Des réalités qui s’entremêlent, d’amis qui s’empaillent, d’auteurs qui s’emmêlent et d’un second dialogue avec moi-même…


Des réalités qui s’entremêlent, d’amis qui s’empaillent, d’auteurs qui s’emmêlent et d’un second dialogue avec moi-même…

 

La pluie tombe du ciel uniformément anthracite, un gris fort triste, et dégouline sur les parapluies des humains qui marchent et mon visage qui n’est pas protégé des intempéries.

 

Ce monde résonne d’une sourde musique de fond, des battements de tambours forcenés et réguliers, ces chocs perpétuels des égos qui se cognent et s’affrontent cherchant à s’évacuer au-dessus des autres, se propulser vers les cieux et gagner l’immortalité des êtres par l’immoralité des âmes.

 

Rien d’autre ne filtre de ces têtes que des gages de grandeur, des ambitions effrénées, des étalages permanents des dits et non-dits. Ici tout se montre, ici tout se dévoile, ici tout se présente. Il n’y a pourtant aucun intérêt pour ce que l’autre ou les autres montrent ou dévoilent, tout le monde s’en fiche, cela n’intéresse pas, pourtant chacun et chacune se montre en un striptease moral permanent.

 

Je suis riche, je suis puissant, je suis forte, je suis beau, j’ai trois amants, j’ai deux maîtresses, j’ai des seins raccommodés, j’ai des enfants dont je me contrefiche, j’ai des fesses rehaussées, j’ai un sac Vuitton et il vaut cinq mille euros, j’ai un père à l’asile et une mère chez les putes, je vaux trois mille euros la nuit et quinze mille la semaine, j’ai une Maserati et un vison, j’ai deux statuettes Ming de contrebande, j’ai couché avec une mineure et je me porte bien, je suis malade et ma vessie est en plastique, j’ai volé trois i-pad pour rire mais ai revendu quinze grammes pour continuer de pleurer, mon psy m’a violée mais m’a suggéré d’acheter des FGZ et vendre mes MNSI pour mieux coller au S&P500 et ainsi de suite.

 

Ce monde pleure le cynisme comme la pluie.

 

Il y a peu j’errais dans un pays à feu et à sang brûlé par trois soleils, aujourd’hui je courbe l’échine dans un monde où il n’y en a aucun. Ne reste qu’un manteau de bruine et une cape de pluie, souillée et acide, qui marque les esprits et inonde les cœurs et fait disparaître l’espoir.

 

J’ai retrouvé Maria au regard si profond que je m’y suis si souvent perdu, et la jeune fille au chapeau rouge, leurs yeux sont ouverts mais vers l’intérieur.

 

L’extincteur existentialiste s’endort sur mon épaule droite tandis que les pingouins amateurs de Piero della Francesca jouent un jeu de cartes mystérieux assis sur le dos de l’auteur, mon alter ego, endormi sous un Vermeer blanc.

 

Pour votre information, sachez que je crois avoir retrouvé l’extincteur fort sage accroché devant la façade d’une boulangerie. Je lui ai parlé mais il ne m’a pas répondu. Je ne sais pas s’il s’agit ou non de mon ami prétendant être ambassadeur de quelques puissances extraterrestres et récemment historien officiel d’une révolution officieuse.

 

J’ai également trouvé un engin grotesque et bubonneux qui pourrait être une version mécanisée de la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne, elle se trouvait près d’une terrasse transformée en marché de produits de luxe et servait de radiateur à air pulsé.

 

Quant à l’autruche volante, flottante et trébuchante j’en ai retrouvé une version simplifiée en vitrine d’un taxidermiste. Ne pouvant y pénétrer pour les raisons expliquées les jours précédents, ce monde n’étant que de façade, j’ai posé mes mains en éventail sur la vitre mouillée par la pluie froide et ai tenté de discerner ce qui pouvait se cacher au-delà de cette pauvre amie empaillée et je crois avoir vu des ours blancs, petits, allongés les uns contre les autres, ceux-là mêmes qui s’étaient érigés en passagers clandestins de notre baignoire des mers.

 

Le monde dans lequel j’évolue est triste à mourir et mon monde à moi est lui-même empli de cadavres empaillés ou d’amis endormis.

 

Je suis revenu au centre de cette morne réalité, le musée des tableaux vierges et imaginaires, et me suis précipité au chevet de mon alter ego, l’auteur endormi.

 

J’ai débattu quelques minutes avec le grille-pain fataliste sur la meilleure manière de réveiller un artiste et il m’a dit que ces individus vivant dans un monde qui n’est pas le nôtre, les réveiller peut provoquer une perte de mémoire de catégorie 7 sur une échelle de Mysner-Maller en comprenant 12. Tu peux prendre le risque mais méfie-toi des conséquences.

 

Je lui ai demandé quelle était cette échelle mais il ne m’a pas répondu, s’est branché sur une prise en évidence et s’est enivré du parfum semble-t-il très particulier de l’électricité d’origine nucléaire.

 

J’ai donc opté pour la prise de risque maximale, me suis dirigé vers mon autre moi-même et me suis installé à califourchon sur son dos, juste devant les trois pingouins, l’ai secoué légèrement, puis, dans l’ordre, vivement, farouchement, et violemment.

 

Il a fini par se redresser et a souhaité des explications sur ma conduite, réaction évidente, banale et logique.

 

J’ai décrit mes anxiétés, mes douleurs d’âme et d’être, des incertitudes et mes regrets puis ai dit :

 

(Moi-même 1 / MM1) : cette réalité que tu construis est invivable, irréelle, inacceptable. J’en ai marre de cette grisaille et ce cynisme. Certains de mes amis sont morts tandis que d’autres sont en état d’hypnose.

 

(Moi-même 2 / MM2) : … et alors ? J’y peux quelque chose ?

 

MM1 : forcément ! Tu es auteur non ?

 

MM2 : oui, et ?

 

MM1 : et bien si tu as l’esprit suffisamment dérangé pour inventer un monde aussi pénible que cela tu devrais aussi pouvoir en concevoir un autre où nos potes ne seront pas empaillés.

 

MM2 : C’est sûr, mais cela ne changerait en rien ta situation.

 

MM1 : au contraire, cela changerait tout !

 

MM2 : Non, cela ne changerait rien pour toi.

 

MM1 : et pourquoi ?

 

MM2 : pour la simple et bonne raison que le monde que je suis en train de créer, ou plus exactement que j’étais en train de créer avant qu’un imbécile ne se mette à me gifler, n’a rien à voir avec celui que tu me décris. Ça c’est ton histoire, pas la mienne. La mienne, c’est un désert très aride dans lequel toi et tes copains tu te promènes. Il n’y a pas de pluie, pas de grisaille et pas d’humains car franchement les humains me font chier. Alors, si cela ne te dérange pas, je souhaiterais me remettre aussi rapidement que possible au travail. Je te saurais gré de bien vouloir te déplacer légèrement et me laisser travailler.

 

MM1 : … Mais, si ce n’est pas toi qui crée ce monde, c’est qui le responsable ?

 

MM2 : Tu peux pas imaginer combien je m’en fiche. Je te suggère de te rendre le plus rapidement possible au bureau des auteurs égarés et demander s’ils n’en ont pas trouvé un qui cuvait une bonne cuite dans un caniveau, ce qui expliquerait ton problème. Bon, je peux retourner à mes occupations ?

 

Je me suis tu car je n’avais rien à ajouter, j’étais accablé par le poids des évènements. Si mon alter ego n’est pas responsable de cela, qui l’est ? Si ce n’est pas son monde lequel est-ce ? Je suis un narrateur perdu dans un monde créé par un autre lui-même…

 

Combien ai-je donc d’alter ego ? Je vais dès demain faire paraître un article dans une feuille de choux électronique et demanderai que l’on m’indique la meilleure manière de retrouver le créateur de cette étrange réalité.

 

Si vous deviez avoir une idée n’hésitez pas à me le faire savoir à l’adresse suivante : réalité-perdue-v3/poste-restante-suisse-genève-1205.

 

Merci d’avance.

 

§542

Des étranges circonvolutions de l’au-delà et des circonstances qui ont conduit à une conversation entre deux moi-même


 

Des étranges circonvolutions de l’au-delà et des circonstances qui ont conduit à une conversation entre deux moi-même

 

Beaucoup d’évènements en une seule journée, je vais donc résumer ceci de manière relativement télégraphique, ne m’en veuillez pas je vous prie.

 

Tout d’abord, les ours ont disparu! Ils étaient quatre, passagers clandestins de notre esquif désuet et involontairement embarqués dans notre découverte de l’au-delà. Leurs dernières paroles datent de quelques jours déjà lorsque découvrant cet au-delà ni charmant ni charmeur, plongé dans une obscurité totale, suintant l’humidité et résonnant des paroles métalliques nous demandant de patienter un peu plus d’une année avant que l’on ne s’occupe de nous, l’un d’eux avait dit « ça va pas vraiment nous changer, l’obscurité et l’attente on connaît. Allez, une petite hivernation et ça passera » et ils s’étaient tous endormis en parfaite synchronisation et harmonie, une sainte, profonde et ultime sieste.

 

Ce matin, enfin je pense qu’il s’agissait de ce matin, allez donc savoir dans cette triste nuée sombre quelle heure il peut bien être, lorsque nous nous sommes réveillés, ils n’ont pas répondu à l’appel. Nous avons tâté le sol tatamiesque de cet au-delà de petite configuration mais n’avons rien trouvé. Le grille-pain existentialiste s’est référé aux paroles bibliques habituelles selon lesquelles les derniers seront les premiers et inversement et en a déduit qu’ils avaient été choisis par celui ou celle qui gère cet état particulier. Je ne suis pas sûr de partager cette opinion mais le fait est là, ils ne sont plus ici dans l’au-delà mais ailleurs, ce qui est peu précis vous l’avouerez. Cette disparition nous a cependant déstabilisés.

 

Nous avons alors assisté à une scène assez épique durant laquelle Nelly, la jeune banquière dont la finesse des jambes et la vivacité de l’esprit sont d’une proportionnalité arithmétique, et son ancien compagnon dont le nom et la présence n’ont aucune sorte d’importance, ont proposé de vendre aux enchères l’une ses chaussures à talons hauts de marque et l’autre sa gourmette en argent massif sur laquelle son prénom ridicule était gravé avec une modestie toute clinquante.

 

Je n’ai pas vraiment compris l’utilité de cette proposition dans la mesure où les acheteurs étaient en nombre limités, quatre en réalité, ne disposaient plus vraiment de moyens de paiement appropriés car qui saurait déterminer avec justesse le procédé utilisé dans l’au-delà pour subvenir à ses besoins, pour autant qu’il y en ait encore, mais Nelly a rétorqué avec promptitude que « la disparition des ours devrait nous inciter à la prudence, un peu de philanthropie et charité ne feront de mal à personne. Nous procéderons comme l’on procède toujours dans ce genre de situation nous vendrons des biens qui ne nous appartiennent pas vraiment à des gens qui les payeront avec des moyens qui ne sont pas vraiment les leurs au bénéfice d’une cause ignorée mais larmoyante pour le plus grand bien de l’humanité. Alors, s’il vous plait, agissez comme le font tous les bienfaiteurs anonymes, hurlez votre nom, payez à crédit, et souriez avec larme à l’œil et l’œil sur la jambe de votre voisine. » J’ai bien compris que l’anxiété de Nelly devait être montée d’un degré ou cran dans l’échelle non pas de Richter mais de Peter, du nom du paon qui sert à de référence ultime à tous les parangons de la fortune aisément acquise mais difficilement cédée. Nous avons procédé comme Nelly le souhaitait mais sans vraiment parvenir à détendre l’atmosphère.

 

Un peu plus tard, Bob le pingouin aux lunettes roses et grand amateur de Piero della Francesca, a été à son tour entraîné dans un état d’appréhension et d’angoisse fort poussé. Il s’est mis à trituré dans l’obscurité tout ce qui pouvait l’être. Il a fini par dénicher une sorte de thermostat sur lequel il s’est échiné à démonter le mécanisme dont il pensait qu’il permettrait d’ouvrir une porte. Le résultat a été de détruire ladite chose avec son bec fort aiguisé et déstabiliser par la même occasion l’horloge parlante nous indiquant le temps d’attente avant le jugement dernier, ou plutôt la comparution immédiate devant un jury appelé à jauger nos actes, faits et omissions.

 

Ainsi, au lieu de diminuer, le temps nous séparant de ce moment particulier s’est mis à augmenter et ce avec une rapidité exemplaire. La dernière fois où j’ai prêté attention à ce que la voix devenue subitement très aigue et mécanique disait, j’ai noté que nous avions reculé de deux mois dans le temps pour autant que ce mot veuille encore dire quelque chose. Cette situation n’a pas provoqué de grands applaudissements, vous l’imaginez bien, et l’autruche volante, flottante et trébuchante s’est saisie du grille-pain existentialiste et s’est mise à voler dans tous les sens.

 

Une autruche de taille conséquente volant dans un au-delà dont le volume est, je vous le rappelle, d’à peine 39 m3, n’est pas sans incidence et au bout d’un moment assez embarrassant j’ai demandé aux deux amis de bien vouloir se calmer mais en en vain.

 

Finalement, l’autruche s’est stabilisée au plafond et est parvenue à débloquer le soupirail par lequel nous étions arrivés en cet au-delà particulier. Cependant, étant revenu en arrière temporellement parlant, ce qui était au-dessus de nous n’était plus un océan gélatineux mais un océan tout court. L’eau s’est donc engouffrée dans l’au-delà en grandes gerbes fort impressionnantes en même temps qu’une lumière bleuâtre ce qui nous surpris et paralysé.

 

Nelly et le banquier, apprivoisés par les marchés et automatisés dans leur réaction aux situations d’urgence, ont écrasé tout ce qui pouvait l’être, surtout mon abdomen, et se sont empressés de nager vers la surface suivant l’autruche et le grille-pain qui avaient été les premiers à pouvoir franchir les portes de l’au-delà en sens inverse.

 

Bob le pingouin n’a pas demandé son reste et, après avoir hurlé quelque chose du style « cet au-delà est décidément très humide ,» s’est élégamment envolé ou plutôt a nagé avec fluidité d’une manière qui n’était pas sans rappeler l’ample gestuelle de Moïse séparant les flots de la mer rouge de confusion.

 

Ne restait plus que moi et j’allais suivre avec précipitation le chemin tracé par mes amis lorsque j’ai réalisé que mon double, mon autre moi-même, restait tranquillement assis sous les flots. Je n’ai pas souhaité m’en aller en laissant une partie de mon être, un autre moi, se noyer et j’ai donc nagé vers lui, ai saisi sa main et ai essayé de l’attirer, mais sans succès, vers la surface, puisque, en effet, toute l’eau de l’océan s’étant tassée entre nous au fond de l’au-delà et eux au-dessus de l’eau d’ici, il était devenu pratiquement impossible de se mouvoir avec aisance.

 

Je me suis donc étouffé, car mes poumons ne sont pas de contenance illimitée, et ai bu la tasse, enfin je veux dire que j’ai absorbé une énorme gorgée d’eau de mer, non radioactive s’il vous plait, on a assez de problème comme cela, mais de manière surprenante sans conséquence particulière sur mon état de santé. Je ne me suis pas noyé. D’ailleurs vous vous en êtes je pense rendu compte sinon comment aurais-je pu faire pour communiquer avec vous dans cette situation désagréable? Je me au contraire suis rendu compte que je pouvais respirer dans ou sous l’eau ce qui ne m’a au demeurant pas vraiment surpris, pourquoi le serais-je après toutes ces aventures ?

 

J’ai donc absorbé une grande quantité d’eau et me suis assis en face de mon double. J’ai essayé de parler mais les mots qui sont sortis de ma bouche ressemblaient plus à des bulles qu’à autre chose mais, dans les circonstances particulières de ce moment très chargé émotionnellement, je n’en ai pas tiré de conclusions spécifiques.

 

Nous sommes restés de longues minutes silencieux puis je lui ai demandé s’il allait bien mais lui en a fait de même. J’ai mis ma main sur sa bouche pour lui suggérer de se taire mais lui a opéré de la même manière. J’ai cependant fait preuve de plus d’opiniâtreté, persévérance et cohérence et ai fini par imposer un ordre strict dans notre conversation.

 

Je ne sais pas pourquoi mais la première question que je lui ai posé était : « comment t’appelles-tu ? » Ce à quoi il a répondu « Henri ». Je lui ai donc fort logiquement demandé s’il balavoinait un peu mais il n’a pas compris. Il doit être d’une autre époque, un peu plus jeune peut-être.

 

En tout cas, ceci a détendu l’atmosphère très chargée de cet au-delà fort mouillé et notant ce fait salvateur nous avons ri à l’unisson.

 

La conversation entre les deux moi-même vous sera relatée aorès-demain car je me sens un peu las et telle une carpe un peu lourde j’éprouve soudainement le besoin de me reposer en musclant ma bouche et répéter en boucle l’au-delà et l’eau d’ici sont humides, ce qui est peu surprenant vu d’ici.

 

On s’amuse comme on peu dans l’au-delà, je pense que vous l’aurez noté… A demain.

 

 

 

 

 

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