Quand le narrateur déraille…
Je viens à mon tour de me constituer prisonnier et ai avoué aux autorités, compétentes ou non, être responsable des évènements tragiques de l’année dernière, évènements dont j’ai finalement compris que je ne saurais jamais ce qu’ils ont été. J’ai précisé que mes amis, je veux dire le grille-pain existentialiste, l’extincteur fort sage, l’autruche volante, flottante et trébuchante, les trois pingouins amateurs de Piero della Francesca et le Yéti anarchiste et pyromane n’avaient absolument rien à voir dans tout cela.
Je dois confesser dans le cadre de cette chronique quotidienne dans laquelle je décris notre errance dans un monde que nous ignorons et qui nous le rend bien que la motivation de ma démarche n’était certainement pas aussi altruiste que celle de mes amis… Je ne souhaitais pas prendre sur moi la tristesse ou sauvagerie du monde, et de la même manière je ne désirais pas exprimer un acte politique majeur visant à affirmer haut et fort que nous sommes responsables et coupables, directement ou non, de tout ce qui peut survenir dans le monde qui nous entoure, non, pas le moins du monde, je dois être honnête avec vous, il en va de ma crédibilité.
Ce qui a déclenché mon geste grandiloquent est une toute autre affaire.
Vous la connaissez, pour autant que vous ayez lu le texte d’hier, vous aurez surement éprouvé un dégout certain à l’image du piètre individu que je suis se perdre sans autre forme de procès dans les bras de cette monitrice de sport, charmante il est vrai, alors même qu’à deux pas de là Maria au regard si profond que j’y ai sombré un nombre incalculable de fois m’attendait en devisant avec la jeune fille au foulard rouge.
Le dernier baiser échangé et les dernières paroles creuses et niaises de votre serviteur prononcées, il a bien fallu que je me rende à l’évidence, l’éthique imposait que je me présente sur le champ devant Maria et que j’avoue cette faute grave.
Les raisons ayant conduit à cette trahison étaient évidentes, une perte de valeurs, un effondrement des convictions, une angoisse permanente face à un ou plusieurs mondes inconnus, des logiques et valeurs incomprises, le sentiment de basculement d’un monde triste à un autre encore plus sordide, les bouleversements endurés par une humanité sans vision, dirigée par une élite écrasante et arrogante, le repli sur soi d’âmes et esprits n’ayant plus le courage de se révolter, tout cela était évidemment sous-jacent.
C’est cela que je devais expliquer à Maria, sans nier ma responsabilité, sans perdre de vue que le minimum de dignité de tout individu impose de savoir et devoir se mettre en question et accepter ses faiblesses, même les plus viles, et essayer toujours et encore de les surmonter.
C’est cela que je devais faire … mais c’est aussi cela que je n’ai pas fait.
Je ne suis plus revenu à la maison d’hôte où m’attendaient Maria et son amie, je n’ai d’ailleurs même pas eu le courage de les confronter directement, j’ai laissé un message à l’hôtesse d’accueil disant fort succinctement quelque chose du style suis retenu dans recherche du sens des évènements récents, serai un peu en retard, dinez sans moi. L’ambiguïté des termes n’était même pas volontaire…
J’ai erré dans la ville sombre et calme des heures durant, j’ai ruminé ma lâcheté, mon ignorance, ma banalité et la peur qui glace mon sang en permanence et finalement me suis rendu.
Je suis allé au bureau des réclamations et doléances étroites et sombres au titre des livres 1 à 7234 du Code des malaises divers et ai proclamé ma responsabilité lors des évènements fameux, si fameux que les ignore toujours.
Je dois admettre avoir été parfaitement et totalement soulagé lorsque des huissiers annexes et connexes de catégorie 3 et caste 56% m’ont finalement accompagné dans ma cellule d’isolement pour réflexion intime.
Tout plutôt que devoir affronter le regard si beau et si pur de Maria.
Que pourrais-je ou pouvais-je lui dire ?
Les raisons que j’ai piteusement mentionnées auparavant ? C’est du vent, rien que du vent… Je n’ai pas de conviction et encore moins de gouvernail dans ma vie, j’erre au rythme d’un vent que je ne sens même pas, je suis mes amis plutôt que l’inverse et, si j’essaie de comprendre les soubresauts de ce monde ce n’est pas tant par grandeur philosophique ou appétit de connaissance, non, pas le moins du monde, c’est simplement parce que j’ai peur de ce monde, c’est aussi simple que cela.
J’ai peur…
Et comme j’ai peur de ce qui arrive et que je ne parviens pas à comprendre, je fuis.
Et si hier je suis tombé dans les bras de cette monitrice de sport c’est parce que j’étais flatté que l’on s’intéresse à moi.
Et si je ne suis pas allé à la rencontre de Maria, c’est parce que j’avais une trouille pas possible.
Et si je suis dans cette cellule aujourd’hui, c’est parce que je veux être seul et qu’on me fiche la paix une fois pour toute.
Et si l’on m’électrocute ou autre petite gracieuseté similaire, franchement j’en serais très heureux.
J’en ai assez de ma lâcheté. Je n’en suis pas fier.
Je suis assis contre le mur gris et froid de ma cellule de réflexion. J’entends au loin mon amie autruchienne qui chante un sonnet incompréhensible tandis qu’un huissier de sécurité hurle gaiement : tu vas la fermer connasse ! On en a marre de tes geignements !
Je n’ai pas la force de crier pour dire que je suis là, à ses côtés, près d’elle et de mes autres amis. Non, je n’en ai plus ni le courage ni la force. Ce qui me restait d’énergie et d’espoir s’est volatilisé dans l’immense dégoût qui m’envahit. Voilà. Je vous ai tout dit.
Vous pouvez me croire, ou non, cela m’importe peu. Demain, peut-être, à l’heure où blanchit la campagne… vous connaissez le reste.