas, parvenir à maintenir une verticalité à ma démarche et ne pas m’effondrer en permanence.

 

Je ne distingue pas les paysages qui se succèdent, je ne perçois pas les nuances des couleurs et les changements dans l’ordre des choses, mais ai une conscience aigue des modifications même légères du degré d’insolation puisque là est le danger le plus important.

 

Parfois, nous nous arrêtons pour quelques minutes et je crois remarquer que mes deux guides observent l’horizon et détaillent ses nuances délicates, ses contours et éclairages, les extases qu’il procure et après avoir échangé quelques mots à cet égard se tournent vers nous, l’autruche volante, flottante et trébuchante qui me soutient de son aile protectrice et moi-même le passager de cette errance involontaire, et commentent à notre intention ce qu’elles voient « regardez la couleur de la roche, elle est presque noire mais son reflet est nuancé, il y a des marrons et des ocres, également de l’ébène, l’ombre dessinée par les cailloux parait à bien des égards plus claires que la couleur des rochers qui en sont à l’origine, c’est une des particularités de ces lieux, nous avons retrouvés un paysage d’ombre et de lumière, mais on dirait une image en négatif, c’est toujours très impressionnant, n’est-ce pas ? »

 

Je me force à regarder, j’essaie d’apprécier, mais ma gorge sèche ne prononce aucun mot, n’émet aucun son, car il n’y a pas d’impulsion de la part de mon cerveau liquéfié.

 

Je suis sauvé par des remarques amicales de l’autruche qui ressent mon désarroi « noir, blanc, qu’importe, les couleurs sont subjectives, les arbustes sont ce qu’ils veulent, je m’en fiche, tu t’en fiches, il s’en fiche, vive l’eau, vive le riz, vive le son, nous dansons maintenant ? car à Saint-Pétersbourg il fait froid et il n’y a pas plus d’amour, alors voilà, quoi, a, e, i, o, u, il y a juste l’i grec que je ne comprends pas, jamais compris, alors vos yuccas je m’en fiche aussi. »

 

Les deux femmes reprennent leur marche en avant, implacable, à peine perturbées par les remarques oisives de l’étrange oiseau et mon silence grotesque, elles doivent être habituées.

 

En cette journée qui est celle de la femme puisque tous les jours devraient l’être je ne peux que m’émerveiller de l’endurance, la persévérance, l’intelligence, l’élégance, la grâce et la faculté d’émerveillement de mes amies, qui est l’image en négatif de mes propres défauts, j’imagine qu’il s’agit là d’une autre leçon de cette longue errance dans le désert.

§512

Chronique – 4


DU VERT POUR LA MER, DU BLEU POUR LES TOMATES, DU JAUNE POUR LES FEUILLES, ET DU SOURIRE POUR NOUS  

 

Je ne sais pas si cela provient de ma rencontre avec le clochard d’hier – qui soit dit en passant est reparti avec sa jarre et sans mon réfrigérateur – mais je me suis éveillé ce matin avec une étrange pensée relative aux couleurs. La voici pour votre appréciation : j’en ai un peu assez des couleurs actuelles. Je sais ce que vous allez me dire : je suis blasé, un peu snob, dilettante, et manquant totalement de reconnaissance à l’égard de mère nature. Vous n’aurez pas tort mais le propre de ces lignes est d’être honnête envers vous, pas de chicanerie, pas de finesse inutile, juste la réalité et la franchise, jusqu’au bout.

Alors venons-en au but : je souhaiterais fortement changer de registre. J’en ai plus qu’assez de voir la mer et le ciel en bleu, les feuilles en vert, les couchers de soleil en rouge, jaune et orange et ainsi de suite, depuis la nuit des temps et ce jusqu’à la nuit des temps, d’une nuit à l’autre, du noir au noir. Notez bien que je ne propose pas de changer le noir ou le blanc, préservons-les tels quels, cela fera plaisir à un ancien président américain en laissant les choses simples, décryptables et catalogages.

Ceci je le dis en ayant conscience que cela pourrait frapper mère nature d’un sentiment d’ingratitude mais je lui dis par votre intermédiaire que je ne souhaite pas tout changer loin de là mais à un époque où la limite entre le virtuel et le réel a explosé je pense avoir le droit de déposer cette requête, soyons fous et flous, changeons et hissons les couleurs. Cela dépassionnera la politique car plus de drapeaux rouges, oranges ou dieu sait quoi – dieu sait probablement pas, mais cela c’est une autre histoire. Cela ramènera des sourires sur les visages désabusés de mes contemporains qui savent grogner, crier, bailler, pester, râler, geindre et se plaindre mais ne savent plus rire, sourire ou sur-rire.

Voici donc mon idée : le cercle chromatique immuable que j’utilise, celui de ma maternelle, est simple : jaune/rouge/bleu et entre orange/violet/vert ce qui donne dans un ordre au hasard : bleu, vert, jaune, orange, rouge, et violet. Faisons le tourner d’un cran chaque année.

Cette année sera la dernière en bleue, l’année prochaine sera en vert et la suivante en jaune.

Donc, pour 2015 voici le programme : la mer, les océans et le ciel seront en vert ; les feuilles en été seront jaunes ;  en automne elles seront oranges, rouges ou violettes ; le soleil sera orange et lorsqu’il se couchera il dévoilera des teintes rouges et violettes ; les tomates, les cerises et les feux arrière des voitures seront violets.

En 2016, nous aurons un joli ciel jaune et les feuilles seront oranges en été et violettes ou bleues en automne tandis que les tomates vireront au bleu.

Je vous laisse imaginer le reste à votre gré. La poésie envahira notre vie et nous serons en extase en permanence. Le réveillon de nouvel an sera attendu avec autre chose qu’un bâillement ou un sourire blasé car le lendemain tout changera. Nos années ne seront plus administratives, 2021, 2022, 2023 ou que sais-je d’autre mais bleues ou rouges. En quelle année es-tu née ? C’était l’année violette du troisième cycle… Joli, non ?

Par ailleurs et surtout, en agissant ainsi nous permettrons aux humains de redécouvrir le monde autour d’eux, celui-là même qu’ils ou elles ont perdu l’habitude de regarder et apprécier. Ce sera le retour aux sources et à la beauté non point lissée et léchée façon magazine de luxe pour clientèle exigeante mais beauté toute simple de derrière les fagots, celle que nous avons perdu l’aptitude d’apprécier.

Voilà mon programme. Il est assez simple et pour peu que mère nature dispose encore d’un reste de patience pour nous les ridiculement inutiles et inutilement ridicules humains peut-être pourrait-elle envisager de nous faire cette surprise et nous laisser rêver de lendemains colorés…

§412

Fragments d’épopée – 7


La révolte des chevelus

 

Tandis que Babel se consumait

Que les innommables se réjouissaient

Les nuées de chevelus marchaient ivres, replets et dociles vers les ports pour embarquer et quitter l’immense territoire de Naos

Les mers et les fleuves étaient investis d’autant de navires que le désert l’est de roches

Toutes voguant vers le levant ou le couchant

Le vent les poussant vers leur destin

Loin de celui du peuple de naos ivre lui aussi mais de satisfaction et de jouissance

Radieux à l’idée d’avoir anéanti ceux qui rejetaient amour et haine

Et n’avaient pas compris la force de l’amour

Et avaient ainsi été sanctionnés par la mort et la souffrance

Mais restèrent certains des chevelus qui perçurent que si la force avait permis de vaincre les géants de Babel, elle pourrait aussi vaincre le peuple de Naos

Qui, s’il était intelligent et riche, rusé et ambitieux, fourbe également, était également faible et chétif

Qui, s’il était composé de vivants pouvant allonger leur vie sur près de trois cent ans, l’était également de nabots chétifs et craintifs

Riant faussement pour cacher leur crainte permanente

Et usant de leur richesse pour pervertir ceux qui n’étaient pas les leurs

Puis les tuant en les accusant de ne pas avoir suivi la voie de l’amour et du bonheur

L’un des chevelus s’appelait Spica

Comme ses semblables, il ne savait parler et communiquait avec ses sbires par signe et grognement

Comme eux, il ne connaissait autre chose que rapport de force envers ses contemporains,

Méfiance, fuite ou agression à l’encontre des autres vivants,

Et, par peur de la nature, de la vie et de la mort, respect envers l’inconnu, les Eléments et leurs alliés

Il était écrit qu’il serait utilisé par ceux-ci pour reprendre le contrôle d’un monde que les peuples de Babel puis celui de Naos avaient tenté d’éclipser

Spica et les siens se réfugièrent dans un pays de montagne, aride et froid

Ils bâtirent une cité de bois et plantèrent des bustes à l’effigie des dieux

Ils se prosternèrent face à des autels de pierre

Ils immolèrent les blessés et quelques prisonniers et donnèrent leur cœur et leur sang aux divinités assoiffées qui songeaient que l’heure pourrait bientôt être venue de reprendre leur long combat et nommer ceux qui refusaient de se nommer et compter ceux qui ne pouvaient l’être

Et s’éprirent de ce peuple farouche, stupide et muet

Qu’ils protégèrent des rigueurs et vicissitudes du climat et de la stérilité de la terre

Les faisant prospérer tels les insectes ou les rats

Attendant le moment propice pour retrouver le dessus sur les peuples de Naos et d’autres à venir

Spica apprit un langage en priant les divinités et il l’appela souffle divin

Il apprit l’écriture en la voyant inscrite dans la roche et les nuages et le nomma larmes divines

Il apprit à compter en scrutant l’horizon sur lequel se dessinaient les bêtes et les erres et détermina qu’il s’agissait du toucher des dieux

Il s’isola pendant cinquante sept années dans une vallée austère en interdisant à quiconque de s’approcher

Et lorsque vint le temps de la révolte il sortit de celle-ci affublé d’un corps d’athlète et d’un visage glabre et fluet

Il imposa à chacun selon son rang de se raser la moustache, la barbe, les cheveux ou les poils, considérant que les chevelus appartenaient au monde animal et que lui touchait au divin, et que dorénavant chaque caste en fonction de son rang et statut se reconnaîtrait à sa pilosité particulière

Mais lui était le seul pouvant se permettre de n’avoir aucun poil ou cheveu

Et lorsque survivait un vivant affublé de semblable qualité au-delà de l’adolescence il le tuait et offrait son cœur aux divinités

Cinquante sept années s’étaient écoulées et le peuple des chevelus avait prospéré sous la protection des Eléments et de leurs alliés

Tandis que ceux de Naos avaient été accablés des pires calamités que leur monde eut supportées

Sans se douter ou comprendre qu’il s’était agi d’une vengeance des Eléments et de leurs alliés, trop contents de la victoire de Naos et la disparition de Babel

Les chevelus avaient vu leur nombre multiplié par dix

Tandis que d’autres des leurs étaient revenus d’au-delà des mers

Et que le peuple de Naos faisait face avec courage mais désespoir aux assauts d’une nature devenue folle, confondant hiver et été, pluie et aridité, vent et sérénité

Et avait perdu très largement de sa superbe et de sa suffisance

Et dont les sourires ne parvenaient plus à masquer la douleur

Que la faim, le froid et la mort provoquaient

Indubitablement

Spica se fit couronner dieu vivant à l’équinoxe de printemps

D’une année débutant sous les chants des chevelus à qui il avait appris à chanter pour louer les divinités

Et décréta le début des hostilités divines contre le peuple de Naos

Et le reste des mondes

Le soulèvement définitif

La fin d’un peuple

Et l’apogée d’un autre

Il mit ses armées en route

Et se dirigea vers le peuple de Naos

Armé jusqu’aux dents

Promettant aux dieux de bâtir un palais immense avec les dents de ceux qu’il allait abattre

Sans se douter que la guerre allait être longue et la résistance de ceux de Naos acharnée

Fragments d’épopée – 6


Le règne des innommables

 

 

Or donc

A l’extérieur de Babel

Sur les terres qu’on appelait de Naos

Des peuples vivaient qui rejetaient eux aussi la folie des Eléments et de leurs alliés

Mais refusaient également la folie de Babel

S’employant à professer la paix universelle

L’amour infini

La joie et le bonheur

Et rejetaient toute tentative de chaos et de mort

Toute trace d’animosité

Qu’ils combattaient par la violence

Car une violence unique était tolérable

Disaient-ils

Si elle anéantissait une société décadente et pécheresse

Le peuple de Naos était constitué d’erres de taille modeste mais fort intelligents et solides

Pouvant vivre près de trois cent ans

Quatre fois plus que les géants de Babel

Ils étaient dirigés par un roi désigné par ses pairs

Et régnant jusqu’à sa mort

Et la société n’avait pas de structure autre que celle-ci

Et tous vivaient heureux et pacifiquement

Ceux qui ne le pouvaient ou ne le voulaient pas étaient condamnés à se suicider

Car le bonheur ne pouvait être affecté de dépression ou contrition

Le peuple de Naos était composé d’erres n’ayant pas de noms

Car ils refusaient de se nommer

Et même leur roi n’avait d’autre nom que celui de sa fonction

Sachant que les Eléments et leurs alliés souffraient de l’obsession de se nommer

Pour pouvoir se compter et se comparer et ainsi affirmer leur prédominance

Pour assurer ainsi leur domination sur les autres Eléments et s’affirmer ainsi à termes comme égal au Principe

Et le soumettre puis le démettre

Avant que le glissement à rebours n’ait absorbé et dilué toutes et tous

Dans la disparition finale

Et que l’un soit redevenu l’un pour la fin des temps

C’est ainsi que le peuple de Naos refusait de se nommer

Et que nul n’avait de nom

Et n’en n’avait pas besoin, se reconnaissant soit comme membre du peuple de Naos soit comme innommé

Les autres peuples les désignaient sous le vocable d’innommables

Ce qui les réjouissait

Ils ne savaient combattre

Mais ils recrutaient leurs mercenaires chez les chevelus

Des peuples arriérés et brutaux

Vivant au-delà des océans ou des mers

Venant des terres lointaines

Amères et sans nom

Vivant encore sous le joug des Eléments et de leurs alliés

Le peuple de Naos les recrutait

Pour écraser ceux qui ne voulaient s’aimer

Puisque la violence n’était admissible

Que si elle permettait d’éradiquer les infections de violence et de mort

Et lorsque leur travail de mort était achevé

Ils les renvoyaient dans leur pays dont le soleil ne caressait jamais la surface

Les chevelus portaient des noms, des prénoms et des vocables

Mais ne les utilisaient pas lorsqu’ils vivaient aux marges du pays des Naos

Profitant de leur largesse pour autant qu’ils demeurent silencieux et respectueux

Envers leurs maîtres du peuple des Naos

Ils les respectaient comme un chien mauvais obéit à son maître

Ou le faucon à son dompteur

Ou le cheval à un cavalier brutal

Sans résistance mais sans conviction ni respect

Par devoir ou crainte

Non point par amour ou compassion

Le peuple de Naos étendait son règne sur un territoire immense

Allant des frontières maritimes naturelles  aux sommets enneigés ou aux fleuves infranchissables

Ne connaissant nul voisin immédiat

Si ce n’était le pays des géants de Babel

Qui s’était isolé à tout jamais des vicissitudes des Eléments et de leurs alliés

Mais dont les préceptes n’étaient en rien ceux professés par le peuple de Naos

Et qui donc projetait depuis des siècles d’abattre en une attaque unique

Mais définitive

Toute trace du peuple convaincu mais vicieux de Babel

Et pour se faire amassait autour des sept enceintes des régiments immenses de chevelus

Prêts à fondre sans merci

En une vague immense et cruelle

En un cri unique et glacial

Sur le peuple des géants de Babel

Et les éliminer à tout jamais

Et détruire les traces de leur présence

Pour que le monde ne connaisse plus qu’amour et bonheur

Sans être contrarié par des reliques

D’un temps infécond et sombre

Triste et morbide

Alors qu’Eus et Nostra se réfugiaient dans une cache discrète

Le peuple de Naos attendait la chute des murailles

Abandonnées depuis fort longtemps

Et qui s’effritaient et se corrompaient

Sous les assauts de la pluie, du gel, de la sècheresse et des tremblements de terre

Sans se douter qu’il s’agissait alors

D’efforts des Eléments et de leurs alliés

Pour que l’inéluctable soit

Et que parmi les vivants se dressent les uns contre les autres

Leurs ennemis les plus virulents

Lorsque la septième muraille s’effondra sur la sixième

Sur le tas de pierre et rocs, troncs et gravas

Les chevelus par millions s’élancèrent

Et gravirent la muraille

S’élancèrent sur les traverses jusqu’à la première muraille

Descendirent les escaliers en hurlant

Et fondirent sur le peuple des géants de Babel

Qui ne comprirent ce qui leur advenait que lorsqu’il fut trop tard

Et ne purent résister à un contre cent

Par milliers ils furent mutilés, écartelés, torturés puis tués

Aucun des adultes ne fut laissé en vie

Les enfants furent pour la plupart noyés

Babel fut brulée

Les flammes s’élevèrent jusqu’au ciel

En une journée les traces de siècles de présence s’effacèrent

Pour ne plus laisser que celles de la mort au milieu de ruines fumantes

Les Eléments et leurs alliés se réjouirent

Le peuple de Naos ferma les yeux

Paya ce qui était du aux chevelus

Se tourna des ruines encore fumantes de Babel

Et se félicita de sa destinée

De l’amour et de la paix universelle

Et fêta la tranquillité retrouvée

Tandis que les chevelus repartaient

Et qu’Eus et Nostra suivaient avec attention, effroi et tristesse la folie des vivants

Depuis la cache qu’ils avaient trouvée

Et songeaient avec mépris

A l’indignité des vivants

Fragments d’épopée – 5


Eus et Nostra

 

Les géants de Babel régnaient sur un monde entouré de sept enceintes et murs infranchissables

Ils avaient rejetés les éléments et leurs alliés, leurs lois et principes, et en avaient érigés d’autres

Ils souhaitaient que leur univers soit isolé du reste de l’univers

Pendant que le Principe sommeillait dans sa douce Torpeur et que le glissement à rebours procédait avec lenteur

Ils imposaient leurs lois et principes et l’exil à tout jamais en haut des murs de Babel était à la fois une juste rétribution pour les doctrinaires sombres et une punition pour ceux qui défiaient les lois de Babel

Car ceux qui méritaient l’exil montaient au sommet des murs pour y vivre une éternité d’isolement et de tranquillité, vivant des expédients que les géants d’en bas leur envoyaient régulièrement

Car ceux qui ne le méritaient pas gravissaient les marches et erraient sur chemins de ronde au sommet des murailles sans comprendre pourquoi et sans bénéficier de soutien

Lorsque des corps s’écrasaient au bas des murs, les doctrinaires disaient qu’il s’agissait des indignes

Lorsque des feux brulaient au sommet, les doctrinaires disaient que les doctrinaires sages exilés volontaires à la fin de leur vie faisaient fête et joyeuse bombance

Mais personne n’était jamais redescendu des murailles

Et personne ne pouvait prétendre deviner ce qui se passait en haut

Mais tous feignaient de croire ce que disaient les doctrinaires sombres

A chaque assemblée annuelle des peuples de Babel, une cérémonie était organisée, regroupant tous les peuples de Babel, pour célébrer celles et ceux qui après des années de labeur bénéficiaient enfin du repos éternel au sommet des murailles

Une longue procession amenait ceux-ci au pied des escaliers cérémoniels ouverts pour l’occasion

Et les doctrinaires sombres s’y précipitaient en chantant pour gagner leur retraite bien méritée

Au même moment, les condamnés de toute sorte partaient en pleurs et hurlements dans la même direction, piqués par les doctrinaires sombres qui tuaient ceux qui résistaient

Montaient ainsi dans la même foulée les vertueux et les pervers

Sans que l’on sache qui était qui

Ni ce qui advenait au sommet des murailles

Or, il advint qu’un homme et une femme, Eus et Nostra, s’étaient aimés pendant des mois et avaient refusé les unions qu’on leur avait proposées

La condamnation était inéluctable et ils s’en satisfirent

Ils s’aimaient et préféraient la mort ensemble à la vie séparée

Ils partirent décidés en haut des murailles et gravirent les marches innombrables la main dans la main

Lorsque les portes constituées de sept pans métalliques se refermèrent sur eux, ils laissèrent le flot des doctrinaires sombres partirent en courant poussant devant eux les condamnés hystériques

Eus et Nostra marchèrent près de deux mois

Gravissant des marches  de plus en plus détériorées

Longeant des murs de plus en plus abimés

Chevauchant des cadavres morts de faim, soif ou violence

Se nourrissant de baies ou feuilles poussant hors de la muraille abandonnée

Buvant de l’eau recueillie lors des pluies régulières

Ils souffraient mais avançaient

Car ils cherchaient la quiétude pour vivre leur amour qu’il pensait unique

Eus et Nostra finirent par atteindre le sommet de la première muraille

Ils découvrirent un paysage de désolation

Des murs ruinés

Des dalles descellées

Des pans éventrés

Des tours chancelantes

Des cadavres ou squelettes, témoins de batailles grotesques entre vertueux et condamnés, entre vertueux et entre condamnés eux-mêmes

Gisaient des tas de nourriture en putréfaction que nul n’avait jamais touchée, si ce n’étaient des corbeaux ou vautours qui trouvaient ainsi accompagnement à leur plaisir principal

Au-delà de la première muraille, ils virent la seconde, puis la troisième jusqu’à la septième

Chacune en plus mauvais état que la précédente

Car nul n’entretenait ces enceintes pourtant considérées comme sacrées et essentielles pour protéger le peuple des géants des autres

Pour séparer les vivants des alliés des Eléments

Pour distinguer les vertueux des innommables

Et Eus et Nostra virent par delà la dernière muraille quasiment détruite des fumées de milliers de chevelus qui attendaient que les Murs de Babel chutent pout envahir la cité

Ils comprirent que la fin de Babel était proche

Que le temps des innommables s’annonçait

Que les géants vivaient leurs dernières années de paix

Que leur chimère de séparation et d’isolement par rapport aux Eléments et à leurs alliés qui s’appelaient dieux, déesses, prophètes, saints, idoles, justes, héros, bienheureux, élus, augures ou croyants allait bientôt s’écrouler en même temps que les murs dont ils vénéraient la puissance

Que les Eléments et leurs alliés allaient reprendre le dessus

Dans un combat qui ne faisait que commencer

Tandis que le Principe sommeillait dans sa Torpeur lasse et magnifique

Et que le glissement à rebours reprenait ce qui avait été donné

C’est ainsi qu’Eus et Nostra s’éloignèrent et se cachèrent

Laissant aux autres le soin de combattre

Un combat qui n’était pas le leur

Vivant des mets arrachés aux charognards

Se cachant des erres qui parfois titubaient vers eux avant de sombrer leurs silhouettes décharnées en bas des murailles

Et qu’en bas on célébrait en chantant la chute d’un autre des condamnés

Exilés pour le bien de la communauté de Babel

Eus et Nostra se préservèrent et vécurent leur amour

Tandis que la première muraille s’écroulait

Et que le règne des innommables débutait

Fragments d’épopée – 4


LIVRE II

 BABEL, NAOS ET LES CHEVELUS

 Le temps de Babel

 

Certains des vivants s’étaient séparés des Eléments et de leurs alliés qui s’appelaient dieux, déesses, prophètes, saints, idoles, justes, héros, bienheureux, élus, augures ou croyants

Ils s’étaient isolés d’eux puis regroupés entre eux

Formant des espèces, races, peuples, clans et familles

Unis par le rejet des Eléments

Et le désir de compréhension

Et le souhait de la conscience

 

L’un de ces peuples vivait à Babel

C’était un peuple de géants, puissants et vifs

De tous les peuples c’était celui le plus opposé aux Eléments et à leurs alliés

Il était dirigé par une cohorte de doctrinaires sombres

Qui professait toutes les valeurs opposées à celle des Eléments et leurs alliés

Et comme ceux-ci avaient créés la haine pour perpétuer la mort mais également l’amour pour perpétuer la vie et générer la peine et la souffrance, ils rejetèrent l’un et l’autre

Ainsi que toutes les créations des Eléments

Ils érigèrent un Mur, le Mur de Babel

Un Mur de pierres et roches, comprenant plusieurs murs, l’un autour de l’autre, sept murs en tout, sans aucune porte d’entrée ou de sortie

 

Le Mur de Babel comprenait sept murs infranchissables

Hauts de plusieurs centaines de mètres et au sommet duquel sept passerelles avaient été construites pour relier les uns aux autres

Les murs frôlaient les nuages et étaient si hauts

Que mêmes les géants qu’ils étaient ne pouvaient les franchir

Isolant le peuple de Babel des autres vivants considérés comme des créatures des Eléments et de leurs alliés

Et les doctrinaires sombres imposèrent le rejet de toutes les valeurs considérées comme étant celles des Eléments et leurs alliés

L’amour et la haine, la pitié, la peur, le courage, l’humilité, et le respect

Toutes furent rejetées

Et nul ne pouvait s’en reconnaître

Au risque d’être condamné à errer au sommet des murs

 

Chaque vivant était obligé à rejeter toutes ces valeurs, à n’en professer aucune, à vivre isolé en lui-même tout en vivant dans la communauté des géants de Babel

Les parents ne pouvaient ni aimer ni détester leurs enfants

Les enfants ne pouvaient ni respecter ni blâmer leurs parents

Les amis ne pouvaient s’apprécier

Les ennemis ne pouvaient se détester

Les couples ne pouvaient exister que par et pour la reproduction

Et l’amour ne pouvait unir qui que ce soit

Tout vivant suspecté de s’être abaissé aux valeurs imposées par les Eléments et leurs alliés qui s’appelaient dieux, déesses, prophètes, saints, idoles, justes, héros, bienheureux, élus, augures ou croyants, était exilé au sommet des Murs

Pour l’éternité

 

Les géants vivaient isolés mais en communauté

Les enfants étaient séparés de leurs parents

Les anciens étaient distribués équitablement entre chaque communauté

Les couples étaient choisis de telle manière qu’ils ne puissent ni s’aimer ni se détester

Et si tel était le cas ils étaient séparés

Les réunions étaient interdites car l’attirance ou le rejet pouvaient y émerger

Les seules autorisées concernaient les séances de lectures des dogmes à rejeter, des vices perpétrés et perpétués par les Eléments et leurs alliés, et des lois en vigueur à l’intérieur des enceintes de Babel

 

Chaque communauté était dirigée par un doctrinaire

Les doctrinaires étaient réunis en petits groupes dirigés par un doctrinaire sombre

Il y avait sept doctrinaires sombres

Chacun dirigeait l’ensemble des communautés à tour de rôle mais ne pouvait le faire que trois fois

A l’issue de trois cycles de présidence, chaque doctrinaire sombre était isolé au sommet des murs

Car la vanité était considérée inéluctable

Et la solitude bénéfique

 

Les journées étaient divisées en sept heures

Les mois lunaires étaient divisés en sept semaines

Les années solaires étaient divisées en sept mois

Chaque journée était marquée par la lecture d’une loi de Babel par un doctrinaire

Chaque cycle de sept lectures était marqué une grande lecture de sept lois et commentaires

Chaque mois lunaire était célébré par un séminaire dirigé par un doctrinaire sombre

Chaque année solaire était marquée par une assemblée du peuple de Babel

A l’issue de laquelle les couples étaient séparés puis reconstitués sous des formes nouvelles, les isolés réunis, les anciens répartis dans d’autres communautés, les nouveaux doctrinaires choisis, les anciens exilés

 

La paix régnait à l’intérieur des sept murs de Babel

Mais deux vivants allèrent changer le cours des choses

Pour surmonter les paradoxes de Babel

Et se réunir par delà les contraintes et obligations des doctrinaires sombres

Parce qu’ils s’aimaient

Parce qu’ils avaient compris que les lois de Babel n’allaient pas à l’encontre des Eléments et leurs alliés mais en leur faveur

Que l’ambiguïté et la confusion des doctrinaires sombres leur avaient été suggérées par ceux-là mêmes qu’ils voulaient rejeter

 

Mais au-delà de leur isolement et ce qu’allait être leur apport

Des dangers bien plus importants étaient prévisibles

Car l’isolement n’est jamais autre chose qu’une fuite sans fin

Dont l’issue est inexorable

Et la mort l’alpha et l’oméga

S’annonçait le règne des innommables

Et au-delà celui d’Eus et Nostra

 

 

Fragments d’épopée – 3


La Rébellion

 

Le grand chaos avait investi tout univers

Tout monde

Toute espèce

Toute race

Tout peuple

Tout clan

Toute famille

Tout individu

Tout vivant

 

Nul n’était exempt des conséquences du grand chaos

La haine et l’amour

La vie et la mort

Tout était lié

Le Chaos visait à ce que les principes de la vie disparaissent

Et que ceux de la mort se propagent

Pour que les Eléments et leurs alliés puissent se compter

Et prévaloir l’un sur l’autre

 

Mais les vivants étaient torturés

Et se tournaient vers les alliés

Et leurs demandaient des comptes

Voulaient comprendre

Pourquoi ils étaient la proie des grands chaos

Pourquoi au sein des espèces, des races, des peuples, des clans, des familles, des individus et des vivants eux-mêmes, il n’y avait que chaos

 

Mais d’explication il ne pouvait y avoir

Puisque les Eléments ne souhaitaient que les nommer et les compter pour prévaloir sur les autres

Ils craignaient que de la compréhension naisse la conscience, et de la conscience le savoir, et du savoir l’identification, et de l’identification la rébellion

 

Les Eléments se tournèrent contre ceux des vivants qui voulaient comprendre

Ils exigèrent de leurs alliés de combattre la compréhension et abolir toute revendication

Le grand Chaos s’accentua puisque les Eléments et leurs alliés combattaient non seulement les créatures des autres Eléments mais également les leurs

Ils créèrent pour leurs créatures la souffrance

La pitié

La peur

La honte

L’humilité

Le respect

La soumission

 

Les mondes ne connurent plus que malheur

Les cieux ne reflétaient plus que le sang déversé par les multitudes
Pour les Eléments et leurs alliés

Sans raison particulière

Il n’y eut plus une parcelle de tranquillité dans des univers marqués par l’effroi

 

La haine était dans tous les cœurs

Les vivants s’affrontaient au nom des principes et des illusions qu’ils en avaient

La mort était non seulement l’aboutissement mais le début de toute chose et tout être

Il n’y avait plus de finalité autre que la destruction

Les mondes avaient sombré

Ne restait que la mort

 

Le grand Chaos était maintenant si répandu que ni les Eléments, ni leurs alliés ne pouvaient le décrypter

Nul ne pouvait déterminer ce que chacun était

Ce que chacun pensait

Ce que chacun voulait

 

Et compter devint infiniment complexe

Les Eléments s’investirent tant dans cette tâche que certains vivants purent s’isoler

Réfléchir

Chercher en eux ce qui ne pouvait venir d’ailleurs

Et viser la compréhension par eux-mêmes

Loin des Eléments et leurs alliés qui s’appelaient dieux, déesses, prophètes, saints, idoles, justes, héros, bienheureux, élus, augures ou croyants

Et se regrouper

Et s’isoler des Eléments, de leurs alliés, des autres vivants et d’eux-mêmes

 

Ils prospérèrent

Car si leur situation n’était pas plaisante elle était moins exécrable que celle des autres vivants

Et, progressivement, chaque vivant perçut que si la compréhension était inatteignable, la soumission aux Eléments et à leurs alliés était intolérable

 

L’isolement et le refus se propagèrent

Sans réponse des Eléments qui ne pouvaient comprendre ce qui se passait

Et pensaient que la rébellion était le fait des autres

Le combat entre les Eléments s’amplifia tandis que l’isolement des vivants par rapport aux Eléments et à leurs alliés se propagea

 

Bientôt, certains des vivants se séparèrent des Eléments et de leurs alliés

Et s’instituèrent en êtres différents et autonomes

Ne répondant ni des Eléments ni de leurs alliés

Rejetant ces derniers

Et refusant que quelque vivant que ce soit ne se reconnaisse dans un Elément ou un de ses alliés qui s’appelaient dieux, déesses, prophètes, saints, idoles, justes, héros, bienheureux, élus, augures ou croyants

Il y avait ainsi au sein du Principe enfoui dans sa grande Torpeur une infinité d’Eléments se combattant et une finalité de vivants s’isolant

 

Les Eléments comprirent le danger que représentait la rébellion de certains des vivants

Le risque d’être pris en tenaille entre le Principe qui avait déclanché le Glissement à Rebours et les vivants qui s’étaient isolés d’eux

Ils déclanchèrent alors le temps de l’incompréhension, des faux jugements, de la confusion, de l’ambiguïté et de l’erreur

 

Le temps de Babel, de Naos et des chevelus était venu

La vie est verte


Partage / Cadeau


Partage/Cadeau:

 Je viens d’achever mon dernier opus que certains auront suivi en direct sur ce blog et qui s’intitule tout simplement ‘Demain…‘. Je voudrais partager la version pdf avec celles et ceux qui en feront la demande (par email à eric@erictistounet.com). Ceci pour vous remercier de votre soutien et vous souhaiter ainsi une belle et heureuse année 2012.

 Demain… est un roman illustré par quelques photos, se déroulant dans un avenir plus ou moins lointain où la peur et le soutien permanent et généralisé des systèmes informatisés sont les piliers de la société. Chacun, chacune s’est recroquevillé dans un périmètre de vie limité à son appartement avec quelques rares exceptions autorisées au coup par coup par les autorités. Mais, le virtuel est là et permet de s’évader ou mener une vie sociale épanouie, en apparence à tout le moins. Oui mais, les choses ne sont jamais aussi simples… Et si demain tout s’arrêtait? Bêtement, piteusement, une panne, inexplicable et inexpliquée… Telle est la grille de lecture de ce livre auquel j’ai tenté de conférer une autre dimension en y intégrant des photos (ce qui explique le coût assez élevé de la version papier).

 La version papier est disponible sur le site de thebookedition.com. Mes autres textes sont publiés par Petits Tirages, MPE, Kirographaires et Edilivre. Plus de détails sur mon site http://www.erictistounet.org

 Je vous souhaite une bonne lecture,

Amicalement, eric

La vie est neige