Des penchants Kierkegaardiens des grille-pains et des conséquences que cela peut avoir au Danemark
Je n’avais encore jamais observé un grille-pain en colère. Aujourd’hui c’est fait et croyez-moi, cela vaut le détour.
Nous étions en train de nous promener tranquillement dans les rues de Copenhague à la recherche du marché aux fleurs nocturne lorsque près du Palais royal et ses temples bouddhistes nous avons assisté à une scène étrange. Un homme est passé devant nous en souriant le regard perdu dans ses pensées. Le grille-pain l’a alors apostrophé en hurlant à sa manière stridente ‘Soren ? Soren ? C’est toi ? » Le jeune homme aux cheveux ébouriffés nous a regardé, interloqué, puis s’est enfui vers l’embarcadère aux milieux des stands de toutes sortes, des cris et du tohu-bohu habituel.
Il a disparu rapidement dans la foule. Le grille-pain s’est mis à courir de façon saccadée, tout à fait caractéristique des êtres mécaniques de cette nature. Malheureusement, un religieux bouddhiste affublé d’une tunique mauve et jaune a coupé sa route en lui marchant sur le fil électrique pendouillant benoîtement derrière tel un petit yorkshire laissé à lui-même par sa maîtresse d’un autre âge aux abords d’un parc à huitres ou le long de Canal Saint Martin.
Le grille-pain s’est électrifié et s’est mis à hurler « religieux ignorant, tu te prends pour qui ? Kierkegaard, votre grand philosophe, le seul que je reconnaisse, détestait les religions, ces abominables pourvoyeurs de violence et ces détourneurs de foi, la foi véritable, et là, aujourd’hui et maintenant, ici et nulle part ailleurs, alors que ce grand homme passe devant nous dans toute sa jeunesse éclatante tu m’as empêché de le rencontrer, un honneur insigne, un privilège jamais égalable, le … ».
Le moine était déjà loin et le grille-pain existentialiste continuait sa digression tandis que les pingouins à lunettes commentaient tout cela en disant plus ou moins « Kierkegaard on s’en fout, s’est Piero qu’il nous faut, non ? » ce qui n’a pas vraiment facilité les choses surtout lorsque le réfrigérateur s’est écrié avec son sourire à peine plus original qu’un soleil éclairant une grotte au milieu de l’hiver islandais « mais ce type il est pas mort genre y a une éternité » suivi par l’extincteur « oui, exactement, il craignait mourir à 33 ans mais il a tenu jusqu’à 42 ans, en 1855, ce qui ferait 17 ans et onze mois en âge d’extincteur ».
Le grille-pain a continué d’hurler tout en se tapant la tablette inférieure sur la tête : « bande de niais, profanateurs, exécuteurs de basses œuvres, vilipendeurs niaiseux et nauséabonds, vous ne savez pas ce que vous dîtes, ô grand Sören pardonnes-les car ils ne savent pas ce qu’ils disent ». «Ce qu’ils font, on dit ce qu’ils font pas ce qu’ils disent, tu pourrais au moins citer les textes correctement même si c’est pour les critiquer après. La justesse des propos et nécessaire en ce bas monde » a cru bon devoir précisé l’extincteur ce qui lui a valu un autre coup de fil électrique.
Maria, conciliatrice affectueuse et géniale médiatrice a essayé de s’interposer en rappelant que Kierkegaard était naturellement un grand philosophe, que ses travaux avaient eu un impact considérable sur la pensée moderne, que l’existentialisme lui devait tout, que ses recherches sur le désespoir était exceptionnels et que si elle-même était avant tout influencée par Descartes, Leibniz et Hegel elle se sentait proche de ce penseur. «Néanmoins » a-t-elle ajouté « il serait bon que tu te rappelles que le cher homme est décédé il y a un siècle et demi et que le jeune homme que tu as vu ne pouvait être celui-ci, à moins de croire en la réincarnation ce qui n’était pas forcément le cas de ton guide spirituel».
Ceci a calmé un peu le cher grille-pain mais il a néanmoins continué à grommeler pendant un certain temps, pestant contre ses amis et le moine déluré, recherchant du coin de l’œil le philosophe qui lui était si cher et qu’il croyait avoir vu au détour d’une promenade danoise. Il a fini par se calmer devant un étal de fleurs où il a acheté un bouquet de chrysanthèmes jaunes pour l’offrir à Maria.
Je pense que l’incident est clôt mais il nous faudra dorénavant être très prudents sur ces sujets délicats, la philosophie, les religions, tout cela est fort sensible et il convient d’éviter des problèmes éventuels en s’y référant.
J’ai demandé à chacun de ne plus aborder ces sujets qu’avec circonspection et respect et puisque la plupart d’entre nous professons des penchants philosophiques et religieux de nature différente il nous sera impossible de commenter ceux-ci, à l’exception de Maria à qui tout est autorisé, comment pourrait-il en être autrement ?