De ce que l’on peut apprendre dans les Nouvelles Monarchiques et Périgourdines et d’une bêtise que j’ai peut-être commise…


De ce que l’on peut apprendre dans les Nouvelles Monarchiques et Périgourdines et d’une bêtise que j’ai peut-être commise…

 

J’imagine que vous n’avez pas dormi la nuit dernière et que votre journée s’est perdue dans les brumes lointaines dont je vous parle tous les jours par chronique interposée en l’attente des nouvelles informations dont j’aurais pu être le vecteur fort utile suite à la lecture des Nouvelles Monarchiques et Périgourdines datées de Noël dernier que Maria au regard si émouvant et profond que je m’y perds si souvent m’avait laissée en lecture.

 

Pour ma part, j’ai bien dormi, merci.

 

S’agissant des nouvelles en question, nada, rien, pas un traître mot d’intérêt général ou particulier, le vide absolu, les limbes les plus profondes, pas un atome dans le vide dont je vous parle, même pas un dixième d’atome, et que les astrophysiciens viennent me faire la guerre pour partager avec vous une telle inanité, qu’ils vrombissent du museau et arguent que dieu du ciel c’est faux, archi-faux, qu’il y a toujours même dans le vide absolu des atomes qui se baladent, plusieurs centaines par mètres-cube de soi-disant vide, d’accord, je prends note, mais je m’en fiche éperdument, passionnément, dérisoirement, ceci n’est pas leur problème, ni le mien d’ailleurs, dans les Nouvelles Monarchiques et Picardes il n’y avait rien. Archi-rien.

 

Je pense que vous percevez un brin de désillusion et surtout d’énervement dans mes propos, et vous vous demandez nerveusement

 

(i) pourquoi ai-je pu bien dormir la nuit dernière ? et

(ii) quand est-ce que vous aurez le privilège d’en savoir plus sur ces évènements qui ont apparemment détruit une partie de cette ville et provoquer un carnage sans nom ?

 

Et bien à la deuxième question je répondrai ceci : je n’en sais rien, rien du tout, pas un chouia, pas le moindre début de quelque idée que ce soit, non, absolument rien, là encore un vide sidéral vidé de tous ses habitants atomiques ou quarkiens…

 

Quant à la première question, la réponse est la suivante : ceci ne vous regarde pas le moins du monde et si vous pensez que cela a quelque chose à voir avec un réconfort éventuel de la personne dont j’ai mentionné il y a quelques lignes ou minutes le nom et le regard, et bien, je vous laisse la responsabilité de vos pensées puisque de toute évidence je ne suis pas en droit, ou à l’envers, je dis ça comme cela, pour vous faire patienter un peu, de vous interdire de penser, quand même, ce sont des choses qui ne se font pas, je ne suis pas un conglomérat politico-militaro-industriel, je n’ai pas la possibilité de vous aiguiller sur de mauvaises pistes pour vous faire penser à autre chose qu’aux scandales du jour, à vous bassiner de nouvelles ineptes et ridicules pour vous faire oublier le reste, bonjour volcan, bonjour cousine de la fille de l’oncle du mari de la voisine de l’acteur principal de la série numéro un en Papouasie tropicale et andalouse, bonjour dernier film à la mode ou pas, bonjour crème solaire, bonjour petite biche toute jolie blessée par un méchant camion sur une méchante route de montagne, bonjour jolis soldats bien courageux du front occidental ou oriental, non, non, non, je n’ai pas ce pouvoir, bref, pensez ce que vous voudrez, je ne nierai ou ne confirmerai rien, sachez-le.

 

Bref, revenons à mes moutons, c’est-à-dire les évènements de l’année dernière dont nul ne veut me parler et au sujet desquels nous ne savons pratiquement rien si ce n’est que nos amis pingouins amateurs de Piero della Francesca, extincteur fort sage, autruche volante, flottante et trébuchante et grille-pain existentialiste ont avoué spontanément leur responsabilité et culpabilité pleine et entière, unique devrais-je immédiatement ajouter.

 

Chacun a déclaré avoir agi seul. Ne m’en demandez pas plus.

 

Ah si, je dois immédiatement ajouter qu’une vieille dame sourde s’est hier déclarée elle également responsable et coupable tandis que notre autre ami le Yéti anarchiste a été arrêté pour avoir incendié la bibliothèque municipale.

 

A ce rythme, les responsables et coupables uniques vont pulluler et il y aura bientôt plus de gens derrière les barreaux que devant.

 

Je lis et relis les Nouvelles Monarchiques et Pompéiennes et n’y trouve absolument rien.

 

Pas plus maintenant que ce matin ou cette nuit… Pour vous dire, j’ai même disséqué une heure durant une succession de treize nombres, 4, 75, 34, 12, 55, 3, 88, 45, 65, 32, 1, 44, 13, figurant en page 125 dudit document, les ai additionné, soustrait, multiplié ou divisé, les ai mis dans différentes équations et suites géométriques, ou algébriques, ai relu le Da Vinci code à l’envers pour essayer d’y trouver une clef à un code secret mais cela ne m’a mené à rien d’autant que j’ai plus tard constaté qu’il s’agissait de le loterie locale ayant rapportée trente mille écus-or au récipiendaire principal, Alexis Mathurin de Bluemenisl sur Herbe Tendre, ce qui franchement dans les circonstances ne m’est pas apparu comme très intéressant ou utile.

 

Ailleurs, il y avait des contes de Noël traditionnels, des fables d’Esope, d’Horace ou de ce brave et bon La Fontaine, et un très long essai sur la physique quantique telle qu’enseignée en primaire dans cette ville surprenante, ce qui, je dois l’admettre, m’a interpellé.

 

S’agissant d’évènements d’actualité, quelque chose qui aurait pu avoir un lien quelconque avec les incidents gravissimes de l’année dernière, rien, pas une phrase, pas une petite note de bas ou haut de page, si ce n’est des phrases ambiguës disant par exemple

 

La Comtesse de Saint-Just a expliqué avec virtuosité les différentes étapes de la confection des chapeaux ronds dont le niveau de production a atteint ces deux derniers mois le double du mois de Nivôse et a déclaré espérer retrouver un rythme normal dès ce printemps.

 

Les autruches sacrées de Bretagne ont été regroupées dans des centres de tri spécialement affectés à la protection des espèces nouvellement menacées et pour lesquelles les autorités ont indiqué qu’il fallait consentir un effort particulier compte tenu des circonstances.

 

Les procès pour corruption ou exhibition des hommes politiques de sexe masculin seront reportés sine die pour permettre d’absorber le trop-plein de ces derniers mois et faciliter l’élimination des goulots d’étranglement bien connus de nos lecteurs.

 

J’en passe et des moins bonnes.

 

Que dire ? Rien, je présume.

 

En passant près d’un stade en plein air sur lequel des jeunes gens pratiquaient un sport étrange mélangeant le rugby et le badminton, je me suis assis sur une tribune délaissée et ai regardé les jeunes se jeter les uns contre les autres avec ballons ovales et raquette légères utilisées tels des maillets et ai été rejoint par leur entraineur, une jeune femme au sourire léger comme un parfum de lavande.

 

Nous avons discuté de chose et autre surtout autre d’ailleurs. Elle me connaissait car notre petit groupe fournit un contingent important aux services pénitentiaires de la ville mais elle n’a pas paru particulièrement choquée.

 

A un certain moment elle a par exemple indiqué que : la situation doit être compliquée pour toi. Des amis qui se dispersent et se dénoncent, font des aveux et se rétractent, plaident systématiquement coupables et deviennent ensuite la risée de la foule et la cible d’attentats divers. Ce ne doit pas être très facile à vivre. Je compatis vraiment.

 

J’ai haussé les épaules de façon très masculine, signifiant quelque chose de parfaitement incongru et surprenant, vous auriez bien ri, quelque chose que l’on aurait pu traduire par : ne t’inquiète pas, tout est sous contrôle, tout est anticipé, tout est discuté, la stratégie est claire et suit un processus prédéterminé…

 

A la bonne heure, comme si quoi que ce soit était sous contrôle, surtout le mien…

 

Nous avons continué de discuter et bientôt les choses ont pris un tournant totalement bizarre et non anticipé.

 

Je ne sais pas comment j’expliquerai ceci à Maria…

 

Je me demande d’ailleurs si, compte tenu de ses propos dont je vous ai rapporté la teneur, je n’aurais pas dû pousser la conversation? Une erreur de plus j’imagine… et une profonde angoisse à l’appui.

 

Que vais-je dire à Maria…

 

J’imagine que je vais nier tout en bloc et dire que je n’y suis pour rien et que d’ailleurs je n’étais même pas là et que je ne connais pas cette fille du tout…

 

Je vous laisse, j’ai du travail à faire, façon introspection préventive.

 

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Du pouvoir de l’imagination, des toiles blanches et de Vermeer


Du pouvoir de l’imagination, des toiles blanches et de Vermeer

 

Nous nous trouvons dans un musée, un musée limité à quelques pièces seulement et aux murs truffés de tableaux blanc, invariablement blanc, des toiles que Malevitch n’aurait pas reniées, si ce n’est que des cartons les attribuent à d’autres, des visiteurs passent et repassent inlassablement, tous vêtus d’un pull rouge, tous équipés d’écouteurs fournis par le musée les guidant devant chaque toile et leur expliquant là où ils doivent regarder, ce qui doit être vu et ce qui peut ne pas l’être, leur débitant la confiture de la culture sur les toasts que sont devenus leurs esprits fatigués par les tourments d’une vie toute entière axée sur le paraître, la consommation et la survie, monter pour ne pas chuter, s’accrocher pour ne pas chuter, singer pour ne pas chuter.

 

Il y a quelques heures l’auteur, mon alter ego s’est endormi, lui aussi fatigué, épuisé devrais-je dire, les yeux tirés, rougis, les paupières basses, le sourire de circonstance et le phrasé presque kaléidoscopique. Il n’a plus la force m’a-t-il dit de faire autre chose que proposer des cases remplies au minimum en laissant le soin au narrateur que je suis de me débrouiller avec ce qu’il y a et surtout ce qu’il n’a plus l’énergie d’y ajouter.

 

Les visages des touristes sont tous similaires, indescriptibles de banalité et donc vierges de signification, l’humain non pas dans sa diversité mais sa normalité la plus implacable, et au-dessous des tee-shirts, des chemisiers, des pulls, des jupes ou pantalons, tous empilés les uns sur les autres, au gré de ce que les magazines proposent, donc imposent, avec des logos partout, des signes distinctifs qui clament la différence mais hurlent la similarité, nous nous fondons dans la masse, nous sommes donc la masse, et moi le narrateur je suis sensé vous raconter ce que je vois, vous décrire les nuances et les détails, mais il n’y a plus de nuance, tout est uniforme dans une apparente diversité, la pensée unique, la parole unique, tout est tellement prémâché que lorsqu’ils parlent, s’expriment, pensent, disent ou écoutent, je le ressens avant eux. Pourtant je suis eux aussi.

 

Je ne suis pas différent. Nous sommes tous pareils.

 

Après des millénaires de différentiation l’humain se robotise et annihile tout ce qui peut sembler une once de distinction, il n’y a plus rien qui affleure, circulez, chers amis, il n’y a plus rien à voir, tout est lisse, vernis, stéréotypé, le narrateur qui tente de suppléer les carences de l’auteur fatigué et maintenant endormi allongé au pied d’une toile annonçant Vermeer mais montrant du blanc, que du blanc, se trouve face à un Everest infranchissable, il ne peut plus rien vous dire car tout est dit.

 

Les pingouins amateurs de Piero della Francesca sont revenus tout à l’heure, comme si de rien n’était, accompagnés du grille-pain existentialiste et se sont assis sur l’auteur endormi comme s’il s’agissait de la dernière création d’un designer italien à la mode.

 

Je n’ai rien dit, un pingouin ce n’est pas bien lourd et le grille-pain n’est pas dangereux, il n’est pas branché… Le dernier nommé a regardé les toiles blanches et s’en est réjoui. Je lui ai demandé pourquoi et il m’a regardé interloqué.

 

Je lui ai posé à nouveau la question en expliquant en quelques mots ce que j’ai écrit plus haut et il m’a souri comme un grille-pain peut sourire, avec les grilles en éventail, et m’a dit : « mais c’est évident, enfin me semble-t-il, les Vermeer des musées, on les connaît tous, on n’a pas besoin d’aller les voir, d’ailleurs on ne peut même pas s’en approcher, non, ils sont entièrement décrits, analysés, soupesés dans des tonnes de livre, DVD, logiciels et applications diverses, inutiles d’en parler. Ce qui est plus intéressant est ici, devant toi, des toiles blanches que tu peux remplir au gré de ta fantaisie, tous les Vermeer que Vermeer aurait pu peindre et qu’il n’a pas peint, ou toutes les toiles qui ont disparu, ou les panneaux que l’on a volés, ou ce qu’il aurait voulu peindre sans en avoir le temps, bref tout cela figure dans ce musée de l’imaginaire qui est entièrement le tien. Tu te moques des touristes aux pulls rouges qui passent et écoutent tout ce qu’on leur dit avec gravité, solennité, naïveté, mais tu te conduis de la même manière. Essaie donc de regarder chaque toile avec attention et remplis les des plus beaux Vermeer que tu pourrais jamais imaginer, ceux qui n’ont pas existé, n’existeront jamais, si ce n’est dans ton esprit ».

 

J’ai acquiescé et ai regardé docilement le carré blanc au-dessus de mes amis regroupés en tas à mes côtés et j’ai commencé à distinguer des formes vagues et floues, d’abord un sol carrelé, bien sûr, puis une fenêtre, à gauche, et un tapis, et j’y ai mis un rideau de velours, d’abord vert puis bleu, je préfère le bleu, puis un après l’autre une table, une chaise, un livre, les fables de La Fontaine, non ! L’Enéide de Virgile, un verre, une carafe, derrière un mur avec des tableaux accrochés, Vermeer aimait cela, mais j’y ai mis d’autres Vermeer, ce qu’il ne faisait pas, pour faire jeu de miroirs, puis j’ai amené Maria, ma belle Maria au regard si profond que toujours je m’y perds et que je n’ai plus vu depuis tant de temps qu’il me semble que peut-être elle n’a jamais existé ailleurs que dans mon imagination, je l’ai revêtue d’une robe bleu ciel, très simple, peut-être pas d’époque car je ne suis pas expert en la matière, en rien d’ailleurs, mais c’est un autre sujet, un cou très lisse, des cheveux remontés, le regard tourné vers moi, vers le spectateur, le livre est dans ses mains, sa bouche est légèrement entrouverte, elle vient de dire quelque chose, au premier plan je distingue ce qui pourrait être une ombre, l’ombre du peintre, ou d’un visiteur, peut-être la mienne, au mur j’ajoute un petit miroir, à la Van Eyck, puis le change, trop simple comme image, c’est la carafe qui joue le jeu du miroir, la forme est là, inidentifiable, elle mire l’ombre, et je regarde la Maria de mes rêves et de mon passé dans un tableau qui enfin existe, pour moi et nul autre…

 

Je me tourne vers le grille-pain et le remercie, il sourit aimablement, il a compris. Nous sommes complices. Il se tourne vers le Vermeer blanc et acquiesce. Lui aussi voit un Vermeer, le plus beau, mais il s’agit du sien, je ne lui demande rien car ce serait indiscret, mais je souris à mon tour.

 

Subitement, tous les tableaux de la pièce de ce musée imaginaire viennent de se remplir des œuvres plausibles des plus grands artistes, des œuvres que je suis seul à pouvoir identifier ou décrire, puisqu’elles sont en quelque sorte miennes, même si elles appartiennent à l’univers du peintre qui aurait pu les concevoir ou qui, pourquoi pas, les a envisagées, conçues, espérées, dans son esprit. Il y a là un jeu des possibles et des plausibles, de l’imaginaire et du rêve qui ne serait pas pour déplaire à l’autre moi-même, l’auteur, s’il n’était en ce moment endormi sous trois pingouins et un grille-pain surgis de nulle part. Les touristes passent et repassent, leurs pulls rouges bien tirés et plissés, et nous regardent sans nous voir.

 

Tout est normal dans ce monde imparfait, à moitié conçu par un auteur éprouvé et fatigué, mais laissé pour le reste à votre imagination. A vous de jouer maintenant..

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