De Piero, de Dante, de Fibonacci, des téléphériques et d’une bagarre mémorable
Je dois admettre que parfois il m’est difficile de conserver un semblant de calme face au comportement de mes compagnons. Qu’on en juge.
Nous sommes toujours dans cette belle et douce ville de Copenhague, bénéficiant d’un microclimat très sain, d’une végétation riche et foisonnante, souvent d’inspiration tropicale ce qui ne cesse de m’émouvoir et me surprendre, d’une population aimable, laborieuse et chaleureuse. Mais, en dépit de ces attraits, cette agglomération immense constitue un abri peu fiable pour nous en raison de la présence remarquée et notée de représentants de toutes sortes de puissances étranges et étrangères à notre poursuite. Hier, nous avons pris la décision de nous rendre à Bangkok par téléphérique pour éviter de rencontrer ces derniers. On pourrait donc s’attendre à ce que toutes et tous nous soyons à la recherche assidue d’un tel moyen de transport discret, bon marché et surtout peu surveillé. Eh bien non, tel n’est pas le cas.
Les trois pingouins aux lunettes roses ont soudain fait état d’un avenant à leur agrément, à savoir que la cabine future du téléphérique devait répondre aux proportions sublimes issues du nombre d’or ou de la divine proportion, celle-là même que Piero utilisait dans ses tableaux et que si cela n’était pas possible qu’il devait y avoir au minimum un lien avec la série de Fibonacci et qu’en tout cas il leur serait probablement parfaitement impossible de monter dans un véhicule ne comprenant pas à une référence même indirecte à ce nombre dont ils s’étaient tatoués la valeur, 1,618033989 sur le plumage entre les deux pattes, ce qui soit dit en passant n’est pas une chose si commune que cela.
Le grille-pain existentialiste a sombré dans une nouvelle dépression à l’évocation d’une proportion divine indiquant qu’il y avait là l’expression d’un doute affreux dans la mesure où la foi et le hasard se retrouvaient en directe confrontation, la nature ayant propension à révéler ce nombre parfois mais pas systématiquement.
Le réfrigérateur s’est lancé dans une approximation fumeuse sur l’impossibilité d’une présence divine en raison de l’absence de commisération divine pour le sort des réfrigérateurs voués aux gémonies leur vie étant achevée trop tôt de par les mauvais traitements leur étant réservé par l’humain dominant, les cas de tortures et mauvais traitements fréquents, voire le remplacement d’une génération par une autre sans autre forme de procès par élimination pure et simple sans que quelque divinité que ce soit ne se soucie des conséquences induites et que donc les pingouins pouvaient gentiment envoyer leur proportion divine où bon leur semblerait, par exemple dans le fleuve et que de toutes les façons lui répondait à une autre proportion de 1.523 et que ceci lui allait très bien.
S’en est suivie une confusion assez grande de laquelle la marmotte gracieuse, autrement nommée autruche volante, s’est démarquée en disant qu’elle ne souhaitait pas se mêler de ce qui ne la regardait pas et qu’elle préférait se pencher sur des sujets d’importance tel, par exemple, les raisons ayant motivés les agents du fisc à se préoccuper de notre situation ce qui naturellement a attiré l’attention du Yéti anarchiste qui, sublimement et stoïquement s’est arrêté dans son martellement d’un pingouin et a ajouté en serbo-papou-portugais : « il est vrai que je serais le plus heureux des individus si quelqu’un pouvait effectivement éclairer ma lanterne et m’indiquer pourquoi des fonctionnaires haut-de-formés me suivent pour m’extraire des taxes, impôts et rétrocessions fumeuses ?»
L’extincteur qui fumait dans son coin, chose assez rare pour être notée, lui a alors expliqué que la fiscalité était un mal nécessaire, qu’elle permettait de financer l’ensemble des dépenses publiques, les services nombreux que l’état fournissait à sa population bienheureuse dans des domaines aussi salutaires que la santé, l’éducation, la solidarité ou la défense passive et active contre les ennemis tous ligués contre nous, que les pauvres et les hyper-riches en étaient exclus et que ces derniers se rattrapaient amèrement d’une telle discrimination en remettant face aux caméras émues du monde entier une modeste contribution aux démunis ou autres causes diverses tout en pleurant et larmoyant face à tant de générosité.
Le Yéti anarchiste ayant proclamé face aux caméras bienveillantes son intention de rejoindre la fraction minuscule mais conséquente des hyper-riches philanthropes les agents du fisc bienfaiteurs avaient probablement vérifié ses dires et ayant constaté qu’ils ne disposaient pas du minimum garanti dans des comptes vierges aux îles du même nom en avaient tiré toutes les conséquences et le cherchaient pour le remettre à sa bonne et due place. Il a conclu bizarrement « quand même faut pas charrier, chacun à sa place, tout est immuable, le ciel est bleu cristallin, nous sommes fumeux, l’ordre social doit être respecté ».
Le Yéti m’a regardé et ne comprenant pas plus après qu’avant a continué son martellement pingouinesque et je suis parti avec Maria à la recherche d’un téléphérique. Ceci n’est pas forcément pour me déplaire dans la mesure où la contemplation de ses yeux me plonge dans un océan de béatitude et me promener main dans la main dans les rues de Copenhague est un ravissement à nul autre pareil.
Le problème cependant demeure. Où sont ces satanés téléphériques reliant Copenhague à Bangkok?