Des phrases et situations historiques, d’un débat avorté et d’un tango impromptu


Des phrases et situations historiques, d’un débat avorté et d’un tango impromptu

 

L’espèce animale à laquelle nous appartenons, je veux dire l’humain, est tellement persuadée être bénie des dieux, astreinte à une destinée hors du commun, exceptionnelle dans sa durée, capacité, intelligence et j’en passe d’autres et des meilleures, qu’elle confère à chaque évènement un rôle particulier dans le grand schéma de l’existence. Nous sommes au centre de l’univers, au centre de toute chose, et nul ne saurait nous contester cette place. Tout se lit à cette échelle. Tout doit se plier à cette règle, même les situations les plus banales.

 

Nous sommes sensés mourir, par exemple, en prononçant des mots des plus circonstanciés, des rimes à la Racine ou des paroles à la Voltaire, tout cela de manière très spontanée. Les dictionnaires sont pleins de ces paroles fécondes et grandiloquentes alors que naturellement l’essentiel de l’humanité disparaît sans rien dire du tout et le reste se contente de phrases aussi solennelles que « putains de lacets, fallait qu’ils se dénouent ici » ou « fallait être con alors » voire « qu’est-ce qu’il a à me pointer ce truc sur moi celui-là » ou encore « qu’est-ce qu’ils ont tous à me regarder comme cela, j’ai des boutons sur le nez ou quoi ? » et dans certains cas très exceptionnels « eh merde c’est pas trop tôt, qu’est-ce que je me faisais chier ici ». Bref dans bien des cas la réalité est fort loin de la fiction.

 

Il en de même des grands moments des destins individuels ou collectifs. Il y a un monde entre ce que cet exceptionnel homme d’état a dit face à ses troupes qu’il envoyait pour la plupart à la boucherie et ce qu’il a réellement bafouillé.

 

A notre humble niveau, dans ce pays perdu de tous, loin des tumultes du monde et des vicissitudes de l’histoire avec un H majuscule, nous reproduisons ces typologies particulières.

 

Je vous ai indiqué, je crois, que nos deux héros de la révolution en marche dans un pays dont ils ignorent aussi bien le nom que la langue, la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes et le Yéti anarchiste, devaient se rencontrer dans un débat de grande hauteur, le premier nommé représentant le comité de salut, santé, salubrité, ébriété, ordre, liberté et droit publics et le second la révolution opportuniste et utopiste des anarchistes contemplatifs.

 

Les deux avaient rendez-vous ce jour à la maison de la radio antérieurement appelée douce voix du pays triomphant et dorénavant intitulée demeure du peuple, pour le peuple et par le peuple, sous la tutelle de l’ancien ministre des sports et de la culture nautique dont, soit dit en passant, l’ancien portefeuille est passé à son cousin par alliance du côté de sa belle-sœur qui œuvrait charitablement au secrétariat d’état aux finances et au bien public.

 

Ils ont quitté notre pension de famille en même temps mais dans des véhicules différents, quand même, fallait pas mélanger les genres, chacun accompagné d’un des pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca, le troisième étant resté avec nous pour comptabiliser les points et les paris.

 

Cependant, la brave machine à gaz n’a pas fait cinq cent mètres avant de devoir s’arrêter prise de nausée après avoir mangé des crevettes dont elle aurait dû se méfier et dont la petite fille au manteau rouge qui a fait irruption dans notre vie récemment nous avait assurés qu’elles ne contenaient pas plus de dioxine que d’habitude, les gentils philanthropes propriétaires de mines environnantes s’y étant engagées solennellement lors de la dernières signature du renouvellement partiel des concessions pour 333 années supplémentaires. La machine à gaz a renouvelé ces haltes nauséeuses et basiques tous les cinq cent mètres et d’après des informations conviées par portables pingouinesques interposés il semblerait qu’au moment où j’écris ceci elle ne soit pas encore arrivée à la maison de la radio.

 

Quant au Yéti, ce ne sont nullement ses boyaux qui lui ont fait faux bond mais un stupide accident de tricycle intervenu à l’angle de l’Avenue Gustav Charles André III, renommée récemment Allée des miracles révolutionnaires, et du Boulevard Mustapha Abraham Matzicgh Senior, à présent le Sentier des Jouissances démocratiques et illuminées. Alors que son taxi s’engageait sur la voie dont il s’agissait, peu importe laquelle d’ailleurs, un tricycle d’enfant piloté par une grand-mère de 99 ans, cela ne s’invente pas s’il vous plait, portant une banderole sur laquelle étaient brodés les mots « Foutez le camp, tous, maintenant », s’est jetée littéralement sous les roues de la voiture, accident ou suicide ? l’histoire ne le dira probablement pas, provoquant des fractures assez sérieuses, un accident cardiaque heureusement rapidement jugulé et une hystérie collective plutôt misérable me semble-t-il, suivie par des protestations, des cris, des hurlements, des coups et des dégradations inopinées du véhicule Yétinien, dans cet ordre, et la fuite discrète de notre ami par la porte arrière gauche, tout ceci rapporté là encore par radio pingouinesque.

 

Nous ne savons pas où le Yéti anarchiste se trouve mais il est peu probable qu’il soit à la maison de la radio précédemment nommée n’ayant pas songé apporter avec lui l’adresse du bâtiment et ne parlant pas la langue autochtone.

 

Une très jolie femme aux yeux d’airain, très poétique n’est-ce pas? a annoncé il y a cinq minutes que le débat était remplacé par le troisième mouvement du concerto pour saxophone et casserole cuivrée en ut majeur et mineur interposés de Balthazar Bazille Brutus, dit les trois B.

 

Maria au regard si profond que je m’y perds si souvent m’a regardé et a simplement commenté « cela ne m’étonne pas outre mesure » tandis que l’autruche volante, flottante et trébuchante s’est mise à danser un tango particulièrement bizarre avec l’extincteur pourtant habituellement fort sage en chantant « que la révolution soit, l’autruche plane, les asperges fondent, l’avion flotte, les oies virent et moi je valse ».

 

Je pense qu’il est temps que j’interrompe la chronique de ce jour car je vais profiter de ces moments un peu plus calme pour rechercher notre ami perdu, je veux dire le grille-pain existentialiste réincarné en radiateur jaune artiste multiforme.

 

Ceci vous permettra de prendre du recul et absorber avec le sérieux qui s’impose les phrases et phases historiques dont ce compte rendu fidèle vous a été réservé.

wall324

Des retrouvailles des uns, de la disparition des autres et d’Hollywood


Des retrouvailles des uns, de la disparition des autres et d’Hollywood

Nous sommes ballotés par les circonstances, les évènements, la vie en général, nous sommes des bateaux ivres, nous errons de par le monde et au gré des vents, du hasard et des conséquences de nos propres choix ou omissions, nous sommes jetés sur des cotes hostiles ou plaisantes.

J’ai retrouvé Maria debout sur un char, haranguant la foule, la dirigeant vers une prison où elle pensait que nous, ses amis, nous trouvions encore, sans savoir que ladite prison avait été abandonnée et que nous étions libres, errant de notre côté, craignant son sort.

Nous nous sommes retrouvés tels des amants séparés de films hollywoodien, peu avant le générique de fin, larmes sur les joues, sanglots dans la salle, reniflements et soupirs, soulagements en prime de savoir que les images vont bientôt se figer et que la lumière reviendra, que tout va bientôt rentrer dans l’ordre des choses, qu’ils vont se marier et auront une pléthore d’enfants, de bonheur, de joie et tout et tout…

Nous nous sommes embrassés et avons réalisés qu’il y avait entre nous autre chose que de l’amitié. C’est une situation très réjouissante, surtout pour moi, car après tout s’il était évident de longue date que mes sentiments pour elle allaient largement au-delà de ceux liant deux amis ou connaissances l’inverse n’allait pas de soi. D’ailleurs, il restera à déterminer dans un avenir plus ou moins proche – disons lointain car après tout qui souhaite vraiment savoir cela ? – si le profond soulagement de nous retrouver en vie et en pleine santé n’a pas quelque peu masqué ou souligné la force de ces sentiments.

Plus tard, nous nous sommes installés dans la petite pension de famille choisie par Maria parce qu’elle accueillait généreusement un monde d’exilés, d’abandonnés ou de militants, et avons ensemble ri aux images du Yéti anarchiste appelant à la révolution permanente et celles de la machine à gaz rondouillarde à tendances politicienne interpellant la jeunesse, pour elle inconnue, d’un peuple, également inconnu, et lui enjoignant de cesser son tumulte pour se concentrer sur la reconstruction du pays, naturellement inconnu.

L’autruche volante, flottante et trébuchante, a regardé ce flots d’images bleues avec délice, sans les comprendre, sa tête posée sur les genoux de Maria et clignant fréquemment des paupières à force de regarder à la sauvette le visage radieux de celle-ci.

J’ai évoqué notre séjour dans ce charmant établissement pénitentiaire que nous venons de quitter et me suis gardé d’évoquer mes péripéties avec mon très charmant et gentil policier. Je n’ai fait que tracer à demi-mots nos épreuves et le sentiment de rétrécissement que nous avons ressenti dans notre cellule obscure.

Maria nous a décrit sa longue fuite, son errance avec les trois pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca et l’extincteur fort sage, qui les a conduits dans les faubourgs de la ville où nous nous trouvons actuellement, leur caches et camouflages successifs, puis leur implication dans les révoltes en cours, les premières manifestations devant la prison ayant résulté en une tentative manquée d’évasion, les nouvelles errances et enfin les manifestations décisives des jours précédents et le retournement de certains pans du pouvoir et la chute des autres.

J’ai été profondément soulagé de savoir que jamais, selon ses dires, Maria n’était tombée dans les crocs ou griffes des miliciens œuvrant dans les tréfonds et boyaux du système policier de ce pays.

J’ai été heureux d’apprendre le devenir des pingouins qui s’attelaient depuis quelques jours à la confection d’une grande bannière sur la place de la République et devant représenter à terme une partie de la bataille d’Héraclès telle que figurant sur les fresques d’Arezzo.

J’ai également été fort apaisé d’apprendre que l’extincteur fort sage consultait avec un groupe d’intellectuels les ouvrages d’historiens des différentes périodes révolutionnaires pour déterminer quelles devaient être les suites à donner à ce mouvement ainsi que les pièges à éviter.

Par contre, ni l’un ni l’autre n’a la moindre nouvelle du radiateur jaune, réincarnation du grille-pain existentialiste. Nous ne savons pas ce qui est advenu de lui. Maria pensait qu’il avait été enlevé par les miliciens en même temps que moi tandis que j’étais persuadé qu’il avait été sauvé par quelque heureux hasard et ce en même temps qu’elle.

Dans l’euphorie du moment, de nos retrouvailles si heureuses, nous n’avons pris garde à cette absence marquée et nous nous en voulons.

Il est évident que le tableau est incomplet, que le sort de notre ami fait ombrage à notre plaisir commun et que nous devrons incessamment arpenter à nouveau les artères de ce monde pour déterminer ce qu’il en est exactement.
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