La révolte des chevelus
Tandis que Babel se consumait
Que les innommables se réjouissaient
Les nuées de chevelus marchaient ivres, replets et dociles vers les ports pour embarquer et quitter l’immense territoire de Naos
Les mers et les fleuves étaient investis d’autant de navires que le désert l’est de roches
Toutes voguant vers le levant ou le couchant
Le vent les poussant vers leur destin
Loin de celui du peuple de naos ivre lui aussi mais de satisfaction et de jouissance
Radieux à l’idée d’avoir anéanti ceux qui rejetaient amour et haine
Et n’avaient pas compris la force de l’amour
Et avaient ainsi été sanctionnés par la mort et la souffrance
Mais restèrent certains des chevelus qui perçurent que si la force avait permis de vaincre les géants de Babel, elle pourrait aussi vaincre le peuple de Naos
Qui, s’il était intelligent et riche, rusé et ambitieux, fourbe également, était également faible et chétif
Qui, s’il était composé de vivants pouvant allonger leur vie sur près de trois cent ans, l’était également de nabots chétifs et craintifs
Riant faussement pour cacher leur crainte permanente
Et usant de leur richesse pour pervertir ceux qui n’étaient pas les leurs
Puis les tuant en les accusant de ne pas avoir suivi la voie de l’amour et du bonheur
L’un des chevelus s’appelait Spica
Comme ses semblables, il ne savait parler et communiquait avec ses sbires par signe et grognement
Comme eux, il ne connaissait autre chose que rapport de force envers ses contemporains,
Méfiance, fuite ou agression à l’encontre des autres vivants,
Et, par peur de la nature, de la vie et de la mort, respect envers l’inconnu, les Eléments et leurs alliés
Il était écrit qu’il serait utilisé par ceux-ci pour reprendre le contrôle d’un monde que les peuples de Babel puis celui de Naos avaient tenté d’éclipser
Spica et les siens se réfugièrent dans un pays de montagne, aride et froid
Ils bâtirent une cité de bois et plantèrent des bustes à l’effigie des dieux
Ils se prosternèrent face à des autels de pierre
Ils immolèrent les blessés et quelques prisonniers et donnèrent leur cœur et leur sang aux divinités assoiffées qui songeaient que l’heure pourrait bientôt être venue de reprendre leur long combat et nommer ceux qui refusaient de se nommer et compter ceux qui ne pouvaient l’être
Et s’éprirent de ce peuple farouche, stupide et muet
Qu’ils protégèrent des rigueurs et vicissitudes du climat et de la stérilité de la terre
Les faisant prospérer tels les insectes ou les rats
Attendant le moment propice pour retrouver le dessus sur les peuples de Naos et d’autres à venir
Spica apprit un langage en priant les divinités et il l’appela souffle divin
Il apprit l’écriture en la voyant inscrite dans la roche et les nuages et le nomma larmes divines
Il apprit à compter en scrutant l’horizon sur lequel se dessinaient les bêtes et les erres et détermina qu’il s’agissait du toucher des dieux
Il s’isola pendant cinquante sept années dans une vallée austère en interdisant à quiconque de s’approcher
Et lorsque vint le temps de la révolte il sortit de celle-ci affublé d’un corps d’athlète et d’un visage glabre et fluet
Il imposa à chacun selon son rang de se raser la moustache, la barbe, les cheveux ou les poils, considérant que les chevelus appartenaient au monde animal et que lui touchait au divin, et que dorénavant chaque caste en fonction de son rang et statut se reconnaîtrait à sa pilosité particulière
Mais lui était le seul pouvant se permettre de n’avoir aucun poil ou cheveu
Et lorsque survivait un vivant affublé de semblable qualité au-delà de l’adolescence il le tuait et offrait son cœur aux divinités
Cinquante sept années s’étaient écoulées et le peuple des chevelus avait prospéré sous la protection des Eléments et de leurs alliés
Tandis que ceux de Naos avaient été accablés des pires calamités que leur monde eut supportées
Sans se douter ou comprendre qu’il s’était agi d’une vengeance des Eléments et de leurs alliés, trop contents de la victoire de Naos et la disparition de Babel
Les chevelus avaient vu leur nombre multiplié par dix
Tandis que d’autres des leurs étaient revenus d’au-delà des mers
Et que le peuple de Naos faisait face avec courage mais désespoir aux assauts d’une nature devenue folle, confondant hiver et été, pluie et aridité, vent et sérénité
Et avait perdu très largement de sa superbe et de sa suffisance
Et dont les sourires ne parvenaient plus à masquer la douleur
Que la faim, le froid et la mort provoquaient
Indubitablement
Spica se fit couronner dieu vivant à l’équinoxe de printemps
D’une année débutant sous les chants des chevelus à qui il avait appris à chanter pour louer les divinités
Et décréta le début des hostilités divines contre le peuple de Naos
Et le reste des mondes
Le soulèvement définitif
La fin d’un peuple
Et l’apogée d’un autre
Il mit ses armées en route
Et se dirigea vers le peuple de Naos
Armé jusqu’aux dents
Promettant aux dieux de bâtir un palais immense avec les dents de ceux qu’il allait abattre
Sans se douter que la guerre allait être longue et la résistance de ceux de Naos acharnée